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Au-delà de la production médiatique, la compréhension de l‟événement exige la prise en compte non seulement de la matérialité de sa production médiatique, mais également ses conditions de mise en scène publique. L‟explication et la compréhension d‟un événement médiatique sont une tâche commune où le texte et son contexte s‟articulent pour engendrer le sens. En livrant des informations sur un phénomène (un fait ou une déclaration), le journaliste ne peut pas ne pas donner une représentation de ce phénomène et, ce faisant, définir la nature du rapport qu‟il entretient avec lui. Sa médiatisation du phénomène donne à celui-ci une identité sociale que l‟occurrence ne peut avoir. Par ailleurs, en s‟adressant à un public donné, ce journaliste ne peut pas ne pas lui attribuer aussi une certaine

23 identité et définir du même coup, la nature du rapport qu‟il pourrait entretenir avec le même phénomène.

Les propos de Benoît XVI sur l‟utilisation du préservatif dans la lutte contre le VIH/Sida18 et son accueil différencié dans les médias (les médias, surtout occidentaux en ont fait une large couverture médiatique alors qu‟en Afrique ces propos ont suscité peu d‟intérêt médiatique) peuvent nous fournir une gamme de représentations de la maladie du Sida et les différentes perceptions et attitudes envers elle. Ils peuvent également permettre d‟observer le rôle du religieux dans l‟espace public à cet égard. Par ailleurs, puisque la production médiatique sur les propos du Pape a donné lieu à l‟intervention de plusieurs acteurs sociaux, la dynamique des débats s‟est opérée à partir de référentiels sociaux qui correspondent à des cadres normatifs sociaux préexistants qui dépassent le simple cadre professionnel du journalisme. La cohérence de la production médiatique de l‟événement est alors assurée par des éléments extérieurs aux propos du Pape et qui sont puisés dans le contexte socioculturel et historique du lieu d‟émergence (Moliner, 1999).

Nous n‟ambitionnons pas ici de rendre compte de la totalité des pratiques médiatiques ni de dégager toutes les interactions imaginables relatives à la médiatisation de propos de Benoît XVI. Sans rouvrir le débat, inépuisable et insoluble des déterminismes des phénomènes susceptibles d‟être médiatisés, il s‟agira de poser des questions pouvant nous permettre de mettre en lumière la façon dont les médias nationaux (Québec et Cameroun) ont procédé à la reconfiguration des propos du Pape et comment cette reconfiguration traduit un contexte international marqué par la diversité des normes sociales et des pratiques

18 Selon le rapport de l‟Onusida de décembre 2007, le continent africain est celui où réside le plus

grand nombre de personnes infestées par le VIH/Sida soit 67% des malades. Le même rapport indique que le préservatif est un des rares moyens de prévention efficace pour lutter contre la maladie. Les autres moyens tels que l‟abstinence et la fidélité proposées par l‟Église sont loin d‟être réalistes. Cependant, comme l‟attestent plusieurs recherches, les freins à l‟utilisation du préservatif sur le continent ne relèvent pas nécessairement de la position de l‟Église mais de la réticence des hommes dans plusieurs pays d‟Afrique à utiliser le préservatif d‟une part, et d‟autre part un manque de volonté politique à le promouvoir.

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médiatiques et comment cette diversité apparaît plus évidente lorsqu‟il s‟agit de phénomènes impliquant la religion et donc susceptible de déclencher beaucoup d‟émotions.

Nos questionnements s‟articulent justement sur les choix thématiques qui peuvent nous permettre de saisir les paramètres discursifs de l‟identification de l‟événement qui se déploie. Ces questions découlent des principes de la dynamique de la démocratie fonctionnelle en contexte international tels qu‟élaborés par Géraldine Muhlmann. Ces principes présupposent un cadre symbolique commun de médiatisation de l‟événement en contexte international, mais celui-ci ne peut être un cadre communautaire enfermant les acteurs dans des rôles sociaux, prisonniers d‟une communauté traditionnelle, mais plutôt un espace ouvert qui favorise l‟interaction et qui est à la fois facteur d‟homogénéisation et de différentiations sociales, un lieu d‟affrontement symbolique entre les acteurs aux intérêts différents (Muhlmann, 2004). Il est donc nécessaire de questionner la complexité du lien qui, à l‟ère de l‟internationalisation médiatique de l‟événement, unit les territoires nationaux ou encore d‟interroger l‟interaction entre les médias nationaux et les grands réseaux d‟information et de communication qui forment une sorte de territoires abstraits transnationaux.

