• Aucun résultat trouvé

Femmes-famille : la rupture (de 1970 à nos jours)

France et au Québec

Encadré 1.1 : Les interrelations entre État, associations et producteurs de savoirs

C. Femmes-famille : la rupture (de 1970 à nos jours)

L’économie des relations entre féminisme et familialisme depuis les années 1970 en France est à bien des égards insaisissable. Au sein du mouvement des femmes, le maternalisme a disparu pour céder le devant de la scène à un mouvement féministe radical rejetant la famille patriarcale. Certes, mais justement, n’est-il pas question que de famille dans cette critique féministe ? Le corporatisme familial est aussi puissant que jamais ; certes, mais la politique familiale ne devient-elle pas féministe ? Sans prétendre démêler complètement l’écheveau des relations complexes entre féminisme et familialisme pendant cette période, nous tenterons ici une clarification à partir de deux perspectives complémentaires, l’une centrée sur l’évolution des structures et des thèmes de mobilisation du mouvement des femmes, l’autre sur les transformations de la politique familiale. Le mouvement familial, les recherches sur les femmes et la famille, apparaîtront en lien avec ces deux axes de questionnement initiaux.

120 Dans un article relatant ses échanges avec Simone de Beauvoir entre 1954 et 1967, Andrée Michel se définit comme étant à l’époque « une militante féministe et anticolonialiste », précisant qu’elle a cotisé « à une foule d'organisations féminines et féministes (Conseil National des Femmes, Association française des Femmes diplômées des Universités, Association des femmes des carrières juridiques, Union des Femmes Françaises, etc.) », avant de s’engager plus intensément au Planning familial. Source : Andrée Michel (date non précisée), « Simone de Beauvoir ou quand le génie féministe irradie la simplicité et la loyauté », http ://www.penelopes.org/archives/pages/sdb/Point/AM.htm

121 A. MICHEL et G. TEXIER. (1964a). La condition de la française d'aujourd'hui. 1 Mythes et réalités, Paris : Gonthier ; A. MICHEL et G. TEXIER. (1964b). La condition de la française d'aujourd'hui. 2 Les groupe de pression, perspectives nouvelles, Paris : Gonthier.

122 I. GIRAUD. (2005). Mouvements des femmes…, op. cit. p. 120-122.

123 A. MICHEL. (1974). Activité professionnelle de la femme et vie conjugale, Paris : Editions du CNRS, A. MICHEL. (1986).

Non aux stéréotypes! vaincre le sexisme dans les livres pour enfants et les manuels scolaires, Paris : Unesco, A. MICHEL. (2003

[1992]). Le féminisme, Paris : PUF/Que sais-je? p.

124 A. MICHEL. (1970). La Sociologie de la famille : recueil de textes présentés et commentés, Paris, La Haye : Mouton, A. MICHEL. (1972). Sociologie de la famille et du mariage, Paris : PUF.

1) Du radicalisme contre la famille à l’institutionnalisation sans la famille

Alors que le mouvement des femmes avait été jusque là dominé par des stratégies réformistes, les années 1970 voient la montée d’un féminisme révolutionnaire125, opposé aux institutions, qui occupe rapidement le devant de la scène du mouvement des femmes du fait de sa médiatisation et de l’essoufflement des organisations issues des décennies précédentes. Ce « Mouvement de libération des femmes » (MLF), qui s’inscrit dans le contexte de la politique contestataire d’extrême-gauche de l’après-mai 1968, se définit autour de principes d’autonomie, de non-mixité, et de refus de la politique institutionnelle126. Au-delà de ces caractéristiques générales, ce mouvement est lui-même divisé en plusieurs courants, le courant « Psychanalyse et Politique » (Psych et Po) fondé sur une valorisation de la différence et de l’identité féminine, le courant « radical » et le courant « lutte des classes » 127. Ces deux derniers courants, tout en différant quant à la priorité à accorder à la lutte contre le patriarcat par rapport à la lutte des classes, convergent dans une analyse des rapports sociaux de sexe comme construction sociale, et ont pour point commun de placer la critique de la famille au cœur de leurs luttes. Les questions relatives à la contraception et à l’avortement, en lien avec cette critique, constituent un enjeu essentiel de mobilisation, en parallèle avec le travail de fond qui continue d’être réalisé à cette époque par le Planning familial et, à partir d’un répertoire d’action plus radical (notamment pratique d’avortements), par le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC)128. Comme le souligne Françoise Thébaud, cette focalisation des luttes sur le droit et les moyens de refuser la maternité s’accompagne d’une incapacité à « s’intéresser concrètement à la maternité », du fait du poids idéologique associé à cette dernière :

