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Familialisme et maternalisme à l’origine des premières politiques sociales (1892-1945) sociales (1892-1945)

France et au Québec

Encadré 1.1 : Les interrelations entre État, associations et producteurs de savoirs

A. Familialisme et maternalisme à l’origine des premières politiques sociales (1892-1945) sociales (1892-1945)

Alarmisme démographique dans un contexte géopolitique menaçant, inquiétudes quant au maintien de la paix sociale, rendant opportune une transformation de la question sociale en question familiale, nécessité de définir une morale familiale laïque en réaction à la morale catholique : les raisons ne manquent pas, sous la Troisième République, de faire de la famille une affaire d’État69. Dans ce contexte, des mouvements féminins et familiaux se mobilisent autour de l’adoption des premières dispositions relevant d’une politique familiale.

1) Du familialisme d’Église au familialisme d’État

C’est à la fin du XIXème siècle que se créent en France les premières associations familiales. Encouragées par le clergé, dirigées par des hommes de la haute bourgeoise ou de l’aristocratie, elles deviennent rapidement des mouvements de masse70. Parmi ces associations qui relèvent de ce que Rémi Lenoir qualifie de « familialisme d’Église », certaines ont une vocation spirituelle et morale, alors que d’autres, plus proches du catholicisme social, se concentrent sur la situation matérielle des

68 J. COMMAILLE et C. MARTIN. (1998). Les enjeux politiques de la famille, Paris : Bayard, A. VERJUS. (2002). Le cens de

la famille. Les femmes et le vote, 1789-1848, Paris : Belin / Socio-histoires.

69 J. JENSON. (1986). "Gender and reproduction, or babies and the state." Studies in political economy, n.20, p. 9-46 ; J. JENSON. (1989). "Paradigms and political discourse : protective legislation in France and the United States before 1914." Canadian Journal of Political Science, vol.22, n.2, p. 235-258 ; A. KLAUS. (1993). "Depopulation and race suicide : maternalism and pronatalist ideologies in France and the United States." p. 188-212 in Mothers of a new world : maternalist

politics and the origins of welfare states, sous la direction de S. KOVEN et S. MICHEL. New York : Routledge ; R. LENOIR.

(2003). Généalogie de la morale familiale, op. cit. ; K. MORGAN. (2002). "Forging the frontiers between State, Church, and Family : religious cleavages and the origins of early childhood education and care policies in France, Sweeden, and Germany." Politics and society, vol.30, n.1, p. 113-148 ; K. OFFEN. (1984). "Depopulation, nationalism and feminism in fin-de-siecle France." The American historical review, n.89, p. 648-676.

70 Ainsi, la Ligue populaire des pères et mères de familles nombreuses revendique 600 000 adhérents R. LENOIR. (2003). Généalogie de la morale familiale, op. cit., p. 242.

familles nombreuses. En regard de ce « familialisme d’Église » se développe, dans un contexte d’affirmation et de consolidation d’une République laïque contre un Ancien Régime de droit divin, ce que Rémi Lenoir nomme un « familialisme d’État ». Cette morale familiale laïque est portée par les Républicains réformateurs et, au sein de la société civile, par l’Alliance nationale pour l'accroissement de la population française, dite « Alliance nationale », créée en 1896 et reconnue d’intérêt public en 1913. D’orientation nataliste, l’alliance nationale se distingue des associations catholiques en tant qu’elle prône un soutien de l’État à tous les enfants, même illégitimes, alors que le « familialisme d’Église » défend un modèle de famille légitime, nombreuse et stable71. Les deux familialismes se rejoignent toutefois dans leur défense de l’institution familiale et leur encouragement de la natalité72.

Ces différents éléments de contexte politique (alarmisme démographique, troubles sociaux, développement des associations familiales), auxquels il faut ajouter les pressions exercées par les associations féminines maternalistes, sur lesquelles nous reviendrons, contribuent à expliquer l’adoption, au tournant du XXème siècle, des premières mesures relevant d’une politique familiale. L’intervention politique en matière familiale passait jusqu’alors essentiellement par le biais d’un Code civil cristallisant l’essence du familialisme en tant que défense de la famille-institution au détriment des droits individuels (notamment des femmes et des enfants), à travers des dispositions telles que l’incapacité juridique de la femme mariée, la distinction entre les enfants selon la nature de la filiation (légitime, naturelle, adultérine), ou encore l’autorité absolue du chef de famille sur la femme et les enfants. Soulignons qu’en lien avec l’importance politique de ce texte fondateur, le droit civil de la famille, premier lieu de production de savoirs sur la famille dans l’université, occupe une place élevée dans la hiérarchie des savoirs juridiques. Le droit social – et notamment le droit social de la famille, qui se développera en lien avec la politique familiale – occupe une place beaucoup moins prestigieuse73.

