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Pour conclure, nous allons revenir sur la démarche que nous avons suivie dans cette partie qui vise à construire un cadre théorique pour comprendre les enjeux dynamiques, dans le temps et dans l’espace, d’un groupe professionnel d’ingénieurs agronomes (les agronomes de terrain) dans un territoire donné (la région centrale de la province de Santa Fe).

La construction d’un cadre théorique

Sur la base de la géographie sociale (Raffestin, 1980, 1987 et Santos, 2000), nous entendons les ingénieurs agronomes comme des acteurs clefs dans la construction des territoires de la production agricole. Figure émergente et visible des différentes configurations innovatrices des SICA, tout au long de l’histoire de la production agricole depuis la fin du XIX siècle en particulier depuis 1960, ils traduisent dans ces espaces les attentes de la société, renouvelés au cours du temps : l’alimentation, les risques sanitaires, l’attention pour les problèmes de l’environnement, la préservation des ressources naturelles, etc. Dans le même temps ils contribuent consciemment ou non à la construction des espaces ruraux. Cette relation entre des agronomes et l’espace est médiatisée, et aussi légitimée, par des objets techniques qui peuvent être à l’origine d’innovations, et selon les caractéristiques de celles-ci, d’un nouveau processus de déterritorialisation et reterritorialisation et donc de profonde transformation des SICA et des territoires.

Ainsi, pour comprendre et décrire nos sujets d’étude, nous avons montré dans le premier chapitre qu’on peut analyser l’univers de travail des agronomes à travers trois dimensions d’analyse : les domaines d’action, la pratique professionnelle et la relation de travail. La conjugaison de ces éléments nous donne des profils dominants à l’intérieur de la profession. De cette manière nous avons mis en évidence qu’un ensemble de profils vont se retrouver unis par des intérêts communs et constituer un groupe professionnel particulier que nous avons dénommés « les agronomes de terrain » (Figure n° 10).

Ces agronomes, à travers une relation de travail presque quotidienne avec les producteurs, agissent de manière indirecte sur les espaces de production. Le rapport avec les producteurs est légitimé et conditionné par les caractéristiques des configurations innovatrices perceptibles à l’intérieur des SICA. Ainsi, nous mobilisons cette notion de SICA qui a été développée par Niel Röling et Paul Engel, comme une « aide méthodologique » qui nous permet de relier, au cours du temps et dans le même espace géographique (le Centre de Santa Fe), le sujet de notre étude avec les successives constructions territoriales ont eu lieu dans notre région (Figure nº 11).

Figure n° 10 : Schéma d’analyse de la profession d’ ingénieurs agronome : singularisation des agronomes de terrain

Figure nº 11 : Processus de construction territoriale : rapport entre les configurations innovatrices des SICA et les fonctions des agronomes de terrain

Profil 1 Profil 2 Profil 3 Profil 4 Profil 5

La profession d’ingénieur agronome

Dimensions d’analyse : les domaines d’action ; la pratique spatio-professionnelle et la relation de travail

Groupe profess. 1 Groupe profess. 3

Temps Territoire 1 Territoire 2 Territoire 3 SICA – configuration 1 SICA – configuration 2 SICA – configuration 3 Agronomes de terrain

Agronomes de terrain Agronomes de terrain

Innovation 1

Ainsi ce cadre théorique nous conduit à formuler les postulats suivants :

o Le processus de construction territoriale dans un espace donné comprend des cycles successifs de territorialisation / déterritorialisation / reterritorialisation qui ont tous commencé par l’introduction d’une innovation.

o Dans les espaces de production agricole, la construction territoriale est fortement conditionnée par les caractéristiques des systèmes de production dominants : le type d’activité et de produit, la technologie utilisée, les acteurs et les flux (de produit, d’argent et de connaissance) lié à la commercialisation et/ ou industrialisation de la production.

o Les systèmes d’information et de connaissance agricole (SICA) sont organisés en Argentine à l’échelle régionale, c’est pourquoi nous parlons dans cette thèse de Système Régional d’Information et de Connaissance Agricole (SRICA).