Dans une France obsédée par la question démographique et longtemps envahie par une vision traditionnelle de l’éternel féminin, l’héritage était lourd et les priorités claires. […] le féminisme des années 70 ne pouvait pas s’intéresser concrètement à la maternité, une maternité qui a si longtemps

125 Selon l’appellation proposée par Jane Jenson : J. JENSON. (1989). "Le féminisme en France depuis mai 1968."

XXème siècle, n.24, p. 55-67. Nous pourrons également être amenées à parler de « féminisme radical » ou de « Mouvement

de libération des femmes » pour désigner l’ensemble de ce courant, bien que ces appellations présentent le défaut de reprendre des catégories indigènes.

126 L. BERENI. (2006). "Les féministes françaises et la ‘parité’. Permanences et renégociations des partitions héritées de la décennie 1970." in Les formes de l’activité politique. Eléments d’analyse sociologique (18ème-20èmesiècles), sous la direction de A. COHEN, B. LACROIX et P. RIUTORT. Paris : PUF, C. DELPHY. (1984). "Les femmes et l'État." Nouvelles Questions

Féministes, n.6-7, p. 5-19, D. FOUGEYROLLAS-SCHWEBEL. (1997). "Le féminisme des années 1970." p. 729-770 in Encyclopédie politique et historique des femmes, sous la direction de C. FAURÉ. Paris : PUF, I. GIRAUD. (2005). Mouvements des femmes…, op. cit. p. 158, F. PICQ. (1993). Libération des femmes : les années-mouvement, Paris : Seuil, M.

ZANCARINI-FOURNEL. (2004). "Les féminismes, des mouvements autonomes?" p. 227-251 in Le siècle des féminismes, sous la direction de E. GUBIN, C. JACQUES, F. ROCHEFORT, B. STUDER, F. THÉBAUD et M. ZANCARINI-FOURNEL. Paris.

127 J. JENSON. (1989). "Le féminisme en France depuis mai 1968." XXème siècle, n.24, p. 57.

128 C. BARD et J. MOSSUZ-LAVAU. (dir.) (2007). Le planning familial : histoire et mémoire (1956-2006), Rennes : Presses Universitaires de Rennes/Archives du féminisme, X. GAUTHIER. (2002). Naissance d'une liberté. Contraception, avortement :

permis de maintenir les femmes en sujétion, une maternité envahie par les discours nataliste, catholique ou médical, dont les femmes voulaient justement briser le carcan129.

Se développent par ailleurs à cette époque un ensemble d’associations que Laure Bereni qualifie de « réformistes de la seconde vague », en tant qu’elles adhèrent aux thèmes de mobilisation des féministes révolutionnaires tout en adoptant une organisation formelle (le statut d’association loi 1901) et en acceptant le dialogue avec les institutions130. Outre le Planning familial, relèvent de cet ensemble deux associations créées dans la première moitié des années 1970 : Choisir-la-cause-des-femmes, fondée en 1971 par l’avocate Gisèle Halimi, et la Ligue du droit des Choisir-la-cause-des-femmes, fondée en 1974 par Anne Zelensky.

