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Dans la première partie, nous avions clairement défini l‟objet qui est au cœur de notre recherche : le concept d‟événement. Nous voulons, en questionnant ce concept montrer qu‟en dehors des médias, l‟ancrage socioculturel participe à la configuration ou à la construction de l‟événement. L‟originalité de notre thèse tient à ce que nous considérons l‟ancrage socioculturel comme l‟élément systémique qui opère sur le plan international, la marque des différences et des pluralités des productions médiatiques autour d‟un événement. Cette marque est plus évidente quand elle implique un élément de culture (la religion par exemple). Dans le cas en étude, deux séries de questions de recherche desquelles découlent deux hypothèses, nous permettent d‟atteindre notre objectif.

La première question, celle de savoir « comment s’organise au niveau des

médias la réappropriation d’un événement médiatique international? », nous

permet d‟aller chercher, grâce à l‟analyse du discours, dans les productions médiatiques des propos du Pape au Québec et au Cameroun, les thématiques ou

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unités de sens mises en évidence pour assurer la cohérence du discours médiatique et voir en quoi celles-ci font appel à des référentiels socioculturels. Ce qui nous permettra de justifier notre première hypothèse qui est de montrer que

dans le traitement médiatique d’un événement en contexte international, les médias reflètent leur milieu socioculturel. L‟ancrage socioculturel devenant

ainsi l‟élément cohéreur et systémique de la production médiatique de l‟événement. Cependant, puisque le corpus des productions médiatiques sur les propos du Pape concernant le préservatif, en dehors de quelques indices ou références, ne peuvent pas nous informer sur les éléments socioculturels du Québec et du Cameroun, nous avons préféré, pour des raisons pratiques et organisationnelle, de partir des études précédentes. Nous ferons donc une analyse documentaire, c‟est-à-dire une recherche dans la documentation de sources pertinentes qui nous permettront de combler nos besoins d‟information relative aux deux sociétés (Québec et Cameroun) dans leur rapport à la maladie du Sida et à la religion catholique.

La deuxième question, celle de savoir si « l’appréciation des propos du Pape

dépend davantage de la représentation sociale du rôle du Pape, de la place du religieux dans l’espace public ou de l’usage du préservatif », nous permet

de voir si le rapport au phénomène religieux a été déterminant dans les différentes prises de positions sur les propos du Pape. Cette question nous permet de justifier notre deuxième hypothèse, à savoir l’hétérogénéité de la production

médiatique même à l’heure de la mondialisation. La fin des distances

géographiques ne fera que mettre davantage en évidence les différences culturelles, dont l‟un des éléments clés est, incontestablement, la religion. Plus encore, nous pensons que le phénomène religieux, étant un élément de la

culture susceptible de générer beaucoup d’émotions, constitue l’un des phénomènes importants du géo-repérage des différences à l’heure de la mondialisation.

107 Le souci de tenir compte de l‟ensemble des paramètres nous porte à intégrer les différentes approches dans une démarche socio-sémiotique. Ce choix a été motivé par le caractère intégrateur de cette démarche car l‟analyse socio-sémiotique porte sur la dimension discursive de la production médiatique de l‟événement. Elle prend en compte le référent (déclaration du Pape), les formes signifiantes (les thématiques qui permettent d‟exprimer ce référent) et le signifié (les interprétations de ce référent à travers des représentations sociales). Bref cette démarche nous permet de saisir les différentes logiques à l‟œuvre dans la construction médiatique de l‟événement. Le choix de la démarche socio-sémiotique permet également de mettre en évidence comment les aspects contextuels de l‟émergence de la production médiatique d‟un événement fournissent des données pour sa compréhension et comment ces aspects participent d‟une manière ou d‟une autre à la formulation ou à la reformulation médiatique de l‟événement.