o Les SICA peuvent prendre diverses configurations dans le temps, selon qui parmi les types d’acteurs disposent d’une forme de leadership : l’industrie, le gouvernement, les producteurs, la recherche et le développement ou les organismes financeurs externes. Chacune de ces configurations octroient une fonction différente aux agronomes de terrain, en particulier soit une fonction de transfert de technologie (selon le modèle de l’impulsion technologique) soit une fonction de co-construction de la connaissance (selon le modèle du développement technologique).

o Ces agronomes de terrain, conditionnés par la configuration innovatrice dominante dans un SICA, mais aussi par les enjeux liés à la profession et les caractéristiques du profil professionnel, construisent leur propre territoire à deux échelles : l’échelle locale, autrement dit leur espace de travail et l’espace de base de construction des références techniques ; et l’échelle régionale, soit la sphère d’échanges entre collègues et avec les centres de recherche et d’expérimentation, qui devient un second espace de construction de références techniques.

o La construction territoriale des agronomes de terrain est liée au travail des producteurs et elle peut-être repérée par la trajectoire des objets techniques qu’ils promeuvent ou rejettent. o Quand un nouveau cycle de T/D/R démarre, il répercute sur les SICA en vigueur et produit

des tensions à l’intérieur du groupe des agronomes de terrain. Ces perturbations peuvent valoriser plus un profil qu’un autre. C’est ainsi que les acteurs du dominants dans le SICA antérieur cherchent à se ré-légitimer en disputant des places dans les nouvelles configurations innovatrices des SICA et en agissant comme « rugosités » (Santos, 2000) de l’espace, c’est-à-dire, comme des mémoires vivantes des organisations antérieures.

Ces précisions conceptuelles et situationnelles nous permettent de, reformuler notre question de recherche :

Quelle place offre la troisième révolution agricole aux agronomes de terrain, des acteurs centraux et légitimes de la modernisation de l’agriculture argentine, dans les SICA actuels ?

Pour répondre à cette question nous avons construit l’hypothèse principale suivante : Les changements perceptibles dans les pratiques professionnelles et les relations de travail des agronomes de terrain, ainsi dans leurs espaces de construction de références techniques, nous permettent de visualiser des transformations profondes des systèmes d’information et de connaissance agricoles liés à la troisième révolution agricole dans la région centrale de la province de Santa Fe.

Cette hypothèse principale est déclinée en trois sous-hypothèses qui vont guider notre démarche, à savoir :

Sous-hypothèse 1 :

Dans la région centrale de la Province de Santa Fe, au cours de la deuxième révolution agricole se consolide un SICA de base territoriale et régionale : un SRICA. Celui-ci connait une configuration innovatrice impulsée par l’Etat provincial et l’INTA, accompagnés par les groupes CREA et les systèmes d’extension de coopératives. Ce SRICA considérait le transfert de technologie comme le grand moyen de promotion de la croissance productive sectorielle et du développement des familles agricoles. Sa configuration donne aux agronomes de terrain une fonction centrale de médiateurs entre la recherche (essentiellement réalisée par les organismes publics régionaux) et les producteurs.

Sous-hypothèse 2 :

L’ouverture de l’économie argentine au cours des années 1990 favorise l’émergence d’une « nouvelle agriculture », basée sur un paquet technique promu par des acteurs entrepreneuriaux et développant de bonnes relations en amont et en aval avec la filière exportatrice, et qui dominent rapidement l’espace agricole. Celle-ci transforme les systèmes productifs, les acteurs et les territoires du Centre de la province de Santa Fe questionnant l’hégémonie du SRICA antérieur. Celui-ci connait fragmentations et différenciations, parmi celles-ci l’émergence d’un Système d’Information et de Connaissance lié aux Grandes Cultures (SICGC) promu par les entreprises fournisseuses d’intrants et les producteurs innovateurs, avec une logique multi territoriale qui met en question la fonction des agronomes de terrain.

