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Tableau synthèse des dépêches du 17 mars

AFP Sida : en route

pour l’Afrique, le Pape conteste l’efficacité du préservatif

Il a estimé que l‟on ne pouvait pas régler le problème du Sida, « avec la distribution de

préservatifs, au contraire (leur) utilisation aggrave le problème »

-Affaire Mgr Williamson -Église africaine et ses défis -Pauvreté -Synode africain -Programme du voyage du Pape AP Le Pape contre la distribution de préservatifs

Benoît XVI a déclaré que

distribuer des préservatifs n‟était pas une solution dans la lutte contre l‟épidémie de Sida : « On ne peut la résoudre avec la distribution de préservatifs… Au -Appel à la solidarité envers le continent africain -La contribution de l‟Église pour

155 contraire, cela accroît le

problème ». résoudre la crise actuelle Reuters Le préservatif n’est pas la solution au Sida, selon le Pape

« L‟usage des préservatifs ne peut enrayer la diffusion du Sida… Le problème ne peut être vaincu par la distribution de préservatif. Cela ne fait que l‟aggraver ». -Affaire Mgr Williamson Fides (de la salle de presse/ Vatican) Verbatim des déclarations de Benoît XVI lors de la conférence de presse dans l‟avion vers l‟Afrique (extrait)

Je dirais que l‟on ne peut pas résoudre le problème du Sida avec des slogans publicitaires, même si ceux-ci sont

nécessaires. Mais si l‟âme n‟est pas impliquée, si les Africains n‟apportent pas leur aide (en prenant leurs responsabilités), on ne peut pas en venir à bout en distribuant des préservatifs. Au contraire, ils risque

d‟accroître le problème.

Le tableau synthèse des dépêches des trois grandes agences117 de presse mondiales nous montre clairement que le focus a été mis sur la question du préservatif. Aucun des titres, censés en principe évoquer le contenu des articles, ne parlent d‟autres choses que du Sida et/ou de préservatif. Par ailleurs, malgré la focalisation de l‟attention sur la thématique du Sida et du préservatif, les agences ne disent pas les mêmes choses. Il est difficile de savoir exactement ce qu‟a réellement dit le Pape puisqu‟il y a glissement de sens entre les diverses agences à moins d‟aller écouter la version sonore de la Conférence de Presse. L‟AFP parle de « l‟utilisation du préservatif qui aggrave le problème du Sida » et Reuters de « l‟usage des préservatifs » alors que l‟AP parle plutôt de « la distribution du préservatif ». Si l‟AFP et Reuters focalisent l‟attention sur l‟utilisation du préservatif, l‟AP, plus proche de la version sonore de la déclaration du Pape, a axé plutôt l‟attention sur la distribution en omettant cependant de préciser les conditions évoquées par le Pape et sans lesquelles le problème s‟aggraverait « si l‟âme n‟est

117 Nous avons ajouté l‟agence Fides mais au fait, cette agence comme Zénith qui sont la voix de

l‟Église dans le monde, n‟ont fait que retranscrire l‟intégralité du texte de la salle de presse du Vatican qui a publié l‟extrait de la Conférence de Presse du Pape dans l‟avion. Nous y reviendrons.

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pas impliquée, si les Africains n‟apportent pas leur aide (en prenant leurs responsabilités) ». La polémique ayant commencé à partir de ces trois dépêches de mise en récit variable des propos du Pape sur le préservatif, la salle de presse du Vatican a décidé de rendre publique la version originale. Cette publication, appelée « verbatim »118 devrait, en principe apporter soit un démenti, soit publier ce qu‟a réellement dit le Pape. Hélas, la salle de presse du Vatican n‟a fait qu‟amplifier la polémique pour avoir modifié trois passages de la version sonore surtout lorsqu‟elle a cherché à atténuer les propos du Pape en introduisant le verbe risquer dans sa traduction française : au lieu de « cela augmente le problème », la phrase est devenue « cela risque d‟augmenter le problème »119. On se retrouve alors dans une confusion totale où, à moins d‟écouter la version sonore, toutes les traductions y compris celle du Vatican constituent en quelque sorte une manipulation de sens. Ceci est une première observation intéressante à l‟émergence de l‟événement médiatique puisque la simple occurrence, « propos du Pape sur le préservatif » ne peut être en elle-même un événement, elle le devient grâce à sa mise en récit ou mise en sens qui fait débats (Ricœur, 1991).

