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Quelques outils théoriques pour comprendre la relation entre agronomes, systèmes de connaissance et territoires

3. Les agronomes et la construction des territoires agricoles

3.3. La production territoriale des agronomes de terrain

Les agronomes de terrain ont une pratique professionnelle et spatiale particulière. Ils sont pratiquement en permanence en contact direct avec les agriculteurs à travers la médiation des objets techniques. Leur quotidien se partage entre leur bureau (celui de la coopérative, de l’entreprise locale d’approvisionnement ou de stockage, ou du cabinet d’étude), la camionnette (en Argentine, bien que

19« Les événements ne se répètent pas et leur ‘caractère principal' est le fait de ‘pouvoir se situer avec précision dans les coordonnées de l'espace et du temps' (Santos, 2000 ; p : 123). Un événement peut être naturel (un tremblement de terre) ou historique (l’arrivée du chemin de fer).

cela puisse varier d’une région à l’autre, aucun agronome de terrain ne fait moins de 1000 kilomètres par semaine dans la campagne agricole) et l’exploitation de l’agriculteur.

Chaque agronome doit organiser son espace de travail, exclusif ou non. Cet espace de travail correspond à la surface qu’il parcoure et au sein de laquelle se situent les agriculteurs et les parcelles sur lesquelles il agit. Cet espace, à travers la pratique agronomique, devient son territoire local20 ; Figure nº 5) qui est exploré physiquement et/ou mentalement chaque fois qu’une situation problématique le demande. Dans ce territoire, l’ingénieur identifie des référents locaux (autrement dit des agriculteurs, des élus, des enseignants ou simplement, des habitants) sur lesquels il s’appuie pour introduire des nouveautés techniques. Dans cet espace, il met alors en pratique ses connaissances, apprises à l’université et au cours de sa carrière, il expérimente, il reconstruit jour après jour ses références techniques en se forgeant de nouvelles connaissances. Le territoire de l’agronome a une taille très variable. Dans notre région d’étude, il s’étend sur des superficies approchant les 250 000 hectares.

Parfois ce territoire peut également être « son espace de vie » 21, sur lequel, à côté de ses expectatives professionnelles, il projette des attentes personnelles et y construit son quotidien.

Cet espace de travail de l’agronome s’inscrit dans un espace plus large, celui de la construction des références techniques qui intègre ses collègues, plus particulièrement ceux qui partagent son profil professionnel. Ainsi, il construit un deuxième territoire (le territoire régional ; Figure nº 6 ). Sa connaissance de ce territoire n’est pas aussi exhaustive que celle du territoire local mais qui agit comme une enveloppe spatiale (Fremont, 1999) et l’aide à mieux le comprendre. Sa connaissance de ce territoire régional se renforce par des visites sporadiques et des conversations avec ses collègues, toujours médiatisées par les concepts de la discipline. Il est capable d’imaginer, de voir mentalement le problème chaque fois qu’un collègue le consulte, pour « penser à deux » des recommandations. Dans ce second territoire, parcouru plus par l’imagination que physiquement, il existe d’autres sources d’information, de connaissances et de confrontation de références techniques : le Collège Professionnel, les Stations Expérimentales, des Facultés de Sciences Agraires, entre autres, qui forment un SRICA. C’est donc un territoire institutionnalisé, où plutôt dans lequel la profession est institutionnalisée. Ainsi, le système d’acteurs du SRICA prend son assise spatiale dans le second territoire de l’agronome de terrain, sur lequel il s’appui quotidiennement.

Cette territorialité, qui s’appuie sur des connaissances agricoles, peut être perturbée par l’arrivée d’un objet technique. À ce moment débute le cycle de l’innovation. Néanmoins, tous les

20 Ici, nous utiliserons l'organisation spatiale que décrit Gaignard (1979), sur laquelle nous reviendrons dans le Chapitre IV. Nous reprenons ici brièvement les principaux éléments de Gaignard. Le secteur agricole pampéen, dans les années 1970, fonctionnait avec les échelles économiques, territoriales et technologiques suivantes : l'exploitation agricole, le village, le chef-lieu de département (petite ville active) et la région. Cette dernière s’organise autour du secteur d'influence des facultés d'agronomie et du réseau de stations expérimentales de l'Institut National de Technologie Agricole (INTA). Pour nous et dans le reste du document, les trois premières échelles définies par Gaignard constituent « la sphère locale ».

