• Aucun résultat trouvé

La question de l’identité

1. Le croisement des approches disciplinaires : à la recherche d’invariants dans les théories

1.2. Quatre points de convergence entre des théories récentes du patrimoine : le titulaire, le

1.2.3. La question de l’identité

1.2.3.1. Pour de nombreux auteurs, le patrimoine est lié à l’être, à la personnalité du titulaire

« Depuis son origine, le patrimoine se révèle rétif à la distinction qui oppose le sujet et l’objet ; d’emblée, il sert à désigner à la fois un ensemble de biens et un prolongement de la personnalité » (OST, 1995, p311). Ce lien entre les biens et la personnalité (qu’elle soit celle d’un individu ou celle d’un groupe) situe le patrimoine quelque part entre l’être et l’avoir et il a amené de nombreux auteurs à utiliser la notion d’« identité » pour exprimer ce lien à l’« être ». Ainsi, Henry OLLAGNON définit le patrimoine comme :

« Un ensemble des éléments matériels et immatériels, centré sur le titulaire, qui concourt à maintenir et développer son identité et son autonomie par adaptation, dans le temps et dans l’espace, à un univers évolutif »

(OLLAGNON, thèse, 1998 p 423).

Denis BARTHELEMY (2001), propose une référence similaire à l’identité pour définir le patrimoine : « l’ensemble des biens qui forment la base identitaire d’un groupe, ou peut être

plus justement qui expriment au plan des moyens d’existence, l’essence identitaire du groupe considéré ». Pour André MICOUD, la patrimonialisation est précisément « comment redire ce

qui nous relie » (MICOUD, 2001) : il ne s’agit pas seulement de transmettre quelque chose (un avoir) mais aussi de perpétuer un groupe (un être). Guy DI MEO (2006, p103) considère pour sa part ce phénomène comme « le témoignage tacite d’une indéniable identité

partagée ». Olivier GODARD lie cette question de l’identité avec la question temporelle :

« dès lors que l’on s’inscrit dans une perspective temporelle associant l’incertitude et l’irréversibilité, l’identité de l’agent pose problème. L’attention doit alors porter sur les moyens particuliers que peut mobiliser le sujet pour tout à la fois assurer son identité dans le temps et assumer son devenir : ces moyens forment son patrimoine ».

1.2.3.2. Parler du patrimoine c’est, pour le titulaire, affirmer son identité

Les auteurs cités ne sont pas plus précis sur le lien entre identité et patrimoine. Dans le

Dictionnaire des sciences, sous la direction de Michel SERRES et Nayla FAROUKI (1997), sous la rubrique « identité et similitude des individus », il est écrit notamment :

« Nous avons le sentiment très fortement enraciné d’appartenir à des communautés sociales plus ou moins larges allant de l’individu et de sa famille jusqu’à des fédérations de nations ou la planète toute entière. Ce sentiment d’identité repose sur des regroupements historiques, géographiques,

linguistiques et culturels. Selon l’adage « qui se ressemble s’assemble », nous affirmons notre identité sur la base de nos similitudes afin de mieux nous défendre contre les aléas du monde environnant. Notre identité [est] ce qui nous caractérise en tant qu’individu ».

L’identité est donc le propre de « l’homme en interaction » : je suis ce que je suis par rapport aux autres, qui me ressemblent et me sont différents à la fois. Dans le préambule de la Convention Cadre du Conseil de l’Europe sur le patrimoine culturel59, il est noté que « le

patrimoine européen reflète l'identité et la diversité culturelles de ses peuples ».

L’identité exprime aussi l’unité de l’individu ou du groupe. Qu’est ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes ? Nous vivons, nous vieillissons, nous changeons mais nous restons les mêmes individus pourtant, toute notre histoire contribue à faire de chacun de nous un être unique. A individu unique, patrimoine unique dans la tradition de la théorie juridique classique d’AUBRY et RAU comme le rappel François OST.

Pour un titulaire, son patrimoine est ainsi lié à l’identité de deux façons, interne et externe. De façon interne, le patrimoine est pour son titulaire une façon de construire son identité en s’attachant à des éléments matériels et immatériels tout au long de sa vie et même au-delà, en les transmettant à ses descendants. De façon externe, le patrimoine est pour son titulaire une façon d’exprimer son identité quand il est en société, en relation avec d’autres hommes, en explicitant sa spécificité ou en se rattachant à un groupe avec lequel il est co-titulaire patrimonial. De ces deux pans de l’identité, interne et externe, naît une tension : affirmer son identité et la construire en même temps. Henry-Pierre JEUDY (1990, p 5) parle d’un « jeu

permanent entre l’adaptabilité et l’identité ».

Les histoires patrimoniales, décrites plus haut, montrent que le terme de patrimoine a été utilisé au cours du temps, pour caractériser préférentiellement tel ou tel niveau d’identité : une famille, une communauté, un individu, un pays... L’utilisation du terme de patrimoine pour affirmer une identité, ou la construire, pour créer l’union d’un groupe est une arme à double tranchant. En effet, comme le note Etienne LE ROY (1998), la conception dominante du patrimoine, qu’il caractérise de « trans-moderne », « associe le patrimoine à des entités

mystico-abstraites, l’Humanité, la Nation, le Genre humain, le Monde, la Nature. »

D’ailleurs, Yvon LAMY (1996) fait du patrimoine en France le « fil directeur de l’identité

évolution de la société française, s’est aussi traduite, en particulier dans d’autres contextes territoriaux, par la négation de la diversité ethnique et culturelle d’un pays. Ainsi, en Inde, Suzanna ARUNDATHI ROY dénonce la création d’une identité nationale qui en revient à se créer des ennemis pour s’affirmer :

« Nous ne sommes qu’un simple Etat artificiel avec des frontières dessinées par d’autres et des règles fixées par l’empire britannique, qui jadis trouvait en nous les débouchés commerciaux dont il avait besoin. […] Nous avons tant de problèmes à constituer une véritable nation que nous recherchons sans cesse de nouveaux adversaires qui nous permettraient de nous définir. C’est là le vrai problème, c’est cette quête désespérée d’une identité et d’un statut qui nous a conduit à la bombe. Nous ne trouverons pas ainsi les réponses aux questions que se pose l’Inde sur elle-même, nous détournons juste le problème en le substituant à un autre. Combien de temps cela peut-il durer ? »

(ARUNDATHI ROY, 1999).

En France encore aujourd’hui, la superposition des couches identitaires reste un sujet de débat profond : l’identité Corse correspond-t-elle à un « peuple corse » ? Les langues autres que la langue française sont-elles des « patrimoines » ? L’identité européenne existe-t-elle ? La notion de patrimoine n’est pas neutre dans cette question, comme le montre le débat sur l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne.

Outline

Documents relatifs