L‟approche socio-sémiotique est en fait une approche pluridimensionnelle qui nous permet d‟analyser l‟événement médiatique non seulement à partir du discours médiatique mais aussi à partir des déterminations externes du discours médiatique. Autrement dit, l‟approche socio-sémiotique permet de considérer le discours médiatique comme un support externe de la mise en scène médiatique de l‟événement et cherche dans ce support ses déterminations sociales. C‟est une approche qui laisse entrevoir que tout discours médiatique est une co-construction sociale, c‟est-à-dire qu‟il dépend de médiations sociales. L‟événement médiatique peut alors être défini comme la résultante d‟un système d‟interactions sociales. L‟approche soci-sémiotique revalorise dans analyse de l‟événement les approches subjectives de l‟organisation du discours médiatique en insistant sur l‟importance de la dynamique intersubjective de la construction de l‟événement médiatique. Elle nous permet d‟étudier comment l‟œuvre (le discours médiatique qui rend compte de l‟événement) modélise la réalité extérieure qu‟elle prend en charge à partir des structures référentielles du social. Autrement dit, l‟approche permet de reporter l‟objet analysé (l‟événement médiatique) au contexte de sa production comme de

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sa réception en établissant des liens éventuels entre les productions médiatiques de l‟événement et les contextes sociaux.

Pour mieux saisir tous les paramètres de l‟approche socio-sémiotique, il faut remonter à la tradition saussurienne qui propose une démarche sémiotique axée sur l‟extraction de la langue de l‟ordre naturel du langage et une conceptualisation de celle-ci en tant que fait social. Autrement dit, le langage n‟est pas neutre (ici, la production du discours médiatique sur l‟événement), il est plutôt situé au confluent de deux mouvements inverses mais complémentaires : la production linguistique d‟un fait (la narration) et son insertion sociale (une communauté de sens qui permet de la saisir et de la comprendre). Cette dernière permet alors d‟entrevoir le langage comme une institution sociale car celui-ci s‟inscrit dans une convention qui permet de saisir les relations possibles entre les individus, les systèmes signifiants et les modes de production de l‟organisation sociale (Hjelmslev, 1971). En d‟autres termes, le langage est l‟utilisation concrète des signes linguistiques dans un contexte précis qui permet de donner « sens ». Ainsi, tout langage a une dimension diachronique (évolution des signes au cours du temps) et une dimension synchronique (rapport entre les signes à un contexte donné). La sémiologie permet alors de mettre en évidence ces deux dimensions (Saussure, de (1913)65. Cependant, c‟est surtout à partir de la sémiologie barthésienne que l‟approche sémiotique sera orienté de l‟étude de la signification vers celle des systèmes signifiants dans une société, ou encore vers l‟étude d‟une signification sociale du langage avec la substitution progressive du terme de « sémiotique » à celui de « socio-sémiotique ». Parler de l‟approche socio-sémiotique aurait été un non-sens au regard de la définition saussurienne, car la dimension sociale était

65 Plusieurs auteurs reconnaissent Ferdinand de Saussure comme le fondateur du structuralisme,

bien que ce mot lui soit postérieur (cependant, il parle de la langue comme système). Le structuralisme fut un mouvement de pensée représenté dans différentes branches des sciences humaines : Claude Lévi-Strauss, en ethnologie, Louis Hjelmslev, en linguistique, Tzvetan Todorov, en analyse littéraire, Jacques Lacan, en Psychanalyse et Michel Foucault et Jacques Derrida, pour la philosophie, s‟y illustrèrent. Dans le cadre de l‟anthropologie dogmatique, Pierre Legendre élabore son analyse du langage à partir des apports de Saussure.

