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METAMEMOIRE ET FONCTIONNEMENT EXECUTIF

1. Q U ’ ENTEND ON PAR FONCTIONNEMENT EXECUTIF ?

1.2. Rôle des lobes frontaux dans les fonctions mnésiques

Outre le fait de perturber des fonctions typiquement exécutives, un dysfonctionnement des lobes frontaux entraîne une altération ou des perturbations d’autres fonctions cognitives (pour revue voir Van der Linden, Meulemans, Seron, Coyette, Andrès, Prairial, 2000). Ainsi une altération de la mémoire à court-terme, du rappel libre (Wheeler et al., 1995), de la métamémoire (Shimamura & Squire, 1986), de la mémoire pour l’organisation temporelle des informations, de la mémoire source (Janowsky, Shimamura & Squire, 1989b), ou de la mémoire prospective (Shimamura, Janowsky & Squire, 1991) est classiquement rapportée

dans la littérature à la suite de lésions de cette zone cérébrale. De façon intéressante, la capacité à faire de nouveaux apprentissages n’est pas sévèrement affectée chez les patients frontaux (pour revue voir Shimamura et al., 1991 ; Van der Linden, Rolland, Schils & Bruyer, 1992 ; Le Gall et al., 1996 ; Mayes & Daum, 1997), sauf sur des tests sensibles de rappel libre où elle apparaît altérée. L’altération présentée par ces blessés est manifestement différente de ce qui est observé chez les patients avec des lésions du lobe temporal médian ou des aires diencéphaliques, chez lesquels ont été observés des troubles de la mémoire déclarative.

Ainsi, de nombreuses études ont révélé l’existence de troubles variés de la mémoire épisodique après lésions touchant la région frontale. En effet, d’après la méta-analyse de Wheeler et al. (1995), les lésions frontales provoquent des troubles significatifs dans le rappel libre, et ce dans 80% des études. La reconnaissance peut également être affectée après lésion frontale (Stuss et al., 1994 ; Baldo & Shimamura, 2002). Toutefois, l’implication des régions frontales dans l’activité mnésique n’est pas totalement élucidée. Ainsi, dans une étude de Van der Linden (2000), l’auteur indique qu’ « il est maintenant clairement établi qu’une lésion affectant les régions frontales peut perturber la performance en mémoire épisodique et donc les lobes frontaux participent de manière cruciale au fonctionnement de ce système mnésique ». Cependant un certain nombre de questions subsistent. Une série d’études utilisant l’imagerie cérébrale a permis de préciser le rôle spécifique de certaines régions frontales et ainsi de mettre en avant des contributions frontales asymétriques. Le modèle HERA (Hemispheric Encoding/Retrieval Asymetry ; Tulving, Kapur, Craik, Moscovitch & Houle, 1994) postule ainsi que les régions préfrontales gauches sont impliquées de façon plus spécifique dans la récupération en mémoire sémantique et dans l’encodage en mémoire épisodique que les régions préfrontales droites. Par contre, les régions préfrontales droites sont plus spécifiquement impliquées dans la récupération en mémoire épisodique que les régions préfrontales gauches. De manière plus précise, certains travaux, comme celui de Wagner, Desmond, Glover et Gabrieli (1998) ont suggéré que l’activation du cortex préfrontal inférieur (BA 44/6, 47/45) est associée à la nature de l’information traitée (sémantique,

phonologique, visuo-spatiale) plutôt qu’à la nature des opérations réalisées

(encodage/récupération). Cette activation refléterait la mise en œuvre d’opérations de mémoire de travail spécifiques à un type d’information et qui sous-tendent l’accès, le maintien, et l’évaluation d’attributs spécifiques d’un événement (opération contribuant à la fois à l’encodage et à la récupération en mémoire épisodique). L’activation des régions préfrontales dorsolatérales et antérieures (BA 46/9, 10) serait, quant à elle, indépendante du type d’information et serait modulée par la récupération épisodique et pas par l’encodage.

