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Connaissance Agricole

1. La région centrale de la province de Santa Fe

Peut-on considérer que les espaces centraux de Santa Fe forment une région ? Pour pouvoir donner des éléments de réponse à cette question, nous allons commencer par mobiliser des apports théoriques sur cette notion polysémique de la géographie.

1.1. La notion de région en géographie sociale

Une première définition de « région » conduit à la considérer comme un découpage abstrait de l’espace, un support aux activités humaines qui s’emploient à la transformer. Mais les apports de la géographie sociale montrent que le terme de région « qualifie tout espace découpé et, de ce fait,

repéré, objectivé, collectivement signifié » (Lévy et al. 2003 ; p : 776). On ne peut alors parler d’un découpage spatial sans parler des hommes qui composent cet espace, dans une construction mutuelle au cours du temps. La région est ainsi une entité spatiale de « construction sociale et

historique signifiante, de taille moyenne (entre localité et nation), et variable, et qui a quelques caractéristiques d’homogénéité » (Lévy et al. 2003 ; p : 777).

Pour Armand Fremont (1976, réédité en 1999), la région « intègre lieux vécus et espaces

sociaux avec un minimum de cohérence et de spécificité qui en font un ensemble ayant une structure propre et qui la distinguent par certaines représentations dans la perception des habitants ou des étrangers » (1999 ; p : 189). En conséquence, la région est moins connue et perçue que les lieux du quotidien, ou que les espaces sociaux de la familiarité. Mais dans l’organisation de l’espace-temps vécu elle constitue une enveloppe essentielle de l’organisation de l’espace de vie ainsi que de la perception et de la valorisation de l’espace vécu.

Cet auteur, en référence à Moles et Rohmer22, définit la région comme « l’ensemble des lieux

où l’Homme peut aller et revenir en moins d’une journée, c’est-à-dire sans découcher, ou encore sans faire de réservation, donc de plans à l’avance » (Frémont, 1999 ; p : 190). Quels que soient les moyens de communication disponibles, cette idée renvoie « à une dimension essentielle de la

spatialité de l’Homme, celle du voyage routinier, sans aventure et sans découverte, dans les limites (presque) d’une journée habituelle de travail ou de détente ». De cette manière, la région s’inscrit dans un vécu sans fissure majeure, sans rupture essentielle de rythme. Sa fréquentation, l’épreuve de ses distances, n’impliquent pas de modification notable de la vie familiale, amicale ou sociale.

Fremont distingue dans cette notion trois caractéristiques : la fluidité, l’enracinement et la fonctionnalité. Pour lui, la région est fluide car cet espace « ne peut en aucune manière se définir

dans un espace bien délimité, aussi net dans ses contours que dans sa durée » (Frémont, 1999 ; p : 191). En plus de la fluidité, Guy Di Méo évoque la variabilité spatiale sur le long terme : « leur forme

et leur métrique changent, au rythme du développement économique et technique des groupes humains qui forment la population régionale, en fonction aussi de leur culture » (Di Méo, 2001 ; p : 131).

L’ « enracinement » fait référence à la dimension historique de la construction territoriale et dépend « de l’organisation de l’espace en fonction des hiérarchies des centres de polarisation et des

réseaux de villes » (Frémont, 1999 ; p : 205). Ainsi les villes, à l’intérieur d’une région, forment des nœuds de communication, des centres de production et de distribution de flux, en suivant une hiérarchie historiquement construite.

La région se distingue donc par quelques caractéristiques spécifiques, ainsi que par une certaine homogénéité intérieure, comme, par exemple, les aspects écologiques, les modes de production, les formes de communication et d’échange des sociétés qui l’habitent. En tant que dimension naturelle (écologique), la région « peut se concevoir comme un découplage géographique

fondé sur la spatialisation d’un seul ensemble de caractères homogènes » (Lévy et al. 2003 ; p : 777). Les caractéristiques des sols (relief, profondeur, composition) et le climat, mais aussi les modifications dues aux activités que l’homme a développé à travers des années d‘intervention, sont les principaux déterminants de cette homogénéité. Ainsi, la notion de région semble essentielle pour les sciences agraires, du fait que l’interaction des éléments écologiques et de l’action de l’homme, ce dernier étant un agent économique structurant. C’est pourquoi on peut parler de régions agro-écologiques.

