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La Deuxième Révolution Agricole et la consolidation d’un SRICA territorialisé et basé sur des agronomes de terrain au Centre de la province de Santa Fe

1.2. La diffusion territorialisée des technologies agricoles

1.2.2. La mécanisation et la motorisation agricole

L'incorporation de machines, et tout spécialement le tracteur, est l’une des grandes perturbations qu’a connu le système de travail et de connaissances de l'agriculteur de l'époque. Ce nouvel équipement, qui est massivement diffusé grâce à un rôle actif de l'État national, permet d'augmenter considérablement l'échelle de travail et d’accélérer les rythmes de réalisation des tâches. Aussi les machines ont facilité la concentration du travail agricole dans le temps, elles ont amélioré l'efficience des pratiques et ont libéré du temps pour l'agriculteur, qui se traduira dans des changements de style de vie. Le tracteur en particulier deviendra un symbole de statut et la représentation sociale dominante de l'« agriculteur moderne ».

Nous nous concentrerons sur le processus de mécanisation et de motorisation, pour nous en étudier par la suite (point 1.3 de ce chapitre) les changements sociaux induits. Il est nécessaire de clarifier que nous considérons séparément le cas des tracteurs de celui des moissonneuses-batteuses et de celui du reste du matériel agricole.

En ce qui concerne les tracteurs et jusqu'en 1952, ceux-ci étaient importés. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, le retard relatif de leur utilisation a été l’une des conséquences de la crise du secteur externe, durant les années de la Seconde Guerre Mondiale et du boycott réalisé par les Etats-Unis. C’est ainsi que, selon Gaignard (1979 ; p : 670), en 1955 « dans l’espace

pampéen, les chiffres donnent encore un taux de 10 000 ha/tracteur, dont la moitié de plus de 30 CV ».

Pendant la période analysée, il se produit la substitution de la traction animale par la traction mécanique, à travers une politique active de l’Etat durant au moins deux décennies. Cette politique se basait sur trois groupes de mesures principales (Huici, 1988 ; p : 143) :

• La participation directe de l'État dans la fabrication, par le biais de l'entreprise étatique DINFIA (1952-1962) avec technologie Fiat. Cette participation a cessé une fois que l’Etat a considéré qu’il avait rempli son objectif et que des usines de filiales étrangères installées en Argentine fournissaient des tracteurs en quantité et qualité suffisantes.

• La promotion directe à l'industrie privée qui comprenait, parmi d’autres mesures, l'exonération des impôts à l'importation des matières premières et équipements nécessaires à la fabrication du matériel agricole, l’octroi de primes à la production et, l’exonération d'impôts à la vente ainsi que des restrictions à l'importation de tracteurs,.

• La subvention indirecte à l'achat de tracteurs, à travers des dégrèvements fiscaux71 et des crédits de long terme à des taux réels négatifs (entre 1963 et 1977).

La croissance interne de la demande de tracteurs (non seulement en nombre d'unités, mais en puissance par unité – tableau nº 17), s'inscrit dans un contexte externe caractérisé par une forte expansion des investissements privés américains et européens dans le monde entier ; et en Amérique Latine notamment en Argentine, au Brésil et au Mexique. Il s’est ainsi produit « un lien

opérationnel entre les besoins d'industrialisation des pays les moins développés et la tendance à la transnationalisation du capital, l'État agissant en tant qu’articulateur des deux processus, à travers des politiques protectionnistes de l'industrie et de l'investissement étranger » (Obschatko et al. 1986 ; p : 18, nous traduisons).

Ainsi, sept usines de tracteurs (de capitaux publics, nationaux et internationaux) s’installent dans la grande région pampéenne en moins d'une décennie et en association avec des acteurs locaux, comme c’est le cas de la Cantabrica, Cura, etc. (encadré nº 8). Ces dernières ont tendu un vaste réseau de concessionnaires dans les principales villes agricoles parfois simplement en étendant les activités des anciens « almácenes de ramos generales ».