109 inclue dans le concept lui-même66. Cependant, l‟approche de Barthes est avant tout focalisée sur l‟étude de l‟organisation des ensembles signifiants (textes littéraires, politiques, religieux, etc.; mais aussi rites, images, architectures) en lien avec les conditions de la saisie et de la production de sens. D‟une manière ou d‟une autre, l‟approche de Barthes se fonde sur l‟étude de la présence du social à l‟intérieur même de la signification. Dans cette perspective, la socio-sémiotique étend son champ à l‟ensemble des systèmes signifiants à partir desquels la vie sociale se constitue comme processus signifiant. Dès lors on entrevoit des liens entre les rapports sociaux et les productions linguistiques de sorte que, comme le dit J. Goody (1979), l‟écriture est à la fois solidaire et indissociable de la pensée logique et de l‟organisation du social. On ne peut alors analyser l‟écriture sans penser le social. Si l‟avènement de l‟écriture a permis de distancer l‟énonciation de son contexte, il a, par contre rendu possible l‟organisation collective de l‟intelligence qui s‟est développée avec une dimension socioculturelle communautaire et institutionnelle (universités, écoles…) et techno-sémiotique (le libre notamment). Par conséquent, se développe la dimension collective de la cognition de sorte que la production du langage s‟articule dans une co-construction des êtres pensants qui interagissent, inventent des techniques et des symboles, etc. pour échanger et se comprendre (Lévy, 1990). Ce sont ces dynamiques intersubjectives qui sont au cœur de la démarche socio-sémiotique.

Bref, l‟approche socio-sémiotique est donc une analyse multidimensionnelle qui nous permet, ici, non seulement d‟analyser les productions médiatiques des propos du Pape dans leurs narrativités effectives mais aussi de faire ressortir les éléments socio-contextuels qui permettent de les saisir et de les comprendre en contexte. En d‟autres termes, l‟événement médiatique international découlant de la médiatisation des propos du Pape ne peut être compris seulement à partir de la

66 Saussure fait une distinction entre langue et parole. Pour lui, la langue est l‟ensemble des signes

qu‟utilise une communauté pour échanger tandis que la parole est l‟utilisation concrète des signes linguistiques dans un contexte précis. Ainsi, il distingue clairement l‟utilisation du langage du langage en lui-même.

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perception de l‟occurrence (ce que le Pape dit) mais plutôt, de « ce qu‟il a dit », c‟est-à-dire de la mise en référence socioculturelle de « ce que le Pape dit ».

Si notre option de l‟approche socio-sémiotique nous permet d‟intégrer dans notre analyse plusieurs types d‟approches en adéquation aux différents niveaux de l‟étude, il serait tout de même périlleux d‟intégrer toutes les approches subjectives que nous avions répertoriées dans notre revue de littérature. Il était tout de même important de dresser une cartographie globale afin de bien situer notre démarche. Dans les perspectives de notre recherche et pour les besoins de l‟analyse, cinq des approches subjectives sont nécessaires pour la démarche socio-sémiotique : il s‟agit de l‟approche constructiviste qui nous permet de saisir l‟événement comme une construction sociale de la réalité (l‟occurrence telle qu‟elle a été perçue); les approches liées au cadrage et au recadrage, c‟est-à-dire au travail de mise en récit médiatique de « ce que dit le Pape » par les agence de presse et ensuite par les médias; les approches liées aux théories d‟agenda, avec ici comme modèle d‟analyse, l‟agenda-building qui nous permet de faire ressortir les liens observés entre les sources, les médias et leurs publics dans l‟organisation des productions médiatiques autour des propos du Pape; les théories de « Gatekeeping », « priming » et « friming » pour mettre en lumière les sélections subjectives de la déclaration du Pape et enfin, l‟approche archéologique qui nous permet de faire ressortir la hiérarchisation des thématiques mise en avant comme découlant de la hiérarchisation des éléments de l‟univers symbolique de chaque milieu de production. En résumé :

 L‟approche constructiviste dans la perspective où l‟événement est une construction sociale qui résulte d‟une communauté de sens dans laquelle elle est perçue, transmise et interprétée. Dans ce cas, l‟importance accordée à la déclaration du Pape serait liée à la préoccupation sociale (Schütz, 1987, p. 63). Cette approche repose sur le postulat que les évènements véhiculés dans les médias sont le résultat d‟un processus socialement organisé. La mise en scène médiatique de l‟évènement

111 s‟inscrit alors dans des représentations sociales communes des problèmes sociaux qui permettent aux différents acteurs de convertir les occurrences perçues en évènements publics (Corcuff, 1995).

