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Chapitre 2 : Au Québec, une structure duale et stable stable

Encadré 3.3 Françoise Giroud 29 (1916-2003)

Née en 1916 de parents turcs, Françoise Giroud (née France Gourdji) commence à travailler à l’âge de 16 ans comme sténo-dactylo, puis comme script au cinéma (elle travaille pour Marc Allégret et Jean Renoir). Agente de liaison dans la Résistance, elle est arrêtée par la Gestapo en 1943. A la Libération, elle fait carrière dans le journalisme. Elle prend la direction du magazine Elle jusqu’en 1953, date à laquelle elle fonde L’Express avec Jean-Jacques Servan-Schreiber. Directrice de la rédaction du « news magazine » de centre-gauche jusqu’en 1971, elle est ensuite directrice de la publication, fonction qu’elle abandonne au moment de sa nomination comme secrétaire d’État à la Condition féminine en 1974.

Après avoir été chargée de la Condition féminine, Françoise Giroud est nommée secrétaire d’État à la Culture dans le gouvernement de Raymond Barre en août 1976, fonction qu’elle occupe jusqu’en 1977. Parmi les nombreux livres qu’elle a écrits, La comédie du pouvoir, paru en 1977, est consacré à son expérience au gouvernement. Françoise Giroud poursuit ensuite sa carrière politique comme vice-présidente du parti radical de 1977 à 1979, et se prononce en 1981 pour le candidat Mitterrand. A partir de 1983, elle est éditorialiste au Nouvel Observateur. Elle continue à publier de nombreux ouvrages et articles jusqu’à son décès en 2003.

Enfin, outre ces enjeux de politique intérieure, la création d’un poste de secrétaire d’État à la Condition féminine peut être reliée au contexte international en matière de promotion des droits des femmes. En effet, l’ONU avait déclaré l’année 1975 « Année internationale de la femme ». Dans cette perspective, la nomination d’une Secrétaire d’État fournissait une représentante toute désignée pour le gouvernement français, tout en étant susceptible de faciliter les préparatifs de la participation de la France à cet événement30 (préparation de célébrations en France, ainsi que de la participation française à la conférence de Mexico). Cela répondait en outre à la recommandation formulée en

26 Ibid. p. 99.

27 J. MOSSUZ-LAVAU. (1991). Les lois de l'amour : les politiques de la sexualité en France de 1950 à nos jours, Paris : Editions Payot. p.302.

28 Valéry Giscard d’Estaing, intervention lors des journées d’étude « Le septennat de Valéry Giscard d'Estaing : les réformes de société », (17 janvier 2006, Sénat, Paris).

29 Sources : HELFT-MALZ, VÉRONIQUE et LEVY, PAULE H. (1996). Encyclopédie des femmes politiques sous la Vème

République, Paris : Parick Banon, article « Giroud », nécrologie de Françoise Giroud dans le Nouvel Observateur, 19 janvier

2003.

30 La réflexion sur les modalités de préparation de l’Année internationale de la femme avait été initialement confiée par le Premier ministre au ministre du travail, qui avait créé un groupe de travail chargé de cette question, au sein duquel des responsables du Comité du travail féminin (Jeanne Chaton, Marcelle Devaud, Irène de Lipkowski, Simone Veil) jouaient un rôle de premier plan. Suite à sa nomination, Françoise Giroud a pris le relais du ministère du Travail dans l’organisation de ces événements, mais conformément aux recommandations du groupe de travail, les préparatifs ont concrètement été confiés à un Comité national d’organisation, placé sous la responsabilité de Claude du Granrut, alors Secrétaire générale du Comité du travail féminin. CAC, 19860111, art. 11, dossier « Année internationale de la femme ».

1967 par le Conseil économique et social de l’ONU quant à la création, par les gouvernements nationaux, d’instances chargées de la promotion des droits et des intérêts des femmes.

