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2.1 Mobiliser par le discours : intelligibilité et légitimité de la participation

Chapitre 3 : La fabrique du consensus : Renaissance et dissidence

3.1 Le développement dépolitisé

3.1.2 La dépolitisation de l’approvisionnement en eau

3.1.2.1 Cinq dimensions de la dépolitisation

La mobilisation de compétences scientifiques :

L’insistance sur les aspects techniques du problème et sur la nécessité d’expertise se manifeste clairement dans la façon dont cet enjeu est abordé dans les documents officiels :

Concernant la résolution définitive du problème des eaux dans la province mais surtout à El-Obeid, plusieurs études ont été élaborées antérieurement, et avec l’évolution technologique croissante dans le monde, nous avons formé une équipe consultative d’experts à laquelle ces études ont été présentées et dont nous attendons le dernier mot, tout en lui permettant de s’aider avec des experts internationaux (Gouvernement du Nord Kordofan 2014b).

La question de l’eau est bien abordée sous un angle technique : des études sont réalisées, des experts locaux et internationaux mis à contribution. Un « comité technique provincial » va être formé et placé sous l’égide du Ministère de l’Aménagement Urbain pour coordonner et surveiller la mise en place des projets : « ce comité révisera les études dans le but de les attester, surveillera techniquement et délivrera les certificats de réalisation (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.) ». Ce sont en outre à des compagnies « compétentes », choisies dans un registre préétabli par le Département des eaux du Ministère, que sera confiée la réalisation des projets. Par ailleurs, une unité spéciale pour le suivi et l’évaluation, dépendante du Ministère, sera formée. Elle sera dotée d’un « personnel compétent afin de suivre l’exécution des activités, de

régler les problèmes et de proposer les solutions (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.) ». Elle sera également chargée de rendre compte aux donateurs de l’évolution des projets et de « documenter et diffuser à travers les médias la contribution de ces donateurs afin que la communauté soit au courant (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.)». L’insistance sur la dimension scientifique et technique des projets est également visible dans l’organisation de conférences « afin d’évoquer les politiques du secteur d’eau et d’assainissement, les plans stratégiques, les directives et les standards techniques du secteur (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.) », dans la formation prévue de 450 membres du personnel, dans le dépôt de 14 thèses de doctorat et de maîtrise et enfin dans la volonté de création d’une base de données.

La focalisation sur les « hard issues » :

Les initiatives concrètes mises en place concernent avant tout les infrastructures, ce que Botes et Van Resburg (2000, 46 - 47) appellent les hard issues. Il s’agit des aspects technologiques, financiers et matériels des projets ; par opposition aux soft issues tels que le développement des communautés, les procédures de prise de décision ou encore l’émancipation des participants. Le résultat, selon eux, est un biais techniciste « which neglects the fact that inappropriate social processes can destroy the most noble development endeavour (2000, 47)». Sur le sujet plus spécifique de l’approvisionnement en eau d’El Obeid, le gouverneur explique ainsi que

Nous avons entamé un programme de traitements sérieux des problèmes d’eau à El-Obeid composé de deux phases : (1) une rénovation complète du réseau d’eau de la ville et un accroissement de sa capacité en augmentant la longueur des lignes et des réseaux de distribution dans la ville de 274 à 1 311 km. Cette augmentation prendra en considération la couverture de tous les quartiers de la ville, et l’absorption de son futur élargissement. (2) La multiplication de la production réelle des eaux afin de couvrir les besoins de la ville de 20 000 mètres cubes par jour à 64 230 mètres cubes par jour, et ceci à travers l’accomplissement

de la seconde phase des puits du Bassin souterrain de Bara (18 nouveaux puits), l’augmentation de la capacité de stockage des sources du sud à 3 million de mètres cubes, de l’Ouest (Al-Jalabia) à 1 million de mètres cubes, du Nord (Al- Junzara and Al-Sissa) à 1 million de mètres cubes ; en plus de l’augmentation de la capacité de transport à partir des sources, l’accomplissement de la nouvelle ligne de transfert, l’installation d’une nouvelle ligne 18 pouces et de trois stations de distillation. Bien sûr, nos travaux atteindront les villes d’Al-Rahad, Oum-Ruwaba, Bara, Jabrat Al-Cheïkh, Oum-Dam, Sodari et Oum-Kirédim, en plus de l’exécution d’un plan complet des eaux de la campagne afin de réduire l’écart entre la demande et la quantité disponible (Gouvernement du Nord Kordofan 2014b).