 Les approches liées au cadrage et au recadrage suivant lesquelles ce qui fait événement ne résulte pas d‟abord des conditions sociales de l‟action mais plutôt des dispositifs cognitifs et des pratiques organisationnelles de l‟expérience sociale (Goffman, 1991, p. 36). Autrement dit, la production médiatique sur les propos du Pape s‟est faite dans des normes qui affectent la manière dont les gens vont comprendre « ce que le Pape a réellement dit ». Ici, il est difficile de saisir le sens vrai de « ce qui arrive » puisque celui-ci a déjà fait l‟objet d‟une sélection qui est déjà un modèle interprétatif possible parmi tant d‟autres. Le même événement peut donc avoir plusieurs sens selon qu‟on le déplace d‟un cadre à un autre.

 Les approches liées aux théories d‟agenda, avec ici comme modèle d‟analyse, l‟agenda-building où nous mettons en évidence l‟influence d‟autres instances dans l‟élaboration de l‟ordre du jour médiatique. La production médiatique autour des propos du Pape s‟est faite dans une construction conjointe des sources, des journalistes et du public (Charron, 1995; Dearning & Rogers, 1996). L‟un des intérêts de cette théorie réside dans l‟approche collective de la construction de l‟agenda.

 L‟approche liée à la théorie de « Gatekeeping » pour mettre en lumière la sélection de cette déclaration du Pape plutôt que d‟autres et montrer en quoi cette sélection s‟est organisée sur la base de la dominance des valeurs normatives (Gans, 1979). Les schémas (ou cadrages) dans lesquels l‟occurrence (ce que dit le Pape) peuvent avoir des effets sur l‟auditoire et avoir des influences sur les perceptions des individus (framing). Dans ce cas, le choix de la manière dont la médiatisation de

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l‟occurrence s‟organise peut amplifier l‟importance des nouvelles et orienter les récepteurs dans leur attitude face aux enjeux sociaux (priming).

 Enfin, l‟approche archéologique qui nous permet d‟analyser comment s‟est opérée la hiérarchisation des éléments discursifs dans la production médiatique des propos du Pape pour voir comment dans celle-ci, la production de l‟événement est un point d‟arrimage entre la production médiatique et l‟univers symbolique ou l‟ancrage socioculturel. Dans cette logique, le but est de cerner l‟archive d‟une société qui se dissimile au travers de la production médiatique de l‟occurrence. Par conséquent, l‟explication et la compréhension d‟un évènement médiatique sont donc une tâche commune où le texte et son contexte s‟articulent pour engendrer le sens.

En résumé, l‟approche socio-sémiotique passe par l‟analyse du discours avec un intérêt qu‟elle porte à l‟événement discursif dans toutes ses composantes textuelles et extratextuelles. Cet objectif de saisir le sens de l‟événement non seulement comme une production médiatique mais également comme une donnée sociale, nous permet de mettre en évidence l‟articulation des productions médiatiques et l‟ancrage socioculturel de sorte qu‟il sera plus aisé de constater les différences grâce à un regard transversal sur les deux sociétés (Van Dijk, 1985, p. 6). Bref, la démarche socio-sémiotique nous aide, dans l‟analyse des productions médiatiques relatives aux propos du Pape sur le préservatif, à pondérer le rôle des médias dans la construction de l‟événement médiatique international en montrant plutôt qu‟ils jouent un rôle d‟intermédiaires symboliques du collectif et donc en cela, constituent le miroir de leur société. Si les médias fournissent, à travers leurs productions, les cadres de perception et de compréhension de l‟événement médiatique, il reste que le vrai sens de l‟événement médiatique dépend des structures de perception et de compréhension des messages transmis; ce qui force les médias à en tenir compte dans leurs productions (Adoni & Manne, 1984).

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