• Aucun résultat trouvé

Quelques outils théoriques pour comprendre la relation entre agronomes, systèmes de connaissance et territoires

2. L'approche en termes de « Systèmes d'Information et de Connaissance » et la situation des agronomes de terrain dans les scenarios d’innovation

2.3. Les modèles de l’innovation agricole

Après la Seconde Guerre Mondiale et dans un contexte international dominé par la pensée développementiste, les États latino-américains ont favorisé des politiques d’intervention dans le milieu rural et agricole, avec l’intention d’augmenter la production et la productivité pour générer des excédents économiques capables de financer l’industrialisation de ces pays. À cette époque, ces mesures avaient aussi l’intention d’améliorer la qualité de vie des populations rurales (du moins dans les discours). Ces politiques se sont institutionnalisées à partir de la mise en place des organismes publics chargés de la recherche et de l’extensión agricole dans tout le continent15 et, en Argentine, principalement avec la création de l’INTA en 1956.

15 Les dates de création des organismes publics de recherche et d’extensión agricole en Amérique latine sont : au Pérou, 1943 ; au Venezuela, 1946 ; en Bolivie et au Brésil, 1948 ; au Paraguay, 1951 ; en Colombie et en Équateur, 1954 ; et, en Argentine, en Uruguay et au Chili, 1956.

Figure n° 2 : Les configurations innovatrices des S ICA et les fonctions assignées aux agronomes de terrain au long du temps

Cet Institut, selon C. Fernandez Alsina et al. (1992 ; p : 3), a promu différents modèles pour mener à bien l’adoption des technologies par les agriculteurs. Ces modèles sont : l’approche «

Top-Down » 16 au cours des années 1950 et 1960; l’approche « Top-Down modifiée » au cours des années 1970 et 1980, qui reconnaît quelques degrés de « feed-bag » ; et la « recherche sur les systèmes de production/expérimentation », connue aussi sous le nom « d’expérimentation adaptative » à la fin des années 1980. Ces trois modèles, comme nous le verrons peuvent être analysés comme faisant partie du « modèle de l’impulsion technologique » (Engel, 1997 ; p : 96).

2.3.1. Les modèles de l’impulsion technologique

Le modèle « Top-Down » est basé sur la diffusion des résultats de la recherche grâce à une organisation en réseau fonctionnant du haut (la recherche) vers le bas (les agriculteurs). En gros, ce modèle se caractérise donc par des efforts importants de recherche à la découverte des technologies permettant d’accroître la productivité et à la définition, dans les stations expérimentales, de paquets techniques qui sont ensuite diffusés par les services d’extensión agricole (figure nº 3).

Il s’est imposé aussi dans l’industrie où il est connu sous le nom de « modèle traditionnel de

l’innovation» (Gaffard, 1991 ; p : 399). Il se caractérise comme un modèle linéaire où le processus d’innovation « est une succession bien ordonnée, suivant l’axe du temps, de phases de recherche, de

16 Nommé en Argentine aussi comme « transfert des technologies ».

Espace Temps Fonction 2 aux agronomes de terrain Fonction 3 aux agronomes de terrain Espace SICA Configuration innovatrice 2 SICA Configuration innovatrice 3 SICA Configuration innovatrice 1

recherche-développement, d’ingénierie, de production et de vente, sans qu’il existe entre elles de rétroactions significatives ».

En revenant à l’agriculture, ce modèle a aussi été largement dominant dans la

recherche-extensión anglo-saxonne qui a influencé les méthodes utilisées par l’INTA car nombre de chercheur de cet organisme ont été formé aux Etats Unis (Alemany, 2003, Carballo Gonzáles, 2006, Barrientos, 2009).

L’« expérimentation adaptative » mérite un paragraphe spécial. Selon les documents institutionnels auxquels nous avons eu accès17, le modèle « Top-Down » n’est pas remis en cause mais simplement amendé afin d’en améliorer la diffusion. La recherche est menée exclusivement en stations et ses résultats sont diffusés à l’extérieur. Les seuls perfectionnements concernent les conditions de cette diffusion après des tests et d’éventuelles modifications.

Ainsi, le modèle « Top-Down » tout comme l’expérimentation adaptative, a laissé peu de marge de manœuvre aux agronomes de terrain. En effet, ces derniers étaient chargés de « convaincre » les agriculteurs du bien-fondé de l’adoption des techniques agricoles développés par la recherche internationale et adaptés par les organismes nationaux de recherche et de développement.

Par conséquent, la plupart des agronomes en relation avec des organismes économiques privés, plus nombreux à partir des années 1970 et 1980, ont construit leur métier en s’appuyant sur les références techniques issues des stations expérimentales régionales ou des facultés d’agronomie ou de sciences agraires, de plus en plus présentes dans l’espace régional. En outre, la plupart des enseignants-chercheurs des universités ont développé des travaux de recherche en coopération avec les stations expérimentales de l’INTA.