Moins documentée, l’histoire du mouvement des femmes des années 1980 à nos jours est globalement marquée par un renouveau du dialogue avec les institutions politiques, facteur de continuité par delà les variations dans le cycle de mobilisation. Les années 1980, généralement associées à une phase de mise en veille des luttes féministes, correspondent surtout à une période d’institutionnalisation131. Ce processus est doublement lié aux financements octroyés par l’administration chargée des droits des femmes à partir de 1981. D’une part, les financements sur projets mis à disposition, par le Ministère, aux associations féminines et féministes, influencent fortement les structures de mobilisation du mouvement des femmes (obligeant notamment des groupes auparavant informels à adopter la forme d’associations loi 1901) et son rapport à l’État (en imposant un alignement sur les priorités du Ministère)132. D’autre part, le ministère des Droits de la femme d’Yvette Roudy encourage le développement des recherches sur les femmes, qui connaissent alors un essor dans l’université, dans la continuité d’une critique féministe qui était déjà fortement théorisée au sein du mouvement133. Développée dans la continuité de la frange radicale du mouvement, la recherche féministe a tendance à en reprendre le radicalisme, phénomène par ailleurs encouragé, comme le souligne très justement Laure Bereni, par l’épistémologie anti-essentialiste des sciences sociales134.

Or dans cette posture « anti-essentialiste » issue des premières théories féministes formulées dans la frange radicale du mouvement dans les années 1970, la critique de la famille occupe une place centrale. Des auteures comme Nicole-Claude Mathieu, Colette Guillaumin ou Christine Delphy

129 F. THÉBAUD. (2001). "Féminisme et maternité : les configurations du siècle." p. 29-45 in Maternité, affaire privée,

affaire publique, sous la direction de Y. KNIBIEHLER. Paris : Bayard. p. 42.

130 L. BERENI. (2007). "Du 'MLF' au 'Mouvement pour la parité'. La genèse d'une nouvelle cause dans l'espace de la cause des femmes." Politix, vol.20, n.78, p. 112.

131 Le même phénomène a été observé dans d’autres pays occidentaux : voir L.A. BANASZAK, K. BECKWITH et D. RUCHT. (2003). Women's movements facing the reconfigured state, New York : Cambridge University Press.

132 L. BERENI. (2007). "Du 'MLF' au 'Mouvement pour la parité'. …", op. cit. ; S. DAUPHIN. (2002). "Les associations de femmes et les politiques d'égalité en France : des liens ambigus avec les institutions." Pyramides, n.6, p. 149-169. 133 R.-M. LAGRAVE. (1990). "Recherches féministes ou recherches sur les femmes?" Actes de la Recherche en Sciences

Sociales, n.83, p. 27-39.

134 L. BERENI. (2006). "Les féministes françaises et la ‘parité’. Permanences et renégociations des partitions héritées de la décennie 1970." p. in Les formes de l’activité politique. Eléments d’analyse sociologique (18ème-20èmesiècles), sous la direction de A. COHEN, B. LACROIX et P. RIUTORT. Paris : PUF.

localisent dans la sphère privée la source des rapports de domination entre hommes et femmes, que ceux-ci soient théorisés en termes d’appropriation physique ou d’exploitation économique135. Cette perspective conduit à une méfiance vis-à-vis de l’idée même de famille, et tend à empêcher tout dialogue avec une sociologie de la famille par ailleurs peu attentive aux rapports de pouvoir fondés sur le genre. Dans les recherches sur les femmes, les questions familiales ont par la suite été essentiellement abordées au prisme de la division sexuelle du travail136, le travail domestique intervenant comme explication des inégalités de genre sur le marché du travail. Depuis les années 1990, les recherches « sur le genre » (appellation qui succède de plus en plus aux recherches « sur les femmes137 ») ont été plus nettement encouragées par le Service des droits des femmes, qui finance la plupart des revues spécialisées à hauteur de 20 à 70 % de leur budget, et a par ailleurs créé en 1993 une mission études/recherches finançant des études réalisées, pour l’essentiel, par des équipes universitaires et des instituts de recherche138. Parallèlement, l’institutionnalisation des études sur le genre se poursuit, avec notamment en 1995 la création, au sein du CNRS, du groupement de recherche « Marché du travail et genre » (MAGE).

