• Aucun résultat trouvé

Les agronomes technico-commerciaux : entre technologie et intérêts économiques Nous avons analysé dans le point 2.3.2 de ce chapitre la façon dont le Ministère a favorisé

79 En référence au fermier américain

3.2. Les agronomes technico-commerciaux : entre technologie et intérêts économiques Nous avons analysé dans le point 2.3.2 de ce chapitre la façon dont le Ministère a favorisé

l'incorporation des ingénieurs agronomes dans les coopératives et les entreprises privées (de stockage de grains et les petites industries laitières principalement), à partir de deux instances : la première, mobilisée par la nécessité ressentie à l'époque d'améliorer la production et la productivité à travers l'incorporation de technologie ; et la seconde à travers sa fonction de contrôle par la mise en place de la Loi 7 461/1977 de biocides, une loi pionnière à l’échelle nationale, qui établissait que toute dépense de pesticides dans la Province ne pouvait se faire qu’avec l’autorisation d’un professionnel habilité : « le technicien régent ». Nous avons aussi vu comment, en fonction des « mandats » du Conseil Technologique, les extensionistas de l'INTA (Entretiens nº 2 et nº 13) ont contribué à convaincre les entrepreneurs et les producteurs de la nécessité d’embaucher des agronomes dans les entreprises et les coopératives.

C’est ainsi qu’au début des années 1980, environ 90% des coopératives agricoles de la Province disposait déjà des services d'un ingénieur agronome, à temps plein ou partiel. Pour ce qui est des activités qu'effectuaient ces professionnels, elles sont décrites dans les documents

AACREA Buenos Aires SRICA- T 2

INTA EEA Rafaela

Faculté Ministère de Santa Fe

Groupe CREA 1 T1 Groupe CREA 2

T1

institutionnels de la manière suivante : « Les rôles qu'accomplissent ces techniciens sont variés.

Dans certains cas, ils sont limités au conseil sur l’utilisation des biocides, d'autres ajoutent aussi les semences et en d'autres cas, il existe réellement une tâche d'extensión. De toute manière cette tâche n'est pas bien définie, sauf exception, ni plus largement le rôle qu'ils peuvent jouer » (MAGIC, 1984 ; p : 2).

Ce profil, appelé « technico-commercial », a des caractéristiques qui ont changé au long du temps. En particulier les modifications les plus significatives ont été réalisées au cours des années 1990. Nous allons donc nous consacrer à présenter leurs caractéristiques constitutives, toujours sur la base des témoignages de nos interviewés et en nous limitant aux coopératives de stockage (et ensuite aux agronomies) des produits agricoles, autrement dit nous n’aborderons pas le monde des entreprises laitières. Nous analyserons d'abord le cas des agronomes liés aux coopératives, car il s’agit d’une situation plus complexe, pour ensuite faire remarquer certaines particularités de leur profil lorsque celui est développé dans une entreprise à but lucratif.

3.2.1. Les techniciens des coopératives : une relation de travail complexe encadrée par une diversité d'activités

Tout comme celui de leurs collègues conseillers, ce profil présente des défis propres, notamment des relations de travail aux caractéristiques particulières et une forte diversité des nombreuses activités.

Au cours de la période que nous analysons, la grande majorité des agronomes des coopératives sont employés de fait à temps plein. Ceux qui le sont à temps partiel, facturent généralement leurs services à la coopérative et leurs activités professionnelles sont bien délimitées (c'est le cas, typiquement, des agronomes engagés seulement pour leur fonction de régent technique). Les employés à temps plein, dont les revenus sont constitués essentiellement par leur salaire, doivent répondre à la structure administrative de la coopérative, et sont donc sous les ordres du gérant. Mais ces agronomes sont rarement considérés comme de simples employés, c’est pourquoi les « conseillers de la coopérative » doivent rendre des comptes directement au Conseil d'Administration constitué par un groupe réduit de producteurs.

Cette situation « de double » commande (sans considérer le cas du Ministère qui a été partiel, limité dans le temps et plus constitué de soutiens et de formation), n'est pas simple en pratique et peut conduire à des conflits, soit de travail, soit personnels, voire même d'« éthique professionnelle ». Tel est le cas, ainsi que le signale Albaladejo (2004) dans la province de Buenos Aires, où au cours des époques où la situation financière est compliquée pour la coopérative, le gérant attend de l'agronome qu’il fournisse une information économique et financière sur les producteurs, ce qui rentre en contradiction avec la relation de confiance et le secret professionnel propre à la relation « professionnel-client » des professions établies.

