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CONCOURANTES EN METAMEMOIRE

1. P ROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES

3.5. Analyse des profils individuels

Compte tenu de l'hétérogénéité des performances neuropsychologiques des patients frontaux observés ici et si souvent rapportée dans la littérature, il nous a semblé utile de compléter les comparaisons inter-groupes par des analyses en profils individuels (intra-sujet).

Pour ce faire, nous avons déterminé, pour chaque mesure exécutive, une valeur seuil basée sur la moyenne des témoins plus ou moins 2 écarts-type. Nous avons ensuite décidé du caractère pathologique ou normal de la performance de chaque malade à chaque sous-test, suivant qu'elle s'éloigne ou non de plus de 2 écarts-type de cette valeur seuil (Eustache & Faure, 1996). Nous n'avons appliqué la méthode que pour les mesures nous ayant permis de relever des écarts conséquents de performance patients/contrôles, soit en fait dans les sous- tests enregistrant des écarts inter-groupes atteignant au moins la valeur statistique .01, pour ne retenir que des dissociations robustes (voir notamment Shallice, 1988).

Pour ce qui concerne les mesures métamnésiques, la même procédure a été utilisée pour décider du caractère pathologique ou non des scores de jugement FOK (Gamma et Hamman) et de prédiction de rappel différé. Concernant, le QAM et les mesures de prédiction d'apprentissage, nous avons procédé différemment en nous appuyant sur les analyses statistiques intra-groupe. L'auto-évaluation au QAM était considérée comme déficitaire chez un patient lorsqu'elle différait significativement de l'évaluation faite par un tiers (au seuil de .01). Lorsque, chez un patient, la prédiction d'apprentissage différait significativement des performances réelles au test d'apprentissage, elle était jugée pathologique.

Ces analyses en profils individuels font apparaître 2 résultats intéressants (voir tableau 4.4). D'une part, elles relèvent des dissociations entre les mesures métamnésiques indépendantes et concourantes. Ainsi, plusieurs patients estiment correctement leurs capacités mnésiques au QAM alors qu'ils se surestiment sur les mesures concourantes. Ces dissociations prennent parfois l'allure de doubles dissociations. Par exemple, le patient S3 estime correctement ses capacités mnésiques au QAM et échoue son jugement FOK alors que le patient S1 présente un profil strictement inverse. Dans la logique des résultats obtenus avec les analyses de régression, les patients déficitaires aux tests exécutifs n'échouent pas

nécessairement les tâches métamnésiques (par exemple, le patient S20 échoue toutes les épreuves exécutives et réussit correctement son jugement FOK à partir de l’indice Hamman et sa prédiction d’apprentissage) et inversement (par exemple, le patient S3 présente des troubles de métamémoire dans toutes les mesures concourantes mais il réussit correctement 4 des 7 épreuves exécutives).

Tableau 4.4 : Performances des 20 patients cérébro-lésés frontaux aux épreuves de métamémoire et des fonctions exécutives.

Epreuves exécutives Epreuves métamnésiques Epreuves classiques Epreuves récentes

TOL MCST TMT Stroop Brixton Hayling BADS QAM Gamma HC Pred. Appr Pred. Rappel S1 + - + + + - - - c.i. + + - S2 + + - + + - + + + - + + S3 + + - + + - - + - - - - S4 + - + + - + + d.a. c.i. + + - S5 - + - + + - + + c.i. + + + S6 + - + + + - + d.a. c.i. + + - S7 - - - + - - - + + + - - S8 + + + - + - + + c.i. + - + S9 - - - - - - - + - - - - S10 + + - - - - - d.a. - + + + S11 - - + + - - + d.a. c.i. + + + S12 + - + - - - - d.a. c.i. + + + S13 - - + + - - + c.i. + - + S14 + - - + - + + + c.i. + + + S15 + - + + + - + d.a.. c.i. + + + S16 + + - + - - - d.a. c.i. + + - S17 - - - - + - - d.a. c.i. + + + S18 - - - - + - - + + + + - S19 + - - + + - - d.a. + + + + S20 - - - - - - - d.a. c.i. + + -

