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L’émancipation du marché

LES ORIGINES DE L’ADAPTATION CONSTITUTIONNELLE SUD- SUD-AMERICAINE AU DROIT INTERNATIONAL

A. L’émancipation du marché

Comme nous l’avons déjà évoqué, le phénomène de la globalisation concernait au départ un domaine purement économique, au sein duquel « le marché représente l’Etat naturel

d’organisation de la société, une société comprise comme un agrégat d’individus égaux et

88 AUBY Jean-Bernard, « La Globalisation, le droit et l’état ». LGDJ Lextenso éditions. 2010 Paris. P. 16.

89 Voir : CARAVOZZI Marcelo, “Mas allá de las transiciones a la democracia en América Latina”. Revista de estudios políticos (Nueva Época). Número 74. Octubre-diciembre 1991.

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rationnels cherchant à maximiser leur bien-être personnel et affranchie des interférences provoquées par les interventions étatiques et les réglementations publiques »90. Cette conception impose que la relation entre l’Etat et le marché soit plus modeste que ce qu’elle a été auparavant. Elle a été imposée à l’ensemble des Etats sud-américains par le Consensus de Washington. Ainsi, au sein de ce programme d’ajustement structurel, des consignes très précises ont été données concernant le déficit public, qui ne devait pas dépasser les 2% du PIB pour ainsi éviter l’inflation. Il en va de même pour l’encadrement des dépenses publiques, ainsi que l’élargissement des impôts, la libéralisation financière, le taux de change, la libéralisation commerciale, la suppression des barrières à l’entrée des investissements directs étrangers, la privatisation des entreprises de l’Etat et la dérégularisassions de l’activité économique91. C’est ainsi que le rôle de l’Etat vis-à-vis du marché change. L’Etat n’est plus un acteur dirigiste dans le marché, mais il doit adopter un rôle de régulateur, voire d’observateur, de celui-ci. Le rôle d’acteur principal revient au secteur privé. Pour mettre en application ce changement, les Etats sud-américains ont justifié l’adoption de ces mesures néolibérales par le besoin impératif d’une modernisation de l’Etat. A ce propos, Manuel Castells précise que : « la modernisation, en tant qu’adaptation à l’économie globale, consiste surtout à

transférer au marché ce qui appartenait à l’Etat. Pour mener à bien ce projet indispensable pour la modernisation technologique et la participation du secteur dynamique de l’économie dans le nouveau capitalisme mondial, les Etats ont utilisé régulièrement des mesures traditionnelles pour supprimer les privilèges des certains secteurs et ainsi les exposer à la concurrence »92.

La transmission au marché de ce qui appartenait à l’Etat n’a pas pu se faire sans modifier radicalement l’essence même dudit Etat. Ainsi, au sein des Etats sud-américains qui se sont caractérisés par une forte centralisation, l’Etat a dû remettre en question cette forme

90 OST François, “Mondialisation, globalisation, universalisation. Le droit saisi par la mondialisation ». Collection de droit international, Bruylant 2001. P. 8.

91 Voir : BAFOIL François, « Traduction du texte établissant le "Consensus de Washington" Critique internationale - n°32 – juillet / septembre 2006 en ligne : http://www.ceri-sciences-po.org

92 CASTELLS, Manuel. Globalizacion, identidad y estado en America Latina. Temas de desarrollo humano sustentable. PNUD Chile 1998, p.16 « la modernizacion como adaptacion a la economia global, consiste sobre todo en traspasar al mercado lo que era del estado. Para llevar a cabo ese proyecto, indispensable para la modernización tecnológica y la participación del sector dinamico de la economía en el nuevo capitalismo global, los estados utilizaron con frecuencia sus apoyos tradicionales para, de hecho, romper los privilegios de dichos sectores y dejarlos expuestos a la competitividad”

56 d’administration et a dû inclure à différents degrés des mesures telles que la décentralisation et la déconcentration administrative, pour ainsi permettre au marché de prendre aisément ses marques. En conséquence, l’émancipation du marché du contrôle de l’Etat n’a pas seulement impliqué que ce soit la loi de l’offre et de la demande qui régule le marché. Cette émancipation a aussi eu des incidences sur d’autres fonctions essentielles de l’Etat qui, comme nous avons pu le voir tout au long du présent travail, ont eu une forte répercussion sur le statut du droit international au sein des Constitutions sud-américaines, et tout particulièrement en ce qui concerne la diffusion verticale du pouvoir d’engager l’Etat au niveau international.

La mise en application de toutes ces mesures néolibérales dans les Etats sud-américains n’a pas donné les résultats attendus. En effet, la première conséquence visible des mesures a été l’accroissement des inégalités au sein de la population sud-américaine. Ainsi, Mme Delmas- Marty affirme que « le fonctionnement, même optimal, d’une économie de marché, fût-elle la plus riche,

ne garantit pas la survie de l’ensemble de la population ; et cette déficience structurelle de l’économie du marché est le point d’entrée du modèle social, des considérations collectives et de la solidarité. Marché et socialisme sont ainsi en partie liés puisque le premier est vide de sens sans le second »93 .

Le raisonnement tenu par Mme Delmas-Marty a été sans doute le même que celui qui s’est développé au sein de la population sud-américaine. Avec l’échec social de l’économie de marché imposée par l’intégralité des Etats sud-américains dans les années 1990, cette population souhaitait un nouveau modèle, où les politiques sociales aient une place prépondérante. Autrement dit un modèle où l’Etat pourrait reprendre ce qu’il avait transféré au marché : le pouvoir de décision. En conséquence, à partir de la fin des années 1990, dans certains Etats où le mécontentement à l’égard des mesures néolibérales a atteint des sommets, on constate l’arrivée au pouvoir de figures contestataires de la globalisation économique. Ainsi, Hugo Chavez, élu président le 2 février 1999 au Venezuela, est arrivé au pouvoir en affirmant que « la globalisation d’aujourd’hui est une

réalité objective mais aussi une arme de manipulation qui prétend nous condamner à la passivité devant un ordre économique mondial qui exclut nos pays du Sud et les condamne à un rôle éternel

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de producteurs de richesses et récepteurs de miettes »94. Evo Morales, le 22 janvier 2006 en Bolivie et Rafael Correa, Président de l’Equateur depuis janvier 2007, sont arrivés au pouvoir avec le même type de revendications.

Nous pouvons dès lors affirmer que les conséquences négatives de la libéralisation de l’économie ont eu une forte influence sur l’avenir politique de la région. En effet, les accessions au pouvoir d’Hugo Chavez au Venezuela, d’Evo Morales en Bolivie et de Rafael Correa en Equateur, bien qu’elles soient les plus radicales, ne sont pas pour autant isolées des résultats des élections dans les autres pays sud-américains. Ont été élus présidents de leurs pays respectifs :

- au Brésil, Ignacio Lula Da Silva 2002 - Nestor Kirchner en Argentine en 2003

- l’ex-guérillero Tupamaros Jose Mujica en Uruguay en 2009

Ils ont en commun la remise en question des mesures néolibérales et la volonté d’inclure un volet social dans leur programme de gouvernement.

Bien que l’émancipation du marché n’ait pas tenu toutes ses promesses à l’égard de la population sud-américaine, la globalisation juridique a imposé également aux Etats un intérêt grandissant vis-à-vis des valeurs et principes dits universels.

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