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La démocratie électorale : une valeur universelle

LES ORIGINES DE L’ADAPTATION CONSTITUTIONNELLE SUD- SUD-AMERICAINE AU DROIT INTERNATIONAL

B. La démocratie électorale : une valeur universelle

Bien que le vote ait été présent depuis la naissance des républiques en Amérique du Sud, il avait toujours été manipulé, soit par une limitation, soit par la fraude. Malgré cela, il reste le noyau dur de la démocratie. En effet, c’est grâce à lui que le peuple peut faire entendre sa voix. Il n’était donc pas question de modifier ce socle mais de rendre le vote plus transparent, et cela avec une double finalité : garantir le respect du choix des citoyens et inciter le citoyen à exercer son droit de vote. En effet, si chaque citoyen sait que sa voix sera effectivement prise en compte, il n’hésitera pas à participer aux élections et de cette façon l’abstentionnisme sera limité, ce qui donnera une plus grande légitimité au processus électoral.

La mise en place des scrutins libres a été la concrétisation de la transition démocratique. Elle a également constitué la consolidation du lien indissoluble entre la démocratie et le processus

41 ROUQUIE Alain, « A l’ombre des dictatures. La démocratie en Amérique Latine ». Editions Albin Michel 2010. P. 122 .

33 électoral, qui s’est transformé en une branche à part entière du droit. C’est ainsi que nous parlons du droit électoral, en le définissant de la manière suivante : « Non seulement le droit individuel de

participation au processus d’élection des organes représentatifs, mais aussi de l’ensemble des normes qui encadrent le processus électoral : l’institutionnalisation des acteurs dans ce process, l’indépendance du gouvernement, la réalisation du recensement électoral, les dispositions qui assurent une libre concurrence et une égalité d’opportunités dans le processus électoral, l’opération matérielle du vote qui doit garantir la liberté et le secret du vote, la fiabilité du scrutin. En conclusion [le droit électoral est composé de] toutes les garanties administratives et juridiques destinées à ce que les élections soient libres et transparentes (free and fair) »42.

Pour concrétiser cette vaste définition du droit électoral, les Etats ont mis en place des autorités électorales indépendantes qui avaient comme objectif de mener à bien toutes les procédures d’élection du pays. Ainsi, depuis 1980, les Etats se sont dotés de lois qui ont développé des articles constitutionnels. Ces articles constitutionnels ont érigé les droits politiques comme les droits fondamentaux de tout citoyen43. Cet encadrement interne fut nécessaire et fort utile. Cependant,

42 NOHLEN Dieter, et ZOVATTO Daniel, et OROZCO Jésus et THOMPSON Jose, « Tratado de derecho electoral comparado de América Latina”. Instituto interamericano de Derechos Humanos, Universidad de Heidelberg, internacional IDEA, Tribunal electoral del poder judicial de la Federación, Instituto federal electoral. México 2007. P. 21: “ no solo se define por el derecho individual de participar en la elección de órganos representativos, sino también por todo este conjunto de normas que regulan el proceso electoral: la institucionalización de los actores en este proceso; su independencia del gobierno; la elaboración del censo electoral; las disposiciones que garantizan la libre competencia y la igualdad de oportunidades en la contienda electoral: la operación material de la votación que asegura la libertad y el secreto del voto; la fiabilidad del escrutinio; en suma, todas aquellas garantías administrativas y jurídicas destinadas a que las elecciones sean libres y honestas (dree and fair)”

43 L’Argentine: le Code électoral de 1983 modifiée par les lois 23.247, 23.476, 24.012, 24.444 et 24.904. La Bolivie : Code électoral de 1984 modifié par les lois 2006, 2232 et 2282. Le Brésil : la loi 9.504 de 1997. Le Chili : la loi 18.700 de 1988 modifié par les lois 18.733, 18.799, 18.807, 18.809, 18.825, 18.828, 18.963, 19.351, 19.438 et 19.654. ainsi que par la loi 18.556 de 1986 et la loi 18.460 de 1985. La Colombie : loi 134 de 1994 et la loi 403 de 1997. L’Equateur : la loi électorale 59 de 1986, modifiée en 2000. Le Paraguay : le Code électoral de la loi 834 de 1996 modifié en 2001 et la loi 635 de justice électorale de 1995. Le Pérou : la loi organique des élections No. 26859 de 1997, la loi des élections municipales de 1997, la loi des droits de participation et du contrôle citoyen de 1994 et la loi des élections régionales de 2002. L’Uruguay : la loi des élections de 1925 modifiée en 1999 et la loi 16.019 de 1989. Le Venezuela : la loi Organique de suffrage et participation politique de 1998 et la loi organique du pouvoir électoral de 2002. Voir cuadro VI.I Tratado de derecho electoral comparado de América Latina. Instituto interamericano de Derechos Humanos, Universidad de Heidelberg, internacional IDEA, Tribunal electoral del poder judicial de la Federación, Instituto federal electoral. México 2007. P. 111

