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2.1 Mobiliser par le discours : intelligibilité et légitimité de la participation

2.2 Les pratiques de la participation

2.2.1 La participation comme consultation

2.2.1.1 La rédaction de la convention

Haroun et son équipe organisent le 24 août 2013 une grande réunion à Khartoum afin de réunir des Kordofanais de toutes professions. On y trouve des membres du secteur privé et du

97 Entretien avec Karim, 5 octobre 2015, Khartoum. 98 Entretien avec Karim, 5 octobre 2015, Khartoum.

gouvernement, des professeurs d’université, des docteurs, des ingénieurs…99. Des appels nominaux à la participation sont publiés dans les journaux100. Le jour dit, ce sont plusieurs centaines de personnes101 qui se réunissent au Friendship Hall en centre-ville pour écouter le gouverneur présenter son idée. Il demande ensuite aux participants de former un Comité de Haut niveau. Composé de plus de vingt experts, il a la responsabilité de rédiger la convention de la Renaissance. Ce comité est divisé en huit groupes de travail qui se focalisent sur des enjeux précis : 1) la réforme institutionnelle, 2) les politiques économiques, 3) l’agriculture, les ressources animales et les forêts, 4) l’éducation, 5) la santé, 6) le développement social, 7) les infrastructures et 8) la culture, les médias, les sports et le tourisme (Gouvernement du Nord Kordofan 2014a). Une première version de la Convention est exposée par le comité à El Obeid « au gouvernement de la province et aux autorités concernées (Gouvernement du Nord Kordofan 2014a) ». Les directives de la Convention sont également présentées le 30 septembre au Vice- Président de la République. Le gouverneur a en outre lui-même

Tenu une série de rencontres et d’entretiens avec tous les secteurs communautaires officiels et populaires et les partis politiques de la province afin de leur donner une idée sur le nafîr et initier les partenaires à la participation (Gouvernement du Nord Kordofan 2014a).

Il a également organisé

Des conférences de dialogue et de consultation pour les chefs de l’administration locale au niveau de la province et invité leurs homologues des autres provinces afin de discuter les moyens d’évolution de l’administration locale et renforcer les liens de voisinage (Gouvernement du Nord Kordofan 2014a).

99 Entretien avec Kedar, 19 mai 2015, Khartoum.

100 Bien qu’il ne m’ait pas été possible de confirmer le nom des journaux concernés, cette information m’a été

donnée par plusieurs enquêtés.

101 Le nombre exact reste incertain. Alors que Karim donne le chiffre de 500 personnes, Kedar cite entre 800 et

À la suite des discussions et des négociations, la Convention est modifiée puis présentée une dernière fois lors d’une grande réunion à El Obeid où le document est officiellement transmis au Président el-Béchir, qui endosse alors publiquement l’initiative et promet l’aide du Gouvernement du Soudan.

Selon Kedar, pour de nombreux participants, cet appel du gouverneur représente un profond changement : « Many, many of them, university, doctors and others they talk, they say this is the first time for us to be invited for such meeting. Many governors they came to the state and they went back and we don’t see them personally, we see them in media102 ». Cette stratégie était audacieuse pour le gouvernement, car en invitant les participants à concevoir la politique de développement de l’État, il reconnaissait implicitement les échecs des précédentes initiatives et ouvrait la possibilité d’exprimer des critiques103. La participation à l’écriture de la Convention représente une forme relativement approfondie de participation dans la mesure où les citoyens ne sont pas convoqués uniquement pour donner leur aval à des projets déjà élaborés par les autorités. On assiste au contraire à une valorisation des apports et savoir des membres de la communauté qui correspond à la philosophie de base des approches participatives, comme l’évoque en filigrane Karim lorsqu’il explique que « people need to be patient, to give us their brain104 ». Ces approches sont nées d’une critique du rôle des décideurs. Elles consirèrent que la participation permet un apport de compétences nouvelles, car ignorées jusqu’alors, qui améliore la qualité de l’action publique (Parizet 2011, 3) .