Cette activation reflèterait le recrutement d’opérations de mémoire de travail qui sous-tendent la manipulation des contenus de la mémoire de travail (comme par exemple, la mise à jour). Ainsi, un certain nombre de troubles consécutifs à des lésions des lobes frontaux semblent être liés à une altération en mémoire de travail (Baddeley, 1986 ; Moscovitch, 1994 ; Shimamura, 1994). En raison du rôle de la mémoire de travail qui serait de diriger et contrôler le traitement de l’information, la perturbation de cette fonction pourrait vraisemblablement expliquer des problèmes en métacognition. Ainsi la notion selon laquelle le cortex préfrontal est impliqué dans les fonctions de mémoire de travail, est compatible avec l’idée que les processus métacognitifs sont associés à cette région cérébrale (Shimamura, 1996).

Les troubles dans la capacité à initier et guider les stratégies de mémoire suggèrent un problème dans le contrôle métacognitif du traitement de l’information. Peu d’études ont été menées dans ce domaine. Shallice & Evans (1978) ont observé des déficits dans la capacité à retrouver des informations factuelles qui requièrent un raisonnement inférentiel. Les patients frontaux tendent à produire une estimation non adéquate. Smith & Milner (1984) ont trouvé que les frontaux avaient des difficultés à estimer le prix d’objets courants. Faire des inférences requiert une stratégie de recherche extensive parce que c’est généralement le cas lorsque la récupération des informations n’est pas automatique. Ainsi, ces performances dépendent de l’accès dirigé et contrôlé de la connaissance.

Certaines données suggèrent que les patients frontaux témoignent de capacités diminuées du contrôle et de l’utilisation des stratégies mnémoniques, importantes pour l’apprentissage. Dans trois études (Eslinger & Grattan, 1994 ; Stuss et al., 1994 ; Gershberg & Shimamura, 1995), les patients frontaux présentent une organisation subjective réduite sur des tests de rappel libre pour des mots non liés. Les performances de rappel des patients frontaux indiquent qu’ils seraient moins susceptibles d’associer des mots étudiés de manière organisée. De façon similaire, les patients frontaux seraient moins susceptibles d’opérer un groupement sémantique sur une épreuve d’apprentissage comportant des listes de mots catégorisés (Gerhberg & Shimamura, 1995). Dans toutes ces études, les patients frontaux présentaient aussi des performances de rappel libre significativement faibles. Le déficit en rappel libre est souvent observé chez ces patients (Janowsky, Shimamura & Squire, 1989a) et suggère un problème particulier dans l’organisation et le rappel mnésique. En effet, les problèmes dans l’organisation subjective et le groupement sémantique peut être la cause du déficit des performances de rappel libre chez les patients avec des lésions frontales. Ces perturbations dans la capacité à initier et guider les stratégies mnésiques suggèrent un problème dans le contrôle mnémonique du processus d’information.

Hirst et Volpe (1988) proposent que les instructions données aux patients frontaux pour utiliser des stratégies mnémoniques puissent réduire leur déficit dans une épreuve de rappel libre. Ces auteurs ont également constaté que lorsque les patients frontaux étaient informés d’une possible catégorisation des mots de la liste à étudier, cette connaissance améliorait leur performance dans une épreuve de rappel à un niveau comparable à celui des sujets contrôles. Par contre, dans une étude de Gershberg et Shimamura (1995) où les auteurs fournissaient, comme aide à l’organisation des informations, les indices des catégories, les patients frontaux bénéficiaient des indices de catégorie présentés à chaque phase d’étude (au moment de l’étude, au moment du test), suggérant des problèmes d’organisation à la fois à la phase d’encodage et de rappel. Cependant, même quand les indices de catégories étaient disponibles, les performances des frontaux ne permettaient pas d’atteindre le niveau de performance des contrôles.

La diminution des stratégies organisationnelles utilisées durant l’apprentissage suggère que les frontaux ont des difficultés dans le contrôle ou l’organisation du traitement de l’information au moment de l’encodage. D’autres données, telles que le bénéfice de l’indiçage au moment du test, suggèrent que ces patients ont aussi des difficultés dans le contrôle du traitement de l’information durant le rappel.