L’un de nos interviewés, avec plus de 20 années de travail dans une coopérative de la région, se réfère à la relation « technicien-gérant » de la manière suivante : « dans notre coopérative,

nous avons toujours eu un appui, je dirais presque… sans restriction… ce n'est pas qu’on nous laissait faire ce que nous voulions, mais nous sommes très respectés nous les techniciens… en tant que techniciens, ce qui n'est pas donné parfois. La relation surtout avec le gérant, pas tellement avec les directeurs [en référence au Conseil d’Administration de la coopérative]… la relation gérant-technicien n'est pas toujours une bonne relation… je ne dis pas que nous sommes toute la journée… en parfaite harmonie, mais nous avons une relation très bonne… » (Entretien nº 10).

Comme nous l'observons pour notre région d'étude, cette complexe relation de travail peut concerner, en fonction des caractéristiques personnelles de chacune des parties, des agronomes « historiques » qui ont développé leur profession pendant plus de trente ans dans la même organisation, à des cas où il s’est produit un important turn over de professionnels.

Une autre particularité de ce moment d'analyse est la présence, en termes généraux, d'un agronome par coopérative, situation qui avec le temps sera modifiée du fait de l'engagement de plus de professionnels afin de faire face à l'accumulation d'activités à développer. Dans ces dernières, nous pouvons faire une première distinction entre des activités plutôt de type techniques et d’autres plutôt administratives, bien qu’une telle séparation ne soit parfois pas aussi simple dans la réalité.

Les tâches plus techniques

Parmi cet ensemble de tâches techniques se trouve le conseil technique « ponctuel » aux producteurs, l'organisation d'instances collectives d’information/formation et le conseil direct à la coopérative. C’est ainsi que l'agronome a généralement la responsabilité de l'animation d'un groupe d’associés fonctionnant sur le modèle des CREA (le cas des groupes ACER129 aux coopératives liées à l’ACA), ou effectue des tâches de coordination du groupe de jeunes130 de la coopérative.

Comme l’illustrent les propos tenus par l’un de nos interviewés, deuxième ingénieur engagé dans une coopérative dans le milieu des années 1980 : « à ce moment-là, mon rôle était purement et

exclusivement professionnel [en référence au type de travail en relation avec l'agronomie] du point de vue de la visite aux établissements, du contact direct avec les producteurs, et disons, l'organisation des instances de diffusion, de réunions, d'essais à la l’exploitation. C’était un travail centré sur l’exploitation, parce que à cette époque … il n'y avait personne… là à San Justo, les professionnels étaient très peu nombreux » (Entretien nº 10).

Le conseil technique ponctuel consiste en une série de tâches où ce qui est mis en jeu est la connaissance agronomique de l'ingénieur. Il se composait d’une série de consultations au bureau (généralement le matin) où on se focalisait sur une problématique ponctuelle ressentie par le

129 Il y a des cas où le technicien était engagé à temps partiel par la coopérative et le « groupe de conseil » était une stratégie de sa part pour compléter son salaire. Ainsi, il conseillait plus intensivement un groupe réduit de producteurs appartenant à la même organisation, et se faisait payer des honoraires. Souvent ces producteurs étaient à leur tour, les conseillers de la coopérative.

130 Il est courant que les coopératives en Argentine organisent et promeuvent la formation d’un groupe de jeunes (la plupart fils des associés) sur des thématiques en relation avec le mouvement coopératif et la production. Cet espace est compris comme la nécessaire formation de futurs dirigeants.

producteur sur l’objet parcelle ou exploitation : quelle variété semer ? Quel engrais utiliser ? Comment contrôler les adventices ? Si la consultation ne pouvait pas être résolue « dans le bureau », elle était enregistrée en vue d’une visite, généralement l'après-midi.

Cette activité présente, du point de vue de la discipline, le défaut d'un diagnostic incomplet et d'un abord partiel de la problématique. Cela produit beaucoup de mécontentements pour l’agronome, puisqu'il ne peut pas « voir le film » et doit se conformer seulement avec une « photographie » de la situation. Et comme cela est dit généralement dans le jargon professionnel, il a parfois la sensation de « d'être un pompier » : quand le problème arrive entre ses mains, il n'y a déjà plus grand chose à faire, pourtant quelque chose doit être fait, pour donner une réponse au producteur.

La deuxième tâche c’est l'organisation et l'exécution des « Journées techniques de diffusion». À l'époque d'analyse, il était très commun d’organiser une demi-journée à la campagne, de visite des « producteurs démonstrateurs » (qui étaient généralement les membres du Conseil d'Administration) pour montrer certains essais ou pratiques culturelles. Actuellement, il est plus courant que ces diffusions soient faites par les techniciens des entreprises liées à l’agrofourniture, lesquels promeuvent leurs intrants, à côté du message technique. Ces deux types d’instances finissent généralement avec un dîner, le populaire « rôti créole ».

