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3.1. Mesures indépendantes de la tâche

3.1.3. Apport et limites des questionnaires

Les critiques à formuler vis-à-vis des questionnaires de métamémoire portent essentiellement sur 3 points : leur contenu, leurs échelles d’évaluation et les processus psychologiques sous-tendant leur réalisation.

Le premier problème fait référence aux situations de mémoire quotidienne sélectionnées pour faire l’objet d’une évaluation. La plupart du temps, ces items sont construits de façon intuitive par les chercheurs selon leur propre expérience (Broadbent et al., 1982), sur la base d’une pré-enquête auprès de sujets tout-venant (Bennet-Levy & Powell, 1980) ou sur l’analyse de contenu des outils existants (Dixon, 1989).

A côté des difficultés spécifiques liées à leur contenu, les questionnaires de métamémoire connaissent des difficultés d’ordre plus général liées à la nature et au format des échelles de réponse (Hermann, 1982 ; Gilewski & Zelinski, 1986).

La plupart du temps, l’évaluation se fait sur une échelle multi-points (échelle de type Likert (1932) ou à support sémantique) où le sujet doit cocher la case correspondant à sa situation. Beaucoup moins fréquemment, les comparaisons deux à deux sont utilisées. Dans ce cas, le sujet doit comparer 2 alternatives sur une dimension particulière (exemple, entre 2 situations de mémoire laquelle lui paraît la plus facile « mémoriser des noms propres » ou « mémoriser des numéros de téléphone »). Ce type d’évaluation se prête assez mal à la passation de questionnaires papier/crayon car il faut considérer toutes les paires d’items afin de constituer ensuite une hiérarchie des réponses. Outre la généralité des échelles, le nombre d’alternatives est sujet à critique. En effet, il est fortement suggéré de proposer un nombre pair de choix, de sorte qu’en cas de doute ou de difficulté à répondre, les sujets ne cochent pas systématiquement la case médiane. Cette solution se révèle en contrepartie source d’incertitude pour les évaluations et les points de vue réellement médians. Il existe aussi un danger à utiliser des alternatives trop extrêmes car elles ne peuvent pas être décemment choisies par les sujets qui risquent de concentrer leurs réponses sur les points intermédiaires de l’échelle (Foddy, 1993). C’est le cas pour les réponses « jamais » et « toujours » des échelles de fréquence d’échecs (Morris, 1984).

La dernière classe de difficultés tient aux processus mentaux mis en jeu lors de la réalisation de tout questionnaire. Une difficulté de taille tient à ce que l’auto-évaluation de la mémoire est soumise aux problèmes spécifiques d’accès aux souvenirs (paradoxe de

l’introspection mnésique, Morris, 1984). L’évaluation est donc sujette à un certain nombre de biais de jugements.

Dans le même ordre d’idée, on est dans l’impossibilité de contrôler la manière dont chacun des répondants comprend une même question. Ceci est d’autant plus problématique lorsqu’il s’agit d’utiliser des questionnaires d’évaluation de la mémoire après une perturbation cérébrale (auto-évaluation et hétéro-évaluation) car nous ne connaissons pas le traitement effectué, par ces 2 parties, sur les questions posées ni leur système de référence. Une étude de Le Gall, Aubin et Allain (1996) indiquait que la représentation des troubles de mémoire pour les sujets de leur étude correspondait à la conception de l’attention ou de la concentration pour les professionnels (pris pour les hétéro-évaluations). Il serait important de trouver une technique d’évaluation des critères de référence de chaque interlocuteur face à une échelle d’estimation avant de remplir le questionnaire.

En outre, répondre à un questionnaire consiste à faire un choix entre plusieurs réponses possibles sur une échelle en plusieurs points (par exemple, 9 points pour l’EMQ, 5 points pour le MIA, et 6 points pour le Q.A.M.). Par conséquent, c’est faire appel aux activités de contrôle et de planification (de supervision attentionnelle). L’exercice s’apparente, alors, à une épreuve de résolution de problèmes où le patient doit : considérer la question, envisager les réponses possibles, étudier les consignes enseignées, se représenter ses capacités dans le domaine investi par la question puis, sélectionner une seule réponse (inhiber les autres) en fonction des considérations ou, choisir de ne pas répondre (choix alternatif non enseigné par la consigne), puis, (hypothétiquement) vérifier sa réponse en fonction des données initiales du problème, ce schéma de résolution pouvant être répété plusieurs fois pour une même question (Langevin & Le Gall, 1999).

