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La théorie des systèmes écologiques est présentée comme une théorie du développement humain dans laquelle tout est considéré comme étroitement lié; la personne, le contexte, la culture et l'histoire (Darling, 2007). Cette théorie se veut une orientation générale reliant les concepts et les résultats, dans des domaines jusqu'alors disparates de l'étude du développement, et ce, en mettant l'accent sur l'interaction dynamique des processus à travers le temps. La dimension temporelle est donc au cœur de cette perspective.

Comme stipulé dans la première proposition formulée: pour être efficaces, les processus proximaux doivent opérer assez régulièrement sur de longues périodes de temps (Bronfenbrenner & Ceci, 1993). Les ressources ne sont donc pas les seules caractéristiques de l'environnement qui sont requises pour exploiter les processus proximaux avec succès dans le développement de compétences. Un deuxième facteur indispensable est une certaine stabilité (Bronfenbrenner, 1999). En conséquence, les contextes environnementaux influencent les processus proximaux et les enjeux du développement non seulement en termes de ressources qu'ils fournissent, mais aussi dans la mesure où ils fournissent la stabilité et la cohérence dans le temps, ces deux ingrédients étant nécessaires au bon fonctionnement des processus (Bronfenbrenner, 1999; Bronfenbrenner & Ceci, 1994). À leur tour, les processus proximaux fonctionnels,

parce que bénéficiant d’une certaine stabilité environnementale, engendrent une stabilité psychologique, en particulier chez les enfants et les jeunes (Bronfenbrenner & Ceci, 1994).

Ainsi, les changements à travers l'histoire tout comme le parcours de vie ne représentent pas seulement des forces temporelles qui façonnent le développement, mais aussi des points d’ancrage (Bronfenbrenner, 1999). Pulkkinen et Saastamoinen (1986) ont examiné l'influence de la stabilité de l'environnement et du changement dans le processus développemental pendant 12 ans, soit pour des participants suivis à partir de l’âge de 8 ans jusqu’à l’âge de 20 ans. L’expérience de l'instabilité dans le temps (c’est-à-dire les changements de structure familiale, de garderie, d'école ou d’emploi des parents, ou encore la fréquence de l'absence des parents ou le nombre de mouvements des familles) a été associée à une plus grande insécurité psychologique plus tard dans la vie (Bronfenbrenner & Ceci, 1993). Les recherches subséquentes ont fourni des éléments de preuve plus précis selon lesquels le stress et le manque d'uniformité au sein de la famille, souvent induite par des facteurs environnementaux externes, ont des effets perturbateurs sur le développement des enfants (Bronfenbrenner, 1999). Puisque la vie de tous les membres de la famille est interdépendante, la façon dont chacun des membres de la famille réagit à une transition de rôle ou à un événement de leur histoire particulière affecte le cours du développement des autres membres de la famille (Darling, 2007). Par exemple, le degré de conflit conjugal influence le modèle d'interaction parent-enfant (Belsky & Rovine, 1990), qui à son tour affecte la réussite scolaire des enfants et le comportement en classe (Cowan, Cowan, Schulz & Heming, 1994). De même, il a été démontré que la qualité de la relation conjugale peut elle-même être fortement affectée par des facteurs extrafamiliaux comme les conditions de travail (ex.: Bolger, DeLongis, Kessler, & Wethington, 1989; Eckenrode & Gore, 1990; Moorehouse, 1991).

Les premiers efforts systématiques et complets pour exposer le modèle, ainsi que les preuves empiriques (Bronfenbrenner 1979; Bronfenbrenner & Crouter, 1983; Bronfenbrenner & Ceci, 1993, 1994) ont été suivi par des reformulations notables (Bronfenbrenner & Morris, 1998, Bronfenbrenner, 1999). Un apport significatif des reformulations successives du modèle bioécologique est la description des caractéristiques distinctives qui clarifie l’introduction des nouveaux concepts et contribue à leur potentielle opérationnalisation (Bronfenbrenner, 1999). Ces caractéristiques sont au nombre de cinq :

1. Pour que le développement se produise, la personne doit exercer une activité. 2. Pour être efficace, l'activité doit avoir lieu sur une base assez régulière.