La nomination de Françoise Giroud n’est toutefois pas allée de soi. En effet, Valéry Giscard d’Estaing a dû surmonter l’opposition de son Premier ministre Jacques Chirac, Françoise Giroud se montrant par ailleurs sans concession dans les nécessaires négociations induites par cette divergence de vues entre le Président et son Premier ministre. Hostile à la fois au principe de la nomination d’une secrétaire d’État à la Condition féminine, et au choix de la personne, Jacques Chirac aurait proposé de remplacer le secrétariat d'État par une "délégation générale aux problèmes féminins". Françoise Giroud, quant à elle, mettait un point d’honneur à conserver sa liberté d'écrire (notamment dans L’Express) en devenant Secrétaire d'État, refusant par ailleurs la proposition qui lui était faite de prendre la tête d’une délégation en contrepartie du maintien de sa liberté de parole. Elle justifie ainsi son refus dans L’Express :

"Non", parce que, lorsqu'on commence par reculer avant même d'avoir marché, on perd une bonne partie de son crédit. Donc de ses moyens. L'action constructive me tentait, dans un domaine où je pouvais avoir une compétence. Je n'ai pas vocation d'alibi31.

Ces divergences de vues expliquent que la nomination de Françoise Giroud n’ait pas eu lieu en même temps que le reste du gouvernement (28 mai et 8 juin), mais un mois plus tard, en juillet, Valéry Giscard d’Estaing ayant finalement réussi à négocier avec son Premier ministre cette nomination plus « discrète » du point de vue du calendrier, le 16 juillet32. Raillée dans les médias, cette nomination est encore plus vivement critiquée au sein du gouvernement, où elle a provoqué, selon les termes d’Yves Sabouret, ancien directeur de cabinet de Françoise Giroud, « une stupéfaction qu'on mesure sans doute mal aujourd'hui », tant cette création était « choquante pour une partie du milieu politique33 ».

La Secrétaire d’État est chargée de « promouvoir toutes mesures destinées à améliorer la Condition féminine, à favoriser l'accès des femmes aux différents niveaux de responsabilité dans la société française et à éliminer les discriminations dont elles peuvent faire l'objet34 ». Une fois en poste, Françoise Giroud s’entoure d’un cabinet de huit personnes35, mais ne dispose pas d’une administration centrale de soutien. En dépit de ces moyens limités, la Secrétaire d’État, au bout d’un

31 F. GIROUD. (1974). "Un si joli programme." L'Express, p. 52-54.

32 Sources : entretien F10 ; intervention lors des journées d’étude « Le septennat de Valéry Giscard d'Estaing : les réformes de société », 17 janvier 2006, Paris. Presse : "Françoise Giroud nommée secrétaire d'État à la condition féminine", L'Humanité, 17 juillet 1974, "Françoise Giroud secrétaire d'État à la condition féminine", La Croix, 28-29 juillet 1974, F. GIROUD. (1974). "Un si joli programme." L'Express, p. 52-54, P. SARTIN, "Pour ou contre un secrétariat d'État à la condition féminine?" La Croix, 28 novembre 1974.

33 Yves Sabouret, intervention lors des journées d’étude « Le septennat de Valéry Giscard d'Estaing : les réformes de société », (17 janvier 2006, Sénat, Paris).

34 Décret n°74-653 du 23 juillet 1974 relatif aux attributions du Secrétaire d'État auprès du Premier ministre (Condition féminine), publié au JO du 24 juillet 1974, p. 7763. article 1.

35 Yves Sabouret, intervention lors des journées d’étude « Le septennat de Valéry Giscard d'Estaing : les réformes de société », (17 janvier 2006, Sénat, Paris).

an d’exercice de ses fonctions, entreprend de définir une politique d’ensemble pour les femmes, qu’elle nomme Projet pour les femmes. Ce projet, autrement connu sous le nom de « 100 mesures », paraît en 1976. Selon l’analyse d’un membre de son cabinet, par cette démarche consistant à faire un « catalogue » des réformes nécessaires, Françoise Giroud entendait non seulement réussir un « coup médiatique », mais aussi inscrire son action dans la durée :

Elle était parfaitement lucide sur les limites du système, et de l'efficacité d'un poste comme le sien par rapport à la machine gouvernementale, qui est un rouleau compresseur. Donc elle pensait qu'il fallait frapper, là aussi, un coup médiatique, avec une proposition forte et spectaculaire. Il y avait deux options : la première, qui n'a jamais été la sienne, aurait été de se battre sur deux ou trois mesures type, comme Simone Veil l'avait fait sur l’IVG. Et la seconde, c'était le catalogue. Avec tous les risques du catalogue. Mais d'avoir un ensemble où il y avait tout. Et au fond, c'est la démarche qu'elle a prise. Q : Et quelle était l'idée du catalogue ? Quel était l'objectif derrière ?

