• Aucun résultat trouvé

Nicole Pasquier, la délégation à la Condition féminine comme notabilité locale 44

Chapitre 2 : Au Québec, une structure duale et stable stable

Encadré 3.4 Nicole Pasquier, la délégation à la Condition féminine comme notabilité locale 44

Fille d’un industriel lyonnais, elle-même médecin spécialisée en psychiatrie infantile et mariée à un médecin, Nicole Pasquier entame en 1971 une carrière politique à droite en tant que conseillère municipale de Caluire-et-Cuire, fonction qu’elle exerce jusqu’en 1983. De 1974 à 1976, elle est déléguée régionale à la Condition féminine pour la région Rhône-Alpes. Elle est ensuite déléguée (nationale) à la Condition féminine auprès du Premier ministre Raymond Barre de 1976 à 1978, puis est nommée en janvier 1978 Secrétaire d’État à l’emploi féminin, auprès du ministre du Travail, fonction qu’elle occupe jusqu’en 1981. Membre du parti républicain, elle est par ailleurs présidente d’honneur du Centre d’information féminin du Rhône et de l’association Retravailler Rhône-Alpes. Affirmant dans une interview avoir été convertie au féminisme par Benoîte Groult45, elle développe une conception de la promotion professionnelle des femmes centrée sur la responsabilité individuelle, à l’exemple de sa propre réussite professionnelle : "c'est aux femmes, d'abord, de

40 Décret n°76-878 du 21 septembre 1976 plaçant auprès du Premier ministre un délégué à la condition féminine, publié au JO du 22 septembre 1976, p. 5652.

41 Entretien avec Jacqueline Nonon, le 6 décembre 2004 ; source de presse : (1977). "Nicole Pasquier, déléguée à la condition féminine : "Des associations comme la vôtre alimentent notre action"." Solidaires, p. 2-4.

42 B. FRAPPAT, "La condition féminine vue de Lyon. La modeste ambition de Mme Pasquier", Le Monde, 11 novembre 1976.

43 Décret n°76-878 du 21 septembre 1976 plaçant auprès du Premier ministre un délégué à la condition féminine, publié au JO du 22 septembre 1976, p. 5652., article 1.

44 Sources : Who’s who XXème siècle ; articles de presse cités.

45 (1977). "Nicole Pasquier, déléguée à la condition féminine : "Des associations comme la vôtre alimentent notre action"." Solidaires, p. 2-4.

se former et de se défendre elles-mêmes. […] Les premières femmes médecins ont eu de la peine à s'imposer. Elles y sont arrivées46".

Après avoir discrètement rempli sa fonction de déléguée à Lyon, Nicole Pasquier est promue en janvier 1978 au rang de secrétaire d’État à l’Emploi féminin, placée auprès du ministère du Travail47. Elle est alors chargée d’ « assiste[r] le Ministre pour les questions relatives à la formation, à l’activité et à la promotion professionnelles des femmes48 ». La délégation à la Condition féminine est par ailleurs maintenue à Lyon, et attribuée à Jacqueline Nonon, alors en poste à la Commission européenne (cf encadré 3.5). Beaucoup moins réservée que sa prédécesseure, Jacqueline Nonon dresse rapidement le constat de son absence totale de pouvoir, et démissionne avec fracas en juin 197649. Dans un geste symbolique, elle choisit d’annoncer sa démission depuis Bruxelles, signifiant par là qu’elle compte plus sur les institutions européennes que sur le gouvernement français pour faire progresser le statut des femmes50. Dans ses déclarations à la presse à cette occasion, elle insiste sur les moyens d’action plus conséquents dont elle dispose à la Commission, par opposition à la France, où « les hommes ne sont pas prêts encore à considérer les femmes comme des partenaires à part entière51 ».

Encadré 3.5 : Jacqueline Nonon, le choix de l’Europe52

Eduquée par ses parents et ses professeurs qui, après la guerre, constataient les transformations de la société, lectrice de Simone de Beauvoir et Virginia Woolf, Jacqueline Nonon était convaincue de la nécessité de faire carrière et d’assurer son indépendance. Préférant le marché du travail au « marché matrimonial53 », Jacqueline Nonon débute sa carrière avec un poste d’attachée de direction dans une grande entreprise, où elle est frappée par la discrimination à l’encontre des femmes.

