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Quelques outils théoriques pour comprendre la relation entre agronomes, systèmes de connaissance et territoires

2. L'approche en termes de « Systèmes d'Information et de Connaissance » et la situation des agronomes de terrain dans les scenarios d’innovation

2.2. Les configurations innovatrices de base

Cette diversité des acteurs et des intérêts à l’intérieur d’un SICA présente différentes modalités de fonctionnement. Engel (1997 ; p : 79 ; basé sur les apports de Mintzberg, 1983) appelle

« configurations innovatrices » aux patrons relativement stables de relations qui sont donnés entre les différents acteurs sociaux dans les scenarios complexes de l’innovation. Ces dernières seraient une structure de gestion convenue et construite socialement par un ensemble d'acteurs sociaux qui leur permettrait de prendre des décisions et d'agir de manière collective, c’est à dire un « système d’action concret » avec un degré important de coordination.

L’auteur identifie cinq types d'acteurs qui ont le pouvoir potentiel et les moyens d’exercer la direction et de coopter les autres en vue d’effectuer des efforts coordonnés : ceux qui représentent le marché, ceux qui formulent et mettent en œuvre les politiques de gouvernement, les agriculteurs et ses représentants, ceux qui se sont consacrés à la recherche et au développement et les agences de financement. Pour mieux comprendre le rôle de ces acteurs leaders qui agissent simultanément en distribuant ou en concentrant le pouvoir et en exerçant une influence sur les scènes de l'innovation agricole, Engel développe de manière hypothétique cinq types idéaux de configurations innovatrices : les configurations de base (p : 99-102). Dans ces dernières, le bilan du pouvoir s'incline vers un seul type d'acteur institutionnel.

2.2.1. Les configurations promues par l'industrie

Dans les configurations promues par l’industrie, l'innovation est soutenue par le marché. Par conséquent, les acteurs qui contrôlent la commercialisation et/ou l’industrialisation des produits agricoles conduisent l'innovation. Il s’agit des commerçants, des groupes de commercialisation, des agro-industries et, parfois, des organisations de consommateurs.

Pour répondre aux exigences de l’industrie de transformation et des consommateurs, le conseil aux agriculteurs vise à créer un produit adapté aux standards du marché national et/ou international. La recherche s’organise alors en programmes par produit ou filière de manière à

développer des « paquets technologiques » adéquats. Bien qu'il existe des accords technologiques assez efficaces avec des agences de recherche et d’extensión, les firmes agro-commerciales et/ou agro-industrielles interviennent activement dans le développement et le transfert de technologies. La recherche et l’extensión sont financées dans une grande mesure par les ventes et sont même souvent annexées à celles-ci.

Sur le terrain, la coordination se fait à travers des accords coopératifs et/ou des contrats commerciaux entre les acteurs. L'agriculture devient alors une agriculture de contrat, mode de produire largement adopté par des agriculteurs de type entrepreneurial. Au sein de ces exploitations, les conseillers techniques des entreprises (pour la plupart des agronomes) supervisent l'utilisation des paquets technologiques fournis et informent sur les obstacles ou les difficultés rencontrées dans la production.

Les acteurs qui dominent ce type de configuration promeuvent des innovations qui augmentent les marges d'utilité des participants de la filière telles que l'amélioration de la logistique de transport du produit ou l'ajustement aux standards internationaux de qualité. Cependant, ces innovations n’améliorent pas nécessairement la rentabilité au niveau des exploitations agricoles. La qualité et la quantité produite d’un bien destiné au marché déterminent les profits du secteur, ainsi, il pourrait être attendu que la standardisation des produits agricoles et la technologie de production soient les mécanismes de coordination de base.

L'objectif du développement technologique dans ce type de configuration est généralement d'augmenter la productivité et la concurrence. Ses points faibles sont le manque de sensibilité à la différenciation sociale et la détérioration écologique à long terme.

