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Concilier le travail et la famille est devenu un défi de taille et un enjeu social très actuel pouvant entrainer des répercussions sur le bien-être des parents ainsi que des impacts économiques importants pour les organisations (Duxbury & Higgins, 2003; Mercure, 2008). Il est généralement porteur de stress résultant des exigences incompatibles dans les domaines du travail et de la famille (Greenhaus & Beutell, 1985; Hill et

al., 2008). Ce conflit de rôle survient quand la participation dans le rôle parental et conjugal se fait plus difficilement due à la forte implication dans le travail ou, tout simplement, quand un emploi empiète sur la vie familiale (Brun, 2008). Ce n’est pas le fait d’occuper un double rôle en soi qui est nocif; le double rôle peut même être perçu comme une source d’enrichissement (Gareis, Barnett, Ertel & Berkman, 2009). L’effet nocif sur la santé psychologique émane plutôt de certaines conditions de travail, comme une faible latitude décisionnelle combinée à l’absence d’un soutien social à domicile (Oomens, Geurts, & Scheepers, 2007) ou bien comme l’exposition à un niveau de stress élevé au travail, combinées à une importante charge familiale et d’un faible soutien social (Ertel, Koenen & Berkman, 2008) qui peuvent nuire à la santé.

Les conditions de travail sont au cœur de la problématique de la conciliation travail et vie familiale. Le fait pour des mères d’être actives sur le marché du travail est habituellement favorable à leur santé, mais c’est le fardeau cumulatif des contraintes qui pourrait avoir un effet délétère sur la santé (Cunningham-Burley et al., 2006 ; Marshall & Barnett, 2006). Il a été démontré que de mauvaises conditions de conciliation sont associées à des risques pour la santé (Allen, Herst, Bruck & Sutton, 2000; Winter, Roos, Rahkonen, Martikainen & Lahelma, 2006), particulièrement chez les personnes qui ont des responsabilités familiales importantes (Vézina et al., 2011).

Au Canada, une forte majorité de couples ayant des enfants ont deux soutiens financiers (Marshall, 2009). Cette étude souligne que de 1997 à 2008, la proportion de femmes représentant le soutien financier principal ou le soutien égal de la famille a augmenté, passant de 37 % à 42 %. Par ailleurs, près de 60% des travailleurs canadiens ne peuvent concilier leurs exigences professionnelles et familiales (Duxbury & Higgins, 2003). Les hommes et les femmes qui ont des personnes à leur charge (c.-à-d. des enfants ou des personnes âgées) signalent un conflit nettement plus élevé entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle que ceux qui n’ont pas de telles responsabilités. Le travail à temps partiel est une stratégie de conciliation que certaines personnes adoptent, surtout des femmes (Duxbury & Higgins, 2003). Selon l’Institut de la statistique du Québec, le temps partiel (défini à moins de 30 heures par semaine) est plus souvent volontaire chez les femmes comparées aux hommes, et serait plus souvent volontaire chez les mères comparativement aux non- mères (Gagnon, 2009). Plus de la moitié des mères de 25 à 44 ans qui travaillent volontairement à temps partiel (54,2 %) motivent leur choix par les soins à donner aux enfants. Cette question n’est probablement pas sans lien avec les études qui démontrent que les mères qui travaillent sont nombreuses à éprouver du stress et de la culpabilité lorsque les besoins de la sphère travail sont en conflit avec ceux de la sphère familiale (ex.: De Koninck, Malenfant, Tardif & Poulin, 2001; Duxbury & Higgins, 2003; Rochette & Dubé, 2004; Tissot et al., 1997). Cette perception d’un conflit entre le travail et les obligations familiales est souvent associée aux mauvaises conditions de conciliation et peut entrainer une perception négative de l’état de santé en général

(Winter, Roos, Rahkonen, Martikainen & Lahelma, 2006). D’importantes obligations familiales ont été associées à une pression artérielle élevée chez les travailleuses ayant une scolarité universitaire (Brisson et al., 1999). Cette association négative est accrue lorsque, de surcroit, les travailleuses sont confrontées à un niveau élevé de stress au travail (high job strain) (Brisson et al., 1999).