Pour illustrer l'expansion du tracteur, en citant Tort et Mendizábal (1966 et mise à jour postérieures ; p : 98) pour le cas de la province de Santa Fe, la surface par tracteur (ha/tracteur) est passée de 2 427 ha/tracteur en 1937 ; à 539 ha/tracteur en 1960 et 347 ha/tracteur ha/tracteur en 1969.

La technologie de production des tracteurs en Argentine a été principalement étrangère, et les entreprises productrices ont conçu les modèles produits dans leurs maisons mères. Cela commence à être différent à partir de l’arrivée de Zanello. Bien que l’entreprise nationale n’ait pas « inventé » son tracteur, elle le conçoit quand même à travers un processus successif d’ajustements et de modifications de modèles américains des années 1970, en fournissant un produit avec de notables différences par rapport aux modèles existants sur le marché (Obschatko et al. 1986 ; p : 20). En conclusion, l'État a promu la production en laissant aux entreprises la charge de l’innovation et n’a pas priorisé, à travers sa politique, le développement technologique.

71 Les dégrèvements pour l'impôt sur les bénéfices réinvestis en équipe fixe par exploitation, sont arrivés jusqu'à 100% de la valeur des machines entre 1955 et 1973 (Obschatko et al. 1986 ; p : 17).

Encadré nº 8 : L'installation des usines de tracteurs en Argentine

En 1953, les Industries Aéronautiques et Mécaniques de l'État Fédéral (IAME) avec l'assistance technique de Fiat, installent la première usine (DINFIA) dans la ville de Estación Ferreyra (province de Córdoba), et commencent à produire le tracteur « Pampa », de 55 CV, inspiré d’un modèle allemand de 1930, raison pour laquelle on pouvait dire qu’il était obsolète avant même d’avoir été produit et dont l’utilisation présentait beaucoup de problèmes.

En 1954 l'État fait un appel d'offres international et permet l’installation des quatre entreprises : Deutz, Fahr et Hanomag (toutes de capital allemand) et Fiat (italienne), qui collaborait déjà avec IAME. Cette même année, l’usine de DINFIA est livrée entièrement à l'entreprise Fiat, à travers la création de Fiat-Someca Constructions Córdoba (qui deviendra plus tard Fiat-Concord). Celle-ci produisant le fameux Pampa et aussi d'autres modèles de Fiat (entre eux le Someca). Les autres industries, pendant les premières années, se sont plus consacrées au simple assemblage d'unités à partir de pièces importées (Giberti, 1966 ; cité par Bil, 2009 ; p : 48). En 1966, l'usine de Fiat est transférée dans la ville de Sauce Viejo (province de Santa Fe).

En 1958 deux usines s’installent à Granadero Baigorria (province de Santa Fe) : John Deere (USA) en association avec Agar Cross (firme qui avait été son représentant en Argentine pendant plusieurs décennies) et et Reinstahl Hanomag Cura SA (Allemagne) en collaboration avec le chef d'entreprise argentin Cura. Cette dernière est finalement rachetée par Massey Ferguson en 1969 (d'origine canadienne), qui a procédé à sa restructuration et commencé à produire ses propres tracteurs en 1971.

En 1959, apparaît DECA à partir de la fusion de l'entreprise nationale Cantabrica S.A et Klockner-Humboldt-Deutz (Allemagne), dans la localité de Morón (province de Buenos Aires). Fahr, d'origine allemande, s’est aussi installé en 1958, mais il cesse de fonctionner rapidement et en 1967 il fusionne avec Deutz. Ensemble, ils produisent les tracteurs Deuz-Fahr à partir de 1967 (Tort et Mendizábal, 1966 et mises à jour postérieures).

En 1961, s’installe RyCSA SA (à partir de capitaux nationaux et la technologie de CASE - USA). Après peu de temps l’Etat a retiré à la licence à ce groupe pour ne pas avoir rempli les obligations contractuelles.