34 compte-tenu de la réputation douteuse du processus électoral dans les pays de l’Amérique latine, il fallait aller au-delà de l’ordre interne des Etats pour atteindre une véritable légitimité et une véritable transparence. C’est ainsi que les organisations internationales vont assumer un rôle d’observation déterminant pour garantir le bon déroulement et donc la bonne gouvernance des Etats.

Bien entendu, cette fonction des organisations internationales s’est concrétisée majoritairement dans le cadre de la coopération internationale. Il faut remarquer qu’en Amérique du Sud, la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme a été, depuis la transition démocratique, une institution très active et soucieuse de l’avenir des droits politiques. Cette institution a voulu également soutenir les Etats dans cette étape de transition démocratique, avec la création d’organismes conçus exclusivement à ces fins, tels que le Capel44, un centre de soutien technique sur les élections libres qui a mis en place des missions d’observation pour certifier le bon déroulement de tout le processus d’élections.

L’ONU a également été présente dans le cadre de cette coopération internationale. En effet, elle a créé, en 1991, l’unité d’assistance électorale, chargée d’effectuer des missions d’observation. L’ONU possède également un programme pour le développement (PNUD), présent dans plus de 80 pays, comprenant une action de coopération en matière électorale et ayant une forte reconnaissance internationale en tant qu’observateur des élections. Le PNUD a créé un Indice de Démocratie Electorale45 pour déterminer le taux de démocratie au sein des Etats, et cela à partir de quatre questions :

- Le droit de vote est-il reconnu ?

- Est-ce que les élections sont transparentes ? - S’agit-il d’élections libres ?

- Les élections sont-elles le moyen d’accéder aux fonctions publiques ?

Grâce à cet indice, le PNUD, dans son rapport de 2004, a établi que « la conclusion en matière

d’IDE est que l’Amérique Latine a fait beaucoup de progrès en ce qui concerne la démocratisation

44 Centro de asesoría y promoción electoral creé en 1984.

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du régime d’accès au gouvernement. Auparavant, l’Amérique latine n’avait jamais eu de régimes électoraux aussi démocratiques et durables qu’à partir du XXIème siècle […]. La moyenne d’IDE (dont la valeur est comprise entre 0 et 1) en Amérique Latine a progressé de 0,28 en 1977, à 0,69 en 1985 et à 0,86 en 1990 pour finir en 2002 à 0,93 »50.

Selon la conclusion de ce rapport, aucun doute n’est possible sur le fait que l’intégralité des Etats de l’Amérique du Sud a réussi son pari et a fait de la démocratie électorale une valeur universelle. Il faut signaler également que tous les Etats ont prévu des sanctions administratives et pénales en cas de violation des droits politiques. Ces sanctions sont renforcées par le Système Interaméricain des Droits de l’Homme. Selon la Résolution No. 01/90 de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme, on peut affirmer que cet organe international est compétent pour juger les Etats qui ont ratifié le pacte de San Jose (Costa Rica) et qui n’ont pas respecté le libre exercice des droits politiques de leur citoyens. En effet, la Commission a eu l’occasion de manifester sa position sur ce sujet lors de plaintes déposées par le Parti mexicain d’Action Nationale (PAN) qui contestait trois processus électoraux : celui des députés dans l’Etat de Chihuahua qui a eu lieu le 7 juillet 1985, celui des élections municipales dans l’Etat de Durango le 6 Juillet 1986 et celui du Gouverneur de l’Etat de Chihuahua le 6 juillet 1986. A l’époque, le PAN a désigné le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), qui était au pouvoir au Mexique, comme étant l’auteur des irrégularités. La Commission a affirmé sa compétence dans le cas de violations de droits politiques qui sont consacrées par l’article 23 de la Convention Interaméricaine des Droits de l’Homme en affirmant que « la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme est compétente pour