Note : (+) = succès à l’épreuve ; (-) = échec à l’épreuve ; c.i. = Calcul Impossible ; d.a. = Donnée Absente ; TOL : Tour de Londres (temps total moyen et temps de latence moyen) ; MCST : Modified Card Sorting Test (séries, temps, nombre d’erreurs et nombre de persévérations) ; TMT : Trail Making Test (temps partie B) ; Stroop : test du Stroop (temps planche interférence) ; Brixton : Brixton Spatial Anticipation Test (nombre d’erreurs) ; Hayling : Hayling Sentence Completion Test (temps partie B et nombre de pénalités) ; BADS : Behavioural Assessment of the Dysexecutive Syndrome (score au sub-test règle, action, zoo, six éléments et score de profil total) ; QAM : score de métamémoire au questionnaire d’auto-évaluation de la mémoire, seuls les scores d’auto-évaluation significativement différents des scores d’hétéro-évaluation traduisant une sous-estimation des troubles de mémoire sont considérés comme pathologiques ; Gamma :

corrélation Gamma ; HC : coefficient de Hamman ; Pred.Appr : Prédiction d’apprentissage : comparaison entre l’estimation d’apprentissage

dans l’étape 1 et la performance réelle dans le test d’apprentissage ; Pred.Rappel : Prédiction de rappel : différence entre l’estimation de rappel à l’étape 1 et la performance réelle en rappel différé.

Nous considérons qu’une épreuve est échouée si une ou plusieurs mesures de cette épreuve sont en dessous du cut-off (c.a.d. en dessous de 2 écart-type de la moyenne).

4. DISCUSSION

L'objectif de ce travail était d'étudier la métamémoire chez des patients frontaux ainsi que les liens existant entre fonctionnement exécutif et fonctionnement métamnésique chez ces patients. Pour ce faire, nous avons comparé les performances de 20 patients avec lésions frontales isolées et celles de 17 contrôles sains appariés en utilisant 2 types de mesures métamnésiques (indépendantes et concourantes) ainsi qu'une batterie de tests exécutifs utilisant des tâches classiques et des mesures de conception plus récentes. Les comparaisons statistiques effectuées ont confirmé la présence d'un syndrome dysexécutif chez les patients frontaux. Elles n'ont relevé aucune difficulté d'évaluation des déficits mnésiques au QAM (mesure indépendante). Seulement 2 mesures concourantes se sont révélées discriminantes (la prédiction d’apprentissage et de rappel). Enfin, l'étude des relations entre fonctionnement exécutif et fonctionnement métamnésique s'est montrée peu productive.

Ce travail démontre d'abord que les patients avec lésions frontales isolées, considérés en groupe, obtiennent des scores significativement inférieurs à ceux des contrôles dans tous les tests exécutifs utilisés qu'ils s'agissent de tests classiques (TOL, MCST, TMT, Stroop) ou de tests de conception plus récente (Brixton, Hayling, BADS). Nous ne commenterons pas davantage ce résultat si ce n'est pour dire que tous ces patients sont symptomatiques : tous échouent au moins 2 épreuves exécutives (voir tableau 4.4).

Pour ce qui concerne la métamémoire, nous nous attendions à une altération des scores au questionnaire QAM ainsi qu'aux jugements FOK et aux mesures de prédiction d’apprentissage et de rappel chez les malades frontaux.

Au questionnaire QAM, les patients frontaux se sont évalués plus sévèrement que leurs proches. Malgré des données manquantes (questionnaires des proches), il semble donc que les patients frontaux perçoivent mieux leurs difficultés mnésiques au quotidien (rappelons que le QAM traite de situations de la vie courante dans lesquelles des oublis peuvent survenir : conversation, films, distractions, etc.) que ne le font leur proche. Il paraît donc difficile d’affirmer l'existence de troubles métamnésiques chez les patients frontaux à partir de cette seule mesure indépendante. Il y a là une contradiction avec les études antérieures ayant observé, sur la base de questionnaires, que les patients dysexécutifs sous-estimaient leurs déficits mnésiques (Bennett-Levy et al., 1980 ; Sunderland et al., 1983, 1984 ; Schwartz & Mc Millan, 1989 ; Schacter, 1990 ; Nolin & Ionescu, 1996), sauf à considérer que les proches interrogés dans ce travail étaient de mauvais évaluateurs. Cette question a déjà été soulevée par plusieurs auteurs (Prigatano & Fordyce, 1986 ; McGlynn & Schacter, 1989 ; Langevin, 1993 ; Croteau & Nolin, 1997) qui considèrent que le meilleur évaluateur des difficultés

