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2.1 Mobiliser par le discours : intelligibilité et légitimité de la participation

2.2 Les pratiques de la participation

2.2.1 La participation comme consultation

2.2.1.2 Participation ou représentation

D’autres arènes de participation ont ensuite été mises en place, néanmoins elles soulèvent la question de ce qui relève de la participation, de la représentation ou encore de la mobilisation. Ces arènes sont instaurées à tous les niveaux administratifs de la wilaya. Un comité de haut niveau est mis en place à l’échelon de l’État, à El Obeid. Sa structure interne est inspirée de celle de son prédécesseur, avec des représentants de chaque secteur d’activité, de chaque religion et de chaque ethnie répartis dans des sous-comités. Ce conseil inclut des ministres et des membres du Parlement et constitue donc une institution supposée renforcer la communication entre les autorités et la société. La structure est reproduite à chaque palier de gouvernance, avec des conseils du nafîr plus petits dans chaque localité puis dans chaque unité administrative. Les membres de ces institutions sont sélectionnés et non élus106. C’est le gouverneur qui s’en charge pour le comité de haut niveau, le commissioner, qui dirige la localité, pour les conseils au niveau de la localité et ainsi de suite. Il y a cependant des critères:

People should be accepted by people, be famous, communal leaders, whatever their political affiliation. It is not only NCP people. They should be accepted by people, work for the people: teachers, women, youth, students... 30 % of the members should be women, same as the National Assembly107.

Ce processus de sélection soulève plusieurs questions. Premièrement, il est en contradiction avec la logique participative, qui repose sur une ouverture de ces arènes dans une

105 Entretien, 10 novembre 2015, El Obeid.

106 Entretien avec Yasin, 10 novembre 2015, El Obeid. 107 Entretien avec Yasin, 10 novembre 2015, El Obeid.

perspective qui soit la plus inclusive possible. Deuxièmement, cette institutionnalisation de la Renaissance se construit sur le modèle des divisions administratives de l’État soudanais, posant la question d’une éventuelle concurrence entre les comités du nafîr et les différentes administrations et institutions représentatives qui existent à chaque niveau. À ma question sur ce sujet, Abbud s’empresse de répondre que ces institutions ne sont pas parallèles mais qu’il s’agit d’une hiérarchie verticale et que les deux côtés travaillent en harmonie108. Mon échange avec Karim révèle cependant que la création de ces comités n’était pas nécessairement du gout des représentants élus. Alors que je pose la question de savoir s’il s’agit d’une sorte de structure parallèle à l’administration locale, il me répond : « This is what the MPs said, the political parties. But it is not a parallel structure 109». L’inclusion de membres des différents échelons de gouvernement dans les comités du nafîr peut être interprété comme un moyen de les rassurer, alors même que d’habitude les comités en charge d’un nafîr ne comprennent pas de représentants du gouvernement110. Cela peut également être un moyen de s’assurer que ces notables n’entravent pas le bon déroulement des projets, car comme le rappelle Ilias,

If you consult the community directly, some of the government people, institutions, won’t be happy. You have to work with them. For some of them, if things don’t happen with them, then it won’t happen at all111.

Les comités du nafîr n’ont donc pas de fonctions représentatives, mais ils n’apparaissent pas non plus comme des institutions participatives. Leur mandat est en fait double : premièrement, ils sont censés fournir une expertise aux parlementaires et au gouvernement qui possèdent le