21 Frémont distingue l’ « espace de vie » qui est « l’ensemble de lieux fréquentés par une personne ou par un groupe », l’ « espace social » qui est l’espace de vie plus les « interactions sociales » qui le sous-tendent et l’ « espace vécu » qui est l’espace social plus « les valeurs psychologiques qui s’attachent aux lieux et qui unissent les hommes à ceux-ci par les liens matérielles » (Frémont, 1980, p : 49 in Lévy et al., 2003 ; p : 340)

objets techniques ne produisent pas les mêmes impacts. En effet, l’objet en question peut faire partie d’un système plus grand, déjà installé, et la perturbation est à peine perceptible. Au contraire, il peut être le « fer de lance » d’un nouveau système d’objets qui conduit à une nouvelle territorialité.

4. Conclusion

À côté de leurs attentes personnelles, les agronomes de terrain ont une pratique professionnelle conditionnée par les particularités de leur profil professionnel ; par la spécificité de la configuration innovatrice des SICA et par les caractéristiques du territoire de travail. Ces trois éléments sont dynamiques, certains plus que d’autres dans le temps.

En Argentine, les agronomes de terrain constituent un groupe professionnel à l’intérieur de la profession des ingénieurs agronomes. Sans rentrer dans les enjeux liés à l’exercice de l’agronomie, leur activité quotidienne se caractérise par un rapport direct avec les agriculteurs (médiatisé par l’objet parcelle et/ou l’objet exploitation), et une relation de travail attachée aux résultats économiques de l’agriculteur conseillé ou/et de l’organisation d’appartenance. Ces caractéristiques imprègnent une construction territoriale particulière.

Ce travail les conduit à parcourir de manière presque quotidienne leur territoire d’intervention et rechercher les interactions avec les agriculteurs, avec les autres agronomes et avec les autres acteurs présents, qu’ils soient habitants ou non de ce territoire de travail. Cette pratique professionnelle est aussi une pratique spatiale localisée dans laquelle on peut au moins distinguer, deux échelles de mise en pratique et de construction des références techniques : le territoire local, qui correspond à leur espace de travail, et le territoire régional où se situent les centres scientifiques et expérimentaux de la connaissance agronomique et la plupart des collègues avec lesquels ils interagissent. De ces échanges, émanent des décisions de conseil ou des prescriptions, parfois à partir d’un diagnostic incomplet et pressé par la situation-problème, qui sont le fruit d’une recherche accélérée de références techniques, guidée par la nécessité de résultats immédiats.

Néanmoins, la configuration innovatrice des SICA peut changer. Cinq types d’acteurs peuvent avoir la capacité d’en exercer le leadership : l’industrie, le gouvernement, les agriculteurs, la recherche et le développement et les financeurs extérieurs. Ces acteurs ont des « agendas » distincts et parfois des objectifs et des intérêts contraires. En outre, ils peuvent avoir des conceptions différentes du processus d’innovation agricole et attendre des agronomes de terrain qu’ils remplissent diverses « fonctions » telles que celles de « spécialiste du transfert des technologies » (dans le modèle de l’impulsion technologique) ou co-constructeur de celles-ci (dans le modèle du développement technique). Ainsi, la fonction des agronomes de terrain sur les territoires est le produit dérivé d’arrangements stratégiques entre ces cinq types d’acteurs.

Après cette présentation du cadre théorique, le deuxième chapitre qui suit s’intéressera à la présentation de notre terrain d’étude, la région centrale de la province de Santa Fe, et aux antécédents de structuration des SICA.

Figure n° 5 : Le territoire local de l’agronome de terrain ( At )

Figure nº 6 : Le territoire local (T1) et le territoire régional (T2) de l’agronome de terrain (At)

References : CP : college professionnel ; SE : Station Expérimentale ; FCA : Faculté de Sciences Agraires

At 1

Coopérative Agricole Agriculteur Mairie

SRICA

T 1 - At 1

T 2 ou

Région

T 1’’ -At 3

T 1’ - At 2

F.C.A.

SE.

C.P

CHAPITRE II

La construction du territoire de la région centrale de la province de

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