Le rôle du cortex préfrontal dans la mémoire pour les informations éloignées (mémoire rétrograde) a été testé de façon moins extensive. Certaines études ont suggéré que le déficit de mémoire éloignée (e.i. amnésie rétrograde) qui est observée chez les patients Korsakoff est lié à une atrophie corticale (Kopelman, 1989 ; Shimamura & Squire, 1986). Kopelman, par exemple, a trouvé que les performances de mémoire rétrograde chez les patients Korsakoff étaient corrélées avec les performances sur des tâches sensibles à une pathologie des lobes frontaux (par exemple, la fluence verbale, le Wisconsin card sorting, l’estimation cognitive). Cependant, les mesures de tomographie computationnelle des atrophies frontales chez les patients Korsakoff n’étaient pas corrélées significativement avec les tests de mémoire rétrograde.

Par ailleurs, il a été relevé que les lobes frontaux sont impliqués dans les stratégies de recherche qui facilitent le rappel de la mémoire autobiographique (Della Sala, Laiacona, Spinnler & Trivelli, 1993).

Moscovitch (1992) apporte des informations quant au rôle des lobes frontaux dans la mémoire. Son modèle rend compte des bases neurobiologiques de la mémoire à partir de 4 systèmes neuropsychologiques :

(2) Un système temporo-hippocampique qui sous-tend la mémoire épisodique associative fonctionnant sur un mode automatique ;

(3) Un système frontal ou préfrontal qui sous-tend la sélection et la mise en œuvre des stratégies d’encodage et de récupération en mémoire épisodique, et en mémoire procédurale portant sur l’apprentissage de règles ;

(4) Un système impliquant les noyaux sous-corticaux qui médiatise les apprentissages procéduraux sensori-moteurs et perceptifs.

Le système frontal n’est pas décrit comme une composante mnésique mais comme un « système travaillant avec la mémoire » pour en faciliter le fonctionnement.

Le premier système, déterminant un mode de fonctionnement automatisé de la mémoire, ne permet pas de distinguer vrais et faux souvenirs et ainsi d’organiser et de guider la recherche en mémoire. Cette fonction de type « intelligent » ou « exécutif » est dévolue au système stratégique frontal qui contrôle les opérations du système associatif temporo- hippocampique (Isingrini, 2004). Cette conception éclaire le fait que les perturbations frontales apparaissent plus prononcées dans les tâches de mémoire reposant sur le système stratégique frontal (par exemple, le rappel) que dans les tâches impliquant de façon spécifique le fonctionnement du système temporo-hippocampique (par exemple, la reconnaissance). De plus, ce modèle permet aussi d’interpréter l’augmentation des fausses alarmes et illusions de mémoire chez les patients cérébro-lésés frontaux comme étant la conséquence d’un dysfonctionnement du contrôle exercé par le système stratégique frontal sur le mode de récupération automatique d’informations familières par le système temporo- hippocampique. Cette interprétation est compatible avec le résultat de l’expérience de Jacoby (1999) qui montre que lorsque le système stratégique frontal fonctionne bien, l’augmentation de la familiarité des items à l’encodage se traduit par une diminution des erreurs. En cas de dysfonctionnement, cela se traduit par une augmentation sensible des erreurs. Ce modèle neuropsychologique de la mémoire développé par Moscovitch (1992) se présente donc comme une théorie exécutive de la mémoire (Isingrini, 2004).

En résumé, les données neuropsychologiques suggèrent que les lobes frontaux sont impliqués dans la supervision ou le contrôle en ligne (online supervision ou control) du traitement de l’information. La notion de « mémoire de travail » capture de nombreux aspects de ce mécanisme de contrôle. Il est probable qu’une altération dans ce mécanisme affecterait la métacognition. En effet, les données présentées ici suggèrent que les composantes de control et de surveillance du traitement de l’information sont apparentées aux fonctions du lobe frontal.

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