Par rapport au modèle familial traditionnel incarné par le Code civil, la législation protectrice du travail, tout en visant à encourager la natalité et promouvoir le bien-être des familles, prend pour acquise la participation des femmes à l’emploi, dans un contexte de progression de l’activité féminine74. En effet, si les premières mesures comme la limitation du temps de travail des femmes et

71 Ibid. p. 252.

72 Rémi Lenoir souligne par ailleurs qu’avec la montée en puissance de la gauche dans l’entre-deux-guerres (cartel des gauches, Front populaire), la teneur politique des deux types de familialisme tend à se rapprocher, dans une orientation que l’auteur résume par l'expression « le conservatisme social par le conservatisme moral ». Ibid. p. 266.

73 J. COMMAILLE. (1996). Misères de la famille, question d'État, Paris : Presses de la FNSP. p. 195-197.

74 J. JENSON. (1986). "Gender and reproduction...", art. cité ; J. JENSON. (1989). "Paradigms and political discourse…", art. cité ; K. MORGAN. (2003). "The politics of mothers' employment : France in comparative perspective." World politics, vol.55, n.2, p. 259-289 ; L.L. FRADER. (1998). "Définir le droit au travail : rapports sociaux de sexe, famille et salaire en France aux XIXème et XXème siècle." Le mouvement social, n.184, p. 5-22.

l’interdiction de leur travail de nuit (1892) ont pu être jugées défavorables à l’emploi des femmes75, la législation protectrice du travail a ensuite évolué dans un sens favorable à l’activité professionnelle des mères, avec la mise en place d’un congé maternité permettant aux mères de conserver leur emploi après l’accouchement76.

Si la législation protectrice du travail constitue une première amorce de législation sociale en matière familiale, l'expression « politique familiale » n'apparaît en tant que telle qu'au cours des années 1920, avec la généralisation des allocations familiales en 1928-193277. Initiées par le patronat, ces allocations sont initialement mises en place au début du XXème siècle dans les grandes entreprises, où elles ont un caractère de libéralité patronale78. Pendant et après la première guerre mondiale, les employeurs créent des « caisses de compensation », centralisant leurs contributions (en fonction de leur masse salariale) et redistribuant les allocations79. La loi de 1932 sur les allocations familiales transforme cette libéralité en obligation, en obligeant les employeurs à adhérer aux caisses.

La consolidation de la politique de la famille dans l’appareil d’État se confirme ensuite avec la promulgation d’un Code de la famille en 1938, et la création en 1939 d’un Haut conseil de la population et de la famille (HCPF). Le régime de Vichy, s’il place la famille au cœur de son idéologie, faisant du familialisme d’Église « un dogme d’État »80, ne fait en réalité « qu’amplifier81 » une politique dont les prémisses avaient été posées sous la IIIème République. Le familialisme conservateur du régime se traduit notamment en termes législatifs par une répression accrue de l’avortement (loi du 15 février 1942), un durcissement de la procédure de divorce (loi du 2 avril 1941), et une répression plus sévère de l’adultère de la femme (loi du 23 décembre 1942)82.

75 S. SCHWEITZER. (2002). Les femmes ont toujours travaillé : une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècle, Paris : O. Jacob. p. 35-37.

76 Une première loi instaure en 1909 un congé de huit semaines consécutives avant et après la naissance, assorti du droit de retrouver son emploi. La loi Strauss de 1913 vient renforcer ce dispositif, en instaurant un repos obligatoire pendant quatre semaines après l’accouchement, assorti d’une allocation journalière conditionnée au respect de certaines conditions d’hygiène. C’est en 1930 que, conjointement à l’instauration d’une assurance maternité permettant la prise en charge des frais médicaux liés à l’accouchement, l’allocation journalière perd son caractère d’assistance et devient un droit lié à l’exercice d’un emploi salarié. A. COVA. (1997). Maternité et droits des femmes en France, XIXe et XXe siècles, op. cit. ; A. COVA. (2000). "Généalogie d'une conquête : maternité et droits des femmes en France, fin XIXe-XXe siècles." Travail, genre et société, n.3, p. 147-152.