Cette focalisation sur les infrastructures se retrouve dans le document consacré aux enjeux sanitaires de la province, dans lequel plusieurs objectifs précis et chiffrés sont formulés (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.) :

1) Amoindrir l’écart d’eau potable pour les hommes et les animaux de 61 % à 30 % au dernier quart de l’année 2015, et à 10 % à la fin de 2016, en aménageant 397 puits souterrains, 969 puits superficiels, 615 pompes à eau et 1194 pompes sophistiquées, en plus des projets de réserve d’eau (la construction de 6 barrages et 397 « hafirs » (barrages primitifs);

2) Augmenter le taux de couverture des égouts dans les établissements scolaires de 36 à 60 % en 2015, et à 100 % en 2016, avec la construction de 1044 toilettes; 3) Augmenter le taux de couverture des égouts aux centres sanitaires de 40 à 70 % en 2015, à 100 % en 2016, avec la construction de 353 toilettes.

L’impact de ces projets est ambitieux, puisqu’il est indiqué qu’ils vont remplir

Les objectifs du développement, de la protection de l’environnement, du combat contre la pauvreté, de l’amélioration du niveau de vie, de la stabilité, de l’amélioration de la santé publique et de la scolarité, avec un coût total de 1 944 246 250 SDG172 (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.).

Si le lien entre la construction de toilettes et l’amélioration de la santé publique est clair, celui avec la « stabilité » est a priori bien plus ténu.

La transformation du sous-développement en données chiffrées :

La transformation du sous-développement en données chiffrées permet de fournir une justification et une rationalisation à l’élaboration des projets d’infrastructures et à leur distribution géographique. Les extraits cités précédemment témoignaient déjà de cette obsession du chiffre, mais elle est également visuellement évidente dans le document qui traite spécifiquement de la question de l’eau, qui ne contient pas moins de douze tableaux présentant des données numériques ainsi que trois cartes sur un total de 29 pages. La première est une simple carte géographique, la seconde est une carte géologique et la troisième indique la localisation des bassins souterrains, ce qui permet bien entendu de justifier le creusement de nouveaux puits dans certaines zones spécifiques. La provenance de ces données et les actions mises en place pour les collecter, en d’autres mots la question du « comment », ne sont pas explicitées. La multiplication des chiffres donne l’apparence de l’expertise et de la scientificité, la transformation du réel en données numériques permettant de présenter les apparences de l’objectivité.

L’utilisation du jargon :

Scientificité et compétence sont également acquises via la mobilisation d’un jargon propre à l’industrie du développement. Il est par exemple indiqué que l’une des missions est de « Développer les capacités du secteur et renforcer le rôle de bonne gouvernance à travers le développement des ressources humaines, les systèmes d’information, le travail rigoureux dans les localités ainsi que les moyens logistiques (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.)». On évoque le « renforcement institutionnel » et le « développement des capacités », sans que ne soient précisées les capacités de qui ou les capacités à faire quoi. En revanche, ce jargon possède

un impact important à travers sa transformation en chiffres : un budget de 1 466 250 SDG173 est donc prévu pour le « renforcement institutionnel et le développement des capacités ». Lorsqu’est évoquée la nécessité de réviser et actualiser les « règlements et lois en relation avec le secteur de l’eau et l’assainissement de l’environnement (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.) », c’est pour discuter encore une fois d’aspects techniques : on parle ainsi de « plans stratégiques », de « directives » et de « standards techniques ». Enfin, la Convention mentionne que le but est de « réduire l’écart entre la demande et la quantité disponible », convoquant ici des notions empruntées au domaine de l’économie.

Les causes du problème :

Pour finir, le processus de dépolitisation se manifeste clairement dans les causes identifiées aux problèmes d’approvisionnement en eau. Il est ainsi expliqué ainsi que

Le Nord Kordofan se situe dans la zone semi désertique du centre du Soudan. La province souffre de la détérioration des ressources naturelles due aux vagues répétitives de sècheresse, causant la baisse de la productivité du sol, la détérioration des moyens de subsistance et la chute des indices sociaux (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.).

Il est indiqué plus bas que

Selon les chiffres de la Stratégie du Soudan dans le Combat contre la Pauvreté 2011, le pourcentage de la pauvreté dans la province est d’environ 58 %, donc supérieur à la moyenne du pays (46,5 %). Les facteurs du changement climatiques sont l’une des causes de la hausse des taux de pauvreté. Cette hausse est liée à la baisse des quantités d’eaux potables ou même les eaux destinées aux activités agricoles limitées (productions jardinières) (Gouvernement du Nord Kordofan, s. d.).

Si les réformes annoncées en termes d’organisation et de bureaucratie laissent à penser que l’une des causes peut être l’incompétence, c’est le changement climatique qui se trouve

constamment mobilisé comme principal responsable du sous-développement dans les documents officiels, un enjeu sur lequel les politiciens n’ont, bien entendu, aucune prise. Le blâme ne se situe ainsi pas sur les individus, mais sur des phénomènes hors de leur contrôle et auxquels ils ne peuvent guère que réagir.