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Les « répondantes » dans les ministères, un atout essentiel

Chapitre 2 : Au Québec, une structure duale et stable stable

Encadré 2.11 : Evolution de la mission officielle de la ministre à la condition féminine 72

C. Les « répondantes » dans les ministères, un atout essentiel

Les échanges interministériels qui ont eu lieu dans le cadre de la mise en œuvre de la politique d’ensemble de la condition féminine à partir de 1979 ont progressivement conduit à la mise en place de « répondantes à la condition féminine », ainsi que, dans certains cas, de bureaux de la condition féminine80. Le mandat des répondantes et des bureaux de la condition féminine, qui est resté sensiblement le même au fil des années, consiste à établir un lien entre le SCF et le ministère concerné, dans les deux sens. Au sein de leurs ministères, les répondantes assurent à la fois une fonction de sensibilisation à la condition féminine, et de suivi des engagements ministériels en la matière. Vis-à-vis du Secrétariat, elles représentent leur ministère, et participent à la préparation des orientations en matière de condition féminine81. On comptait 19 ministères et organismes associés en 198782, 26 en 199283, 27 en 199484, et plus de 30 en 200285.

En 1986-1987, les ministères « particulièrement interpellés » avaient créé, non seulement un poste de répondante, mais un bureau à la condition féminine. Il s’agit du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (quatre permanentes)86, du ministère de l’Industrie et du commerce (budget de 475 000 $), du ministère de l’Education (cinq permanentes), du ministère de la Main-d’œuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle (budget de 170 000 $), du ministère de la Santé et des services sociaux (quatre permanentes), et du ministère des communautés culturelles et de l’immigration (trois permanentes et une occasionnelle)87. Nous ne disposons pas de chiffres récents, mais selon un témoignage que nous avons reçu, il existe de moins en moins de bureaux de la condition féminine en tant que tels, mais seulement des répondantes :

80 SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE. (1995). Historique de l'organisation gouvernementale du dossier de la

condition féminine dans les ministères et organismes. ANQ, fonds E5 (Conseil exécutif), versement E5 - 2001-06-005/ 19, p. 1.

81 Ibid. p. 2. SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE. (1998a). Rapport annuel de gestion 2001-2002. p. 17. 82 SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE. (1995). Historique de l'organisation gouvernementale du dossier de la

condition féminine dans les ministères et organismes. ANQ, fonds E5 (Conseil exécutif), versement E5 - 2001-06-005/ 19, p. 1.

83 SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE. (1992). Evolution de la structure organisationnelle de la condition féminine

au gouvernement du Québec. ANQ, fonds EE (Conseil exécutif), versement E5 - 2001-06-005/ 19, p. 1.

84 SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE. (1995). Historique de l'organisation gouvernementale du dossier de la

condition féminine dans les ministères et organismes. ANQ, fonds E5 (Conseil exécutif), versement E5 - 2001-06-005/ 19, p. 2.

85 SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE. (1998a). Rapport annuel de gestion 2001-2002. p. 17.

86 Ceci témoigne de l’importance des préoccupations vis-à-vis du statut des femmes agricultrices et collaboratrices à cette époque.

87 SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE. (1986). État de situation des effectifs ou des crédits dans les bureaux de

condition féminine des ministères, avril 1986. ANQ, fonds E5 (Conseil exécutif), versemement E5 - 1999 - 09 - 004/ 6, p. ,

SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE. (1995). Historique de l'organisation gouvernementale du dossier de la

condition féminine dans les ministères et organismes. ANQ, fonds E5 (Conseil exécutif), versement E5 - 2001-06-005/ 19,

p. Nous avons combiné ces deux sources, qui ne nous donnent pas des données systématiques concernant les budgets et effectifs des bureaux de la condition féminine. Nous ne disposons pas de chiffres plus récents.