77 R. LENOIR. (2003). Généalogie de la morale familiale, op. cit., p. 211.

78 H. HATZFELD. (1971). Du paupérisme à la sécurité sociale. Essai sur les origines de la sécurité sociale en France, 1850-1940, Paris : Armand Colin.

79 S. PEDERSEN. (1993). "Catholicism, feminism, and the politics of the family during the late Third Republic." p. 246-276 in Mothers of a new world : maternalist politics and the origins of welfare states, sous la direction de S. KOVEN et S. MICHEL. New York : Routledge. p. 254.

80 R. LENOIR. (2003). Généalogie de la morale familiale, op. cit., p. 346.Voir également F. MUEL-DREYFUS. (1998). Vichy

et l'éternel féminin, Paris : Seuil.

81 J. COMMAILLE et C. MARTIN. (1998). Les enjeux politiques de la famille, Paris : Bayard. p. 135.

82 H. ECK. (2002 [1991]). "Les françaises sous Vichy." p. 287-324 in Histoire des femmes en Occident. Tome V : Le XXème

siècle, sous la direction de F. THÉBAUD, G. DUBY et M. PERROT. Paris : Perrin. p. 294, J. LE GAC. (2005).

2) Le mouvement des femmes, entre familialisme et maternalisme

Parmi les associations relevant du familialisme d’Église, certaines, parmi les plus nombreuses, se définissent d’abord comme des associations de femmes, constituant au demeurant un segment majeur du mouvement des femmes. Au début du siècle, les deux grandes associations catholiques que sont la Ligue des femmes françaises (monarchiste), créée en 1901, et sa rivale la Ligue patriotique des françaises83, favorable au ralliement à la République, font ainsi partie intégrante du familialisme d’Église, dont elles représentent une force conséquente (la Ligue patriotique des françaises revendique 600 000 adhérentes en 191484). A ces associations s’ajoute à partir de 1925 l’Union féminine civique et sociale (UFCS) qui, tout en « se donn[ant] pour mission l’éducation civique des femmes et l’amélioration de leur situation économique et sociale », défend « la famille chrétienne85 », et prône activement le retour au foyer des femmes86.

A ces associations catholiques fait face le Conseil national des femmes françaises (CNFF), créé en 1901, qui se définit comme laïc mais regroupe majoritairement des associations de femmes protestantes et juives87. Le CNFF milite en faveur de la mise en place d’une politique familiale soutenant les mères et les enfants, notamment par le biais d’allocations versées aux mères, à partir de l’affirmation d’une posture laïque. Il est ainsi une des forces sociales à l’origine de la généralisation des allocations familiales88. Bien que sa position soit proche du « familialisme d’État », elle s’en distingue par la défense de droits individuels pour les femmes : ainsi, le CNFF revendique le versement des allocations familiales aux mères, alors que l’Alliance nationale prône des allocations versées à la « famille » par l’intermédiaire de son chef masculin. En ce sens, comme le montre bien Yolande Cohen, la position du CNFF est plus maternaliste que familialiste. Ceci est confirmé par sa mobilisation en faveur d’une réforme du Code civil, mobilisation relayée à l’époque par plusieurs avocates engagées en faveur de la cause des femmes89.

Ces associations, constituant numériquement la partie la plus importante du mouvement des femmes90, se sont ainsi impliquées, sur des bases divergentes (une tendance catholique et familialiste,

83 Sur la Ligue patriotique des Françaises, voir les travaux de Magali Della Sudda : M. DELLA SUDDA. (2007). Une

activité politique féminine conservatrice avant le droit de suffrage en France et en Italie : La ligue patriotique des Françaises (1902-1933) et l'Unione fra le donne cattoliche d'Italia (1908-1919). Thèse de doctorat en histoire, ENS-EHESS, Paris.

84 R. LENOIR. (2003). Généalogie de la morale familiale, op. cit., p. 233.

85 C. BARD. (1995). Les filles de Marianne : histoire des féminismes 1914-1940, Paris : Fayard. p. 275.

86 S. PEDERSEN. (1993). "Catholicism, feminism, and the politics of the family during the late Third Republic." p. 246-276 in Mothers of a new world : maternalist politics and the origins of welfare states, sous la direction de S. KOVEN et S. MICHEL. New York : Routledge.

87 Y. COHEN. (2006). "Protestant and Jewish Philanthropies in France…", art. cité. 88 Ibid.

89 A. BOIGEOL. (2003). "French women lawyers (avocates) and the 'women's cause' in the first half of the twentieth century." International journal of the legal profession, vol.10, n.2, p. 193-207.

