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Quelques éléments du contexte : instabilité politique et propositions modernisatrices contradictoires

La Deuxième Révolution Agricole et la consolidation d’un SRICA territorialisé et basé sur des agronomes de terrain au Centre de la province de Santa Fe

1.1. Quelques éléments du contexte : instabilité politique et propositions modernisatrices contradictoires

Au cours des trente-cinq années de construction territoriale que nous analysons dans ce chapitre, l'Argentine a vécu des moments très instables du point de vue politique et économique. Deux modèles de développement et deux visions de pays se sont disputé le pouvoir politique. D'une part « le mouvement péroniste » qui, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, basait sa stratégie sur une forte intervention dans l'économie, et promouvait le développement du secteur industriel à travers des ressources provenant du secteur agricole (par l'application de taxes à l'exportation), et avec lui, la redistribution vers la classe des travailleurs et le secteur public. L’autre option était le libéralisme conservateur, représentant l'élite dominante de l'« Argentine agro-exportatrice », promoteur du libre commerce et de la minime intervention de l'État. Au milieu de ces deux courants, se trouvait une série de propositions hétérodoxes (dont le radicalisme64) qui trouveront refuge pendant une période dans la pensée « développementiste ».

Nous considérons comme point de départ le Coup d'État qui fini avec le second gouvernement Juan Domingo Perón et qui coïncide avec une période « développementiste », jusqu'en 197665. Au cours de cette dernière année, étant donné une nouvelle interruption du processus démocratique, il se produit un autre changement dans le modèle économique, et en particulier le retour des politiques néolibérales, qui seront encore plus renforcées à partir de la décennie 1990. En 1983, le retour de la démocratie, s’accompagne d’une tentative de retour aux modèles hétérodoxes. Bien que le gouvernement de Raúl Alfonsín ait consolidé le système de

64 L'Union Civique Radicale, connue aussi sous le nom de « radicalisme », est l’un des plus anciens partis politiques actuels de l’Argentine (elle apparaît en 1892). Selon Di Tella et al. (1989, p : 503), depuis son origine sa base sociale est variée : « jeune oligarchie de Buenos Aires, professions libérales, immigrants et dans une

moindre mesure, travailleurs ». Il est l’un des deux partis majoritaires de l'Argentine, de type social démocratique, qui s'est historiquement caractérisé par le respect des institutions.

65 Certains auteurs indiquent 1973 comme la fin de la période tandis que d'autres la situent en 1976. Nous choisissons la seconde date, étant donné les changements politiques et institutionnels qui sont produits en Argentine, et qui se sont répercutés avec plus d'intensité sur la tâche d’extensión de l'INTA et par conséquent sur notre problématique.

gouvernement démocratique jusqu'à nos jours, les mesures prises en matière économique n'ont pas été une réussite pour l'économie nationale et pour le secteur agricole en particulier.

Une donnée irréfutable de cette oscillation politique est qu’entre 1956 et 1991, 17 présidents se sont succédé et qu’aucun gouvernement démocratique n'a pu finir son mandat (tableau nº 16).

Par la suite, nous analyserons quelques particularités de chaque modèle politico-économique mentionné, en soulignant celles de plus grande importance pour les territoires agricoles de notre région d’étude.

Tableau nº 16 : La succession des présidents argentins entre 1955 et 1991

Periode Président Type Politique vers le secteur agricole pampén

1946-1952/1952-1955 Juan D. PERON Democratique

Bas prix à la vente de la production agricole, politique d'appui aux travailleurs agricoles et petits agriculteurs, fermier et metayers. Fort transfert de ressources

vers d'autres secteurs économiques 1955 Eduardo LONARDI Militaire

1955-1958 Pedro ARAMBURU Militaire 1958-1962 Arturo FRONDIZI Democratique

1962-1963 José M. GUIDO Provisionnel - Vicepresident de FRONDIZI 1963-1966 Arturo ILLIA Democratique

1966-1970 Juan C. ONGANIA Militaire 1970-1971 Roberto LEVINGSTON Militaire 1971-1973 Alejandro LANUSSE Militaire

1973 Héctor CAMPORA Democratique - Demicionne

1973 Raúl LASTIRI Provisoire

1973-1974 Juan D. PERON Democratique

1974-1976 Maria E. M. de PERON Vice-président democratique 1976-1981 Jorge VIDELA Militaire

