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La Troisième Révolution Agricole et les transformations des SICA : quelle place pour les agronomes de terrain liés aux grandes cultures ?

1. L'émergence d’une « nouvelle agriculture » pampéenne : caractéristiques d'un modèle déterritorialisé de production

1.1. La construction d'un scénario global pour l’agriculture pampéenne

1.1.1. Les politiques publiques : vingt années de modèles néolibéraux

Au niveau mondial, la crise de l'Etat providence à partir de la moitié des années 1970, la chute du « deuxième monde » concrétisée dans les années 1980 et le triomphe du système capitaliste, ont donné un nouvel essor à la pensée néolibérale, qui s'est imposée sur toute la planète.

En Amérique Latine, la grande majorité des pays affectés par le poids de la dette externe et du déficit budgétaire, ont adhéré aux postulats élaborés par John Williamson en 1989 et connus sous le nom de « Consensus de Washington »132. Ceux-ci, diffusés par les pays développés et les organismes multilatéraux de financement, ont guidé les transformations des systèmes économiques d'une grande partie de pays de la région (Arrillaga et al. 2010).

De cette manière, les années 1990 font émerger comme nouveaux mandats, la nécessité de libéralisation du commerce international, l'entrée d'investissements étrangers directs dans les pays latino-américains, la privatisation des biens et des services publics et la dérégulation de l'économie.

132 Titré « What Washington Means by Policy Reform ». Ses dix points ou postulats traitaient sur les sujets suivants : 1) Discipline fiscale ; 2) Réduction des budgets en éducation et santé ; 3) Réforme fiscale ; 4) Taux d'intérêt positifs déterminés par le marché ; 5) Taux de change compétitifs ; 6) Politiques commerciales libérales ; 7) Une plus grande ouverture à l'investissement étranger ; 8) Privatisation d'entreprises publiques ; 9) Dérèglement et 10) Protection à la propriété privée.

Ces mesures étaient les principales stratégies sur lesquelles un nouvel ordre économique devait fonder ses programmes de développement.

L'Argentine, comme l’exprime Arrillaga et al. (2010 ; p : 271), « non seulement n'a pas

échappé à cette influence, mais elle a aussi été l'un des pays qui a le plus adapté le fonctionnement de son système institutionnel aux nouveaux paradigmes du libéralisme économique ». Cette transformation, encouragée depuis le Coup d'État de 1976, est consommée au début des années 1990. Ses caractéristiques principales ont répondu au modèle global décrit, parmi lesquels il faut souligner l'ouverture de l'économie, le dérèglement des marchés, l'élimination de coûts associés à la commercialisation de la production agricole, la flexibilisation de conditions du travail et le retrait de l'État de toute intervention et de régulation qui l'avait caractérisé pendant plus d'un demi - siècle.

Cette politique a profondément affecté le système productif national, en produisant des impacts de caractère opposé dans les divers secteurs économiques et sociaux. Alors qu'elle a amélioré la compétitivité des commodities agricoles pampéennes (en facilitant l'expansion de sa valeur brute de production sectorielle, des quantités exportables et de la balance commerciale), en parallèle elle a produit des conséquences dévastatrices sur d'autres secteurs. La structure sociale a été polarisée à travers l'accroissement soutenu du taux de chômage et une distribution de la richesse plus inégalitaire, provoquant l'expansion et la persistance de hauts niveaux de pauvreté et l'approfondissement des asymétries régionales (Arrillaga et al. 1998 ; 2006).

1.1.1.1. L'ouverture de l'économie : repères d'une réforme de l'État

La mise en conformité de l'État aux objectifs néolibéraux s'est effectuée pendant le premier gouvernement de Carlos Menem (1989-1995). Nous pouvons l'analyser dans trois étapes : la première, avec la promulgation des Lois d'Emergence Économique et de la Réforme de l'État (1989) ; la deuxième avec la mise en place d'un nouveau plan économique et l'approbation du Décret 2 284 dit de dérégulation économique (1991) ; et la troisième, à travers ce que l'on pourrait appeler la

« seconde réforme de l'État », en 1995 (Lattuada et Neiman, 2005 ; p : 13).