Ce qui rend la chose plus difficile actuellement, c'est que des bureaux comme tels ou des équipes ministérielles en condition féminine, il n'y a plus que le ministère de la Santé qui en a une. À l'Education, c'est fini, il y a une personne seulement, à l'Agriculture, c'est fini, je pense qu'il ne doit même plus y avoir de responsables. Donc c'est clair qu'il y a un désengagement des ministères, donc on peut penser que pour les responsables, la situation ne s'est pas améliorée. (Entretien Q48)

Les répondantes ne sont pas toujours affectées à temps plein sur le dossier de la condition féminine. Selon les chiffres du SCF, en novembre 199488, 50 % des répondantes consacraient entre 50 % et 100 % de leur temps au dossier de la condition féminine, les 50 % restant y consacrant 5 à 20 %. L’interviewée précédemment citée remarque que les répondantes à la condition féminine ont souvent la charge simultanée d’autres « clientèles » :

[Dans certains cas,] les filles travaillaient là-dessus comme 20 à 30 % de leur temps, c'était une responsabilité par-dessus d'autres. Et souvent, les personnes qui avaient la responsabilité du dossier femmes avaient aussi la responsabilité des dossiers des communautés culturelles, des personnes handicapées, les jeunes, les vieux, ceux qu'on appelle « les clientèles ». Donc pour elles, c'était beaucoup plus difficile. (Entretien Q48)

En termes de situation hiérarchique, la moitié des répondantes relèvent des autorités supérieures des ministères (présidentes d’organismes, sous-ministres et secrétaires généraux), l’autre moitié relevant d’une direction générale. Sur les 26 répondantes recensées, 23 sont professionnelles et 3 cadres supérieures. Le SCF tire un bilan négatif de ce portrait d’ensemble :

La situation hiérarchique et le statut des répondantes ne favorisent pas le rôle d’influence qu’elles doivent jouer auprès des instances décisionnelles de leur organisation89.

Le Secrétariat déplore plus généralement les « difficultés d’enracinement du dossier de la condition féminine dans les ministères et organismes », au manque de ressources humaines s’ajoutant « l’isolement des répondantes dans leur milieu » et « la résistance et le faible intérêt accordé au dossier dans certaines organisations90 ».

Une de nos interviewées au SCF, tout en déplorant le faible pouvoir d’influence des répondantes – ainsi que le fait qu’elles ne sont « pas nécessairement féministes » - insiste sur leur rôle essentiel dans un contexte où la ministre et le Secrétariat à la condition féminine n’ont que peu d’assise s’ils ne disposent pas de relais dans les différents ministères :

[Les répondantes sont] parfois dans des structures énormes, gigantesques, où la personne occupe un poste de subalterne, où la hiérarchie... Avant qu'elle atteigne le sommet, et qu'elle puisse influencer, c'est presque utopique de croire que ce soit possible. Donc il y a eu toutes sortes d'efforts investis pour essayer de corriger ça, de donner beaucoup plus de poids aux engagements ministériels sectoriels. Donc ça s'est fait par le biais des plans d'action, tout ça. […] L'autre difficulté aussi vient selon moi du fait que les personnes qui se voient confier cette responsabilité-là ne sont pas nécessairement des féministes. Ce ne sont pas non plus des femmes qui ont une connaissance de l'intervention féministe, qui savent ce que ça veut dire, et ça, ça aurait exigé des formations pour soutenir le mandat qu'on leur confiait. Mais à cause justement du manque de moyens du Secrétariat, il y a eu des efforts de faits, mais c'était toujours très

88 SECRÉTARIAT À LA CONDITION FÉMININE. (1995). Historique de l'organisation gouvernementale du dossier de la

condition féminine dans les ministères et organismes. ANQ, fonds E5 (Conseil exécutif), versement E5 - 2001-06-005/ 19, p. 2.

