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Il est important de souligner qu‟en parlant de sources, nous partons des propos du Pape sur le préservatif d‟une part et, d‟autre part, des premières structures de mise en discours médiatiques de ces propos que sont les agences de presse111. Comme nous l‟avions souligné, ces sources jouent dans ce processus de médiatisation internationale de l‟événement un rôle important sinon capital puisque ce sont elles, qui, en premier, à travers leurs dépêches, convoquent les médias du

111 Faisons observer tout de même que si nous partons des agences de presse comme les

premières instances à mettre en discours médiatiques les propos du Pape, il existe d‟autres sources et d‟autres sélections en amont. Par exemple, nous pouvons souligner ici le rôle de définisseurs primaires joués par les journalistes et par l‟Église en tant qu‟institution. Les journalistes qui ont envoyé des questions (30 au total sur les multiples questions possibles); l‟Église (le Vatican) qui a organisé le voyage du Pape en planifiant une conférence de presse (le choix de parler au monde par le truchement des médias) et en sélectionnant les questions à poser au Pape (six sur les trente questions réceptions).

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monde pour assister à l‟événement. Même si plusieurs reconfigurations du même phénomène sont observées à travers les diverses productions médiatiques, cette première sélection est essentielle pour faire de l‟événement quelque chose qui concerne tout le monde. Une analyse systématique des sources nous permettra de saisir leur rôle ou leur influence dans la médiatisation des propos du Pape Benoît XVI sur le préservatif.

5.1.1.- Mise en situation

Nous avions, dans la présentation générale du contexte de la polémique autour des propos du Pape, souligné le caractère conflictuel des rapports de l‟Église (notamment du Pape et du Saint-Siège) avec la société qui a servi à l‟émergence de l‟événement médiatique ou du moins à l‟alimenter. La mise en situation ici permet de situer les circonstances précises qui ont précédé la naissance de cette polémique médiatique.

Dix jours avant le premier voyage de Benoît XVI, éclate une polémique médiatique internationale de contestation de la morale chrétienne en matière de sexualité. L‟histoire commence avec une fillette brésilienne violée par son beau-père que l‟évêque de son diocèse aurait excommuniée avec ses parents et les médecins pour avoir avorté112. Cette polémique vient amplifier la désaffection socio- médiatique envers l‟Église, alors que la polémique autour de la levée de l‟excommunication de Mgr Williamson ne s‟est pas encore estompée. Le premier voyage du Pape Benoît XVI en Afrique s‟est donc organisé avec beaucoup de précautions. D‟ailleurs, le protocole du Pape avait recueilli pour l‟interview dans l‟avion une trentaine de questions dans lesquelles seulement six ont été sélectionnées. Si l‟on doit tenir compte de l‟ordre des questions, la question sur

112 La polémique était telle que le cardinal Marc Ouellet souvent considéré par les médias comme

conservateur et défenseur acharné de l‟Église a senti le besoin de condamner ces excommunications et dire comprendre les incompréhensions légitimes des uns et des autres. Dans une correspondance adressée aux fidèles du diocèse de Québec, il avait fait savoir qu‟il joignait sa voix à celle de Mgr Rino Fisichella qui s‟est porté à la défense de la fillette de neuf ans dans un texte de l‟Osservatore Romano (Le Devoir, article de Lisa-Marie Gervais, le 17 mars 2009).

153 l‟utilisation du préservatif pour combattre le Sida était la cinquième des six questions adressées au Pape. La question a été posée par Philippe Visseyrias, journaliste de France 2. Pour une question aussi importante, le Pape a choisi de répondre en italien (la langue qu‟il maîtrise le plus après l‟allemand).