Dans la première étape, l'objectif a été la privatisation d’entreprises et de services de l'État, accompagnée par une réduction d’emplois dans tous les secteurs. Cela n'a pas produit de changements substantiels dans le secteur agricole, bien qu’elle ait modifié la structure de coûts du transport (elle a augmenté) sous deux aspects : la fermeture et la privatisation de lignes de chemin de fer et la concession de l’entretien de routes nationales à des entreprises privées, qui ont commencé à percevoir des péages.

Les mesures réformistes de 1991, par contre, ont construit un nouveau scénario sectoriel. En avril de cette année, l’Etat met en place un « nouveau plan économique » qui s'est basé sur la convertibilité automatique de la monnaie nationale en dollars, ce qui dans la pratique équivaut à un système bi-monétaire (Basky et al. 2001; p : 374). La Loi de Convertibilité (nº 23 928/1991) crée une nouvelle unité monétaire : le peso. Il est équivalent à un dollar américain. La loi établit la libre

convertibilité133 de la monnaie, en inaugurant ainsi l'époque du « 1 à 1 », et qui supervisera l'économie argentine pendant plus de 10 années (jusqu'en janvier 2002). Ce système initiera une période de stabilité monétaire et de quasi absence d'inflation.

En novembre de cette même année, le gouvernement édite le décret 2 284 tendant à déréguler le marché interne de biens et de services, le commerce extérieur, les marchés de produits régionaux, l'industrie de capital intensif et le marché des capitaux. Il adopte ensuite de nouvelles mesures de dérégulation en matière de transport, d'assurances, de ports, de navigation, de pêche et de services professionnels ; toutes ont eu un impact fort sur le secteur agricole (Encadré n° 16).

Encadré nº 16 : Les impacts des mesures de dérégulation dans le secteur agricole La mise en œuvre du Décret-Loi 2 284 (1991), de dérèglement des marchés a signifié pour le secteur agricole :

• La dissolution des organismes suivants : Junte Nationale de Grains ; Junte Nationale des Viandes; Corporation Argentine de Producteurs de Viande ; Marché National du bétail à Liniers ; Direction Nationale du Sucre ; Marché Consignataire National de la Yerba mate ; Commission Régulatrice de la Production et le Commerce de la Yerba mate ; Institut Forestier National et Marché de Gros des pêcheries.

• La libération des quotas d’ensemencement, récolte, élaboration et commercialisation de canne du sucre et sucre traitée, yerba mate et vignobles, raisins et vins.

• L'élimination des règlements du marché du lait et de l’industrie lactée.

• La dérogation des contributions et impôts qui finançaient les organismes dissous ainsi que la vente de leurs biens.

Les mesures de dérégulation fiscale ont éliminé les impôts et des taxes sur les exportations (notamment la contribution destinée au financement de l'INTA), ont réduit les tarifs à l'importation d’intrants et de produits agricoles (en particulier ceux provenant des pays signataires du Traité d'Asunción, qui constitueraient ensuite le MERCOSUR), ont réduit les impôts sur des intrants comme les pneus et le gasoil. De plus, on a éliminé plusieurs impôts sur différentes opérations commerciales.

Finalement en 1995, la « seconde réforme de l'État » a accentué la baisse des emplois et a incorporé quelques changements plus mineurs. Selon Lattuada et Neiman, « au-delà du discours

libéral, les mécanismes de retraite volontaire en contrepartie du paiement d'importantes

133 Ce système a un soutien en or et devises dans un 100%. La Banque Centrale ne peut pas financer le déficit du Trésor. Elle fixe un prix, celui du dollar américain et laisse flotter tous les autres. De cette manière le gouvernement reste sans les instruments classiques d'intervention dans l'économie et pour fournir de devises, il doit les acheter au secteur privé (Basky et al. 2001; p : 374).

indemnisations, ont conduit à l'émigration vers le secteur privé des ressources humaines les plus qualifiées et efficaces » (2005; p : 13) ; parmi eux, beaucoup de fonctionnaires de l'INTA.