Les responsabilités familiales jouent donc un rôle important dans la détermination des besoins en matière de conditions de travail. Les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’avoir des horaires surchargés en raison de l’ensemble de leurs responsabilités (51 % des femmes avec enfants comparativement à 39 % des hommes) (Marshall, 2009) ou de connaître un déséquilibre entre le travail et la vie personnelle (27 % des femmes, 19 % des hommes), qu’elles travaillent selon un horaire régulier de jour ou un horaire atypique (Williams, 2008). Les besoins en matière de conditions de travail favorisant l’harmonisation de la vie familiale et de la vie professionnelle (HTVP) regroupent quatre grandes catégories: les conditions relatives aux horaires et aux heures de travail, l’accès à certains congés; l’accès au travail à domicile et l’accès à des conditions particulières sur les lieux de travail comme les garderies ou la possibilité de traiter de choses personnelles (Vézina et al., 2011). Plus spécifiquement, un horaire flexible qui permet de choisir son horaire de travail, l’accès à une banque d’heures accumulées utilisables au besoin, l’accès à une semaine de travail réduite sur une base volontaire, la possibilité de travailler à domicile, l’accès à des congés payés pour raison familiale, la possibilité de retour progressif au travail après un congé de maternité ou de paternité et, finalement, l’accès à une garderie en milieu de travail sont toutes des conditions de travail qui peuvent diminuer le conflit de rôles chez les travailleurs ayant des obligations parentales importantes (Vézina et al., 2011). Notamment, des études ont démontré que les modalités reliées au temps de travail sont fortement associées à la satisfaction concernant la conciliation travail et vie personnelle (Parent-Thirion, Macías, Hurley & Vermeylen, 2007).

Le nombre d’heures travaillées (Aryee, 1992; Gutek, Searle & Kepla, 1991; Walls, 2001), la charge de travail (Brotheridge et al., 2005; Dikkers, et al., 2007; Geurts, Kompier, Roxburgh & Houtman, 2003; Ilies et al., 2007; Leinonen et al., 2003; Skinner & Pocock, 2008) et la surcharge des rôles (Aryee, 1992; Brun 2008; Voydanoff, 1988, Walls, 2001) sont fréquemment associés au conflit travail-famille. L’étude de Skinner et Pocock (2008), couvrant un large échantillon national, identifie la surcharge de travail comme étant le facteur prédictif le plus important du conflit travail-famille pour les travailleurs à temps plein. Geurts et ses collègues (2003) font ressortir les possibles effets de la charge de travail sur la famille. Les chercheurs mettent l’accent sur les effets négatifs d’une surcharge de travail, en termes d’humeur dépressive et d’une diminution de bien- être. Ces effets peuvent aisément déborder sur le temps hors du travail, c’est-à-dire, le temps passé en famille. De plus, les résultats de l’étude longitudinale de Dikkers et ses collègues (2007) tendent à démontrer

un effet de causalité renversé dans le temps. En d’autres mots, la surcharge de travail accentuerait, dans un premier temps, les difficultés inhérentes à la conciliation du travail et de la famille; difficultés qui, en retour, joueraient un rôle dans l’augmentation de la charge de travail. Ainsi, ces résultats suggèrent que la charge de travail ne soit pas simplement un antécédent du conflit entre le travail et la famille, mais également une conséquence potentielle (Dikkers et al., 2007).

Plusieurs écrits scientifiques mettent surtout en évidence l’interférence du travail sur le temps parental (ex.: Crouter et al., 1999; Estes, 2004). Estes (2004) a conduit une étude visant à identifier si les enfants de parents qui sont employés dans un environnement qui respecte leurs responsabilités parentales sont mieux que les enfants de parents n’ayant pas ces avantages. Son étude s’appuie sur un modèle conceptuel de conciliation du travail et de la famille qui met en relief trois aspects parentaux qui sont importants dans le développement des enfants: le bien-être de la mère, le temps pris par le parent pour l’enfant et le comportement du parent. Les résultats indiquent une relation significative entre la conciliation travail/famille, le bien-être de la mère, le rôle parental et les problèmes de comportement des enfants (Estes, 2004). Crouter et ses collègues (1999) mettent surtout l’accent sur l’effet de la surcharge et de la pression au travail sur les conflits potentiels entre parents et adolescents, qui à leur tour interviennent dans le bien-être des adolescents. Leur étude, réalisée sur un échantillon de 190 familles à double salariés avec deux adolescents, conclut que des niveaux élevés de pression au travail peuvent donner aux parents le sentiment d’être surchargés et, conséquemment, instaurer un état psychologique qui prédispose à engager un conflit avec leurs adolescents. Livingston et ses collègues (2008) associent les effets négatifs perçus par les parents de l’interférence du travail sur la famille, au sentiment de culpabilité ressentie.