3. Les activités doivent s’inscrire dans une période de temps suffisante pour devenir de plus en plus complexes.

4. Dans un développement efficace, les processus proximaux ne sont pas unidirectionnels.

peuvent également impliquer une interaction avec des objets et des symboles qui suscitent l’attention et invitent à l’exploration, la manipulation, l’élaboration et l’imagination.

Plus récemment, Bronfenbrenner et ses collègues (1996) ont documenté les changements sociaux convergents qui ont lieu dans les pays économiquement développés et en particulier aux États-Unis, et qui progressivement sapent le développement des compétences et de la personnalité pour les générations à venir (Bronfenbrenner, 2000). Dans cet optique, l’exposé théorique de Bronfenbrenner et Evans (2000) constitue le plus récent effort du genre.

L’apport théorique de Bronfenbrenner et Evans (2000) vise à intégrer la notion de chaos dans le

système écologique. Les auteurs font référence à la tendance sociale contemporaine vers un «chaos

croissant» qui se manifeste par un manque de coordination dans les familles, les écoles, ou les groupes de pairs non supervisés, bref, dans l’ensemble des structures dans lesquelles les enfants et les jeunes passent de longues périodes. Le chaos se manifeste aussi par un manque de coordination dans la dynamique des relations entre les systèmes familiaux et scolaires, les groupes de pairs, soit les composantes du mésosystème (Bronfenbrenner & Evans, 2000).

Les systèmes chaotiques sont caractérisés par une activité frénétique, le manque de structure, l’imprévisibilité dans les activités quotidiennes et des niveaux élevés de stimulation ambiante (Bronfenbrenner & Evans, 2000). Selon cette vision théorique, les stimulations élevées en toile de fond seront accompagnées d’un manque général de systématisation et de structure dans la vie quotidienne qui se répercutera sur la stabilité de l'environnement ayant pour conséquence un effet perturbateur d'instabilité sur le processus développemental (Bronfenbrenner & Evans, 2000).

Un des premiers effets relevés est l’interférence du chaos avec les processus proximaux; ces processus pouvant être source de dysfonctionnement de compétence, selon le contexte. Evans, Lepore, Shejwal et Palsane (1998) ont conclu qu'un « encombrement social » interfère dans le développement et le maintien des relations soutenantes entre les parents et leur enfant d'âge scolaire. Ces relations moins favorables fonctionnent comme un processus proximal et produisent, à leur tour, une moins bonne adaptation comportementale à l'école et une vulnérabilité accrue au sentiment d’impuissance ou d’incapacité (Bronfenbrenner & Evans, 2000). L'environnement (par exemple, des salles de classe ouvertes versus des salles de classe traditionnelles) peut donc devenir une source importante d'interruption des processus proximaux (Evans, Hygge, & Bullinger, 1995; Evans et al., 1998; Evans, Maxwell & Hart, 1999) et d’encombrement psychologique.

Les conséquences développementales du chaos sont aussi illustrées dans la recherche de Ackerman, Kogos, Youngstream, Schoff et Izzard (1999). Les résultats indiquent que lorsque les niveaux d'instabilité augmentent, la détresse psychologique est plus élevée pour les enfants d'âge préscolaire des deux sexes. Dans cette étude, l’instabilité réfère au nombre de résidences que l'enfant a occupé, au nombre de relations intimes de la mère, au nombre de familles avec qui l'enfant a vécu, aux maladies physiques ou chroniques de l'enfant et aux événements de la vie de la mère (décès ou maladie grave des membres de la famille ou des amis proches, perte d'emploi ou de revenu, problèmes juridiques, la séparation, etc.).

Le chaos est donc susceptible d'interférer avec le développement et le maintien des processus proximaux qui favorisent le développement des compétences et de la personnalité, et risque fortement de conduire à un développement social dysfonctionnel. Les principales racines du développement social, c’est-à- dire les liens qui au fil du temps incitent à s'engager dans l'action en faveur du bien-être des autres au-delà de notre propre intérêt, sont des schémas précoces profondément ancrés et peu susceptibles de se modifier au fil du temps, et qui sont aussi le plus à risque dans le contexte social actuel caractérisé par un chaos grandissant (Bronfenbrenner & Evans, 2000).