Depuis les années 1990, le mouvement des femmes, que cette phase d’institutionnalisation a rendu à nouveau réformiste, connaît une nouvelle vague de mobilisation, dans laquelle la revendication de parité en politique, traversant les traditionnels clivages partisans et confessionnels, a occupé une place centrale139. Outre la multiplication des associations pro-parité, ont été créées de nouvelles structures à vocation plus généraliste et englobante, parmi lesquelles la Coordination française pour le Lobby européen des femmes (CLEF), qui suit en 1991 la création, l’année précédente, de ce Lobby, et le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) en 1996. Le rôle essentiel joué aujourd’hui par la CLEF dans les luttes féministes réformistes atteste bien l’européanisation de ces luttes140, qui s’inscrit dans un processus plus général de transnationalisation et d’internationalisation de la défense de la cause des femmes141. Sa stratégie dominante consistant à miser sur un « effet boomerang », c’est-à-dire à agir au niveau supranational ou auprès d’organismes internationaux pour

135 C. DELPHY. (1998). L'ennemi principal. t.1 : Economie politique du patriarcat, Paris : Syllepse, coll. Nouvelles questions féministes, C. GUILLAUMIN. (1992). Sexe, race et pratique du pouvoir. L'idée de nature, Paris : Côté-femmes, N.-C. MATHIEU. (1991). L'anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe, Paris : Côté-Femmes.

136 Voir par exemple M.-A. BARRÈRE. (1984). Le Sexe du travail : structures familiales et système productif, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble.

137 C. BARD. (2003). "Jalons pour une histoire des études féministes en France (1970-2002)." Nouvelles Questions

Féministes, vol.22, n.1, p. 14-30.

138 C. BARD. (2004). "Recherche et militantisme (France, 1995-2002)." p. 261-276 in Quand les femmes s'en mêlent. Genre et

pouvoir, sous la direction de C. BARD, C. BAUDELOT et J. MOSSUZ-LAVAU. Paris : La Martinière. p. 266-267.

139 L. BERENI. (2007). "Du 'MLF' au 'Mouvement pour la parité'. …", art. cité, I. GIRAUD. (2005). Mouvements des

femmes…, op. cit., E. LÉPINARD. (2007). L'égalité introuvable. La parité, les féministes et la République, Paris : Presses de la

FNSP.

140 L. BERENI. (2004). "Le mouvement français pour la parité et l'Europe." p. 33-55 in Les usages de l'Europe : acteurs et

transformations européennes, sous la direction de S. JACQUOT et C. WOLL. Paris : L'Harmattan.

141 I. GIRAUD. (2001). "La transnationalisation des solidarités : l'exemple de la marche mondiale des femmes." Lien social

obtenir l’imposition « par le haut » de réformes sur le niveau national142, révèle sa perception d’une structure d’opportunités politiques plus ouverte au niveau supranational – en l’occurrence, au niveau communautaire – qu’au niveau national.

Bien que les positions réformistes soient à nouveau dominantes au sein du mouvement des femmes, les thèmes de mobilisation ne sont plus centrés sur les politiques de la famille. Ceux-ci concernent en premier lieu la représentation politique, mais aussi la lutte contre les violences et les publicités sexistes, et toujours, la défense du droit à la contraception et à l’avortement. La stratégie dominante de recours à l’international, que nous venons d’évoquer, confirme par ailleurs qu’il n’existe pas, pour ce mouvement, de lien avec le gouvernement national aussi fort que celui représenté, du côté des associations familiales, par l’UNAF, dont nous allons voir qu’il conserve son monopole en dépit des incertitudes de la politique familiale.