Comme mentionné précédemment, l’inflexibilité des horaires et les horaires irréguliers ou atypiques (le travail de quart, le travail sur appel, le travail temporaire ou saisonnier, les horaires variables) sont aussi souvent associés au conflit entre le travail et la famille, puisqu’ils induisent une complexité additionnelle dans la planification des activités familiales (Cloutier, 2009; Williams, 2008) et la gestion des soins aux enfants (Prévost & Messing, 2001). Il semble que de connaître son horaire de travail à l'avance serait fortement associé à la satisfaction concernant la conciliation travail et vie personnelle (Parent-Thirion et al., 2007). L’influence des horaires de travail irréguliers ou atypiques serait plus prononcée lorsque la durée de travail hebdomadaire est plus longue ou pour les parents qui travaillent fréquemment les fins de semaine (Joshi & Bogen, 2007). Ces conditions d’emploi sont susceptibles d’avoir des répercussions négatives sur les enfants (Joshi & Bogen, 2007). Par contre, les horaires flexibles qui permettent au travailleur de choisir son horaire seraient favorables à la conciliation du travail et de la famille (Joyce, Pabayo, Critchley & Bambra, 2010).

Ces constats font ressortir l’importance d’une suffisante latitude décisionnelle au regard non seulement de la tâche, mais aussi de certaines conditions de travail. Sinon, des conditions de travail a priori favorables peuvent avoir des répercussions négatives s’il ne s’agit pas d’un choix volontaire ou stratégique du travailleur. La flexibilité d’horaire est un exemple probant. De même, le travail à temps partiel qui semble une stratégie fréquemment adoptée par les mères (Gagnon, 2009) peut être associé à une plus grande précarité économique et donner lieu à un accès plus limité à certains bénéfices comme les congés de maladie et les fonds de pension (Townsend, 2003).

En définitive, les conditions de travail et d’emploi ont très souvent une incidence directe sur le temps parental (Clouter & Bumpus, 2001). Il n’est donc pas étonnant que les statistiques indiquent que les pères et les mères consacrent moins de temps aux enfants que par le passé et que les femmes actives, avec au moins un jeune enfant (moins de 4 ans) soient dans la catégorie de travailleurs qui se déclare la plus stressée au Canada. (Statistique Canada, 2005; Pronovost, 2007). Ces statistiques sont d’autant plus préoccupantes, qu’il est généralement admis que le temps parental joue un rôle significatif dans le bien-être de l’enfant (Bianchi, 2006). Lefebvre (2004) soutient que « les enfants doivent être accompagnés par des adultes bienveillants qui, à leur tour, ont eux-mêmes besoin d’évoluer dans une société qui leur offre des conditions de vie leur permettant de consacrer du temps de qualité aux jeunes générations » (p.20).

Malgré l’augmentation des exigences liées au travail, il semble que la vie familiale et le couple demeurent les priorités des travailleurs (Mercure, 2008) et parmi les conditions de travail, ce sont les horaires de travail qui semblent constituer la priorité des travailleurs. Dans le choix d’un emploi, une personne en couple ou ayant une famille accorde une importance prioritaire à l’horaire de travail; le salaire et les avantages sociaux se situant seulement au 4e rang dans les cinq conditions de travail jugées les plus importantes (Mercure, 2008). D’autre part, le travailleur avec des responsabilités familiales est celui qui affiche le plus faible désir à l’idée de travailler plus d’heures. Ces constats illustrent pertinemment le fossé existant entre les priorités des organisations et celles des travailleurs et, incidemment, l’aspect conflictuel entre le travail et la famille. Bien que la grande majorité des travailleurs ait à cœur de fournir un travail qui répond aux demandes de plus en plus exigeantes, ils se butent inévitablement à cette ressource limitée qu’est le temps.

Conditions de travail et bien-être psychologique ou réussite