R : C'était vraiment de faire l'inventaire de ce qu'il y avait à faire pour améliorer les choses, aussi bien sur des mesures un peu annexes que sur des mesures plus importantes. Et au fond, comme elle était trop intelligente pour ne pas savoir que son mandat était par définition limité dans le temps - d'ailleurs, c'est elle qui a souhaité partir - donc il fallait laisser quelque chose qui soit la marque, la référence. Et comme il y avait pratiquement tout dedans, que l'on puisse dire par la suite : « oui, ça a été fait » ou « ça n'a pas été fait », « ça a été fait vite », ou « ça a été fait tard », mais l'ouvrage de référence, c'est les cent mesures de Françoise Giroud. C'est d'une habileté... C'était une idée forte sur le plan de la communication. (Entretien F10)

Or ce projet a effectivement eu des effets durables, non seulement en raison des réformes qu’il a contribué à impulser, mais aussi du fait de ses conséquences sur les institutions. En effet, sur les 111 recommandations initiales36, 80 sont adoptées en Conseil des ministres, les ministres s'engageant à présenter des projets de loi correspondant d'ici 198137. La nécessité de suivre ces engagements pris par les différents ministres en 1976 justifiait la pérennisation de la fonction de Françoise Giroud, fût-ce sous une forme amoindrie (une délégation). La définition d’une politique d’ensemble a ainsi eu un effet en retour sur les institutions, appelant le maintien d’une fonction ministérielle dédiée à la Condition féminine. Elle a ainsi pu compenser la fragilité de la fonction, liée à l’absence d’administration centrale de soutien. Il convient toutefois de souligner qu’en dépit de l’absence d’administration centrale, Françoise Giroud pose les premiers jalons d’une administration déconcentrée, en faisant nommer auprès des préfets les premières déléguées régionales à la Condition féminine38, qui sont au nombre de 26 en novembre 197839.

36 F. GIROUD. (1976). Projet pour les femmes : 1976 - 1981. Secrétariat d'État à la condition féminine, Paris. Archives SDFE. Carton « Secrétariat d’État à la condition féminine – juillet 1975 – Françoise Giroud – Projet pour les femmes, 1976-1981 – 111 recommandations (8 cahiers) ».

37 C. BARD. (2006). "100 mesures pour les femmes ». Communication présentée aux journées d'études « Le septennat de Valéry Giscard d'Estaing : les réformes de société », 17 janvier 2006, Paris.

38 G. LAINÉ, "Françoise Giroud déclare à "La Croix" : Mon action doit s'exercer dans tous les domaines", La Croix, 13 août 1974.

2) Les déboires de la délégation (1976-1978)

C’est justement une de ces déléguées régionales (Rhône-Alpes) que Raymond Barre désigne pour succéder en 1976 à Françoise Giroud, à un poste de moindre rang toutefois que cette dernière, puisque Nicole Pasquier est nommée déléguée à la Condition féminine (cf encadré 3.4). La nomination intervient le 21 septembre 1976, soit un mois après la première constitution officielle du nouveau gouvernement40 (annoncée le 27 août). La délégation est installée à Lyon, conformément, selon certaines sources, au souhait de l’intéressée41. Cette installation à Lyon, combinée à la personnalité plus discrète de Nicole Pasquier, limite fortement la capacité d’influence de la délégation. Etablie à Lyon avec une dizaine de personnes, la déléguée dispose par ailleurs d'une antenne à Paris, chargée des relations avec les ministères42. La dimension de promotion de réformes (« promouvoir toutes mesures destinées à améliorer la Condition féminine ») qui était incluse dans la mission de Françoise Giroud disparaît de celle de la déléguée, dont le décret d’attribution précise toutefois qu’elle est « associé[e] aux travaux conduits par les départements ministériels lorsqu'ils peuvent avoir une incidence sur la Condition féminine ». Cependant, sa mission est d’abord définie en termes de suivi de l’application des mesures « destinées à améliorer la Condition féminine » (qui ont été définies par Françoise Giroud dans son Projet pour les femmes), plutôt qu’en termes de définition de nouvelles mesures. Les autres éléments de la mission initialement dévolue à Françoise Giroud restent inchangés : de même que cette dernière, la déléguée est chargée de « favoriser l'accès des femmes aux différents niveaux de responsabilité et [d’] éliminer les discriminations dont elles peuvent faire l'objet43 ».

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