90 Nous n’avons pas repris ici toute l’histoire de la première vague du mouvement des femmes, et notamment la lutte pour le droit de suffrage des femmes, préférant nous concentrer sur les revendications concernant les politiques de la famille. Cf C. BARD. (1995). Les filles de Marianne : histoire des féminismes 1914-1940, Paris : Fayard, L. KLEJMAN et F. ROCHEFORT. (1989). L'égalité en marche : le féminisme sous la Troisième République, Paris : Presses de la FNSP : Des Femmes.

l’autre laïque – juive et protestante – et maternaliste) et avec un succès variable, dans la définition des premières politiques sociales en faveur des familles.

B. Familialisme triomphant, « creux de la vague » féministe ?

(1945-1970)

Dans les deux décennies qui suivent la libération, la politique familiale connaît une apogée, qui s’accompagne d’une forte institutionnalisation du mouvement familial et de la production des savoirs sur la famille. Alors que le mouvement des femmes comprend toujours une importante composante maternaliste, apparaît en son sein une nouvelle approche des questions familiales, centrée sur la planification des naissances. Tout en s’intégrant, pendant cette période, aux schèmes familialistes, cette nouvelle préoccupation porte en germe une rupture avec ces derniers. Parallèlement, la « question des femmes » est de plus en plus traitée, à l’université, par des femmes. Celles-ci posent les premiers jalons d’un domaine de recherche qui ne bénéficie toutefois encore d’aucune institutionnalisation.

1) Apogée de la politique familiale, institutionnalisation du mouvement familial et des savoirs sur la famille : l’âge d’or du familialisme

Les deux décennies qui suivent la seconde guerre mondiale représentent un âge d’or de la politique familiale91. A la Libération, les Caisses d’allocations familiales (CAF) perdent leur caractère d’institutions patronales, en devenant une branche distincte de la sécurité sociale. La politique familiale se trouve dotée, grâce à ces caisses, d’une large assise territoriale. Aux allocations familiales, accessibles uniquement à partir des enfants de rang deux, s’ajoute l’Allocation de salaire unique92 (ASU), versée aux mères restant à temps plein au foyer pour s’occuper de leurs enfants. Le cumul des allocations familiales et de l’ASU représente, pour les mères de milieux populaires, une alternative financièrement intéressante au travail à l’extérieur du foyer93. Outre sa dimension fortement nataliste, la politique familiale de l’après-guerre encourage ainsi nettement la division sexuelle du travail et un modèle familial traditionnel94. Son succès est indéniable de ce point de vue, puisque le taux d’activité des mères de deux enfants recule entre 1946 et 1954, passant de 23 % à

91 Y. KNIBIEHLER. (1997). La révolution maternelle : femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945, Paris : Perrin, R. LENOIR. (2003). Généalogie de la morale familiale, op. cit., p.80.

92 Cette allocation succède en 1941 à l’ « allocation de mère au foyer » qui avait été créée en 1939, et est maintenue à la Libération. J. COMMAILLE, P. STROBEL et M. VILLAC. (2002). La politique de la famille, op. cit., p. 77.

93 Selon les calculs de Jacqueline Martin, combinée avec les allocations familiales, l’ASU représente en 1947 (à son plus haut niveau) 90 % du salaire d’une ouvrière pour une famille de deux enfants, et 150 % pour une famille de trois enfants. J. MARTIN. (1998). "Politique familiale et travail des femmes mariées en France. Perspective historique : 1942-1982."

Population, vol.53, n.6, p. 1137.

94 M.-N. THIBAULT. (1986). "Politiques familiales, politiques d'emploi." Nouvelles Questions Féministes, n.14-15, p. 147-161.

17 %95. Ce modèle de « Monsieur Gagne-pain/Madame au foyer96 » est par ailleurs encouragé par la mise en place d’un système de protection sociale entièrement fondé sur le mécanisme des droits dérivés, dont la logique n’a cessé de s’étendre depuis97. Enfin, la politique familiale qui se définit dans l’après-guerre a deux corollaires aux incidences durables : l’organisation de la représentation des associations familiales et la mise en place d’instances d’expertise en matière familiale.