Au début des années 1980, une entreprise de capital national, Zanello (Las Varillas, province de Córdoba), commence à croître en déplaçant du marché les industries traditionnelles de filiales étrangères, autrement dit à Deuz-Fahr, John Deere, Fiat et Massey Ferguson (Huici, 1988 ; p : 150-151).

Pour ce qui est des moissonneuses-batteuses, l'industrie nationale démarre dans la première moitié du XXe siècle sur la base d’un capital national72. La récolte mécanique se généralise dans la région pampéenne vers 1960. Il est intéressant de souligner que l'entreprise Rotania (Sunchales, province de Santa Fe) a produit en 1929 la première moissonneuse-batteuse motorisée au monde (Bil, 2009 ; p : 33) (brevets argentins d'invention nº 32 397 et 35 472). En 1985 on comptait 15 usines, dont trois concentraient 73 % du marché (Vassali, Bernardín et Gema), tandis que les filiales d'entreprises étrangères consacrées à la fabrication de tracteurs effectuaient des importations sporadiques de ces engins (Fiat, John Deere, Deuz, Massey Ferguson et New Holland) (tableau n° 17), (Huici, 1988, p : 152).

Tableau nº 17 : Evolution des ventes de tracteurs et moissonneuses Potentia

Années Prod National Importés Moyenne CV Prod National Importées

1960 13179 212 48,1 2298 18 1961 16784 263 48,1 3205 109 1962 11223 146 49,3 1998 63 1963 12134 104 51,6 2409 9 1964 15071 592 50,3 2690 38 1965 13737 363 46,1 2153 25 1966 9943 186 52,4 1890 2 1967 10554 403 50,1 1560 2 1968 10992 322 56,1 1375 1969 9439 511 57,8 1521 3 1970 11005 308 60,9 1384 1971 13749 56 63,9 1157 1972 14156 0 64,5 1068 1973 18782 0 64,4 1443 1974 20677 0 63,7 1633 3 1975 15245 0 67,7 1427 1976 21142 0 75,0 2150 1977 22087 0 76,0 2332 17 1978 6435 0 79,4 2058 66 1979 7353 1034 79,9 1686 76 1980 3731 1481 66,4 506 246 1981 1680 1547 91,9 312 44 1982 3627 780 101,5 1349 108 1983 9064 101 105,7 1868 108 1984 12781 135 106,7 1778 28 1985 5597 86 104,2 872 3

Source: Tort et al. (1966); Hiuci (1988).

Vents des Moissonneuses Vents des tracteurs

72 Bien qu'étant installée dans la décennie de 1950, il a reçu une législation protectionniste semblable à celle indiquée pour le cas des tracteurs. Dans la période d’analysée commencent à être enregistrées des importations avec l'ouverture de l'économie, soit à partir de 1977 (Huici, 1988).

Dans cette catégorie de matériel, l'innovation technologique a présenté des caractéristiques propres (étant donné l'origine du capital et un manque d'accès direct à la recherche des pays développés). Cette innovation est le produit d'un processus lent mais continu de recherche adaptative, sur la base des modèles étrangers et des apports propres des ingénieurs nationaux. La plupart des industries se concentrent dans les provinces de Santa Fe et Córdoba.

La fabrication des autres types de matériel agricole, comme nous l’avons vu, date de la fin du XIXe siècle (chapitre II, point 3.1). Dans certains cas ponctuels, les premiers producteurs ont été des entreprises étrangères qui ont été progressivement retirées du marché. Ce secteur était à la fin de 1980 très atomisé, représenté par quatre cent entreprises, la majorité de type familial, occupant en général plus de six employés. Parmi ces entreprises, quinze d’entre elles produisent 38% de la valeur totale du matériel agricole fabriqué dans le pays (Huici, 1988, p : 142). Comme dans le cas des moissonneuses-batteuses, les usines se concentrent géographiquement dans les provinces de Santa Fe, Córdoba et Buenos Aires. Dans la première de ces provinces, la plus grande densité d’usines se présente dans trois villes proches : Amstrong, Las Parejas y Las Rosas.

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