Par ailleurs attirée par l’Europe, elle présente sa candidature à la Commission des Communautés

européennes, où elle est recrutée en 1958. Initialement affectée au pool dactylographique, comme « toutes les femmes » à cette époque, Jacqueline Nonon proteste et obtient rapidement en 1959 un poste de catégorie B, avec la mission de monter une documentation à l’usage de la Direction générale des affaires sociales. Passée cadre A, seule femme dans son service, elle se voit confier au début des années 1960 un état des lieux de la formation professionnelle des femmes, demandé par les syndicats qui reliaient les inégalités salariales au manque de formation professionnelle. Suite à un premier rapport sont lancées des études nationales et globales sur la formation professionnelle, l’emploi et les conditions de travail, dont Evelyne Sullerot rédige

46 "Nicole Pasquier vous répond", Le Figaro, 23 novembre 1976.

47 Ceci qui ne va pas sans créer une rivalité avec le Comité du travail féminin : A. REVILLARD. (2007). La cause des

femmes au Ministère du travail : le Comité du travail féminin (1965-1984). , op.cit.

48 Décret n°78-57 du 20 janvier 1978 relatif aux attributions de Mme Nicole Pasquier, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, chargé de l'emploi féminin, publié au du JO du 21 janvier 1978, p. article 1.

49 "Déléguée à la condition féminine, Mme Jacqueline Nonon démissionne", Le Parisien Libéré, 17 juin 1978, "La démission de Mme Jacqueline Nonon deviendra effective le 15 juillet", AFP, 6 juillet 1978, "Le départ de Mme Nonon. Le premier ministre accepte la démission de la déléguée à la condition féminine", Le Monde, 17 juin 1978, "Mme Nonon, déléguée à la condition féminine, démissionne", Le Quotidien de Paris, 17 mars 1978, "Qu'est-ce qui fait démissionner Mme Nonon?" L'Aurore, 17 juin 1978, J. FROSSARD, "La démission de Jacqueline Nonon. La déléguée à la condition féminine : je manquais de moyens d'action", Le Figaro, 17 juin 1978, J. NONON, "De la condition féminine au déconditionnement des femmes", Le Figaro, 15 août 1978.

50 Jacqueline Nonon était à Bruxelles dans le cadre d'une mission d'information de deux jours où elle avait emmené les déléguées régionales. J. FROSSARD, "La démission de Jacqueline Nonon. La déléguée à la condition féminine : je manquais de moyens d'action", Le Figaro, 17 juin 1978.

51 "Déléguée à la condition féminine, Mme Jacqueline Nonon démissionne", Le Parisien Libéré, 17 juin 1978.

52 Sources : entretien avec Jacqueline Nonon, le 6 décembre 2004 ; NONON, JACQUELINE. (1998). L'Europe, un atout

pour les femmes? Paris : La Documentation française.

une synthèse.

C’est dans le prolongement du succès de ce rapport au sein de la Commission que Jacqueline Nonon met en place un « groupe de travail ad hoc » regroupant des femmes parlementaires, universitaires, syndicalistes, des six pays membres qui constituaient alors la Communauté. Ce groupe comprenait notamment, pour la France, Marcelle Devaud, Jeannette Laot et Evelyne Sullerot, et pour la Belgique, Emilienne Brunfaut. Il élabore la trame de la directive 76/207 sur l’égalité de traitement.

Jacqueline Nonon contribue ensuite à mettre en place au sein de la Direction des affaires sociales de la Commission une structure administrative veillant à la mise en œuvre de cette directive, l’Unité pour l’égalité des chances, dont elle prend la direction en 1976. En 1978, elle quitte quelques mois la direction de cette Unité pour revenir en France, où elle a été nommée Déléguée nationale à la Condition féminine. Elle est ensuite, de 1981 à 1988, directrice de la représentation de la Commission européenne en France. En 1993, elle prend sa retraite de la Commission, et est invitée à enseigner dans plusieurs universités américaines (Amherst, Boston). Outre ses activités d’enseignement, Jacqueline Nonon est membre du Lobby européen des femmes et de l’Alliance internationale des femmes, dont elle est nommée représentante permanente au Conseil de l’Europe en 1999.