1981 Roberto VIOLA Militaire

1981-1982 Leopoldo GALTIERI Militaire 1982-1983 Reynaldo BIGNONE Militaire 1983-1989 Raúl ALFONSIN Democratique

Bas prix à la vente de la production agricole pampéenne, fort transfert de

ressources vers des autres secteurs économiques

1989-1995/1995-1999 Carlos MENEM Democratique

Elimination de taxes à l'exportation de la production e importation des biens

technologiques; elimination des organismes de régulation du secteur Politiques contradictoires de style libéral Promotion du secteur agricole : politique de croissance économique avec un rôle

actif de l'Etat dans la provision de technologie et crédit agricole. Croissance

et développement des economies pampéennes et régionales

Bas prix à la production agricole pampéenne, fort transfert de ressources

1.1.1. Les idées « développementistes » (1956-1976) : fer de lance d'une révolution agricole territorialisée

Le « développementisme » est une théorie économique d'origine latino-américaine relative au développement, laquelle soutient que : « la détérioration des termes d'échange dans le commerce

international, avec un schéma centre industriel-périphérie agricole, reproduit le sous-développement et agrandi la brèche entre les pays développés et les pays qui ne le sont pas » (Di Tella et al. 1989, p : 72). En conséquence pour sortir de cette situation, les pays sous-développés devraient avoir des États actifs avec des politiques économiques promouvant l’industrialisation afin d’atteindre une croissance autonome. Cette pensée interroge la théorie classique du commerce international, soutenue par le principe des avantages comparatifs, pour souligner le phénomène de la détérioration des termes de l'échange et les transferts de valeur entre des pays que cela implique, à faveur des pays industrialisés au désavantage des pays d’économies basées sur le secteur primaire et exportateur.

Ces idées ont été mises en œuvre par plusieurs pays latino-américains après la Seconde Guerre Mondiale. Un de ses principaux référents a été Raúl Prebisch, un économiste argentin Secrétaire Général de la CEPAL66 entre 1950 et 1963. A la commande du gouvernement militaire d'Aramburu, il écrit un rapport (connu sous le nom de « Rapport Prebisch » - encadré n° 7), dans lequel on peut trouver, à partir d’un diagnostic des faiblesses de l’agriculture argentine, un ensemble de propositions qui seront utilisées comme bases d’un programme pour le secteur agricole.

Au cours de ces années l'économie argentine a connu une crise permanente de son secteur d’exportations et s’est trouvée à plusieurs reprises sur le point d'épuiser ses maigres réserves de devises, comme le résume Sábato (1979 ; p : 6): « les crises successives de la balance des

paiements ont conduit les gouvernements à mettre en place des dévaluations qui, en plus de freiner les importations, augmentaient les prix internes des aliments et libéraient des biens pour les exportations. Ceci, à son tour, déchaînait des tensions sociales et politiques qui se terminaient par une hausse des salaires destinée à retrouver le niveau de vie précédent, et c’est ainsi que recommençait le cycle ».

Cependant, les politiques publiques de cette époque ont permis la croissance de la production pampéenne grâce au changement technologique. Sábato (1979 ; p : 11) souligne à ce sujet deux aspects : en premier lieu « tous les gouvernements ont pratiquement été plus préoccupés

et actifs pour promouvoir le changement technologique dans le secteur que les producteurs pampéens eux-mêmes » ; mais également il souligne « la discontinuité des politiques suivies par

différents gouvernements voire par le même gouvernement ». Ainsi, par exemple, on a essayé les régimes de prix les plus variés, depuis leur fixation par décret jusqu'à une liberté de marché la plus absolue, parfois pour certains produits et parfois pour tous en général. Tandis qu'en matière de

66 La CEPAL (Commission Économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes) est l'organisme dépendant de l’Organisation des Nations Unies responsable de promouvoir le développement économique et social de la

commercialisation et de politique fiscale, se sont aussi produits des changements de régimes presqu'opposés, parfois avec une rapidité surprenante.

Encadré nº 7 : Le rapport Prebisch Les principales propositions étaient (Barsky et al. 2001 ; p : 332) :

1. Établir des relations de prix favorables pour les produits agricoles.

2. Construire des silos et des élévateurs de campagne et doter les chemins de fer d'éléments pour le transport en vrac, afin de réduire les importations de toile de jute et de baisser les coûts de production.