2) Le secteur familial : incertitudes des politiques et maintien d’un corporatisme sectoriel

Alors que la politique familiale définie dans l’après-guerre promouvait nettement un modèle de « Monsieur Gagne-pain/Madame au foyer » (modèle également prégnant dans le Code civil), et était guidée par un double objectif de promotion de la natalité et de redistribution horizontale entre les familles (à travers des mesures telles que les allocations familiales universelles et le quotient familial), à partir des années 1970 cette politique se trouve déstabilisée, dans ses normes (remise en question du modèle familial précédent), et dans ses finalités – la politique familiale perdant en autonomie en étant de plus en plus reliée à la politique sociale et à la politique de l’emploi143.

Au niveau normatif, le modèle familial traditionnel de « Monsieur Gagne-pain/Madame au foyer » qu’incarnait la politique de la famille dans l’après-guerre s’est trouvé remis en question à la fois dans le droit de la famille et dans les politiques familiales. Les réformes successives du droit familial ont conduit au remplacement de l’image d’une famille soumise à son chef, seul détenteur de l’autorité sur la femme et les enfants, par la nouvelle représentation juridique d’une famille égalitaire : réformes des régimes matrimoniaux en 1965 et 1985, instituant l’égalité des conjoints, remplacement de la puissance paternelle par l’autorité parentale conjointe (1970), possibilité de transmission du nom de la mère aux enfants (2002)144. Le droit familial reste toutefois fondé sur un modèle hétérosexuel, en dépit de la création du Pacte civil de solidarité qui institue une forme de reconnaissance des couples de même sexe en droit civil (1999).

142 M.E. KECK et K. SIKKINK. (1998). Activists Beyond Borders : Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, NY : Cornell University Press.

143 J. COMMAILLE, P. STROBEL et M. VILLAC. (2002). La politique de la famille, op. cit. ; J. HEINEN. (2004). "Genre et politiques familiales." p. 283-299 in Quand les femmes s'en mêlent. Genre et pouvoir, sous la direction de C. BARD, C. BAUDELOT et J. MOSSUZ-LAVAU. Paris : La Martinière, J. JENSON et M. SINEAU. (2001). "La France : quand "liberté de choix" ne rime pas avec égalité républicaine." p. 141-172 in Qui doit garder le jeune enfant? Modes d'accueil et travail

des mères dans l'Europe en crise, sous la direction de J. JENSON et M. SINEAU. Paris : LGDJ.

Dans les politiques familiales, à partir du début des années 1970, l’incitation au maintien des femmes au foyer se trouve remise en question par l’orientation contraire des politiques de l’emploi, qui tendent à promouvoir le recours à la main d’œuvre féminine145, dans un contexte où le taux d’activité des mères amorce une remontée (cf annexe 1.1). L’assignation exclusive des femmes au travail domestique et aux tâches de care, ainsi que le caractère complémentaire de leur salaire par rapport à celui de l’homme Gagne-pain, n’étant remis en question ni au sein du ministère du Travail, ni a

fortiori par les instances chargées de la politique familiale, le modèle normatif de « Monsieur

Gagne-pain/Madame au foyer » se trouve alors progressivement remplacé par un modèle alternatif dans lequel les mères « concilient » charges familiales et activités professionnelles146. Alors que l’ASU, mesure phare de la politique de la mère au foyer dans l’après-guerre, est supprimée en 1978, le travail à temps partiel constitue le principal instrument juridique mobilisé par les pouvoirs publics à l’appui de ce nouveau modèle, conjointement avec les congés postnataux prolongés. Le travail à temps partiel est ainsi facilité par plusieurs lois, dans la fonction publique (1970) et dans le secteur privé (1979, 1981). En 1977 est ouverte aux parents d’enfants de moins de trois ans la possibilité de prendre un congé parental (initialement dénommé « congé de mère ») de deux ans sans solde147. En 1985 est créée une allocation parentale d’éducation (APE), allocation versée aux parents d’enfants de moins de trois ans qui interrompent leur activité professionnelle pour garder leurs enfants, et dont la portée est étendue depuis148.