1.2. Les caractéristiques agro-écologiques de la région centrale santafesina

Notre terrain de recherche se situe au centre de la province de Santa Fe, espace écologique hétérogène produit de la transition de deux grandes régions naturelles argentines : la plaine pampéenne et la plaine chaqueña. Ce territoire s’étend entre les latitudes de 30º et 32º Sud et les longitudes de 60º et 62º Ouest et il occupe une superficie d’environ 4 150 000 ha. Pour l’analyse et la disponibilité des données statistiques, nous avons suivi les limites des départements politico-administratifs de La Capital (269 229 ha.), Las Colonias (630 321 ha.), Castellanos (672 962 ha), San Cristobal (1 475 161 ha.) et San Justo (561 304 ha.), autrement dit presque 88% de la surface (carte nº 3).

Selon Hotschewer (1953, cité par Espino et al. 1983 ; p : 11), le parallèle 30° Sud ou encore l’isotherme 20°C représentent les lignes qui délimi tent théoriquement les zones de climat tempéré et subtropical. Ces deux lignes traversent le Nord de la province de Santa Fe, ainsi, on peut s’accorder sur le caractère transitionnel de son climat et sur l’existence de « bords de climat ». En effet, les caractéristiques des terres situées sur ces bords sont très variables du fait des transgressions périodiques du climat semi-humide à l'Est, au climat semi-aride vers l'Ouest. Cette instabilité est typique des régions de marges dans lesquelles, par exemple, la moyenne des précipitations ne représente en aucune façon un indicateur fiable et à même d’apprécier les conditions d'humidité du milieu. Aux années de précipitations abondantes peuvent suivre des périodes d’intenses sécheresses. Au centre de Santa Fe, le climat est tempéré, avec des hivers doux. La température moyenne annuelle est de 18ºC, la température moyenne de janvier (le mois le plus chaud) est de 25ºC et celle de juillet (le mois le plus froid) est de 12ºC. Les températures maximales moyennes sont de 32ºC pour le mois de janvier et de 18ºC pour le mois de juillet, tandis que les moyennes minimales sont de 18ºC

pour janvier et 6ºC pour juillet. Par rapport aux températures absolues, les valeurs maximales registrées sont de 43,8°C ; tandis que les valeurs minimales de -7°C.

Carte nº 3 : Région centrale de la province de Santa Fe. Division politico-administrative

Les gelées23 se produisent entre les mois de mai et de septembre, avec une fréquence et une intensité qui augmentent progressivement avec la latitude. Elles sont plus fortes au cours du mois de juillet. Il faut souligner l'action modératrice exercée par le fleuve Paraná et ses affluents sur ce phénomène, par conséquent, pour une même latitude la période de gelées est plus courte dans les zones proches des cours d’eau. Dans la zone Est, on compte en moyenne 326 jours sans gelées contre 294 dans la zone Ouest.

Les vents qui prennent part à la circulation générale de l'atmosphère et qui influencent la province sont ceux qui proviennent de l’Est, appelés « alizés du Sud-Est ». Ils sont chauds et humides. Il existe d'autres vents typiquement locaux : le Pampero, la Sudestada et le vent du Nord. Le

Pampero est une masse d'air froide et sèche d'origine polaire qui avance depuis le Sud-Ouest. Elle est produite à toute époque de l'année et déplace l'air chaud. Ce déplacement produit des

précipitations d'ampleur variable en fonction de la masse d'air torride déplacée mais, généralement en été, il engendre des précipitations abondantes et prolongées. En hiver, les pluies sont de plus faible intensité et de plus courte durée. La Sudestada est un vent d'origine marine, il produit un réchauffement en hiver et un rafraichissement en été, avec une forte teneur en humidité au cours des deux saisons. Le vent du Nord règne au cours de la plus grande partie de l'année, il est chaud et fréquemment humide. Dans cette région, la plus grande intensité de vents se situe d’août à octobre avec un pic en septembre.