Sous-hypothèse 3 :

Les agronomes de terrain, acteurs centraux dans la configuration innovatrice du SRICA antérieur, sont conscients de l’affaiblissement de leur fonction professionnelle dans les SICGC actuels et cherchent à maintenir leur place à partir de la maitrise des nouveaux problèmes techniques qui émergent du fait des externalités négatives de la nouvelle agriculture.

Le fil conducteur de la démarche : de la rupture épistémologique à la redécouverte du terrain Cette démarche peut se décrire comme un processus d’allers et retours constants entre le terrain (en Argentine) et le laboratoire (en France) ; et entre l’intervention (le rôle à l’intérieur du RiiA) et la réflexion (cette thèse) ; en construisant un chemin dialectique de formation pour et par la recherche. Comment prendre une attitude de chercheur lorsqu’on est « partie prenante »? Comment relire, en tant que chercheur, un terrain parcouru d’innombrables fois en tant qu’habitant et en tant qu’agronome ? Nous avons pris un chemin inductif qui a comporté trois étapes de « terrain » séparées par des moments d’étude et de réflexion distantes.

Ainsi, pour mener à bien cette recherche nous avons mis en œuvre un ensemble d’outils méthodologiques mobilisant des sources d’information primaire et secondaire. Il s’agit notamment de l’« entretien centré », l’« entretien semi directif » (Quivy et al. 1988 ; p : 185) et l’observation.

Nous avons privilégié l’entretien centré sur le « récit des pratiques professionnelles des

agronomes ». Sur une base d’entretiens de type exploratoire, nous nous sommes concentrés progressivement sur nos hypothèses de travail. L’analyse du contenu de ces entretiens nous a permis de mettre à l’épreuve de nouvelles hypothèses. Ce type d’entretien avait pour but le recueil des expériences, des représentations, des systèmes de valeurs, des repères, des interprétations des situations conflictuelles, et des lectures que font les acteurs des pratiques des agronomes correspondant aux différents profils professionnels présents dans notre région d’étude. A partir d’une question ouverte « Pourriez-vous nous raconter votre histoire professionnelle et les principaux défis

qui se sont présentés au cours de votre carrière », nous avons repérés des thèmes en relation avec nos hypothèses, mais dans certains cas nous avons posé des questions directement sur ces thèmes si ceux-ci n’étaient pas apparus au cours du récit. Ainsi nous avons tenté de recueillir l’explicitation des systèmes de relations professionnelles et la présentation des modes de construction des références techniques

De manière complémentaire, nous avons utilisé la même méthode pour enquêter les producteurs du Centre de la province de Santa Fe et certains en dehors de cette zone. Ces entretiens nous ont permis de mieux comprendre les changements du secteur agricole et, en conséquence, la transformation des attentes envers les « agronomes de terrain ». La question initiale a été

« Racontez-nous votre histoire personnelle en relation avec l’activité agricole et les principaux changements que vous avez vécu et qui ont transformé votre métier ». Dans le tableau n° 15 ; nous pouvons observer la liste des enquêtés précisant leur profession : producteurs ou agronomes ; avec mention du profil professionnel des agronomes, et nous avons aussi noté la date et le lieu de

l’entretien. Tous ces entretiens ont été enregistrés, retranscrits et analysés avec la méthode de l’Analyse du Contenu (Hernández Sampieri et al. 2008 ; p : 356).

L’entretien semi-directif a été très peu employé, uniquement pour recueillir certaines données afin de reconstruire des moments historiques ou des faits marquants, sur lesquels les enquêtés retournaient systématiquement et pour lesquels nous ne trouvions pas de documents écrits. Par exemple, dans le cas de la diffusion de la culture du soja dans la région d’étude et pour l’identification des acteurs clefs de cette diffusion.

Nous avons utilisé également l’observation directe, non comme une technique formelle, mais en mettant à profit notre participation à différentes réunions : réunions ordinaires et de bilan annuel des groupes CREA ; réunion d’organisation des activités et d’évaluation du RiiA. Certaines de ces réunions ont pu être enregistrées.