108 Entretien, 1er décembre 2015, El Obeid. 109 Entretien, 5 octobre 2015, Khartoum.

110 Entretien avec Ghazi, professeur, 13 mai 2015, Khartoum. 111 Entretien, 26 mai 2015, Khartoum.

pouvoir décisionnel en matière de politique publique ; deuxièmement, ils sont chargés de mobiliser la population. Abbud, qui est membre du comité au niveau de la wilaya, indique ainsi que le mandat de cette institution est de formuler des idées et de proposer des analyses mais également de faire la promotion du nafîr et de contribuer à l’internalisation de l’idée112. Karim affirme quant à lui que le comité est comme un groupe de conseil qui donne son avis sur les projets du gouvernement avant que ce dernier ne les présente au Parlement afin de les améliorer. Ces comités ne semblent cependant pas remplir leurs rôles. Ainsi, bien qu’il ait été supposé être l’institution centrale pour la mise en place de la Renaissance, le Haut Comité a été progressivement mis sur la touche, au point de n’être plus qu’une coquille vide, et ce de façon très littérale. En effet, lors de ma visite à El Obeid, j’ai tenté de visiter le quartier général de l’organisation et, malgré les énormes signes colorés au-dessus de la porte, le bâtiment était vide et personne n’est venu ouvrir la porte. Selon l’un de mes informateurs, ce conseil aurait cessé ses activités et tout passerait désormais par le cabinet du gouverneur113. Bien que cela puisse s’expliquer par la personnalité du gouverneur, dont certains disent qu’il a du mal à déléguer les responsabilités114, il peut également s’agir d’une conséquence de l’inefficacité du conseil. Karim indique en effet explicitement que ce conseil ne fonctionnait pas très bien, sans toutefois vouloir donner davantage de détails115. Concernant leur fonction de mobilisation de la population, il semblerait que ces comités soient essentiellement utilisés pour récolter et transmettre les donations des citoyens. La participation de la majeure partie de la population se limite en effet

112 Entretien, 1er décembre 2015, El Obeid.

113 Entretien avec Fouad, fonctionnaire au Ministère de la Culture, 8 novembre 2015, El Obeid ; Entretien avec

Muhammad, ancien fonctionnaire de haut niveau et politicien, 28 novembre 2015, El Obeid.

114 Entretien avec Muhammad, 28 novembre 2015, El Obeid. 115 Entretien, 5 octobre 2015, Khartoum.

à apporter de l’argent à la Renaissance, même si au cours des entretiens plusieurs personnes mentionnèrent des exemples de consultations populaires impliquant un groupe de citoyens plus large. Ces mentions se limitaient toutefois à des références à de vagues réunions.

Un seul exemple fut décrit en détail : après l’adoption de la Convention, Haroun demanda à chaque commissionner de développer un plan pour sa propre localité en utilisant la même méthode participative. Il décida ensuite d’organiser des Conseils des ministres dans chaque localité, donnant l’occasion à chaque commissioner de présenter son plan. Ces Conseils étaient supposément ouverts à tous, et les citoyens, après avoir écouté leur représentant, pouvaient exprimer leur opinion. Les plans furent refusés dans plusieurs localités, ce qui, selon Karim, indique clairement que le processus n’avait pas été participatif116. À Bara, l’idée de développer un plan directeur pour la ville serait issue de la participation des citoyens à cette réunion117. Il convient toutefois de préciser que des récits contradictoires de ces réunions coexistent. Pendant ma visite à Bara, Yunus m’indiqua que ce sont des « citoyens d’honneur » qui étaient invités à ce Conseil des ministres. Ils possédaient alors un droit de vote égal à celui des ministres118. Lorsque je demandais comment il était possible d’obtenir une invitation, il me répondit qu’il s’agissait principalement de membres d’ONG, des partis d’opposition et de l’administration traditionnelle. Il s’agissait donc encore une fois de notables. La participation populaire est utilisée ici pour mettre les commissioners sous pression, ce qui fonctionna apparemment puisqu’après les premières réunions houleuses, les choses se passèrent mieux119.

116 Entretien, 5 octobre 2015, Khartoum.

117 Entretien avec Masud, architecte, et Yunus, élu local, 14 novembre 2015, Bara. 118 Entretien, 14 novembre 2015, Bara.

Pour conclure, même dans le cas d’exemples de participation plus large, la logique reste celle d’une action top-down avec des arènes participatives réservées en grande partie aux notables.