Ainsi, ce ne sont pas seulement des indicateurs de conscience des troubles qui sont activés dans l’exercice du questionnaire d’auto-évaluation, mais tout un panel de processus cognitifs et métacognitifs interactifs, qui rendent délicat l’examen différentiel de la conscience. Par conséquent, ce type d’évaluation est rendu d’autant plus difficile dans la pathologie frontale (par exemple) que l’on voit croître leurs troubles lorsque les patients doivent résoudre un problème qui est en interaction avec leur univers personnel et social (Stuss & Benson, 1986 ; Damasio, 1995).

Par ailleurs, dans l’exercice des questionnaires d’auto-évaluation de la mémoire (une certaine catégorie de questionnaires de métamémoire), il est important d’être prudent quant aux interprétations des résultats en fonction des évaluateurs participant aux études. En effet,

un certain nombre d’études ont mis en évidence que les proches des patients pouvaient être de bons évaluateurs, voire même pour certains des évaluateurs réalistes des troubles de mémoire du patient cérébrolésé. D’autres auteurs ont remis pourtant cette idée en question (Prigatano & Fordyce, 1986 ; McGlynn & Schacter, 1989 ; Langevin, 1993 ; Croteau & Nolin, 1997). Lors d’études sur la conscience des troubles de mémoire, il a été donné à des patients, un de leur proche et un professionnel appartenant à l’équipe soignante, un questionnaire d’auto- évaluation. Seules les évaluations des professionnels étaient corrélées significativement avec des épreuves standards. Les proches sous-évaluaient les problèmes du patient en partie en raison de leurs propres mécanismes de défense face à l’événement traumatisant. McGlynn et Schacter (1989) et Nolin (1991) ont souligné que la famille peut être en processus de deuil face aux pertes fonctionnelles et cognitives du patient. La propre démarche du parent peut entraîner des réactions telles que la colère, le déni, la pensée magique ou un irréalisme face aux séquelles. Ces états affectifs pourraient fausser l’évaluation qu’ils font des capacités du malade. Comme l’ont noté Croteau & Nolin (1997), il semble essentiel de tenir compte du niveau d’adaptation des proches lorsque l’on songe à utiliser leur jugement comme critère de comparaison dans une mesure d’évaluation. Certains proches, vivant difficilement la situation, pourraient majorer les troubles du malade dans l’évaluation qu’ils pourraient fournir dans les questionnaires, alors qu’au contraire, d’autres, s’étant adaptés aux troubles, pourraient les minorer. A l’opposé, le professionnel est plus susceptible d’être "objectif" parce qu’il n’est pas totalement intégré dans une relation personnelle avec le patient. Par ailleurs, la littérature (Sunderland et al., 1983) souligne que les items des questionnaires ne renvoient pas toujours explicitement à des situations de la vie quotidienne ou que la mémoire n’est pas sollicitée de la même manière dans les tests en laboratoire et dans la vie de tous les jours (indices contextuels permettant un recouvrement des informations en mémoire), ce qui peut expliquer cet écart entre évaluation des patients ou de leurs proches et tests objectifs de mémoire.

En dépit des réserves exposées, Dixon (1989) distingue plusieurs raisons pour lesquelles des questionnaires sont utilisés :

- ils peuvent servir à simuler des manifestations de la vie quotidienne,

- ils permettent une représentation plus adéquate de l’étendue des phénomènes métamnésiques,

- ils peuvent fournir un moyen naturel de représenter la multidimensionnalité du phénomène,

- ils permettent de promouvoir le travail théorique dans cette perspective (c’est-à-dire de la multidimensionnalité),

- ils permettent de promouvoir le travail théorique sur le lien entre métamémoire et mémoire,

- ils permettent une articulation entre processus sociaux, affectifs et cognitifs.

En outre, Van der Linden et Wyns (Van der Linden & Bruyer, 1991) voient un intérêt sur le plan pratique à utiliser ces questionnaires : « l’auto-évaluation par questionnaire permet de repérer les croyances du patient sur ses capacités ; l’identification de ces croyances est importante : elles peuvent déterminer une tâche ; elles peuvent également influencer le déroulement d’une rééducation. ». Cet intérêt thérapeutique est également mis en avant par Croteau et Nolin (1997).

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