Bref, les questions de notre étude sont organisées dans le but de faire ressortir les différentes unités de sens qui nous permettent d‟observer les différentes perspectives dans lesquelles se sont organisées les médiatisations, au Québec et au Cameroun, des propos de Benoît XVI sur l‟utilisation du préservatif. Deux grandes questions composées chacune de sous-questions permettent d‟atteindre notre objectif :

1. Comment s’organisent au niveau des médias nationaux la

réappropriation d’un événement médiatique international? Ici, il s‟agit

de chercher les unités de sens qui ont servi de base dans la production médiatique des propos du Pape au Québec et au Cameroun. Quelles sont

25 les thématiques mises en évidence pour assurer la cohérence du discours médiatique avec l‟ancrage socioculturel? Quels sont les éléments de rationalisation des différents acteurs afin de défendre leur point de vue en lien avec leur réalité locale par rapport aux propos du Pape? Y-a-t-il des indices qui nous montrent que dans les processus de médiatisation de l‟événement, les médias tiennent compte de leur milieu socioculturel? Y-a-t- il des paramètres dans les productions médiatiques qui montrent que celles- ci sont opérées en fonction du public auquel elles s‟adressent? Quels thèmes utilisés et quelles images socialement signifiants nourrissent les interactions discursives?19

2. L’appréciation des propos du Pape dépend-elle davantage de la

représentation sociale du rôle du Pape, de la place du religieux dans l’espace public ou de l’usage du préservatif? Il s‟agit ici de voir en quoi

les éléments mis en évidence dans les discussions traduisent le rapport au phénomène religieux et de déterminer si ce rapport a servi d‟arrière-plan aux différentes prises de positions observées. Quelles productions de normes thématiques peut-on observer en lien avec la place du religieux dans l‟espace public? Les différentes mises en scène médiatiques des propos du Pape dans plusieurs pays sont-elles révélatrices des valeurs, des visions du monde des diverses sociétés et permettent-elles d‟observer l‟affrontement idéologique médiatisé entre les pays du Nord et les pays du Sud?

19 Ici, il s‟agit de s‟intéresser à ce que Foucault (1971) appelle Les ordres du discours et de voir

comment la production médiatique des propos du Pape se compose de différents éléments en interaction de sorte que l‟événement médiatique relève d‟un activité sociale résultant de la somme des processus sociaux déterminés par les conditions sociales du lieu de la production et de la réception. L‟analyse de la production médiatique n‟est alors possible que lorsqu‟on tient compte non seulement du texte journalistique (les propriétés formelles du texte) mais aussi des relations entre le texte journalistique et d‟autres textes, les conditions sociales, les processus de production et d‟interprétation, bref appréhender les représentations sociales qui déterminent la perception et l‟appréhension de la réalité événementielle que le texte journalistique cache et manifeste à la fois et saisir également la part de détermination sociale dans les processus de production et d‟interprétation.

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En fin de compte, il est question de dégager dans les productions médiatiques des propos de Benoît XVI sur l‟utilisation du préservatif les éléments qui permettent de saisir les formations discursives qui indiquent à la fois qu‟elles participent à la construction démocratique d‟un enjeu social transnational selon ce que Géraldine Muhlmann appelle « la dialectique de coordination des parties dispersées » ou une dynamique de « rassemblement et de décentrement ». Dans son ouvrage Du journalisme en démocratie (2004), elle montre que l‟enjeu du journalisme contemporain est de contribuer à construire le « nous » du « rassemblement conflictuel ». Cette construction du « nous » ne s‟articule pas dans un rapport prescriptif entre un sommet et une base, mais plutôt selon un principe de codétermination : une sorte de démocratie fonctionnelle qui serait essentiellement horizontale contrairement à la démocratie représentative qui était plutôt verticale (Muhlmann, 2004). Il serait aberrant et anti-démocratique de penser un modèle démocratique universel dont le journaliste serait le médiateur. Il faut donc, à l‟heure de la mondialisation, questionner « l‟idéal démocratique qu‟incarne le journalisme par des outils appliqués à ses manifestations » (Simonin, 2006).