Le 1º de janvier 1995, le Marché Commun du Sud (MERCOSUR) a été mis en place. Ses débuts datent d'un accord entre l'Argentine et le Brésil en 1986, et plus tard, s'ajoutent l'Uruguay et le Paraguay. Le processus d'intégration a avancé à marche rapide, le commerce intra-régional s'étendant notablement. Par rapport à notre problématique, le MERCOSUR a permis d'augmenter le commerce avec le Brésil à travers l'exportation d'aliments134 (légumes, céréales -spécialement le riz et le blé-, fruits et lactées) et l'importation de biens de consommation durables (dont les machines agricoles).

Durant la fin des années 1990, le modèle économique choisi laisse voir ses premières faiblesses. Pendant ce temps, la crise asiatique et russe (entre 1997 et 1998) a conduit au Brésil à dévaluer sa monnaie (janvier 1999) et à prendre des mesures restrictives qui ont sérieusement affecté le commerce avec l'Argentine. Cette politique brésilienne a approfondi la crise économique dans notre pays jusqu'à son « éclosion » en décembre 2001. Les secteurs productifs les plus vulnérables dans le cadre de ce modèle économique ont été les productions laitières (spécialement les productions

santafesina, qui avaient concentré leur commerce extérieur vers le Brésil) et l'industrie nationale, dont celle de machines agricoles.

1.1.1.2. Vers un nouveau modèle « agro-exportateur » sous la houlette d'un Etat

interventionniste

En décembre 2001, au cœur d'une grande crise sociale, politique et économique, l'étape « de la Convertibilité 1 à 1 » a touché à sa fin. Comme le décrivent Gras et Hernández (2009 a ; p : 15) «

en plus du défaut de la dette externe et de la chute du système financier, est aussi tombé le système politique, ce qui a produit une des crises institutionnelles plus importantes en presque deux siècles d'existence républicaine ». Après de la démission du Président constitutionnel, Antonio De La Rua, la présidence change trois fois de mains en moins de quinze jours, jusqu'à ce qu'arrive Eduardo Duhalde, candidat de l'opposition dans la dernière élection présidentielle.

Une fois résolu le pouvoir exécutif, la dévaluation monétaire fut l'option économique choisie pour sortir de la crise : en quelques jours, la valeur du dollar a triplé et, avec elle, la valeur des produits exportables, à savoir, les principales céréales et oléagineux produits dans la grande région pampéenne.

Pour tenter de mettre de l'ordre dans les prix internes et devant la nécessité de trouver des ressources pour calmer la crise sociale, le gouvernement national a augmenté les rétentions à l'exportation de quelques produits et en a restauré d'autres. Par exemple pour les graines de soja, les rétentions sont passées de 3.5% à 20%. Loin d'être une mesure transitoire, elles se sont instaurées dans le commerce agricole (tout comme dans les carburants et les produits miniers) et ses taux ont progressivement augmenté jusqu'à atteindre les valeurs actuelles (tableau n° 19).

Tableau n° 19 : Aliquotes des retenues à l'exportat ion de grains et ses dérivés

Produit Taux (%) fixés le 10 novembre

2007 Soja (graine) 35% Tournesol (graine) 32% Blé (grain) 28% Mais (grain) 25% Huile de soja 32% Huile de tournesol 30%

Farine et tourteaux de soja 32%

Tourteaux de tournesol 30%

Source : Données du MinAgri

Pendant les périodes les plus dures de la crise dans un contexte où les épargnes des particuliers étaient bloquées, l’Etat a renégocié les crédits établis en dollars américains. Parmi ces derniers, se trouvent les dettes de beaucoup de producteurs agricoles qui avaient subsisté jusqu'à ce moment135. De cette manière et malgré les retenues, le secteur productif de biens exportables a disposé de conditions très avantageuses pour se développer (tandis que le prix du travail et de l'énergie tardaient à retrouver des niveaux normaux).

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