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Une participation négociée ? Le rôle des syndicats et des corps professionnels Ces prélèvements sur les salaires étaient apparemment au départ une simple suggestion

2.1 Mobiliser par le discours : intelligibilité et légitimité de la participation

2.2 Les pratiques de la participation

2.2.3 De participation à taxation

2.2.3.2 Une participation négociée ? Le rôle des syndicats et des corps professionnels Ces prélèvements sur les salaires étaient apparemment au départ une simple suggestion

et devaient être effectués volontairement155. Ils seraient ensuite devenus obligatoires156, démontrant ainsi combien les pratiques participatives de la Renaissance impliquent des degrés variables d’agentivité et de coercition. Ces diverses taxes, en particulier celles prélevées sur les salaires, ont été négociées avec les syndicats et autres corps professionnels157. Ainsi, lorsque je

154 Pour une analyse du rôle de l’impôt dans la construction de l’État, voir les ouvrages de Charles Tilly (1992) et

Norbert Élias (1975).

155 Entretien avec Fouad, 8 novembre 2015, El Obeid ; Entretien avec Yunus, 14 novembre 2015, Bara. 156 Entretien avec Fouad, 8 novembre 2015, El Obeid.

157 Entretien avec Abbud, 1er décembre 2015, El Obeid ; Entretien avec Musa, exportateur de bétail, 19 novembre

demandai à Asad si des réunions avaient eu lieu au sein de l’université pour déterminer les sommes que les étudiants et les professeurs donnent, il me répondit « It is the union, the labor federation who can decide158 ». Abbud indique la même chose, en précisant que « it is agreed upon by people working for nafîr and the unions, for instance the student unions159 ». Or, les syndicats étudiants en particulier sont extrêmement politisés au Soudan, comme en témoignent les affrontements réguliers lors des élections étudiantes entre étudiants pro-NCP et pro- opposition. Si ces conflits, parfois très violents, touchent avant tout l’Université de Khartoum160, conduisant régulièrement à sa fermeture pour des durées indéterminées (Abbas 1991), l’Université du Kordofan n’en a pas été exempte. En avril 2016, un étudiant a trouvé la mort et une vingtaines d’autres ont été blessés lors d’affrontements entre partisans de l’opposition et partisans du NCP durant la campagne électorale pour l’Union des Étudiants (Radio Dabanga 2016, Sudan Tribune 2016). Des violences avaient également éclaté en 2015 (Radio Dabanga 2015a).

Cette politisation est le résultat d’une stratégie du régime d’el-Béchir, entamée par le NIF avant même sa prise de pouvoir. Le pouvoir économique acquis par le parti après la décision prise par le Président Nimeiri d’islamiser l’économie à la fin des années 1970 lui a en effet permis d’instaurer des relations de patronage avec certains étudiants : « in what has been an extremely sluggish job market, student leaders who owed their allegiance to the NIF have gotten jobs in Islamic banks, firms and organizations controlled by the NIF (Abbas 1991, 3) ». Le régime actuel a perpétué ces pratiques clientélistes. Le Président Nimeiri donna également au

158 Entretien, 29 novembre 2015, El Obeid. 159 Entretien, 1er décembre 2015, El Obeid.

NIF tout pouvoir dans le domaine de l’enseignement supérieur en échange de la pacification des campus. Le NIF et ses supporters muselèrent alors les étudiants proches de l’opposition, utilisant au besoin la violence pour monopoliser l’arène politique au sein des universités. Cette stratégie était également essentielle pour remplir l’objectif de prise du pouvoir dans la mesure où les syndicats étudiants soudanais sont historiquement les incubateurs des partis politiques et un moyen de façonner les futures élites (Bishai 2008). Dans ce contexte, « student union elections - with party sponsoring and mentoring- were run each year with all the seriousness of national political parties (Bishai 2008, 4) ». À son arrivée au pouvoir, le régime conduisit une vaste politique d’exclusion et de licenciement des professeurs et étudiants qui lui étaient opposés, en particulier à l’Université de Khartoum (Abbas 1991). Chancelier, vice-chancelier et directeurs de départements, auparavant élus, furent remplacés par des personnalités nommées par le gouvernement central (Bishai 2008, 5). C’est d’ailleurs sans doute pour contribuer à l’affaiblissement de l’Université de Khartoum, qui avait toujours été le principal lieu de production des élites et de contestation des pouvoirs en place, que le régime créa, à la fin de 1989, de nouvelles universités dans les régions périphériques, y compris au Kordofan.

