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2.1 Mobiliser par le discours : intelligibilité et légitimité de la participation

2.2 Les pratiques de la participation

2.2.2 Vers davantage d’agentivité ? De participation à donation

2.2.2.2 La mobilisation des corps intermédiaires

Les comportements de passager clandestin sont rendus encore plus difficiles dans la mesure où les dons sont également récoltés via les corps intermédiaires, en particulier les associations professionnelles. Les dons ne sont donc pas uniquement individuels. Mohammed, un jeune pharmacien d’El Obeid, m’expliqua ainsi que le syndicat des médecins s’était réuni au début de la Renaissance pour décider de sa contribution132. La Chambre de commerce du Nord Kordofan fut également sollicitée par le gouverneur. Il invita ses membres à une réunion et leur présenta les projets à effectuer dans le domaine de l’éducation. Les commerçants promirent de construire cent nouvelles salles de classe. Ils possédaient d’ailleurs déjà une expertise dans ce domaine puisqu’ils ont établi, au début des années 1980, leur propre école secondaire, encore fonctionnelle aujourd’hui. Les représentants de la Chambre de commerce sont donc allés individuellement à la rencontre des commerçants, et tous ont volontairement donné une somme. Celle-ci fut déposée sur un compte en banque dédié et la Chambre de commerce supervisa la construction des nouvelles salles de classe afin de s’assurer que le travail était bel et bien fait133. La Chambre a également effectué des donations à travers ses cinq chambres (commerce, industrie, transport, artisanat et agriculture). Les dirigeants de l’organisation ont expliqué dans chacune d’entre elles les buts de la Renaissance et fixé une contribution pour chacune d’entre elles. Le montant de la somme fut discuté à l’intérieur de chaque chambre, indépendamment des discussions avec le gouvernement. Selon Fatih, la Chambre de commerce aurait contribué au

132 Journal, 2 novembre 2015.

total à 65 % du budget des projets134. Selon Yusni, cette participation s’élève à 60 000 SDG135 pour la première année de la Renaissance. Le document intitulé Le Total des Revenus du Nafîr

du Nord Kordofan (octobre 2013 - avril 2014), mis en ligne sur le site internet officiel de

l’initiative, répertorie les dons réalisés par les corps professionnels. Si la Chambre de commerce ne s’y trouve pas en tant que telle – ce qui ne permet pas de confirmer les dires de Yusni et Fatih-, il est toutefois écrit que l’Union professionnelle des enseignants a contribué à hauteur de 100 000 SDG, l’Union générale de la Femme soudanaise avec 60 000 SDG ou encore l’Union des retraités du Service national avec 301 200 SDG (Ministère des Finances et de l’Économie du Nord Korfodan 2014).

Pour les autorités, la mobilisation du secteur privé, représenté par la Chambre de commerce, est un enjeu central de la Renaissance. La Convention l’indique d’ailleurs clairement :

G/ L’activation du rôle du secteur privé dans la renaissance.

124. L’amélioration de l’atmosphère économique et d’investissement du secteur privé afin de pouvoir contribuer avec efficacité à la renaissance de la province; 125. La création d’une relation étroite entre le gouvernement et le secteur privé afin que ce dernier contribue à la prise de décisions et de politiques favorisant le développement global;

126. La facilitation d’obtention de financement au secteur privé, et la tenue de réunions, de conférences et d’ateliers pour mieux être connu du public (Gouvernement du Nord Kordofan 2014a).

La relation entre le gouvernement et le secteur privé reflète encore une fois la logique de l’échange. D’un côté, le gouvernement met en place à travers la Renaissance un objectif de renforcement de l’activité industrielle et commerciale ainsi que de l’attractivité du Nord

134 Entretien avec Fatih, 11 novembre 2015, El Obeid.

Kordofan pour les investissements extérieurs, avec l’idée de créer un environnement habilitant pour le secteur privé136. D’un autre côté, il est toutefois attendu que ce dernier va contribuer de façon importante à l’initiative. Kedar explique d’ailleurs que « the government does not have enough money in such a big country for infrastructure, basic services. But institutions and companies have the money137 ». La Renaissance donne l’opportunité à la wilaya de se rapprocher d’un secteur qui aurait précédemment échappé au contrôle de l’État et d’en extraire des ressources supplémentaires. Selon Rabi, la Chambre de commerce régionale, créée en 1999 – à la suite de la création de la Chambre nationale en 1994 sur décision de l’Assemblée nationale-, est totalement indépendante du gouvernement. Cela ne signifie pas que des relations entre les deux n’existaient pas auparavant, mais celles-ci se sont renforcées avec la Renaissance. La présence du Président de la fédération ou de son Secrétaire général aux réunions du Conseil des ministres ainsi que la nomination de représentants dans tous les comités du nafîr et de l’État qui s’occupent des questions économiques est par exemple devenue systématique. Selon Rabi, cela est dû au plus grand respect que le gouvernement donne à la Chambre de commerce en tant qu’organisme qui peut contribuer à la gestion de l’État ; c’est d’ailleurs avec une certaine fierté qu’il explique à la fin de l’entretien que c’est le gouvernement qui vient voir la fédération et non l’inverse138. Il s’agirait en fait d’une reconnaissance supplémentaire que le gouverneur accorde à une organisation qui, selon ses propres discours, a toujours œuvré pour le bien-être de la communauté, comme cette école secondaire construite au début des années 1980 en témoigne.

136 Entretien avec Karim, 5 octobre 2015, Khartoum. 137 Entretien avec Kedar, 5 octobre 2015, Khartoum. 138 Entretien, 11 novembre 2015, El Obeid.

Le contexte de crise économique de l’époque avait conduit à des manifestations hostiles aux commerçants et plusieurs magasins avaient été brulés. Un ministre de l’époque a alors suggéré aux commerçants de faire quelque chose afin de montrer à la population qu’ils étaient de son côté. Il leur a donc octroyé une terre sur laquelle ils ont construit cette école139, ce qui démontre l’existence d’une proximité ancienne entre le secteur privé et les autorités. L’indépendance de ces corps intermédiaires vis-à-vis de l’État et du régime, local et central, doit donc être questionnée, notamment dans un contexte où ces organisations vont également jouer un rôle central dans la mise en place d’une véritable logique de taxation.