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2.1 Mobiliser par le discours : intelligibilité et légitimité de la participation

2.1.3 Puiser dans le registre identitaire pour mobiliser

2.1.3.2 Concrétiser la communauté

La spécificité du Nord Kordofan est donc avant tout un acte de langage qui construit la communauté au moment même où il prétend la décrire. Les autorités de la wilaya vont cependant mettre en place des actions concrètes pour mobiliser les citoyens en faisant appel à leur sentiment d’appartenance. Celles-ci sont également l’occasion de donner à voir la communauté. Dans leur promotion du nafîr, les autorités insistent sur l’héritage spécifique et valorisant de la province. Lorsqu’il va sur les marchés de Khartoum mobiliser les expatriés kordofanais, Kedar fait appel à des célébrités kordofanaises qui viennent chanter pour la population : « they tell them about Kordofan, our people, and the history, our grand (unintelligible) so and so… 86». La façon dont la communauté a été définie permet ici d’intervenir auprès d’individus considérés comme en étant membres malgré leur éloignement géographique. En effet, le groupe est défini par une identité kordofanaise spécifique, mais celle-ci n’est pas spatialement restreinte aux individus habitant sur le territoire du Nord Kordofan. Il existe de fait un comité chargé de mobiliser les expatriés dans les pays du golfe, que Kedar mentionne en utilisant les termes « our girls and boys87 ». Par ailleurs, une exposition mobilisant l’image du Mahdi a eu lieu à El Obeid. Le vernissage a été organisé le 8 novembre 2015 en présence d’Ahmed Haroun. Malgré la présence d’une

86 Entretien, 19 mai 2015, Khartoum. 87 Entretien, 5 octobre 2015, Khartoum.

représentation du Mahdi sur le matériel promotionnel, seuls quelques artefacts de cette époque étaient exposés, la majeure partie des œuvres étant des productions d’artistes kordofanais contemporains. À cet égard, il convient de préciser qu’il est difficile de déterminer si cette exposition était commanditée par les autorités, ou si elle relevait d’une stratégie de la part des organisateurs - une association d’artiste et le Musée Shikan88- pour bénéficier du soutien du gouverneur en s’inscrivant ostensiblement dans la perspective de la Renaissance.

Cette volonté de mobiliser les citoyens par rapport à une culture et un passé rendus sources de fierté est également visible à travers les projets qui ont été jugés prioritaires par le gouvernement. Parmi les premières infrastructures construites ou rénovées se trouvent ainsi les équipements sportifs. El Obeid possède maintenant un nouveau stade qui a obtenu une certification de la Confédération Africaine de Football qui lui permet théoriquement d’accueillir des matchs internationaux. Une « cité olympique », avec pelouses et logements, est également en cours de construction.

Figure 1. La « Cité Olympique » en construction, El Obeid

Le club de football de la ville a obtenu de nouveaux fonds avec la Renaissance, en concordance avec l’objectif de revitalisation du sport dans l’État qui fait partie de la Renaissance. L’un des buts poursuivis était notamment de faire en sorte que l’une des équipes de l’État intègre le championnat national. La Renaissance a donc fourni des fonds au club d’El Obeid afin qu’il puisse avoir de nouveaux joueurs, de meilleurs entraînements et de nouvelles infrastructures89. En 2015, le club a réussi à réintégrer le championnat national, comme c’était le cas dans le passé90. Cet exploit sportif est ici encore une fois articulé à un passé prestigieux. Évoquant El Obeid dans les années 1960, Hilal parle ainsi d’une ville bien entretenue, dont les rues étaient nettoyées et qui possédait une gare ferroviaire en activité9192. La décision de faire des installations sportives une priorité peut sembler contre-intuitive dans un État où les besoins en éducation et infrastructures sanitaires sont si importants et alors que le slogan de la Renaissance est « De l’eau, des routes et des hôpitaux ». Elle prend pourtant tout son sens au vu du discours centré sur l’identité kordofanaise et de la volonté de donner corps à une communauté. En effet, « Football is a good tool to get the community to get together. It is one way of getting people to support the nafîr93 ». En mettant en place des infrastructures comme les stades qui permettent aux citoyens de se réunir physiquement, les autorités permettent à la communauté de prendre corps matériellement, ils lui donnent l’espace de s’incarner ponctuellement à travers des

89 Entretien, 1er décembre 2015, El Obeid.

90 Entretien avec Fatih, 11 novembre 2015, El Obeid. 91 Entretien, 7 novembre 2015, El Obeid.

92 La reine Elizabeth II se rendit d’ailleurs El Obeid lors de sa visite au Soudan en 1965. 93 Entretien avec Abbud, 1er décembre 2015, El Obeid.

spectacles et des rituels et d’exprimer son appartenance identitaire94.

L’ensemble de ce processus de construction et de concrétisation de la communauté est donc à la fois la condition de possibilité de la participation et une stratégie afin de la susciter en jouant sur les registres de la nécessité et de l’émotion. Le registre émotionnel est d’ailleurs explicitement mobilisé par Karim, qui raconte que la présentation de la Renaissance et du nafîr « touched the heart of everyone95 ». Le recours aux symboles, qui sert à définir et faire émerger la communauté, permet une incorporation des citoyens à l’État local à travers un processus d’identification subjective (Chazan 1988, 138) qui se trouve être parallèlement un processus de distinction face à l’État central. La participation devient un devoir vis-à-vis de la communauté car il s’agit à la fois de sa survie et de sa fierté. Ces deux choses sont toutefois définies en premier lieu par les organisateurs de la Renaissance, qui cherchent alors à enclencher les processus conjoints de responsabilisation et d’appropriation qui se mettent en place dès lors que le développement du Nord Kordofan devient la responsabilité morale de la population. Comme le dit Asad, « The city is yours, the state is yours, you should participate96 ».