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Un développement théorique important, après la publication du modèle écologique original, a été l'introduction d'une distinction essentielle entre l'environnement et les processus (Bronfenbrenner, 1999). Bronfenbrenner souhaite en effet proposer des mesures explicites des variables contextuelles visant à conceptualiser l’environnement en termes de « systèmes » et, surtout, en termes de « mécanismes » permettant, entre autres visées, de mettre en relief le caractère interactif des composantes génétiques et environnementales. Ces mécanismes empiriquement mesurables sont définis en termes de « processus proximaux » (Bronfenbrenner & Ceci, 1993).

La proposition initiale formulée par Bronfenbrenner (Bronfenbrenner & Ceci, 1993) concerne essentiellement ces formes durables d'interaction dans l'environnement immédiat que Bronfenbrenner nomme « processus proximaux ». Cette proposition atteste que le développement humain, surtout dans ses premières phases et dans une large mesure tout au long de la vie, se déroule par le biais d’interactions réciproques et de plus en plus complexes entre un organisme humain biopsychosocial, actif et en constante évolution, et les personnes, objets et symboles de son environnement extérieur immédiat. Pour être efficace, l'interaction doit avoir lieu sur une base assez régulière et sur de longues périodes de temps (Bronfenbrenner & Ceci, 1993; Bronfenbrenner & Morris, 1998).

Dans une première série de travaux, Bronfenbrenner et Ceci (1993, 1994) ont exploré les processus qui sous-tendent l'expression génétique dans le contexte du développement. En s’appuyant essentiellement sur les études de Drillien (1964) et de Small et Luster (1990), ces chercheurs ont tenté de comprendre comment et dans quelles conditions les différences individuelles sont génétiquement exprimées.

Les travaux de Drillien (1964) ont été utilisés comme exemple afin de démontrer pourquoi il est essentiel de faire la distinction entre le contexte et le processus et ainsi différencier les hypothèses élaborées au sujet de chacune de ces variables. Les données sont tirées d'une étude longitudinale qui a permis de démontrer l'impact de la qualité de l'interaction entre la mère et son enfant âgé de 2 ans sur les comportements problématiques observés à 4 ans en fonction des classes sociales. Dans l’étude de Drillien (1964), il est d’abord démontré que les enfants issus d’un milieu socioéconomique favorisé étaient moins susceptibles de manifester des comportements à problème que l'étaient les enfants d’un milieu socioéconomique défavorisé. Cependant, la réactivité maternelle était plus fortement associée à des problèmes de comportements chez l’enfant dans les familles dont le statut socioéconomique était faible à moyen que dans celles dont le statut socioéconomique était élevé. Le processus proximal (en l'occurrence, l'interaction mère-enfant à travers le temps) apparaît donc comme le plus puissant prédicteur (au-delà du statut socioéconomique) des résultats du développement. En d’autres mots, un processus proximal déficient a plus d’importance que le statut socio-économique.

Bronfenbrenner et Ceci (1993), ont également utilisé cet exemple pour faire valoir que les problèmes de l'enfant sont plus fréquents et plus sévères dans des environnements de mauvaise qualité, mais que dans ce type d’environnement, les enfants sont aussi susceptibles de recueillir une plus grande attention parentale à travers les efforts plus focalisés des parents pour remédier aux problèmes. De ce fait, ces efforts focalisés expliquent pourquoi la réactivité parentale est considérée plus efficace dans des environnements

socioéconomiquement défavorisés. Les résultats de l’étude de Drillien (1964) ont donc permis de démontrer de quelle façon les processus proximaux pouvaient avoir une fonction « tampon » et seraient plus efficaces en présence de certains risques contextuels, tout comme les lunettes ne sont efficaces que pour les personnes ayant une mauvaise vision (Bronfenbrenner, 1999; Bronfenbrenner & Ceci, 1993; Bronfenbrenner et Ceci, 1994).

Toutefois, cette hypothèse diverge lorsqu’il s’agit spécifiquement du développement de compétences. Dans ce contexte précis, les processus proximaux qui encouragent et facilitent le développement seront plus efficaces dans des environnements ayant accès à plusieurs ressources (Bronfenbrenner, 1999; Bronfenbrenner & Ceci, 1993, 1994). À partir de l’analyse portant sur les données de l’étude de Small et Luster (1990), Bronfenbrenner (1999) met l’accent sur la variabilité de l'association entre la surveillance parentale et les performances académiques, en fonction du type de famille (deux parents biologiques, mère monoparentale ou mère et beau-père) et de la scolarité de la mère. La notion de surveillance parentale renvoie à l’effort des parents d’acquérir une connaissance réelle du comportement de leur enfant ou adolescent (Fletcher et al., 1995). Dans le contexte du modèle écologique, la surveillance parentale représente un processus proximal qui promeut le rendement scolaire et favorise une issue positive dans cet axe développemental (Bronfenbrenner, 1999). En utilisant cette étude comme exemple, Bronfenbrenner (1999) fait ressortir deux points: tout d'abord et contrairement à l'exemple de Drillien (1964), l'association entre la surveillance parentale et la performance scolaire est plus forte dans les familles avec des ressources plus élevées (principalement ceux avec deux parents biologiques); en second lieu, les avantages de la surveillance parentale sont amplifiés pour les familles biparentales avec des ressources additionnelles, c’est-à-dire des familles dont les mères avaient plus qu’un diplôme d’études secondaires. En bref, Bronfenbrenner (1999) suggère que le processus susceptible d’induire les meilleures compétences aurait un plus grand effet dans des environnements avec plus de ressources et pour les personnes qui ont eu une plus grande capacité de tirer parti de ces ressources.