Les précipitations annuelles moyennes sont de 1000 mm dans la partie Est de la Province et de 800 mm dans la partie Ouest (avec des valeurs extrêmes allant de 500 mm à 1800 mm). Les valeurs pluviométriques minimales sont enregistrées en hiver (juin, juillet et août). Les précipitations augmentent au printemps et le maximum se produit en automne (le mois le plus pluvieux est mars). L'évaporation potentielle moyenne annuelle (Thornthwaite, 1933, citée par Mosconi et al.,1981 ; p :39) varie de plus de 1050 mm au Nord de la province à moins de 850 mm au Sud. En fonction de ces deux paramètres, on n’observe pas de déficit en eau dans tout l’Est de Santa Fe contrairement à la région centre et au Nord-Ouest qui connaît un déficit beaucoup plus important. La grêle est peu fréquente et intervient généralement en début de saison chaude.

Cette Province se caractérise par des étés longs (près de cinq mois, de novembre à mars) des hivers relativement doux, et des printemps et automnes courts. Notons qu’il n'existe pas de limite nette entre les différentes saisons. Au Nord de la Province les températures nocturnes élevées limitent la culture du maïs et l'absence de froid affecte les rendements du blé. Le bétail reste à l’extérieur toute l'année.

À une échelle d'analyse plus fine, il est possible de différencier trois sous-ensembles dans le secteur d'étude de ce travail : la Pampa Ondulada Santafesina ; la Plaine Chaqueña et les Bajos

Submeridionales (Mosconi et al, 1981). Les deux premiers appartiennent autant au dôme oriental qu’au dôme occidental de la Province, où se situent les activités agricoles et d'élevage les plus intensives. Tous les deux sont séparés par une zone inondable (les Bajos Submeridionales ).

La Pampa Ondulada Santafesina se caractérise par un relief24 où prédominent des étendues planes légèrement ondulées (les pentes sont inférieures à 1%), à l’exception de quelques secteurs voisins du fleuve Salado où l’on observe un relief de pentes plus prononcées. Une ligne imaginaire qui unirait les localités de Suardi (Province de Cordoba), de La Pelada et de Ramayón la sépare de la

Plaine Chaqueña (Carte nº 1 en introduction de cette thèse). Cette dernière présente un paysage plat étendu, très légèrement ondulé, bien qu'il y ait des secteurs sur le dôme oriental où le relief présente des ondulations plus prononcées.

24 Relief : élévations et irrégularités de la surface du terrain qui donnent du caractère au paysage d'un secteur. Ils sont divers : relief prononcé ou excessif, relief dit encore « normal » (en fait légèrement ondulé), relief plat (appelé « anormal »), relief concave (hoyas) et diverses combinaisons (plan-concave, normal-anormal, etc.).

Carte n º 4 : Capacité productive des sols de la région centrale de la province de Santa Fe.

Ces deux espaces ont été modifiés par l'action de l'homme. Dans les secteurs les mieux drainés, la végétation se compose de plantes herbagères (Choris polydactyla, Chloris halophila,

Panicum bergii, Stipa neesiana, Paspalum notatum, Cynodon dactylon y Ambrosia tenuifolia) et poussent des arbustes dispersés de caroubiers (Prosopis blanche, Prosopis nigra, Prosopis

algarrobilla) et épineux (Acacia creusent). Dans les secteurs les moins drainés, se trouvent des communautés d'espèces ligneuses et arbustives, avec la prédominance d’un arbre, le chañar

(Geoffroea decorticans), associé au tusca (Acacia arôme) et au ñandubay (Prosopis algarrobilla), etc. Les Bajos Submeridionales constituent une dépression étendue qui s’étend quasiment de la province du Chaco, au Nord, jusqu'à la localité des Totoras (à presque 600 km). Il est possible de différencier des secteurs Nord et Sud. Dans le secteur Nord le relief est extrêmement plat et le drainage difficile, il présente un paysage monotone de prairie, dominé par une espèce d’herbacée, l’espartillo (Spartina argentinensis). Les sols sont principalement salins et alcalins. Le secteur Sud est constitué d’une série de vallons interrompus par des petites collines bien drainées d'extension variable où il est possible de trouver dans la communauté végétale des îlots de chañares (Geoffroea

descorticans) avec des exemplaires isolés de ñandubay (Prosopis algarrobilla) et cina-cina (Parkinsonia aculeata).

Nous allons à présent voir comment, dans ce milieu naturel, s’est constitué un territoire agricole.

2. De la colonisation à la formation d’un système agraire de type familial et diversifié : repères

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