La troisième activité c’est le conseil direct à la coopérative. Il est habituellement effectué en fonction de l'approvisionnement en intrants : l'agronome doit recommander qu’acheter, avec quelles caractéristiques ou particularités, et dans quelles quantités. Ceci n'est pas moindre, puisque cette prescription détermine le stock de la coopérative, lequel à son tour, peut conditionner la recommandation aux agriculteurs. Ainsi, quand l'agronome conseillera une variété ou un pesticide, ce ne sera pas en fonction du meilleur produit disponible sur le marché, mais plutôt du meilleur produit disponible à la coopérative. Évidemment, les acteurs ont toujours une marge de manœuvre et l'agronome peut recommander un intrant disponible dans un commerce voisin ; mais, l’associé peut ne pas avoir la capacité financière pour acheter dehors de la coopérative ; ou, en d'autres occasions, le gérant a besoin « de liquéfier le stock » et fait pression sur la décision du professionnel.

Les tâches plus administratives

La plus importante est celle du « régent technique ». Elle donne à l'agronome la responsabilité, au-delà de la connaissance agronomique, de faire une prescription sur l’utilisation des biocides vendus dans la coopérative (ou commerce, pour les cas non coopératifs). Cette activité est contrôlée en la province de Santa Fe par le Ministère et le Collège des Ingénieurs Agronomes, soit, la vérification professionnelle fait par les pairs.

Parfois, il a aussi une responsabilité dans la logistique de stockage et le contrôle de la qualité des grains. Si la coopérative est inscrite comme « multiplicateur de semences » (dans le cas du blé, du soja et certaines cultures fourragères), il y a encore la responsabilité de la pépinière. L'agronome doit effectuer le suivi, le contrôle et le registre de la production des semences.

Avec l’augmentation de l’utilisation des intrants dans l'agriculture, beaucoup de coopératives ont investi dans des machines à haut coût d’investissement mais d'utilisation sporadique par le producteur : le cas le plus courant est celui du pulvérisateur automoteur, bien qu'en son temps ils l'aient aussi fait avec des épandeurs d’engrais et pour certaines, avec des semoirs directs. De cette manière les services rendus aux agriculteurs se sont étendus, et dans la grande majorité des coopératives, la coordination en est effectuée par l'agronome.

3.2.2. Quelques particularités des agronomes employés des entreprises

La Loi de biocides a contraint les entreprises de stockage de grains à engager au moins un agronome. Vers la fin de notre période, certaines de ces entreprises se sont reconverties en agronomies, autrement dit en commerces spécialisés dans la vente d’intrants et de services aux producteurs. L’activité de vente amène des défis propres, lesquels seront analysé dans le chapitre V.

Ces agronomes développent des activités semblables à celles qu’effectuent les employés des coopératives. Mais cette diversité d'activités est facilitée par la relation de travail : ce sont des employés qui répondent directement au propriétaire de l'entreprise (sachant que ces entreprises dans notre région ont souvent moins de 15 employés).

3.2.3. Les espaces de construction de références techniques

Ces agronomes, pour la plupart, vivent dans la localité où se trouve la coopérative ou l'entreprise, contrairement aux conseillers des CREA. Ils sont généralement originaires de la région, et ceux qui travaillent dans les coopératives sont même souvent les fils de l’un des associés. Ces caractéristiques font qu’au-delà de leurs intérêts et caractéristiques personnelles, ce sont des référents de la communauté locale, en particulier l’agronome de la coopérative.

Leur journée de travail se répartit entre les heures passées au bureau le matin (situé au siège social de la coopérative, là où se trouve aussi le supermarché, ou encore dans un bureau au pied des silos) ; et le tour des parcelles posant problème l'après-midi. Souvent, cette journée se prolonge jusqu'à la nuit, avec l'organisation de réunions techniques le soir.

Ces agronomes construisent leur territoire de références techniques à trois échelles. La première, le Territoire 1 ou « système local information et de connaissance agricole » (SLICA), est formé dans le cadre local où d’échange avec les producteurs, les collègues et avec l’extensionista de l'INTA (lorsqu’il y en a un). Le territoire 2 est constitué par le SRICA, c’est l’espace dans lequel ils établissent des relations avec les fonctionnaires du Ministère, les collègues d'AACREA, les spécialistes de l'INTA et les universités et le Collège professionnel.

Dans le cas des techniciens des coopératives, il apparait une troisième échelle dans la construction territoriale de références techniques au niveau du mouvement coopératif. Cette échelle est beaucoup plus diffuse que dans le cas de l'AACREA. Au cours de la période analysée, autant

l’ACA que la FACA comptaient des services de développement s’occupant activement de la formation des agronomes et favorisant l'échange d'expériences (figure nº 21).

Les entreprises fournissant des intrants apparaissent, selon les documents et les entretiens, comme des acteurs au sein des systèmes d’information et de connaissance, mais sans y avoir une participation encore significative.

3.3. L'incorporation de technologie de la part du producteur : base de la légitimité

Outline

Documents relatifs