vérifier, en relation avec les droits politiques, la bonne réalisation d’élections périodiques, authentiques, avec un suffrage universel, égalitaire et secret, dans le cadre des garanties nécessaires pour que les résultats soient représentatifs de la volonté du peuple, et la possibilité que les électeurs puissent effectuer un recours contre un processus électoral qui serait considéré

46Programa de las Naciones Unidas para el Desarrollo. La democracia en América Latina. Hacia una democracia de ciudadanos y ciudadanas. 2da edición, Buenos Aires. Aguilar, Altea, Taurus, Alfaguara, 2004. P. 78 “ la conclusión más evidente que surge del IDE es que América Latina ha progresado notablemente en cuanto a la democratización del régimen de acceso al gobierno. Nunca antes América Latina conto con regímenes electorales tan democráticos y durables como a principios del siglo XXI… el promedio del IDE (cuyo valor varía entre 0 y 1) para América Latina sube rápidamente de 0,28 en 1977 a 0,69 en 1985, y a 0,86 en 1990, mejorando de ahí en adelante para terminar el 2002 con 0,93.”

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comme irrégulier ou qui n’aurait pas respecté le droit d’avoir accès, en conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ».

Bien que l’Amérique du Sud ait fait des progrès remarquables concernant la démocratie électorale, il ne faut pas oublier que celle-ci n’est que le premier échelon vers une complète et véritable démocratie dont le parcours n’est pas encore achevé. Le rapport du PNUD de 2004 affirme que « l’Amérique Latine est parvenue à garantir la démocratie électorale et ses libertés basiques.

Maintenant il s’agit de conquérir la démocratie citoyenne ».

Nous verrons comment les réformes constitutionnelles réalisées après les années 1980 ont permis de renforcer la démocratie en passant d’une démocratie électorale à une démocratie constitutionnelle et citoyenne.

II. La démocratie citoyenne comme élément essentiel des réformes constitutionnelles en Amérique du Sud

Une fois que le déficit de démocratie électorale en Amérique Latine a été surpassé, l’idée d’une citoyenneté sociale est devenue le nouvel objectif du peuple de l’Amérique du Sud. En effet, il a adhéré à une pensée sociale telle que celle exposée par Bruno Lautier qui affirme que « si la

démocratie signifie la généralisation du statut de citoyen, et si la citoyenneté est définie par l’inscription dans un système des droits-devoirs, ceux-ci ne peuvent se limiter aux droits et devoirs civils et politiques »47.

La démocratie citoyenne est définie selon le rapport du PNUD de 2004 comme celle qui : « est là

pour garantir l’effectivité de nos droits. Elle va nous permettre d’évoluer d’électeurs à citoyens.

47 LAUTIER Bruno, « L’état providence en Amérique Latine : Utopie légitimatrice ou moteur du développement ? ». L’Amérique Latine : vers la démocratie. Editions complexe, 1993. P . 97.

37 [La démocratie citoyenne] se sert des libertés politiques pour construire la citoyenneté civile et

sociale ».

Pour parvenir à cette démocratie citoyenne en Amérique du Sud, les différents Etats ont d’abord choisi de renforcer les droits fondamentaux des citoyens grâce à des réformes constitutionnelles qui ont inclus différents mécanismes d’action constitutionnelle et tout particulièrement la création de Cours constitutionnelles et de mécanismes d’action citoyenne afin de mettre en place une démocratie participative ayant pour objectif de combler les faiblesses de la démocratie représentative. Cette démocratie représentative présentait, en Amérique du Sud, une faille, dans le sens où les citoyens n’avaient aucun type de contrôle sur les gouvernants et où le présidentialisme, fortement enraciné, rompait l’équilibre qui doit régner entre les branches du pouvoir public. C’est ainsi que Guillermo O’Donnel a considéré qu’il était plus approprié de dénommer ces démocraties représentatives de l’Amérique du Sud comme des « démocraties délégatives » 48.

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