89 Ibid. p. 3. 90 Ibid. p. 2-3.

imparfait. […]Mais l'idée de donner des assises disséminées [dans les ministères], ça reste un point fort selon moi, mais il y aurait des améliorations importantes à apporter, comme par exemple faire de cette responsabilité-là une fonction permanente en la situant dans les hautes sphères de chacune des organisations, près des décideurs, avec un mandat clair. (Entretien Q34)

Quelle que soit leur influence au sein de leurs ministères respectifs, les répondantes constituent par ailleurs une source d’information essentielle pour les professionnelles du Secrétariat, permettant à ces dernières d’identifier en amont les projets susceptibles d’avoir une incidence particulière sur les femmes. Ainsi, selon une personne ayant travaillé au SCF :

Nos plus grands alliés, c'était définitivement les gens dans les ministères, qui pouvait nous dire : « il y a telle affaire qui s'en vient, fait attention, il y a ci, il y a ça ». C'est vraiment comme ça qu'on travaille.

(Entretien Q48)

Le réseau administratif des répondantes en condition féminine dans les ministères, relié au SCF, se double d’un second réseau, politique celui-là, de correspondantes sur ce dossier au niveau des cabinets. Léa Cousineau a mis en place ce réseau autour de Lise Payette :

Le premier réseau que j'ai créé - ça ne s'était jamais fait à Québec avant – c’est un réseau de membres de cabinets sur les dossiers des femmes dans les ministères qui étaient concernés. Donc c'était Travail, Santé, Justice, etc. Il y en avait une douzaine. Donc on a essayé d'identifier dans chacun des cabinets quelqu'un qui avait déjà la responsabilité de ce dossier-là pour son ministre. À partir de là, on a formé ce qui était un premier réseau, celui-là du côté politique. Ça a bien fait l'affaire de Mme Payette, parce que ça lui permettait de savoir à quoi s'en tenir. (Entretien avec Léa Cousineau, le 28 avril

2005)

Les données dont nous disposons ne nous permettent pas d’établir le degré de stabilité de ce réseau politique au fil des changements gouvernementaux, mais nous pouvons attester qu’un tel réseau existait encore entre 1998 et 2003, selon le témoignage de Linda Goupil, qui souligne que celui-ci a été un atout dans le vote de plusieurs lois importantes sous son mandat (Entretien avec Linda Goupil, le 13 avril 2005).

Ainsi, en dépit de sa faiblesse au vu des critères administratifs traditionnels (budget, rang, ressources humaines), ce réseau est valorisé par les membres du SCF et les ministres comme un atout permettant de donner une meilleure assise à leur mission juridiquement définie comme intersectorielle.

Pour achever cette présentation des ressources du Secrétariat, précisons que contrairement au Conseil du statut de la femme, il ne dispose pas de services déconcentrés. Cependant, depuis 1997, une entente de collaboration a été signée entre le Secrétariat à la condition féminine, le Secrétariat au développement des régions (devenu ensuite ministère des Régions) et le ministère de la Métropole, en vertu de laquelle a été créé un réseau régional de responsables du dossier de la condition féminine. Ces responsables en région relèvent du ministère des Région, mais ont pour vocation de

promouvoir la place des femmes dans le développement de leur région, et bénéficient pour ce faire de la collaboration du Secrétariat à la condition féminine91.

IV. Une dichotomie institutionnelle entretenue

Les IEF au Québec sont ainsi organisées depuis la fin des années 1970 à partir d’une dichotomie entre un Conseil consultatif et une cellule administrative de soutien à la ministre responsable à la condition féminine. Comment cette dichotomie est-elle vécue par les actrices de ces instances ? Quelles sont les relations effectives entre les deux institutions ? Les entretiens réalisés auprès du personnel des deux instances témoignent des rapports distanciés qu’elles entretiennent entre elles. La justification le plus souvent apportée à cette distance, en termes de distinction des mandats des deux institutions, masque des rivalités organisationnelles tout autant qu’elle décrit une différenciation effective des répertoires d’action. Nous verrons enfin comment cette dichotomie institutionnelle s’est trouvée réaffirmée et renforcée à l’issue de sa mise à l’épreuve récente par le gouvernement libéral depuis 2003.

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