mnésiques des patients n'est pas nécessairement le proche mais plutôt un professionnel appartenant à l'équipe soignante. Pour McGlynn et Schacter (1989) ou encore Nolin (1991) les proches sous-évalueraient les problèmes des patients en raison de difficultés psychologiques (mise en place de mécanismes de défense contre l’événement traumatisant) qui fausseraient leur jugement. Pour trancher avec certitude, il aurait été souhaitable de prendre l'avis d'un professionnel dans ce travail.

Une autre manière d'expliquer notre résultat tient peut-être davantage à la qualité de la mesure indépendante utilisée. Le questionnaire ne permet pas nécessairement de contrôler la manière dont chaque répondant s'approprie, comprend et traite une question. En d'autres termes comme le rappellent Langevin et Le Gall (1999), les questionnaires ne contrôlent pas l'encodage par le patient ou l'encadrant de l'information transmise. Nous savons très peu du traitement qu'ils effectuent sur les questions posées, s'ils répondent tous à la même question, telle qu'elle est objectivement formulée (positivement ou négativement), ou s'ils modifient la question en fonction d'une lecture très personnelle ou de l'utilisation d'un système de référence différent. Nous ne connaissons pas le traitement effectué, par ces 2 parties, sur les questions posées ni leur système de référence. A l'appui de cet argumentaire, nous avons observé que certains patients ne choisissaient à aucun moment la proposition « Jamais » et lui préféraient « Rarement » alors que pour les mêmes questions leurs proches faisaient plus facilement le choix de la réponse « Jamais ».

On ne peut pas non plus exclure un effet lésionnel, nos patients présentant des lésions se limitant aux seuls lobes frontaux alors que dans les travaux antérieurs les lésions décrites sont souvent plus diffuses (voir par exemple Prigatano & Fordyce, 1986 ; McGlynn & Schacter, 1989 ; Langevin, 1993 ; Croteau & Nolin, 1997).

Pour ce qui concerne les mesures concourantes, les données obtenues en prédiction de performance paraissent aller davantage dans le sens de l'hypothèse d'un déficit métamnésique chez les patients frontaux. Nous avons en effet montré que les patients frontaux avaient des performances d’apprentissage et de rappel différé significativement plus faibles que les sujets normaux alors qu'ils estimaient de façon identique leur performance en rappel immédiat et différé. De manière plus précise, les patients frontaux se sont surestimés (en particulier au premier essai) alors que les contrôles avaient plutôt tendance à sous évaluer leur performance (en particulier au second essai et en rappel différé). La surestimation observée chez nos patients frontaux en début d'apprentissage a déjà été rapportée par Vilkki et al. (1998) à propos de patients porteurs de lésions frontales focales gauches. Ceci pourrait signifier, mais il faudrait bien évidemment le confirmer, qu'en prédiction de performance les sujets sains

adoptent une attitude prudente via une sous-évaluation de leur potentiel mnésique, comportement qui n'apparaîtrait pas chez les patients frontaux.

Ceci étant, toujours dans le registre des mesures concourantes, les données obtenues en précision du jugement FOK avec le coefficient de Hamman sont plutôt en faveur d'une intégrité de la fonction métamnésique chez les patients frontaux. Pour ce qui concerne la corrélation Gamma les données recueillies nous paraissent difficilement interprétables. En effet, l’indice Gamma, en raison de son mode de calcul, n’a pu être obtenu que pour 7 patients frontaux et aucun sujet contrôle. Dans le cas d’une prédiction parfaite (exemple, a = 12, b = 0, c = 0, d = 0), le calcul de Gamma n’est pas réalisable (formule : (ad – bc) / (ad + bc)) en raison de la présence d’un zéro au dénominateur. C'est ce problème, déjà soulevé par Schraw (1995), qui nous a conduit à utiliser le coefficient Hamman.