5.1.2.- Analyse des dépêches

La publication des dépêches par les agences de presse et sa reprise par les différents médias ont été le point de départ de l‟internationalisation des propos du Pape113puisque les diverses réactions ou prises de position permettront d‟alimenter les débats et les interactions discursives114. Les trois grandes agences de presse à dimension mondiale (Associated Press, Reuters et Agence France- Presse) ont été à la base du processus de l‟internationalisation des propos115. On pourrait même dire qu‟ils ont joué un grand rôle dans la sélection et le cadrage des propos du Pape. On constate que ces trois agences de presse ont toutes focalisé l‟attention sur la thématique de l‟utilisation du préservatif en reléguant au second plan les autres questions abordées par le Pape, y compris même la question sur l‟affaire Mgr. Williamson116. Les agences de presse ont été les premiers metteurs

en scène des propos de Benoît XVI. En donnant plus d‟importance au thème relatif à l‟utilisation du préservatif, elles ont, d‟une manière ou d‟une autre, favorisé l‟orientation du débat. Ici, les agences de presse ont attiré l‟attention sur certains

113 Il est, certes, de plus en plus vrai que les agences de presse ne sont plus les seules sources

premières de l‟information. Elles sont concurrencées par des envoyés spéciaux qui alimentent directement leur rédaction, les médias sociaux et les journalistes citoyens. Il y a eu, dans le cas qui nous concerne, quelques envoyés spéciaux tels que ceux du journal La Croix de Paris ou de la télévision catholique KTO mais ils n‟ont pas été à la base de l‟internationalisation médiatique des propos du Pape et n‟ont pas été cités comme sources dans les journaux que nous avons étudiés.

114 Dans nos lectures, nous avons pris connaissance des résultats et analyses de Samuel Landon

de l‟Association EECHO, ancien directeur et rédacteur en chef du bulletin diocésain du diocèse de Bayeux & Lisieux, qui a donné une conférence sur le thème : « Comment faire dire au Pape ce qu‟il n‟a pas dit et créer ainsi une immense polémique », que nous avons consulté sur http://www.enquete-debat.fr. Si notre démarche scientifique nous refuse d‟adopter une position partisane, l‟aspect « analyse des dépêches » montrant les différences entre les agences de presse nous a inspiré dans notre propre analyse.

115 Nous mettons en annexe l‟intégralité de chacune de leur publication.

116 En dehors de la question relative à l‟utilisation du préservatif dans la lutte contre le Sida, la Pape

a répondu à des questions relatives à la pauvreté en Afrique, à la guerre et à ses conséquences, aux problèmes de corruption, aux rapports entre l‟Église catholique et les autres religions (Islam et Pentecôtisme notamment) et à l‟affaire Mgr Williamson (négationniste).

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thèmes mais elles ont fait des commentaires susceptibles d‟orienter le jugement ou d‟influencer l‟évaluation du public. C‟est ce qu‟on appelle « agenda priming » (Iyengard & Kinder, 1987). Le rôle de premiers sélectionneurs (« gatekeeping ») exercé par les agences de presse, ainsi que les premiers schémas interprétatifs de l‟occurrence (« framing ») qu‟elles proposent ou encore les premiers cadrages (du point de vue de l‟écriture journalistique) de la médiatisation (« priming ») qu‟elles donnent peuvent, certes, attirer l‟attention sur certains enjeux des propos du Pape plutôt que d‟autres, mais ne constituent, cependant, pas des déterminismes absolus même si toutes les trois principales agences de presse du monde ont été unanimes dans l‟adoption de la thématique du préservatif comme élément principal de leur médiatisation. Elles l‟ont diversement formulée et organisée dans l‟ensemble des réponses du Pape. L‟AFP est l‟agence qui a fourni le maximum d‟informations sur les différents thèmes abordés par le Pape relatifs aux différentes questions qui lui ont été adressées (le texte est composé de 544 mots); L‟AP consacre la moitié de sa dépêche à la question du Sida et ne résume les autres points qu‟en trois lignes (211 mots); Reuters est la plus courte des trois dépêches (163 mots), et n‟a abordé que deux thèmes, celui relatif au préservatif et l‟autre consacré à l‟affaire Williamson.