En ce qui concerne les sources secondaires, nous avons fait appel aux recensements et les statistiques de l’INDEC et de la SAGPyA (qui est depuis la fin 2009 le Ministère National de l’Agriculture). L’analyse de la trajectoire historique des acteurs dans le territoire basée sur la consultation des travaux des historiens ainsi que la lecture de matériaux d’archive, de rapports de projets et d’autres documents institutionnels, a permis de mieux comprendre les conditions de leur émergence et leur positionnement.

Pour comprendre les « territorialités » de nos acteurs et les facteurs (« innovations »), nous avons développé au cours de notre travail différentes échelles d’observation : l’espace local et régional et dans certains cas l’échelle nationale et mondiale. Toutes ces lectures se sont basée sur l’approche « soft système », qui a été une grande aide méthodologique pour avoir une perspective multi scalaire (aux échelles emboîtés), multi spatiale et multi temporelle.

Tableau nº 15 : Liste d’enquêtes réalisées Profession et/ou Profil professionnel (pour les

agronomes) Moment de l'entretien Lieux de réalisation Appatenance à la région Relation avec RiiA

1 Technico-commercial employé d'une coopérative oct-05 Videla Oui Oui

2 Extensionista de l'INTA oct-05 San Justo Oui Oui

3 Chercheur de l'INTA nov-05 Rafaela Oui Oui

4 Enseignant-chercheur de la Faculté nov-05 Esperanza Oui Oui 5 Ancien fonctionnaire du Ministère nov-05 Santa Fe Oui Non 6 Conseiller d'entreprise CREA nov-05 Esperanza Oui Oui 7 Conseiller d'entreprise et associé d'en cabinet nov-05 Villa Trinidad Oui Oui 8 Technico-commercial employée d'une coopérative nov-05 Humboldt Oui Oui 9 Technico-commercial employé d'une agronomie nov-05 Franck Oui Oui 10 Technico-commercial employé d'une coopérative nov-05 San Justo Oui Oui 11 Technico-commercial associé d'une agronomie nov-05 San Justo Oui Oui 12 Technico-commercial propriètaire d'une agronomie déc-05 Rafaela Oui Non

13 Extensionista de l'INTA déc-05 Esperanza Oui Non

14 Technico-commercial employé d'une agronomie déc-05 V.Trinidad Oui Non 15 Technico-commercial employé d'une coopérative déc-05 Emilia Oui Oui 16 Technico-commercial employé d'une agronomie déc-05 Esperanza Oui Oui 17 Technico-commercial employé d'une coopérative déc-05 Emilia Oui Oui 18 Technico-commercial employé d'une agronomie déc-05 Esperanza Oui Oui 19 Conseiller d'entreprise - ancien conseiller CREA sept-06 Santa Fe Oui Non 20 Producteur membre CREA et associé de l'AAPRESID sept-06 San Justo Oui Oui

21 Producteur sept-06 San Justo Oui Non

22 Producteur membre CREA et associé de l'AAPRESID sept-06 M. Escalada Oui Oui

23 Producteur sept-06 Videla Oui Non

24 Producteur (seconde profession) sept-06 San Justo Oui Non 25 Ancien extensionista de l'INTA sept-06 Rafaela Oui Non 26 Conseiller d'entreprise mai-07 San Vicente Non Non

27 Producteur mai-07 San Vicente Non Non

28 Producteur (seconde profession) mai-07 San Vicente Non Non

29 Producteur mai-07 San Vicente Non Non

30 Technologue Privé. Actuel président d'ACSOJA mai-07 Rosario Non Non 31 Fonctionnaire de l'INTA. Directeur Régional mai-07 Rafaela Oui Oui 32 Enseignant-chercheur de la Faculté mai-07 Esperanza Oui Oui 33 Conseiller d'entreprise. Ancien coordinateur AACREA juin-07 Buenos Aires Non Non 34 Producteur. Ex Président d'AAPRESID juin-07 Rosario Non Non 35 Agronome appartenant à l'equipe de l'AAPRESID juil-07 Rosario Non Non 36 Technico-commercial propriètaire d'une agronomie oct-07 San Justo Oui Oui

37 Producteur oct-07 San Justo Oui Non

Partie II

Les révolutions agricoles dans le Centre de la province de Santa Fe :

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