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La prise en charge du monde est une des options possibles pour faire face à ces évolutions

Du fait de la modification de la perception du monde par l’Homme, ses relations au monde ont aussi évolué. Le but ici est d’en déterminer certains éléments marquants décrits par des auteurs et qui permettent d’éclairer la question de la relation patrimoniale aujourd’hui.

3.1. Le mode d’action de l’Homme est au cœur des questions soulevées par

les récentes évolutions du monde

Face à une capacité décuplée de l’Homme à peser sur les choses et les êtres qui l’entourent, la question de l’action humaine prend une dimension nouvelle. La capacité de destruction humaine est aujourd’hui telle que la responsabilité qu’à l’Homme vis-à-vis du monde est devenu un sujet majeur. De tout temps, cette notion de responsabilité a été présente, au niveau local comme au niveau global.

Le constat de cette responsabilité est maintenant largement partagé, il a pris une dimension planétaire et met en jeu la survie même de l’espèce humaine. Certains insistent sur la lutte contre la capacité de l’homme à dégrader le monde comme, par exemple, Jean-Claude LEFEUVRE (1990) :

« Les divers courants de pensée qui ont traversé le camp de la protection de la nature ont finalement conduit à envisager l’homme comme dépositaire de biens naturels, ceci résumant par la formule : la nature est entre vos mains. Responsabiliser les hommes, les conduire à admettre que toute dégradation du milieu naturel, en les privant de ressources nuit à leur développement économique et, à terme, compromet leur survie ».

Dans Condition de l’homme moderne (1994), Hannah ARENDT aborde cette question sous un autre angle. Elle montre que « l’homo faber, l’homme constructeur et fabricateur » a semblé triompher au XIXème, réduisant peu à peu le monde à l’utile :

« Parmi les principales caractéristiques de l’époque moderne, depuis ses débuts jusqu’à nos jours, nous trouvons les attitudes typiques de l’homo faber : les outils et la productivité du fabricant d’objets artificiels, la foi en la portée universelle de la catégorie de la fin-et-des-moyens, la conviction que l’on peut résoudre tous les problèmes et ramener toutes les motivations humaines au principe d’utilité ; la souveraineté qui regarde tout le donné comme un matériau et considère l’ensemble de la nature comme une immense étoffe où nous pouvons tailler ce que nous voudrons, pour le recoudre comme il nous

l’identification toute naturelle de la fabrication à l’action » (ARENDT, 1994, p381).

Cette réduction du monde à « l’utile » est aujourd’hui remise en cause avec la suprématie de la consommation sur la création. La fin de la croyance en une nature inépuisable, simple ressource que l’on ponctionne au gré des besoins humains, la prise de conscience de la capacité de destruction acquise par l’homme avec l’instrumentalisation et la primauté de la recherche du « bonheur » sur l’utilité, marquent, selon ARENDT, la « défaite de l’homo faber ». Elle remet au centre de l’activité humaine, non plus la fabrication mais l’action politique, c'est-à-dire « la faculté de déclencher des processus sans précédent, dont l’issue

demeure incertaine et imprévisible dans le domaine, humain ou naturel, où ils vont se dérouler » (ARENDT, 1994, p 296).

Au-delà des questions de responsabilité, nous sommes en fait à la recherche d’un mode d’action humain plus en adéquation avec l’évolution de la perception que nous avons du monde. Du fait de l’interrelation et l’interdépendance croissante, l’option « ne pas agir » n’a pas de sens. Tout acte humain est une action qui contribue à modifier le monde : procréer, consommer, se déplacer… Chacun de ces actes peuvent par contre faire l’objet de choix pour chaque individu et pour chaque groupe d’individus : procréer ou ne pas procréer, consommer tel produit plutôt que tel autre, choisir tel mode de déplacement plutôt que tel autre… Des choix globaux peuvent constituer des stratégies d’action pour tenter de peser sur l’évolution du monde, ces stratégies pouvant être combinées. Ainsi, certains acteurs scientifiques, politiques ou économiques, considèrent que l’Homme à l’obligation de « s’auto-limiter » (voir par exemple la théorie de Garrett HARDIN, 1968). D’autres pensent qu’un investissement plus important dans la recherche scientifique et technique donnera des solutions aux interrogations actuelles.

3.2. La prise en charge : une option patrimoniale

Considérer tel ou tel élément comme son « patrimoine », c’est décrire une partie du monde dont nous nous estimons en partie « responsable » et que nous voulons voir perdurer. Cette désignation implique alors une action, voire une stratégie pour le maintien dudit élément. Nommer un élément comme « patrimoine » c’est donc déclarer en quelque sorte que cet élément mérite d’être « pris en charge » par un titulaire, c'est-à-dire qu’il entre dans le cercle des éléments dont ce titulaire souhaite s’occuper activement.

La « prise en charge » couvre un champ plus large que le champ patrimonial. Son acception s’est élargie depuis quelques décennies. Les termes de « prise en charge du territoire », « prise en charge du monde », « prise en charge du vivant » sont aujourd’hui utilisés couramment dans des domaines variés. Nous proposons la définition suivante :

Prise en charge : choix de maintenir et développer des éléments matériels et immatériels et d’en assumer les responsabilités afférentes pendant un temps donné.

La prise en charge avant tout le choix d’une personne : une prise de responsabilité sur le « monde », celui que cette personne perçoit. Il existe des formes de prise en charge courtes et très ciblées, des formes d’intérim pour pallier l’absence d’un responsable traditionnel : il est ainsi question de « prise en charge d’un territoire par l’Organisation des Nations Unies ». La prise en charge patrimoniale a ses propres caractéristiques. L’attachement patrimonial fait de l’élément en jeu une partie de la vie même du titulaire. La prise en charge patrimoniale apparaît donc au titulaire comme une nécessité vitale au sens où si le patrimoine disparaît c’est la qualité de vie du titulaire (au sens large) qui en est affectée. Ce type de prise en charge nécessite donc un engagement personnel du titulaire qu’il soit un individu ou un groupe. La prise en charge peut ainsi être la raison même de vivre d’un groupe : il se constitue autour de la perpétuation de l’élément vital pour lui.

La prise en charge du monde est un choix possible face aux évolutions décrites dans les paragraphes précédents. Elle n’est pas la seule et son bien-fondé est débattu.

La prise en charge du monde est elle possible effectivement ? Elle suppose une capacité d’agir. Une ou plusieurs personnes peuvent-elles effectivement permettre de faire durer les éléments concernés ? Dans quelles conditions ? Cette supposition implique l’absence au moins partielle d’un déterminisme global, qu’il soit économique, naturel et/ou sociétal. Dans un monde décrit comme de plus en plus complexe et en interaction, la prise en charge est-elle l’illusion d’un groupe d’acteurs pensant pouvoir à lui seul infléchir des tendances lourdes ? La prise en charge du monde est-elle souhaitable ? D’autres options sont possibles comme « laisser faire ». Des modes de régulations peuvent s’opérer automatiquement : la régulation d’une espèce par le manque de nourriture, la loi de l’offre et de la demande… La non-action est une action en quelque sorte.

Nous prendrons donc dans la suite de cette thèse, « la prise en charge du monde » comme une hypothèse qui prévaut au départ de la relation patrimoniale : le titulaire nomme tel élément comme patrimoine parce qu’il estime qu’il doit participer à sa prise en charge. Face aux bouleversements du monde, la prise en charge apparaît comme une option crédible et ses modalités sont au cœur des interrogations actuelles de nombreuses disciplines : politiques, sociales, environnementales, juridiques ou économiques.

4. L’utilisation croissante du terme de patrimoine est un

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