Cet historique conduit donc nécessairement à questionner la dimension consensuelle d’accords négociés entre ces syndicats contestés, qui ne sont pas nécessairement représentatifs ni légitimes, et le Gouvernement du Nord Kordofan. Abbas affirme cependant que seuls les syndicats étudiants ont été capturés par le régime, l’obsession du gouvernement central pour ces derniers résultant de ses échecs dans ses tentatives de prise de contrôle des associations professionnelles et des autres syndicats qui lui restèrent fermement opposés (Abbas 1991, 5). Le fait que le gouvernement central ait décidé en 1989 de dissoudre tous les syndicats à l’exception des syndicats étudiants semble avaliser cela. Les syndicats soudanais étaient en outre

historiquement liés au Parti Communiste, très puissant jusqu’à l’arrivée au pouvoir du Président Nimeiri auquel il s’opposa, restant, contrairement au NIF, constamment dans l’opposition. Il est cependant difficile, étant donné le peu de recherches existant sur ce sujet, de déterminer dans quelle mesure les syndicats actuels, qui ont été recréés par le régime et dont les dirigeants ne sont pas élus et sont des fidèles du régime (El Murtada 1993), perpétuent cet héritage de relative indépendance face au pouvoir.

Conclusion

L’analyse des discours autour de la Renaissance ainsi que de la mise en œuvre des pratiques participatives met en évidence combien la tradition se trouve transformée par les autorités, réinterprétée en symbole des valeurs kordofanaises et en système de taxation devenu ainsi acceptable et légitime. Les citoyens eux-mêmes ne sont pas sans percevoir le processus à l’œuvre, comme en témoigne l’agacement de Hilal lorsqu’il indique qu’il est devenu difficile de distinguer ce qui est du nafîr et ce qui n’en est pas161. La participation dans le contexte de la Renaissance opère comme une forme de gouvernementalité. En premier lieu se déroule un processus de représentation (Jha, Shajahan, et Vyas 2013) à travers lequel le gouvernement définit un espace discursif dans lequel l’exercice du pouvoir va être rationalisé à travers la définition d’une communauté et d’arguments justifiant l’exercice de ce pouvoir au nom de la nécessité et de l’identité. En second lieu, ce discours est la condition de possibilité de formes spécifiques d’intervention sur la communauté et les individus qui la composent. Cette intervention se traduit par la mise en place d’institutions, de procédures, de normes formelles et

informelles de comportement qui vont s’introduire dans la vie quotidienne des membres de la communauté. La domination de l’État qui se trouve ainsi renforcée est cependant rendue acceptable par les concessions à son autorité que ce dernier réalise en faisant appel à une tradition qui le situe explicitement dans une relation d’interdépendance vis-à-vis des citoyens.

Cette interdépendance va de pair avec la construction d’une identité entre les citoyens sommés de participer et les autorités qui initient et organisent cette participation. Cette similarité se trouve premièrement dans le fait que les autorités se font également participantes, mais également dans la mise en place d’un discours qui établit une distinction eux/nous entre les Nord-Kordofanais, groupe comprenant les autorités, et l’État central. Au-delà de la dimension identitaire, cette communauté de destin entre la population et ses gouvernants est également établie à travers la conception de la Renaissance comme œuvrant pour le bien commun. Mais cet aspect consensuel est aussi un acte de pouvoir qui dissimule les relations de pouvoir et l’existence de contestations locales. C’est vers l’analyse de cette dimension que nous nous tournons à présent.

Chapitre 3 : La fabrique du consensus : Renaissance et