• Aucun résultat trouvé

2.1 Mobiliser par le discours : intelligibilité et légitimité de la participation

2.2 Les pratiques de la participation

2.2.2 Vers davantage d’agentivité ? De participation à donation

2.2.2.1 Entre participation suscitée et mobilisation spontanée

Pour la majeure partie des citoyens, le nafîr se traduit par une contribution financière, encouragée par les comités du nafîr. La tâche principale du comité de Khartoum est ainsi de pousser les citoyens originaires du Nord Kordofan à faire des dons. J’ai eu l’occasion de visiter le siège de ce comité à deux reprises. Lors de mon premier terrain, il était installé dans le centre de Khartoum, près du souk al-arabi. Une grande urne transparente était posée dans un coin de

120 Entretien avec Asad, 29 novembre 2015, El Obeid ; Entretiens avec Kedar, 19 mai et 5 octobre 2015, Khartoum,

Entretien avec Fatih, 11 novembre 2015, El Obeid.

121 Entretien avec Kedar, 19 mai 2015, Khartoum.

la pièce principale, prête à recevoir l’argent en espèces. Je n’ai pas eu l’occasion de revoir cette urne lors de mon second terrain. Le comité avait déménagé dans un autre quartier, mais Kedar m’affirma que l’urne était toujours là, dans une autre pièce. Ce nouveau bureau est d’ailleurs situé dans le même bâtiment que la représentation de l’État du Nord Kordofan à Khartoum, qui aurait accepté de partager son espace afin de minimiser les coûts. Cette situation contribue cependant, encore une fois, à l’effacement de la distinction entre les comités en charge du nafîr et l’administration régulière de la wilaya. Les membres du comité sont des volontaires. Ils se déplacent sur les différents marchés de la ville où ils savent qu’il existe une communauté kordofanaise, informent les commerçants sur la Renaissance et sollicitent leur contribution. Ils amènent également de la nourriture et des boissons. Ils ont, en outre, commencé récemment à imprimer des reçus sur lesquels l’image d’Omar el-Béchir et de Suwar al-Dahab123 brandissant la Convention est imprimée. Plus la donation est importante, plus le format du reçu est grand. Le but est que les commerçants l’encadrent et l’affichent dans leur échoppe.

123 Le général Suwar al-Dahab a dirigé le Soudan pendant un an après la chute de Nimeiri, après quoi il a remis le

pouvoir aux civils ainsi qu’il en avait fait la promesse. Il est depuis 1987 le président de l’Association de l’Appel Islamique (Islamic Call Organization). Bien qu’il soit né à Omdurman, sa famille est apparemment établie à El Obeid.

Figure 2. Reçus du nafîr de la Renaissance pour 10 SDG

Source : Photographie de l’auteure, octobre 2015

Figure 3. Reçu du nafîr de la Renaissance pour 5 000 SDG

Ce comité travaille également à l’étranger, en particulier dans les pays du Golfe, pour mobiliser les migrants kordofanais et les pousser à envoyer des dons124. Il semble toutefois être l’objet de tensions. Lors de ma visite sur un marché de bétail à Khartoum, où travaille une importante communauté kordofanaise, plusieurs marchands m’expliquèrent qu’ils n’avaient pas reçu la visite du comité. Ils étaient cependant bien au courant de son existence. Lorsque je le mentionnais, l’un des commerçants interrogé commença par rire, avant de me dire qu’il n’avait aucune relation avec ce comité et qu’il préférait donner son argent directement chez lui, dans le Nord Kordofan, car les membres de ce comité sont uniquement préoccupés par l’argent125. Dans les zones rurales, les donations peuvent également être faites en nature, le comité du nafîr jouant alors le rôle de relai administratif. Les habitants vont par exemple donner une partie de leur récolte au comité au titre de don pour la Renaissance. C’est le comité qui va ensuite vendre ces récoltes et transmettre l’argent au maire, qui ira le déposer sur le compte en banque dédié à la Renaissance ouvert à la Banque du Soudan126.

La distinction entre ce qui relève de dons spontanés, impliquant un fort degré d’agentivité, et les donations provoquées, notamment par le biais du contrôle social, est ténue. Certains témoignages évoquent des mobilisations spontanées et inattendues. Kedar raconte par exemple que ce sont les écoliers kordofanais qui furent les premiers à participer au nafîr en faisant don de l’argent qu’ils utilisent normalement pour payer leur petit-déjeuner127. Cet argent

124 Entretiens avec Kedar, 19 mai et 5 octobre 2015, Khartoum.

125 Entretien avec Abdul, marchand de bétail, 20 octobre 2015, Khartoum. 126 Entretien avec Yunus, Masud et Imran, 14 novembre 2015, El Obeid. 127 Entretien avec Kedar, 19 mai 2015, Khartoum.

est récolté par le directeur de l’école qui le confie ensuite à l’administration appropriée128. Karim raconte également qu’alors qu’il visitait le marché d’El Obeid, le gouverneur fut abordé par des chauffeurs de taxi. Ils lui expliquèrent qu’ils désiraient contribuer à raison d’un pound par jour. Entendant cela, l’une des sitta chaï129 s’avança à son tour. Elle affirma que les chauffeurs de taxi n’étaient pas meilleurs que les sitta chaï. Pour le démontrer, elle promit que pour chaque dizaine de tasses de thé vendues, elles en donneraient une pour la Renaissance130. Le degré de véracité de ces anecdotes reste bien entendu difficile à établir. Une sitta chaï installée à l’écart du centre-ville m’expliqua par exemple qu’elle ne contribuait pas de cette façon, mais qu’elle payait pour le ramassage des ordures dans la rue. Celles qui reversent l’argent d’une tasse de thé sont les femmes installées dans le centre-ville, en particulier sur le marché principal. Le gouverneur leur aurait en échange apporté du matériel qu’elles payent à crédit et les laisserait tranquilles131. L’anecdote racontée par Karim met toutefois en évidence les mécanismes de pression sociale qui permettent d’éviter les comportements de type passager clandestin, avec des individus profitant des nouvelles infrastructures sans y avoir contribué. Ces mécanismes sont particulièrement importants au sein de communautés soudées dans lesquelles il est central pour les individus de soigner leur réputation afin de préserver leurs relations sociales. L’utilisation de la référence au nafîr renforce cette stigmatisation de la non-participation tout en contribuant, comme nous l’avons vu précédemment, à la cohésion de la communauté.

128 Entretien avec Abdul, marchand de bétail, 20 octobre 2015, Khartoum.

129 Les sitta chaï sont les commerçantes qui vendent du thé et du café dans la rue. 130 Entretien avec Karim, 5 octobre 2015, Khartoum.