La mise en récit par les trois agences de presse mondiales « des propos du Pape sur le préservatif » est constitutive de l‟événement puisqu‟elle a permis aux agences de presse, de manière diversifiée, d‟articuler ces propos dans des référents socioculturels qui reconfigurent son sens. La mise en récit médiatique de l‟occurrence (propos du Pape) constitue un acte d‟appropriation « qui intègre l‟événement dans un système de pensée pour le rendre intelligible » (Véniard, 2013, p. 20). Ici, les trois Agences de Presse jouent un rôle fondamental dans le surgissement de l‟événement puisque ce sont elles qui, en mettant l‟occurrence en récit médiatique, permettent de l‟adresser à un public (médiatique) et par ricochet

118 Le « verbatim » des paroles du Pape veut dire que c‟est un document officiel de la traduction

exacte en français des propos que le Pape a prononcés en italien.

119 La salle de presse du Vatican a modifié les phrases suivantes : « Je dirai que l‟on ne peut

vaincre le problème du Sida uniquement avec de l‟argent, (qui est nécessaire), s‟il n‟y a pas l‟âme, si… », la phrase est devenue : « uniquement avec des slogans publicitaires »; au lieu de « au prix aussi de sacrifices et de renoncements personnels pour être avec les personnes souffrantes », la phrase est devenue « au prix aussi de sacrifices et de renoncements personnels »; enfin, au lieu de « cela augmente le problème », la phrase est devenue « cela risque d‟augmenter le problème ».

157 de susciter une position pour ou contre. Par ailleurs, en mettant en évidence la thématique de l‟opposition du Pape à l‟utilisation du préservatif d‟une part, et en catégorisant cette attitude papale dans d‟autres événements mondiaux (affaires Williamson), les agences ont, d‟une manière ou d‟une autre, fait des propos du Pape sur le préservatif un enjeu. En choisissant de mettre l‟accent sur ce thème plutôt que sur les autres thèmes abordés par le Pape, les trois agences de presse se placent à un niveau discursif car elles prennent position contre ceux qui n‟auraient pas fait le même choix qu‟elles en même temps qu‟elles se posent comme outil de persuasion et volontairement ou non, elles convoquent le public à réagir contre les propos du Pape.

Cependant, en catégorisant les déclarations du Pape sur le préservatif à la suite d‟une autre affaire ayant suscité une polémique médiatique internationale (et dont elles connaissent les réactions publiques), les agences nous montrent implicitement comment leur choix médiatique s‟appuie sur un référent sociohistorique, de sorte que l‟événement ici s‟inscrit dans un ensemble social donné. Les agences de presse, comme le suggère l‟une des hypothèses de cette thèse, n‟ont donc pas l‟exclusivité de la construction de l‟événement mais, à la source, elles « participent à l‟opération de signification de l‟événement » (Véniard, 2013, p. 20). Cette signification est d‟abord et avant tout sociale car elle permet à l‟événement d‟être adressé à une communauté de sens susceptible de l‟accepter ou de la rejeter (ces deux attitudes peuvent être totales ou partielles ou hybrides). Autrement dit, les agences de presse exposent ce qui s‟est passé en mobilisant des informations et des ressources socioculturelles et symboliques et de ce fait, engagent les destinataires à entrer dans un processus de validation. C‟est d‟ailleurs cette perspective qui rend l‟événement dynamique à toutes les étapes de sa médiatisation, et qui nous permet d‟entrevoir l‟hypothèse d‟une identité nationale de l‟événement international : dans la médiatisation de l‟événement international, chaque média révèle son milieu.

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Enfin, l‟organisation structurelle des dépêches des trois agences de presse120 permet de saisir une « dynamique événementielle sur la base de configuration d‟énoncés attestés qui s‟efforcent… de situer l‟événement dans un ordre immanent, donc distinct de l‟état des choses » (Guilhaumou, 2006, p. 133). La structuration des thématiques participe aussi bien à l‟émergence de l‟événement qu‟à sa signification sociale. Elle peut aider à générer des interprétations susceptibles de faire débat121. L‟AFP, par exemple dit : « le Pape Benoît XVI… a abordé d‟emblée… le grave problème du Sida… » (Le Pape n‟a rien abordé d‟emblée, la réponse à la question du Sida est la réponse à la cinquième question). Puis, la dépêche renvoie le destinataire à de mauvais souvenirs pour contextualiser l‟événement : « Le Pape, qui laisse derrière lui un profond malaise au Vatican à la suite de l‟énorme polémique suscitée par sa décision de lever l‟excommunication d‟un évêque négationniste… Le Vatican est opposé à toute forme de contraception autre que l‟abstinence… et réprouve l‟usage du préservatif ». L‟AP montre quant à lui, le caractère exceptionnel des déclarations du Pape sur le préservatif comme pour montrer le caractère de rupture : « Le Pape ne s‟était jamais exprimé explicitement jusque-là sur l‟utilisation du préservatif ». Cependant, l‟agence distingue le Pape du Vatican puis de certains prêtres et religieuses qui, eux remettent en cause le choix de l‟Église : « Le Vatican prône l‟abstinence comme moyen de la bataille contre la propagation du VIH, qui fait des ravages sur le continent noir, mais certains prêtres et religieuses impliqués dans la lutte contre le Sida remettent en cause l‟opposition de l‟Église à l‟usage du préservatif ». Non seulement le Pape tient des propos qu‟on n‟a jamais entendus de façon aussi explicite, mais il le fait dans un manque de cohésion dans l‟Église où il est responsable et qui plus est, il le fait en opposition avec « certains prêtres et

120 Ces trois dépêches qui seront comme des matières premières sur lesquelles va se baser la

quasi-totalité des articles de presse à travers le monde et à partir desquelles va se construire toute la polémique autour des propos du Pape.