En résumé, seules les mesures concourantes de prédiction d’apprentissage et de rappel différé nous ont permis de valider notre hypothèse d'un déficit métamnésique chez les patients porteurs de lésions frontales dans ce travail ce qui laisse à penser qu'elles sont plus pertinentes que les mesures de jugement FOK ou que les mesures indépendantes.

En conséquence, notre seconde hypothèse, à savoir celle d'une concordance (corrélation) entre les résultats obtenus avec les mesures métamnésiques indépendantes et concourantes n'est pas validée. L'absence de corrélation entre les différentes mesures métamnésiques (QAM, Hamman, Score de prédiction d'apprentissage et de rappel différé) invalide également cette hypothèse. Toujours à l'encontre de cette seconde hypothèse, l'étude des profils individuels de chaque patient nous a permis de relever, chez plusieurs d’entre eux, un certain nombre de dissociations et doubles dissociations entre les mesures concourantes et indépendantes. Ces données sont plutôt en faveur de l'idée selon laquelle le système métamnésique ne serait pas un système unique mais un système modulaire. Dans cette perspective, les 2 types d’évaluations proposées ici interrogeraient 2 niveaux fonctionnels de la métamémoire. Les questionnaires évalueraient un niveau de conscience des déficits ou handicaps (« Knowledge of » et « Knowledge with » de Prigatano et Schacter, 1991) tandis que les jugements de type FOK et les prédictions de performance étudieraient un niveau de connaissance des propriétés de sa mémoire (l’expérience métamnésique de Flavell, 1979). Le modèle DICE (Dissociable Interactions and Conscious Experience) de Schacter (1990) différencie d’ailleurs ces 2 composantes. Il attribue la métacognition (Self) aux modules de connaissances et la conscience à ce qu’il nomme le CAS (Conscious Awareness System) qui est en interrelation avec le système exécutif. Cette idée d’un fractionnement n’a cependant été que rarement abordée (Langevin, 1995 ; Langevin & Le Gall, 1999 ; Schnyer et al., 2004) contrairement à ce qui se fait en psychologie du développement (Flavell, 1979).

Notre troisième hypothèse postulait l'existence d'un lien entre métacognition et fonctionnement exécutif. Les résultats obtenus lors des analyses de régression paraissent assez peu compatibles avec cette hypothèse puisque seul le score de Gamma corrélait avec l'épreuve d'inhibition de Hayling (nombre de pénalités). Ces données sont assez comparables à celles obtenues par Langevin (1995). L'auteur avait observé, auprès de 30 traumatisés crâniens avec lésions impliquant les lobes frontaux, des dissociations, voir des doubles dissociations entre métamémoire (mesure indépendante) et fonctionnement exécutif (formation de concepts et planification). Dans l’étude de Schnyer et al. (2004), aucune corrélation n’a été retrouvée entre score de Hamman (mesure concourante) et mesures classiques du fonctionnement exécutif chez 14 patients présentant des lésions frontales (dont 12 patients avec des lésions circonscrites aux lobes frontaux). Nos analyses en profils individuels sont concordantes avec ces éléments. Toutes ces données vont finalement à l'appui des modèles de Stuss et Benson (1986) et Schacter (1990) pour qui la métamémoire et les fonctions exécutives sont séparées dans la configuration du système cognitif (voir aussi Vallar, 1991).

Pour conclure, il nous semblerait utile, sur le plan théorique, de déconstruire la notion de métamémoire (auto-évaluation, sentiment de savoir, prédiction de rappel). Ce concept, qui regroupe plusieurs notions et plusieurs niveaux, dont celui de l’anosognosie, reste imprécis. L'absence de relation entre mesures « d’anosognosie » (questionnaire) et de « métamémoire » (mesures de prédiction et jugement FOK) relevée dans ce travail plaide en ce sens. Il semble également que la métamémoire et les capacités exécutives correspondent à 2 niveaux fonctionnels différents dans l'architecture des processus cognitifs comme le montre ici l'absence de liens entre mesures métamnésiques et scores exécutifs. Pour aller plus avant dans ce type de logique, il sera certainement utile d'introduire d'autres outils d'investigation des processus métamnésiques tels ceux proposés par Flavell (1979) et/ou Nelson et Narens (1990, 1994) et de privilégier des analyses en profils individuels.

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