• Aucun résultat trouvé

résilience de l’autoritarisme : outils d’analyse et démarche de recherche

1.1 Trois mécanismes

1.1.4 Discussion et cadre théorique

Les relations entre développement et résilience autoritaire sont donc multiples, et les mécanismes par lesquels l’un alimente l’autre sont nombreux. Les politiques de développement sont les outils et les espaces dans lesquels la cooptation, le contrôle et la légitimité se développent et s’exercent. Elles sont des courroies de transmission du pouvoir autoritaire32d’autant plus efficaces que le discours du développement permet d’effacer leur dimension fondamentalement politique et leur confère une légitimité propre. Ces politiques constituent donc bien une porte d’entrée féconde pour les réflexions sur le fonctionnement de l’autoritarisme, et des régimes politiques en général.

Cette analyse de la littérature a permis de mettre en évidence trois façons dont les politiques de développement peuvent spécifiquement contribuer à la résilience : (1) en produisant et distribuant la rente qui permet aux dirigeants d’entretenir leur coalition gagnante ; (2) en construisant des espaces, à travers des discours et des dispositifs matériels, où peut s’exercer un pouvoir disciplinaire ; (3) en légitimant et dépolitisant ce pouvoir à travers un discours plus général sur la « volonté d’amélioration ». Ces dimensions ne sont pas toutes conditionnées, ou sensibles, au succès des politiques, d’autant plus que ce qui constitue exactement une politique de développement réussie ne va pas de soi. Certaines politiques sont porteuses d’améliorations à plus long terme, qu’il est difficile de chiffrer et d’évaluer. D’autres peuvent simultanément bénéficier à certains groupes et nuire à d’autres dont les intérêts divergent. Enfin, certains projets peuvent avoir des conséquences néfastes et imprévues pour les

32 Nous avons toutefois pu voir au cours de cette revue de littérature que ces mécanismes peuvent également se

populations cibles. Les mécanismes de contrôle disciplinaire et de dépolitisation sont les moins sensibles aux résultats des programmes de développement. Ils doivent donc être placés au cœur de toute analyse s’interrogeant sur la survie de régimes autoritaires connaissant des échecs économiques répétés.

Au cœur de ces deux mécanismes se trouve la question, soulevée avec acuité par les travaux de Foucault et reprise par les approches critiques en sociologie et anthropologie du développement, de l’intersection entre savoirs, discours et pratiques. Le cadre théorique adopté ici se situe dans la continuité de ces travaux, analysant comment les relations de pouvoir peuvent être reproduites à travers une politique de développement spécifique. Il entretient par conséquent des liens étroits avec les analyses de la résilience autoritaire proposées par Béatrice Hibou et Lisa Wedeen, qui s’appuient également sur les recherches de Foucault. En s’intéressant explicitement à la domination et au consentement, des concepts souvent absent des travaux néo- institutionnalistes sur la résilience, leurs recherches permettent de s’écarter d’une vision trop rationaliste et fonctionnaliste des systèmes autoritaires. En effet, si l’intentionnalité des acteurs ne doit pas être niée et joue un rôle dans la reproduction de la domination, l’aborder avec les outils du choix rationnel conduit à laisser de côté le rôle de la routine dans les comportements adoptés, mais aussi l’influence de ce que Weber appelait la « sottise humaine », c’est-à-dire la réalité non conforme à la théorie économique (Hibou 2011, 10). Sans nier l’existence de manœuvres conscientes menées par le régime et les divers acteurs, qu’ils fassent partie de la classe dirigeante ou de la masse des citoyens, cette thèse aborde ces stratégies dans toutes leurs incertitudes et leurs incomplétudes.

L’approche par mécanismes permet cela, car en mettant en évidence les relations complexes que ces mécanismes entretiennent - tantôts complémentaires, tantôt contradictoires -, elle permet de prêter attention aux contradictions et aux ambigüités de la domination autoritaire. Chaque mécanisme identifié est donc présent dans tout régime autoritaire, sous des formes et des degrés d’importance qui varient en fonction du contexte et de la période. Ces régimes sont en effet dynamiques, ils ne s’appuient pas nécessairement sur les mêmes mécanismes tout au long de leur existence. C’est justement leur capacité d’adaptation et de création qui explique leur résilience, bien plus que des variables substantielles comme les institutions ou la culture. Les mécanismes ne sont donc pas mutuellement exclusifs, leurs contours étant en outre souvent flous, tant sur le plan théorique qu’empirique. Il est en effet particulièrement complexe de distinguer clairement ce qui relève de la croyance ou de la logique de l’échange dans l’acquiescement à la domination, ou encore de distinguer consentement et conformité. Par conséquent, si les politiques de développement permettent la mise au pas de la population, elles ne sont pour autant pas considérées comme une variable explicative déterminante. Elles sont plutôt conceptualisées comme constitutives du système autoritaire, entretenant avec lui une relation d’identité et non de causalité (Goertz 2006, 59). Cette perspective marque le passage du « pourquoi » de la résilience à celui du « comment », de l'explication à la compréhension.

Au niveau théorique et empirique, souligner ces dimensions ambigües et incertaines du pouvoir autoritaire, entre rationalité et hasard, passe par une focalisation sur la dimension relationnelle de la domination. Comme l’indiquait Weber, « tout véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d’obéir (1971, 285) ». Domination et consentement sont donc inséparables, et c’est dans le jeu constant entre les deux que se comprend la résilience autoritaire.

À cette vision relationnelle de la domination s’ajoute la nécessité d’appréhender ces relations dans leurs aspects concrets. Selon Hibou en effet, pour comprendre cette volonté d’obéir, « il importait d’analyser les situations concrètes, singulières et historiquement situées (2011, 15) ». C’est justement ce que permet de faire la focalisation sur les politiques de développement. Hibou appelle cela la localisation : « entrer, pour une situation donnée, dans le fonctionnement effectif des institutions, et plus encore des comportements (2006b, 20) ».