121 Nous nous sommes inspirés de l‟aspect technique des classifications faites par Samuel Landon

de l‟Association EECHO, ancien directeur et rédacteur en chef du bulletin diocésain du diocèse de Bayeux & Lisieux, qui a donné une conférence sur le thème : « Comment faire dire au Pape ce qu‟il n‟a pas dit et créer ainsi une immense polémique » que nous avons consultée sur http://www.enquete-debat.fr

159 religieuses impliqués dans la lutte contre le Sida ». Enfin, Reuters donne des statistiques : « le Sida a tué plus de 25 millions de personnes depuis les années 1980, la plupart dans les pays d‟Afrique subsaharienne ». En plus du caractère dramatique de la situation, Reuters semble indiquer aussi le caractère dramatique des propos du Pape.

Comme on peut le constater, l‟organisation du récit médiatique des agences de presse autour des propos du Pape est déjà une sorte de mise en interprétation, elle porte en elle une proposition d‟horizon d‟interprétation alimentée par une perception sélective d‟éléments sociohistoriques, par laquelle les agences de presse suggèrent à leur lecteur leur cadre interprétatif. Il s‟agit d‟une mise en relation des propos du Pape avec d‟autres éléments pour engendrer des prises de positions. Si nous nous inscrivons dans la logique de la théorie des agendas (« gatekeeping » et « priming »), on peut dire que l‟agencement d‟éléments sociohistoriques dans le récit médiatique permet de saisir l‟option préférentielle qui détermine le choix des agences de presse dans la sélection des propos du Pape sur le préservatif. Ces éléments permettent de mettre en parallèle ces propos avec d‟autres malentendus entre l‟Église et les sociétés. Ainsi il y a un ensemble complexe de paramètres qui participent à la construction médiatique de l‟événement et qui permettent aux agences de presse de donner une importance aux propos du Pape sur le préservatif plutôt qu‟à d‟autres thèmes. Ce faisant, les agences suggèrent et orientent le débat, le regard des gens, les enjeux et l‟attention du public (Gans, 1979).

La manière dont les dépêches ont été construites par les agences de presse a permis de rendre notables les propos du Pape sur le préservatif. Comme nous l‟avions définit dans notre cadre théorique, la théorie des agendas (setting, priming, building, gatekeeping, framing) peut nous permettre de mieux comprendre les jeux d‟influence entre les agences de presse, les médias nationaux et les publics. Les publics (et les médias) à qui ces dépêches sont destinées prennent conscience de l‟importance d‟un enjeu social relié à ces propos grâce à la manière

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dont les agences de presse les ont présentés (agenda-setting). Il n‟y a donc pas de doute quant à l‟importance de leur influence dans l‟émergence de l‟événement international, même si celle-ci est aussi subordonnée, comme nous l‟avions mentionné, à plusieurs autres contingences. L‟influence exercée ici ne part pas toujours des producteurs de l‟événement (agences de presse) vers les publics, mais parfois c‟est plutôt l‟intérêt du public pour une question qui force ces producteurs à s‟y intéresser (priming, framing). Cet aspect n‟est pas à exclure dans l‟analyse de la dépêche de Reuters (agence anglaise) par exemple où nous observons que la seconde moitié de la dépêche était uniquement consacrée à l‟affaire de Mgr Williamson (de nationalité britannique), une affaire qui a mobilisé l‟opinion médiatique britannique depuis un mois avant le voyage du Pape.

Au terme de ces analyses, nous pouvons conclure que les propos du Pape Benoît XVI ont commencé à faire événement par sa mise en récit médiatique par les agences de presse dans une organisation médiatique, à faire « opiner » et donc à déclencher un débat public. Cette organisation médiatique, comme nous l‟avons vu, n‟était pas seulement structurée dans une logique informative mais plutôt discursive, puisqu‟elle fait appel à d‟autres enjeux sociaux internationaux qui forcent les destinataires à prendre position. Il reste que ce premier travail d‟interprétation opéré par la mise en récit médiatique ne peut être considéré comme un déterminisme même s‟il permet d‟initier au débat et donc de rendre possible d‟autres travaux d‟interprétation ou de reconfiguration de sens par les différents médias qui relaient l‟événement médiatique construit par les dépêches.