Notons, enfin que ces modèles de l’impulsion technologique se sont imposés dans la grande région pampéenne, au moins jusqu’au 2003, et qu’ils se sont développés par l’intermédiaire des organismes publics de recherche et d’extensión agricole. En revanche, dans les espaces extra-pampéens, les conditions socio-économiques de la population agricole, la majorité disposant de peu de ressources, ont amené les organismes publics et privés (ONG), depuis les années 1970, à la mise en œuvre de stratégies, quelques fois très novatrices, pour faire face aux problèmes de l’agriculture et des agriculteurs locaux.

Figure n° 3 : Le modèle de l’impulsion technologiqu e

2.3.2. Le modèle du développement technologique

Ce modèle est « caractérisé par des effets en retour des phases d’aval sur les phases

d’amont ainsi que par l’interaction entre la science et le processus d’innovation dans chacune des phases de celui-ci » (Gaffard, 1991 ; p : 401). Il est qualifié de modèle de liaison en chaîne (S Kline et N Rosenberg, 1986, cité par l’auteur), lequel peut être traduit par les propositions suivantes :

• Il existe une intégration verticale des phases de recherche, puis de développement et enfin de marché (cette dernière phase renvoie aux utilisateurs). Cette intégration implique des échanges croisés d’informations et de compétences dont la récurrence et la spécificité exigent la mise en œuvre de relations stables entre les différents acteurs concernés ;

• Une source importante de l’innovation est constituée par l’activité des utilisateurs dont l’expérience accumulée commande non seulement les améliorations technologiques mais aussi les avancées scientifiques et contribue à poser de nouveaux problèmes dans l’ordre de la recherche fondamentale ;

• Enfin, il existe une tendance à la domination par l’amont scientifique de l’ensemble du savoir-faire technologique et industriel.

Dans ce modèle (figure nº 4), selon Gaffard, la fonction et la manière d’agir de la recherche scientifique publique se transforment. Pour ce qui est de la fonction, la recherche scientifique publique

«doit s’intégrer dans un processus complexe d’interactions génératrices de nouveaux problèmes, de nouveaux domaines d’activité et de nouvelles compétences y compris au niveau de la recherche fondamentale. Cela signifie que cette recherche suppose des relations stables avec des partenaires dans l’industrie, et, simultanément, la pluridisciplinarité » (p : 402). En ce qui concerne la manière

Recherche Scientifique Développement technologique Transferts de technologies Adoption des agriculteurs Espace de travail des agronomes de terrain

d’agir, le choix des programmes de recherche publics et leur évaluation se pose dans des termes complètement différents : « le choix n’est plus un choix public pur fixé sur la base d’une fonction

d’utilité collective plus ou moins explicite, mais un choix qui procède d’une coopération entre des acteurs publics et des acteurs privés » (p : 403).

Ce modèle pratiqué dans le secteur industriel international demeure éloigné du contexte agricole argentin. Néanmoins, comme cela est expliqué dans le chapitre IV et V, il a commencé à être utilisé par la recherche privée (liée à l’agro-industrie) ou par des organisations d’agriculteurs comme l’Association Argentine de Producteurs de Semis Direct (AAPRESID) ou les groupes CREA.

Le modèle du développement technologique semble demander aux agronomes de terrain de jouer une fonction plus active et d’élargir leurs compétences. En effet, ils doivent mettre en œuvre une vision systémique du problème agricole et convoquer des acteurs (publics et privés) capables de chercher des solutions. Par ailleurs, ils sont chargés d’intéresser aux problèmes des agriculteurs et ils doivent être disposés à travailler de manière pluridisciplinaire.

Pour conclure la deuxième partie de ce chapitre, nous posons le concept méthodologique de Système Régional d’Information et Connaissance Agricole (SRICA). Il vise à analyser les configurations innovatrices et leurs transformations au cours du temps et dans notre espace d’étude. Ces configurations peuvent changer du fait de l’évolution des leaderships et, par conséquent, modifier les manières de concevoir l’innovation. Ces configurations octroient différentes fonctions aux agronomes de terrain qui tantôt sont acteurs du transfert de technologie (dans le modèle de l’impulsion technologique) et tantôt sont co-constructeurs de la connaissance (dans le modèle du développement technologique).

En outre, les tâches des agronomes, étant données les caractéristiques de la discipline, sont hautement influencées par les particularités de l’espace où ils développent leur profession et qui peut aussi constituer leur espace de vie. Pour cette raison, et avec l’intention de mieux comprendre la relation entre agronomes, technologie (compris comme l’outil principal d’action des agronomes), système de connaissances et territoire, nous allons maintenant mobiliser la géographie sociale, qui est le fondement théorique de ce travail.

Figure n° 4 : Le modèle du développement technologi que

Source : (adaptation de Gaffard, 1991 ; p : 402)

Outline

Documents relatifs