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METAMEMOIRE ET FONCTIONNEMENT EXECUTIF

3. N EUROPSYCHOLOGIE ET CONSCIENCE DU DEFICIT MNESIQUE ( LES MESURES INDEPENDANTES )

L’auto-évaluation de la mémoire par le sujet lui-même permet d’évaluer ce que Flavell (1979) appelle la variable « sujet ». En neuropsychologie, on retrouve ce type d’évaluation au travers de l’évaluation de l’anosognosie ou de la non conscience des troubles. Nous allons tout d’abord définir ce que nous entendons par anosognosie puis revenir sur les données de la littérature dans la pathologie frontale.

3.1. Concept d’anosognosie

Sans refaire un historique de cette notion, on peut attribuer la création de ce concept à Babinski (1914) qui l’a utilisé pour décrire un phénomène de non conscience des troubles (hémiplégie) chez un patient sans trouble intellectuel ou de jugement. C’est Von Monakow au cours du XIXème siècle qui avait, le premier, relaté ce phénomène chez un de ses patients non conscient de ses difficultés. Par la suite, ce terme a également été utilisé pour décrire les patients qui n’avaient pas conscience de leurs troubles neuropsychologiques.

A l’issue d’une revue de la littérature consacrée aux différentes anosognosies observées au décours de syndromes neuropsychologiques, principalement frontaux, Mc Glynn et

Schacter (1989) proposent de distinguer 2 types d’anosognosies :

- Une anosognosie des déficits cognitifs consécutifs à des lésions postérieures, notamment du lobule pariétal inférieur. Cette anosognosie se définirait comme la non conscience totale des déficits perceptifs et moteurs (comme la fonction visuelle lors de la cécité corticale ou la fonction motrice lors de l’hémiplégie). Pour ces anosognosies dites pariétales, Langevin et Le Gall (1999) suggèrent d’utiliser le terme d’anosognosies modulaires.

- Une anosognosie correspondant à la non conscience d’un trouble cognitif

secondairement à une lésion du cortex préfrontal. Dans ce cas, les symptômes sont différents. Il s’agit d’une non prise en compte de l’impact des déficits cognitifs complexes du type résolution de problème, récupération et intégration d’informations comme le changement social, comportemental et de personnalité. Pour Langevin et Le Gall (1999), ces anosognosies dites frontales ou supramodulaires « [sont] donc l’expression d’un mauvais jugement immédiat et prospectif du handicap ou de l’incapacité liée au trouble, plutôt que sa méconnaissance ou l’absence de prise de conscience, faute d’accessibilité ».

Prigatano et Schacter (1991) qui, dans le souci de distinguer plusieurs niveaux de conscience des troubles, ont élaboré un modèle tripartite dans lequel ils distinguent : la conscience objective du trouble ou appréhension gestaltique du trouble (knowledge of), la conscience subjective des conséquences ou des implications de la maladie sur la vie quotidienne (knowledge with) et la conscience de soi et de l’identité individuelle (self awareness). Comme le décrit Lhermitte (1991, in Prigatano & Schacter), un traumatisé crânien peut savoir qu’il a un trouble de la mémoire sans pouvoir en apprécier l’impact ou les répercussions dans sa vie quotidienne, au contraire de ses proches. Le patient a, en un sens, accès à la composante de « conscience du déficit » mais semble manquer de « conscience des impacts personnels et interpersonnels ».

Ainsi, l’altération de la conscience des troubles peut perturber de façon spécifique une ou plusieurs des composantes de la conscience.

3.2. Conscience du déficit mnésique - neuropsychologie et trouble de métamémoire dans des mesures indépendantes (les questionnaires)

L’évaluation de l’anosognosie s’est principalement axés sur 2 méthodes : l’utilisation de questionnaires d’évaluation et la prédiction de performances. Dans cette partie, nous n’aborderons que les données de la littérature utilisant des mesures indépendantes. Nous traiterons les données relatives aux prédictions dans la partie 4.1.5 présentant les mesures concourantes.