2.2.2. Configurations promues par la politique

Dans ce type de configuration le cours de l'innovation est dominé par des acteurs qui représentent le gouvernement national et/ou les agences d'extensión gouvernementales. Les schémas établis par les programmes agricoles du gouvernement dominent l'interaction entre les acteurs. C'est principalement le gouvernement qui finance la recherche et l'extensión, tandis que les acteurs non gouvernementaux (industriels et commerciaux) ont un faible rôle dans ces tâches. Souvent la recherche occupe une fonction secondaire parce que les technologies sont supposées déjà disponibles, de sorte que les agriculteurs ont seulement besoin d'être formés pour les utiliser.

Ces programmes agricoles déterminent le groupe cible d'agriculteurs, c’est-à-dire les bénéficiaires. Des agriculteurs démonstratifs sont choisis pour leur potentiel à montrer les avantages qu'entraîne l'adoption des technologies recommandées.

La coordination du système s’établit à partir de la « standardisation, l’amélioration et la

supervision de l'exercice du personnel de terrain et la standardisation des paquets technologiques »

(Engel, 2007 ; p : 100). Les points faibles sont les changements fréquents dans les politiques, l'organisation, les ressources insuffisantes et le manque d'intégration avec le secteur privé pour la fourniture d’intrants.

2.2.3. Configurations promues par les agriculteurs

Dans ces configurations la direction se trouve aux mains des agriculteurs. Ces acteurs forment des groupes d'étude et maintiennent des relations fréquentes avec des chercheurs et des agents de développement. Ce sont généralement des agriculteurs bien placés économiquement qui ne reflètent pas les intérêts de la grande majorité.

Le manque de ressources est un problème fréquent dans ces configurations. Par conséquent, les coûts de la recherche et de l'extension ne peuvent pas être mis directement en rapport avec les bénéfices économiques. Alors, ils sont besoin de l'appui financier du gouvernement ou d'autres agences intermédiaires.

La coordination tend à apparaître à travers la standardisation d'intérêts. Les organisations d'agriculteurs articulent étroitement leurs besoins à plusieurs niveaux des acteurs, en essayant de les obliger à ajuster leurs activités.

Les points forts de telles configurations peuvent être l'intégration à la communauté locale et l'utilisation des connaissances locales.

2.2.4. Configurations promues par la recherche et le développement

Dans ce cas les décisions sur le cours de l'innovation se trouvent dans des mains des chercheurs. Ce sont les institutions de recherche et de développement (R&D) gouvernementales et/ou non gouvernementales, internationales et/ou nationales qui déterminent les priorités, les approches de la recherche et les façons de se lier avec d'autres acteurs pour divulguer les résultats.

Au sein de l'innovation guidée par la R&D, on peut distinguer deux tendances générales, chacune avec différentes façons de diviser et de coordonner les tâches : l'impulsion technologique et le développement technologique (Engel, 1997 ; p : 96). La première tendance suppose que des paquets technologiques sont disponibles et prêts à être diffusés. Les stratégies de diffusion sont conçues en employant le « modèle linéaire » : la recherche développe une technologie et elles sont transférées aux agriculteurs, qui sont sensés l’adopter, par l’extension. Ce modèle peut prendre en compte divers degrés de feedback.

La deuxième tendance, le développement technologique, au contraire, ne suppose pas que les paquets technologiques puissent facilement se répliquer. Ils anticipent la nécessité d’une (re)-conception et d’un (re)-développement pour satisfaire les conditions locales, opportunités disponibles et savoir-faire spécifiques. Les stratégies se basent sur le partage des expériences, de la connaissance et de l'information entre les acteurs les plus significatifs, de façon à ce que cela conduise à l’émergence de solutions technologiques pour résoudre les problèmes spécifiques. La différence réside dans le rôle qu'accomplissent les agriculteurs et les autres sources de connaissance locale. Les chercheurs mettent l’accent sur des méthodes participatives, afin que les acteurs locaux puissent codiriger le processus d'innovation.