3. Améliorer la voirie rurale, spécialement les accès aux chemins principaux et aux gares de chemin de fer.

4. Créer un institut de recherche et diffusion technologique qui propage les pratiques développées dans le pays et à l'extérieur.

5. Stimuler la production des machines agricoles et l'importation de ce qui n'est pas produit dans le pays.

6. Stimuler la production d’engrais, de pesticides et des semences améliorées de céréales oléo protéagineux et plantes fourragères.

7. Restructurer le marché national des viandes en distribuant les bénéfices d'élevage entre tous participant de la filière.

8. Encourager l'exportation des viandes et des sous-produits aux marchés traditionnels et aux marchés nouveaux et pour cela, stimuler la standardisation des viandes.

1.1.2. L'ouverture brusque de l'économie (1976-1983) : les origines d’une nouvelle révolution agricole

La politique du régime militaire qui est arrivé au pouvoir en 1976 a altéré sensiblement le fonctionnement de l'économie argentine, à travers une libéralisation généralisée de tous les marchés (sauf celui du travail) et une ouverture économique à l'extérieur. Comme l'expliquent Barsky et al. (2001; p : 361), « il s'agissait d'articuler une politique de stabilisation interne basée sur une forte

baisse des salaires réels, la restriction de l'offre monétaire et l’augmentation des importations ; avec une politique d'ouverture externe qui était censée permettre au secteur agricole exportateur et aux branches industrielles disposant d’avantages comparatifs de s'insérer sur des marchés de plus grande taille ». Pour le secteur agricole pampéen, soudainement exempté de taxes aux exportations, stimulé par une dévaluation et soutenu par des crédits, cela a été une période très favorable qui s’est rapidement traduite par une augmentation des investissements et de la production (figure nº 12, point 1.2 de ce chapitre).

Mais, fin 1978, le gouvernement a établi un système de fixation du taux de change qui a provoqué un retard de la parité d’échange, accompagné par une réduction générale des taxes à l'importation. Ces mesures ont provoqué une crise de l'industrie fournissant le marché interne (et notamment celle du matériel agricole). Parallèlement, la croissance de la dette externe a provoqué un déficit chronique de la balance des paiements qui a conduit à l'échec des tentatives de restructuration de l'économie.

En conséquence, après un début prometteur, le bilan de cette période pour l'agriculture pampéenne a été négatif du fait de la réduction des subventions et l'élimination des crédits à taux négatifs, ceci face à une concurrence internationale croissante et des conditions générales défavorables, puisque, l'ouverture de l'économie argentine a été effectuée de « façon mécanique et

sans discrimination » (Barsky et al. 2001 ; p : 362).

1.1.3. La transition démocratique (1983-1989) : un rendez-vous manqué avec l’agriculture pampéenne

Le gouvernement constitutionnel de 1983 a bénéficié initialement de hauts prix internationaux et de conditions climatiques favorables pour l'agriculture pampéenne, qui ont provoqué une récolte record en 1984/1985 (un résultat qui ne sera dépassé que neuf années plus tard avec la campagne 1993/1994). Mais la baisse des prix internationaux des produits agricole qui a suivi et le maintien de fortes taxes à l'exportation ont réduit les revenus des agriculteurs et produit un nouveau cycle de baisse de la production.

À ceci, s’est rajoutée l'instabilité propre à une transition entre l'ouverture de l'économie au cours de la période précédente et un retour à des politiques hétérodoxes comme l'Industrialisation pour la substitution d'importations. Ainsi que l'exprime Alemany (2003 ; p : 15), ces politiques ont été

« imprégnées de fortes tensions sectorielles distributives propres de la démocratie, avec des liens coupés de l'extérieur par la crise de la dette, et utilisant l'émission monétaire pour résoudre les demandes internes, ce qui stimulait une spirale d'inflation/dévaluation/déficit ».

De cette manière au cours des décennies 1970 et 1980, se sont succédées des politiques opposées sur les taxes aux exportations agricoles et des mouvements pendulaires de type de change, provoquant des prix oscillants pour les céréales et les oléagineux. Plus encore, les prix au niveau international étaient globalement peu favorables à l'activité agricole. Tout ceci doublé par la nécessité non satisfaite d'investissements à moyen et long terme (Barsky et al. 2001 ; p : 363). Toutefois, comme l'exprime Obschatko (1988) la croissance de la production a été possible du fait de l'augmentation de la productivité permise par le changement technique.

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