Dressant un bilan de son expérience de déléguée, Jacqueline Nonon, que nous avons interviewée en 2004, ne mâche pas ses mots :

Q : On peut peut-être passer à votre expérience en tant que déléguée à la Condition féminine…

R : Ça a été un passage en coup de vent, étant donné qu'il n'y avait pas de réel engagement politique J'étais très méfiante quand on m'a proposé cette mission. D'abord, je ne pensais pas vraiment dans cette direction, parce que j'ai toujours eu le cœur à gauche. Mes collègues, à Bruxelles, me poussaient : « Vas-y, si ça ne te plaît pas, tu reviendras, c’est intéressant ». Donc je me suis dit : je vais faire l'expérience. Et effectivement, cela a été très utile comme expérience. J’ai pu voir de près la vie du gouvernement. M. Giscard avait une volonté théorique, mais ne mesurait pas le travail qu'il y avait à faire. Et il n'imaginait pas que M. Barre ne voyait pas au-delà de son élection à Lyon. En effet, M. Barre faisait l'objet de pressions de la part des associations de dames à Lyon, qui avaient dit que s'il installait la Délégation à Paris, il ne serait pas élu à Lyon. Moyennant quoi la Délégation disposait de superbes bureaux, auprès de la préfecture, des bureaux de luxe comme je n'en avais jamais eus. [...] Mais il y avait 500 francs dans la caisse quand je suis arrivée : 500 francs au mois de février, cela veut dire que le budget de l'année était déjà complètement épuisé. C'est Matignon qui m'a offert un cocktail de presse – parce qu'il fallait bien que je me présente à la presse, non pas à Lyon où il y aurait eu peu de monde, mais à Paris, où tout se tient. Donc on m’a affecté en plus un bureau à Paris, rue de Varennes. Cela signifie que j'étais dans le train ou dans l'avion sans arrêt. En fait, toutes les réunions se passaient à Paris ; à Lyon, il ne se passait rien. Raymond Barre m’avait dit : « vous allez prendre votre bâton de pèlerin, et aller voir les femmes à la Réunion, à la Martinique »... Pour leur dire quoi ? Qu'il y avait une Déléguée ? Qu'il y avait 500 francs dans sa caisse? Délibérément, je n'ai fait aucune mission coûteuse pour l'État. Je me suis rendue à Angers une fois, et à Grenoble : « Je ne dépenserai pas un sou pour faire la potiche ». (Entretien avec Jacqueline Nonon, le 6 décembre 2004)

Avant de démissionner de ses fonctions, Jacqueline Nonon a produit un mémorandum recommandant la création d’une structure plus puissante, un ministère, situé à Paris :

J'ai très rapidement fait savoir au Secrétaire général de Matignon que je ne resterais pas à ce poste. Je l’ai assuré de ce que je resterais polie, et resterais jusqu'aux vacances. Je tenais cependant à faire un certain travail. Compte tenu de la situation, c’était le moment de faire une évaluation. C’est ainsi que j’ai rédigé un mémorandum où je posais tous les problèmes en suggérant des solutions pratiques. La conclusion était que l'on ne pouvait pas fragiliser une structure nouvelle, concernant en plus 50 % de la population, mais une population fragile, en l'éloignant du centre du pouvoir et de décision. Et surtout, un tel projet imposait une structure de pouvoir, et non pas une simple Délégation. Il fallait un ministère. Cet objectif fut atteint avec la nomination de Monique Pelletier en qualité que ministre déléguée à la Condition féminine. (Entretien avec Jacqueline Nonon, le 6 décembre 2004)

Ce mémorandum, ainsi que la démission fortement médiatisée de Jacqueline Nonon, ont ainsi pu contribuer à la nomination de Monique Pelletier, en septembre 1978, au titre de ministre déléguée à la Condition féminine54.

3) Monique Pelletier, une première ministre pour les femmes

Ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de la Condition féminine55, Monique Pelletier, à l’instar de ses prédécesseures, ne dispose toujours pas d’une administration centrale. Le titre de Ministre56, ainsi que le retour de la fonction à Paris, induisent toutefois une visibilité accrue de la fonction et une plus grande capacité d’influence. Sa mission est de nouveau définie, comme l’était celle de Françoise Giroud, en termes de promotion de réformes : elle est en effet chargée de « promouvoir toutes mesures destinées à améliorer la Condition féminine57 ». Monique Pelletier dispose, de par sa formation (elle est avocate) et son expérience politique, de ressources plus conséquentes que ses prédécesseures pour tenir son rôle gouvernemental (cf encadré 3.6). Élue municipale, elle avait été chargée de la question de la condition féminine au sein de son parti, les Républicains indépendants, et était depuis janvier 1978 Secrétaire d’État à la Justice. Lui est attribué un budget plus conséquent que celui des déléguées qui l’ont précédée (2,7 millions de francs (MF)), bien qu’il s’agisse du plus faible budget ministériel58, et qu’elle ne dispose toujours pas de crédits d’intervention.

Documents relatifs