La structuration du mouvement familial vient en effet, non pas de la base de ce dernier, mais d’une initiative étatique : c’est à la suite de « l’ordonnance Billoux » du 3 mars 1945 (qui fait suite à la loi Gounot du 29 décembre 1942) qu’est créée l’Union nationale des associations familiales (UNAF), qui détient le monopole de la représentation des familles auprès des pouvoirs publics : représentation officielle des familles dans les institutions politiques locales ou nationales, gestion de tout service d’intérêt familial confié par les pouvoirs publics, exercice, sans autorisation ou agrément préalable, des droits réservés à la partie civile devant toutes les juridictions98. En contrepartie de ce monopole de représentation légalement institué, l’État exerce une forte emprise sur l’organisation de l’UNAF. Ainsi, la loi précise les critères de définition des associations familiales99, les conditions de leur adhésion aux unions départementales, les modalités d’élection au Conseil des unions (par suffrage familial), les ressources dont disposent les associations. Les statuts et le règlement intérieurs de l’Union nationale sont soumis à l’agrément du ministre chargé de la famille, et les ressources des unions sont principalement constituées d’un « fonds spécial » alimenté par un prélèvement sur les différents régimes de prestations familiales100. Ce fonds est entièrement consacré à une mission de défense, de promotion et de représentation des intérêts des familles. Par cet échange de financement

95 J. MARTIN. (1998). "Politique familiale ….", art. cité, p. 1140.

96 Jane Lewis qualifie le modèle français de modèle de “modified male-breadwinner », pour rendre compte du fait qu’en France (par opposition, par exemple, aux cas britannique et irlandais), les femmes sont depuis longtemps très présentes sur le marché du travail, et bénéficient grâce aux allocations familiales (souvent versées, de fait, à la mère), d’une forme d’indépendance par rapport au lien conjugal. Par contraste, dans la « forme pure » du modèle du male-breadwinner, les femmes mariées sont exclues du marché du travail et entièrement dépendantes de leur mari. Nous nous proposons de parler plus spécifiquement ici de « Monsieur Gagne-pain/Madame au foyer » pour désigner ce moment particulier de l’histoire de la politique familiale où, dans les deux décennies suivant la libération, est le plus fortement encouragé le maintien des mères au foyer. J. LEWIS. (1992). "Gender and the development of Welfare regimes." Journal of European

Social Policy, vol.2, n.3, p. 159-173, J. LEWIS. (1997). "Gender and welfare regimes : further thoughts." Social politics, vol.4,

n.2, p. 160-177.

97 J. COMMAILLE, P. STROBEL et M. VILLAC. (2002). La politique de la famille, op. cit., p. 73.

98 Article L211-3, Code de l'action sociale et des familles (Partie Législative) - Chapitre 1 : Associations familiales. 99 Les associations familiales doivent avoir pour « but essentiel la défense de l'ensemble des intérêts matériels et moraux, soit de toutes les familles, soit de certaines catégories d'entre elles », et regrouper « des familles constituées par le mariage et la filiation », « des couples mariés sans enfant », « toutes personnes physiques soit ayant charge légale d'enfants par filiation ou adoption, soit exerçant l'autorité parentale ou la tutelle sur un ou plusieurs enfants dont elles ont la charge effective et permanente ». On note ici que la définition de la famille est fondée sur le mariage, et que les couples non mariés ne sont acceptés dans la définition qu’en tant qu’exerçant une autorité parentale sur des enfants. Les étrangers vivant en France en situation irrégulière ne sont pas admis : « L'adhésion des étrangers aux associations familiales est subordonnée à leur établissement régulier en France ainsi qu'à celui de tout ou partie des membres de leur famille dans des conditions qui seront fixées par voie réglementaire ». Source : Article L211-1, Code de l'action sociale et des familles (Partie Législative) - Chapitre 1 : Associations familiales..

et de monopole de représentation en contrepartie d’un fort contrôle, les relations de l’État avec l’UNAF constituent une situation exemplaire de corporatisme sectoriel101.

Apogée de la politique familiale, ces années constituent aussi une consécration pour les savoirs démographiques sur lesquels cette politique d’orientation nataliste prend appui102. En 1945 est créé l’Institut national d’études démographiques (INED), dont la mission comprend l’étude des « moyens matériels et moraux susceptibles de contribuer à l'accroissement quantitatif et à l'amélioration qualitative de la population103 ». A sa tête est nommé Alfred Sauvy, fervent partisan d’une politique nataliste, élève du démographe Adolphe Landry qui avait lui-même défendu la même position dans l’entre-deux-guerres104. À l’INED, Alfred Sauvy forme à son tour une génération de démographes de renom. Est par ailleurs créé à la Libération (à partir d’un premier Haut Comité, précédemment mentionné, créé en 1939) un Haut comité de la population et de la famille (HCPF) qui, regroupant

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