Les acteurs commerciaux ou industriels et les agences d'extensión s'insèrent souvent seulement de manière marginale dans les systèmes orientés par la R&D. Les acteurs ruraux des configurations promues par le R&D sont des agriculteurs portés vers la technologie qui prennent plaisir à développer et à améliorer leurs opérations agricoles et savoir-faire personnels.

2.2.5. Configurations promues par les financeurs

Dans ces configurations, des financeurs exercent une influence prédominante sur le cours de l'innovation à travers le financement sélectif d'activités particulières de recherche et de développement, à travers le recrutement et à travers la distribution de personnel technique.

Les « agriculteurs du programme » sont le groupe cible car ils remplissent les conditions et les intérêts du profil défini par l'agence de financement.

Bien que les différents financeurs préfèrent des mécanismes d'intervention différents, ils créent fréquemment un projet ou un programme agricole, en tant que « structure d'appui » temporaire, pour assurer leurs intérêts et leurs intentions. La recherche n'est généralement pas la priorité et, si elle l'est, les efforts se concentrent sur la recherche appliquée et/ou adaptative et non sur la recherche fondamentale.

Une faiblesse fréquente est le manque d'aptitude à soutenir des opérations institutionnelles prolongées.

Comme nous l’avons exprimé, nous utiliserons les configurations de base comme un outil d'analyse afin d’identifier les différentes configurations innovatrices qui ont eu cours dans les SICA que nous étudions et leurs transformations au long du temps (Figure nº 2) De cette manière, nous pourrons caractériser les divers acteurs qui ont concentré le leadership (de façon hégémonique ou distribuée) car, selon Engel, « le leadership dans les systèmes d'innovation complexes est spécifique

selon l’époque et la situation […] car les relations entre les acteurs se renégocient et reconstruisent de manière continue » (1997 ; p : 103).

Chaque configuration de base assigne des fonctions et des activités différentes aux agronomes de terrain et, en conséquence, met en avant des profils divers, comme nous montrons dans le tableau n° 6.

La notion de « configurations de base » nous permet de nous approcher des différentes fonctions possibles que les « Systèmes d’Information et Connaissance » assignent aux agronomes de terrain, celles-ci pouvant être finalement résumées à deux grands types, toujours depuis une perspective de types idéaux : spécialiste du transfert et co-constructeur de technologies.

Tableau n° 6 : Les fonctions assignées aux agronome s de terrain par les configurations innovatrices

Type de configuration de base Fonctions, activités et profils des agronomes de terrain

Promue par l’industrie Fonction : transfert des technologies.

Activités : superviser l'utilisation des paquets technologiques fournis et informer sur les obstacles ou les difficultés dans la production.

Profils dominants : le technico-commercial Promue par la politique / par les

financeurs et par la recherche et le développement (le cas de l’impulsion technologique)

Fonction : transfert, expérimentation et adaptation des technologies.

Activités : transfert des technologies aux agriculteurs, avec divers degrés de feedback.

Profils dominants : l’extensionista, le conseiller d’entreprise, le technico-commercial (coopératif)

Promue par les agriculteurs et par la recherche et le développement

(cas du développement

technologique)

Fonction : co-constructeurs de technologies.

Activités : (re)-conception et (re)-développement des technologies pour correspondre aux conditions locales ; les stratégies se basent sur le partage des expériences, de la connaissance et de l'information entre les acteurs, d’une manière qui peut faire apparaître des solutions technologiques effectives face aux problèmes spécifiques du lieu.

Profils dominants : le conseiller d’entreprises et il peut être aussi, le technico-commercial (coopératif)

Nous allons maintenant décrire avec plus en détail les principaux modèles d’innovation, en nous focalisant sur les présents (anciens ou récents) dans le contexte argentin afin d’éclairer la fonction des agronomes de terrain dans les différentes configurations possibles des SICA.

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