102 Entretien, 19 mai 2015, Khartoum.

103 Entretien avec Karim, 5 octobre 2015, Khartoum. 104 Entretien, 5 octobre 2015, Khartoum.

L’approche participative constitue dans cette mesure une remise en question du pouvoir central, ce qui justifie les qualités démocratiques qui lui sont prêtées (Parizet 2011). Mais tout comme l’idée de participation de la communauté ne questionne pas la notion de communauté elle-même, l’idée que s’en remettre à un savoir local permet de renverser les hiérarchies de pouvoir (Mosse 2001) ne pose pas la question de quel(s) savoir(s) il s’agit. En effet, ce qui est considéré comme un savoir populaire (people’s knowledge) est également construit par les acteurs externes qui vont déterminer qui va participer à travers leur travail de définition de la communauté et comment, à travers la mise en place des arènes participatives. Par ailleurs, les évènements qui sont organisés dans ces arènes sont publics, ce qui contribue à la reproduction des relations de pouvoir locales : les groupes dominés ou marginalisés vont se taire, et ce sont les dominants qui vont produire la connaissance (Mosse 2001). Dans le cas de la Renaissance, le savoir valorisé est un « savoir expert » produit par des élites, loin d’une forme idéalisée et essentialisée de savoir populaire émergeant de pratiques et traditions ancestrales.

Ce biais élitiste est explicite dans le passage relatant la mise en place des groupes de travail : « Huit groupes de travail couvrant les axes cités dans le paragraphe 19 ont été formés, et comprennent des experts compétents et suffisamment expérimentés dans le domaine des organisations internationales (Gouvernement du Nord Kordofan 2014a) ». Ainsi, non seulement ce sont les autorités qui déterminent qui participe à ce processus, car ce sont bien elles qui ont invité, et cela même nominalement, les participants ; mais, en outre, elles imposent un prix d’entrée élevé, agissant bel et bien comme des gatekeepers. Les citoyens qui participent à la rédaction de la Convention possèdent donc nécessairement un niveau d’éducation assez élevé et/ou un commerce prospère et/ou sont des personnalités locales tels les chefs traditionnels : autant d’attributs qui leur confèrent des compétences techniques sur les différents axes abordés.

La Convention de la Renaissance est donc in fine rédigée par des notables. Les voix des citoyens ordinaires, des individus qui sont déjà marginalisés ou qui n’appartiennent pas aux réseaux sociaux les plus puissants sont maintenues hors des espaces participatifs.

Il convient cependant de remettre en perspective l’apport de la Convention à la politique de développement globale de l’État. Il est ainsi écrit dans le descriptif du contenu de la convention que :

La méthodologie de préparation d’organisation de la Convention (…) repose sur la stratégie 2007-2032, le plan quinquennal 2012-2016, le programme triennal 2012-2014, le programme exécutif du renouveau agricole, la stratégie de développement de l’agriculture saisonnière traditionnelle, l’initiative du Vice- Président de la République sur le Nord Kordofan, l’initiative du Président de la République sur l’autosuffisance alimentaire arabe, et les engagements vis-à-vis des accords régionaux et internationaux (Gouvernement du Nord Kordofan 2014a).

Les citoyens ayant participé à la rédaction de la Convention n’avaient donc pas toute latitude pour inventer de toute pièce la stratégie de développement de l’État, cette dernière devant être en cohérence avec un ensemble d’autres initiatives locales et nationales. Il apparaît par conséquent que cette modalité de participation, qui semblait approfondie, reste très limitée dans la pratique et ne se situe pas réellement dans une perspective bottom-up. Les discours des acteurs qui se sont investis dans la mise en place de l’initiative sont d’ailleurs contradictoires à cet égard. Karim, Yunus ainsi qu’Adil, un informaticien rencontré au bureau du gouverneur, utilisent le terme bottom-up pour désigner les projets de la Renaissance. À l’inverse, Yasin, qui joue un rôle important dans la mise en place de l’initiative, explique clairement qu’il s’agit d’une

structure top-down. Il ajoute que cela changera peut-être plus tard afin d’introduire une dimension démocratique105.