Basées sur les études de Drillien (1964) et de Small et Luster (1990), les attentes théoriques dans la perspective du modèle bioécologique impliquent que les processus proximaux actualisent le potentiel génétique pour le développement de compétences et réduisent le risque d’un développement dysfonctionnel. La puissance des processus proximaux à concrétiser les potentiels génétiques concernant le développement des compétences sera plus grande dans les milieux favorisés et stables que dans les milieux défavorisés et désorganisés, principalement parce que la réalisation de compétences exige des ressources qui existent dans un environnement offrant un large accès à celles-ci (Bronfenbrenner & Ceci, 1993). Par ailleurs, les processus proximaux auraient des effets plus puissants sur développement que les caractéristiques de l'environnement

ou de la personne. Enfin, le pouvoir des processus proximaux en tant que modérateur du développement dysfonctionnel sera plus grand dans les milieux défavorisés et désorganisés que dans les milieux qui sont avantagés et stables (Bronfenbrenner & Ceci, 1993).

D’autres chercheurs, fortement influencés par le point de vue holistique et interactionniste de la théorie des systèmes écologiques (par exemple Ann Crouter, Nancy Darling et Laurence Steinberg), ont appliqué le modèle de Bronfenbrenner à la compréhension du rôle de parent (Darling, 2007). L’étude de Steinberg et ses collaborateurs (1995) a tenté de mettre en relief le rôle du contexte développemental de l'adolescent à plusieurs niveaux: au niveau des microsystèmes (famille et groupes de pairs), à l'intersection de ces deux microsystèmes (ce que Bronfenbrenner nomme le mésosystème), au sein du réseau social de la famille et de la communauté (ce que Bronfenbrenner nomme l’exosystème) et dans le contexte élargi de l'ethnicité (soit une partie de Bronfenbrenner nomme le macrosystème). Cette étude s’appuie sur une enquête longitudinale de trois ans portant sur l’adaptation psychosociale de l'adolescent et leur comportement, dans un échantillon hétérogène impliquant plus de 20 000 élèves américains du secondaire âgés de 14 à 18 ans. Bien que cette enquête a permis de recueillir des informations détaillées sur plusieurs domaines d'influence contextuelle, l’objectif premier de l’étude visait un contexte précis du développement au cours de l'adolescence: la famille. Plus précisément, l’étude visait à explorer les mécanismes par lesquels, durant l’adolescence, les parents d'adolescents continuent à influencer leurs enfants dans le développement de comportements sains. Bien que la croyance prévalente est que l'importance des parents diminue de façon marquée au cours des années du secondaire, les auteurs ont voulu réactualiser cette vision de l'adolescence fondée sur une époque révolue, à la lumière des changements sociaux qui ont contribué à remodeler la relation entre les parents et l’adolescent (Steinberg et al., 1995). Le but initial de l’étude portait sur l'impact des différents styles d'autorité parentale sur la réussite scolaire des adolescents. Les résultats ont révélé que, contrairement aux jeunes Américains d’origine européenne et hispanique, les Afro-Américains ou les Américains d'origine asiatique n'avaient pas de réels bénéfices associés à un style « authoritatif ». Des analyses subséquentes ont révélé que les jeunes américano-européens avec des parents adoptant un style « authoritatif » sont plus susceptibles d'appartenir à des groupes de pairs qui favorisent la réussite scolaire. Ainsi dans la mesure où les parents peuvent influencer les relations des adolescents, ils peuvent « contrôler » le type d'influences du groupe de pairs auxquels leur enfant appartient. Essentiellement, les résultats suggèrent que les parents ont un impact direct et primaire sur le comportement prosocial ou antisocial de leur adolescent; les groupes de pairs servant principalement à renforcer les comportements établis. En continuité,

Fletcher et ses collaborateurs (1995) ont suggéré que pour comprendre l'influence de la surveillance parentale à l’adolescence (la surveillance parentale étant l’effort des parents d’acquérir une connaissance réelle du comportement de leur adolescent), il est nécessaire d’acquérir une meilleure compréhension de l'interaction

entre l’influence des parents et celles des pairs au regard du comportement adopté par l’adolescent. Les résultats suggèrent que les adolescents sujets à une haute surveillance de leurs parents se tourneraient plutôt vers des pairs qui ne consomment pas de substances toxicologiques. En outre, Fletcher et ses collaborarteurs (1995) ont fait valoir la surveillance parentale serait plus influente lorsque les groupes de pairs sont hétérogènes dans les cas où des changements dans l’utilisation de substances toxicologiques sont visés. Cette étude a essuyé de vives critiques principalement parce qu'elle reposait sur l'hypothèse implicite que la surveillance parentale est un attribut du parent et non de la relation parent-enfant (Stattin & Kerr, 2000).

Stattin et Kerr (2000) ont donc élaboré un modèle explicite en comparant la force des associations entre la surveillance parentale, la sollicitation d’informations de la part des parents et la divulgation volontaire d'informations par l'adolescent, avec la connaissance parentale des comportements (résultante de la surveillance parentale) et le comportement des adolescents. Stattin et Kerr ont conclu que les différences individuelles dans la divulgation volontaire des informations par les adolescents constituaient la principale source de variabilité des connaissances parentales, et non la sollicitation parentale ou la surveillance parentale. Ainsi, selon ces constats, le contrôle des informations par les adolescents plutôt que les efforts parentaux explique les différences au niveau de la connaissance des comportements (Stattin & Kerr, 2000).