Parallèlement à ces mesures concernant la prise en charge des jeunes enfants par leurs mères, d’autres dispositifs visent une socialisation du travail de care. Les années 1970 sont ainsi marquées par un fort développement des services de garde pour enfants, le nombre de places en crèches augmentant de 72 % entre 1974 et 1980149. Cette croissance ralentit toutefois dans les années 1980 et 1990, les pouvoirs publics encourageant plutôt une individualisation des modes de garde avec une

145 N. HOLCBLAT. (1996). "La politique de l'emploi en perspective." p. 7-44 in 40 ans de politique de l'emploi, sous la direction de DARES. Paris : La documentation française.

146 M. LUROL. (2001). Le travail des femmes en France : trente ans d'évolution des problématiques en sociologie (1970-2000). Document

de travail n°7. Centre d'Etude de l'Emploi, Paris.

147 J. JENSON et M. SINEAU. (2001). "La France : quand "liberté de choix" ne rime pas avec égalité républicaine." p. 141-172 in Qui doit garder le jeune enfant? Modes d'accueil et travail des mères dans l'Europe en crise, sous la direction de J. JENSON et M. SINEAU. Paris : LGDJ, p. 147-148.

148 Les critères d’éligibilité en termes de conditions d’emploi antérieur ont été assouplis en 1986, et en 1994 l’allocation, initialement ouverte uniquement à partir du troisième enfant, a été rendue accessible à partir du deuxième enfant, et rendue compatible avec le travail à temps partiel. L’APE a été intégrée en 2004 dans la Prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE). C. AFSA. (1996). "L'activité féminine à l'épreuve de l'allocation parentale d'éducation." Recherches et

prévisions, n.46, p. 1-8, J. FAGNANI. (1996). "L'allocation parentale d'éducation : contraintes et limites du choix d'une

prestation." Lien Social et Politiques, n.36, p. 111-121, J. JENSON et M. SINEAU. (2001). "La France : quand "liberté de choix" ne rime pas avec égalité républicaine." p. 141-172 in Qui doit garder le jeune enfant? Modes d'accueil et travail des mères

dans l'Europe en crise, sous la direction de J. JENSON et M. SINEAU. Paris : LGDJ, J. LAUFER et R. SILVERA. (2001).

"Femmes providentielles, enfants et parents à charge." Travail, genre et sociétés, vol.6, p. 17-18.

149 J. JENSON et M. SINEAU. (2001). "La France : quand "liberté de choix" ne rime pas avec égalité républicaine." p. 141-172 in Qui doit garder le jeune enfant? Modes d'accueil et travail des mères dans l'Europe en crise, sous la direction de J. JENSON et M. SINEAU. Paris : LGDJ.

prise en charge des enfants, soit par la mère (APE ou allocation de parent isolé150 (API)), soit par d’autres femmes à leur domicile ou à celui des parents. En effet, en lien avec la politique de l’emploi, les pouvoirs publics cherchent à réglementer (dans l’optique d’une réduction du travail au noir), puis faciliter, à l’aide de diverses aides financières, l’emploi par les parents d’une assistante maternelle (dont le statut professionnel est défini en 1977151) ou d’une garde à domicile. En 1986, l’allocation de garde d’enfant à domicile (AGED) s’ajoute aux dispositifs fiscaux visant à faciliter l’emploi de personnes (déclarées) à domicile pour la garde des enfants. En 1990, l’Aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (AFEAMA), qui s’ajoute également aux déductions fiscales disponibles, prend en charge pour les parents toutes les cotisations sociales dues à une assistante maternelle.

Alors que l’APE rend financièrement attractif le retrait du marché du travail pour les femmes à faible salaire, l’AGED et l’AFEAMA facilitent la « conciliation » pour les couples ayant les moyens financiers d’embaucher une assistante maternelle ou une garde d’enfant à domicile. Ainsi, tandis qu’on retrouve, après la parenthèse des années 1945-1970, le familialisme à la française, combinant

Documents relatifs