Sunderland et al. (1983) ont utilisé une version du questionnaire EMQ (présenté chapitre 2 partie 3.1.1.1) auprès de 2 groupes de patients traumatisés crâniens graves, sélectionnés en fonction du délai post-lésionnel (groupe « récent » et « ancien »), et leurs proches. Ils n'ont relevé aucune relation entre les réponses des patients au questionnaire et leurs performances aux tests mnésiques standards. Pour les auteurs, l'absence de lien entre questionnaire et mesures psychométriques s'explique par le fait que les tests en laboratoire n’exploiteraient pas les mêmes processus que ceux mis en jeu dans le fonctionnement mnésique de la vie quotidienne. Ces résultats peuvent être également attribués à un défaut de prise de conscience des déficits mnésiques chez les patients. Deux éléments confortent cette dernière possibilité. Tout d'abord, les données des questionnaires d’évaluation remplis par les proches étaient corrélées avec les résultats obtenus par les patients aux épreuves mnésiques alors qu'elles n'étaient pas corrélées avec l’auto-évaluation des malades. Par ailleurs, les patients estimaient leurs fonctions mnésiques de la même manière que les sujets contrôles, à la différence qu'ils présentaient une altération de leurs capacités aux tests.

Ces données divergent de ce que l’on connaît des patients amnésiques après lésions hippocampiques comme le patient HM (décrit par Milner, 1966) qui se trouve dans un état de conscience très particulier et le reconnaît en disant qu’il a constamment l’impression de se réveiller. De ce fait, la conscience des troubles peut donc être bien présente chez ce patient amnésique alors qu’elle paraît faire défaut chez les sujets présentant des lésions des lobes frontaux.

Les questionnaires qui évaluent les capacités mnésiques des sujets ont un champ d’investigation qui va bien au-delà du champ strict de la mémoire. Ils sont aussi des outils d’évaluation de la prise de conscience par le sujet de ses déficits de mémoire résiduelle (de son anosognosie mnésique) et de la métamémoire (Squire & Zouzounis, 1988 ; Feher, Mahurin, Inbody, Crook & Pirozzolo, 1991 ; Godfrey, Partridge, Knight & Bishara, 1993).

McGlynn & Schacter (1989) et Schacter (1991) ont fait une synthèse des différentes études sur la conscience des troubles mnésiques qui indique que les patients sans signes frontaux (amnésiques ou cérébrolésés) sont capables de fournir, au travers d’un questionnaire, une auto-évaluation exacte de leurs déficits mnésiques, tandis que les patients avec des signes frontaux en sont incapables. Ces derniers sous-évaluent leurs troubles de mémoire et la réponse qu’ils fournissent se rapporte à leurs capacités mnésiques prémorbides. Bennett-Levy et al. (1980) avaient constaté que les patients avec des désordres mnésiques, attribués à une lobectomie temporale, fournissaient généralement des estimations exactes de leurs troubles mnésiques sur un questionnaire. Schacter (1991) dégage 2 points en faveur de cette dissociation frontale versus temporale. D’une part, les patients Korsakoff ont présenté une conscience diminuée dans chaque étude ayant examiné la conscience des déficits mnésiques. D’autre part, aucun exemple documenté, à notre connaissance, n’a été publié dans lequel un patient avec une amnésie, consécutive à une pathologie limitée du lobe temporal, montrait une mauvaise conscience des troubles mnésiques. Ces observations renforcent l’idée que la non- conscience des désordres mnésiques n’est pas nécessairement une conséquence des lésions qui produisent l’amnésie elle-même (lésions temporales médiales ou des régions cérébrales diencéphaliques) (Squire, 1986).

Certaines données remettent en cause l’objectivité de la méthode utilisant le questionnaire subjectif. La composante affective interférerait avec le processus d’auto- évaluation et invaliderait l’instrument comme mesure de mémoire. En effet, certains auteurs, tels que West, Boatwright et Schleser (1984) et Boake, Freeland, Ringholz, Nance et Edwards (1995) ont trouvé une relation entre auto-évaluation de la mémoire et la détresse émotionnelle. Ces données ont amené plusieurs chercheurs à utiliser une autre approche dans leurs études sur l’anosognosie des troubles de mémoire et la métamémoire. C’est ce que nous présenterons dans la partie 4.1.5 de cet exposé.

4. NEUROPSYCHOLOGIE ET TROUBLES DE METAMEMOIRE DANS DES MESURES

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