• Aucun résultat trouvé

Les eugénismes, des projets patrimoniaux ?

4. Le patrimoine génétique

4.1. Le patrimoine en génétique, une « métaphore » pour expliquer les mécanismes du

4.3.2. Les eugénismes, des projets patrimoniaux ?

Ces utilisations du terme « patrimoine génétique » sont très critiquées à la fois par des généticiens et par des philosophes.

Des généticiens, comme nous l’avons vu, considèrent que la notion de « patrimoine génétique » est une métaphore parmi d’autres, utilisée au début des découvertes en génétiques. Au vu des dernières découvertes, ils considèrent que cette métaphore ne reflète en rien la complexité des mécanismes de l’hérédité et des interactions entre ADN et protéines :

« la notion de patrimoine génétique est absurde du point de vue de la génétique. […] Protéger le patrimoine génétique actuel serait prévenir l’apparition de variations géniques nouvelles, alors que l’évolution permanente du matériel génétique est consubstantielle à l’histoire même de la vie » (MORANGE, 2004). Les arguments qui prévalent à la protection du « patrimoine génétique » au nom du maintien de la biodiversité sont contestés par des généticiens comme Pierre-Henri GOUYON (1994) : par exemple, les écosystèmes les plus stables ne sont pas ceux qui ont le plus d’espèces. Plus encore, la notion de « patrimoine » relève pour certains généticiens, d’une confusion malsaine entre ce que dit la science et l’utilisation politique ou philosophique qui en est faite : « l’expression « patrimoine génétique

de l’Humanité » est particulièrement mal venue. Elle suggère un héritage transmis de génération en génération et qu’il s’agit de gérer en le maintenant en état, ou mieux, en le faisant fructifier. Or, le génome se modifie sans cesse par recombinaisons chaque fois qu’un individu est conçu, sans parler même des mutations ; et penser à un patrimoine à faire fructifier est encore pire. On glisse tout de suite dans les délires eugéniques visant à soi- disant améliorer l’espèce humaine en se fondant sur on ne sait quel critère » (ATLAN, 1993). Sans qu’il soit possible de remonter jusqu’à l’origine exacte de l’utilisation du terme de « patrimoine génétique » (quel est le premier auteur qui l’a utilisé, dans quel contexte ?) il est clair que, pour certains généticiens, elle est associée à l’eugénisme25 : « les eugénistes

parlaient d’un patrimoine de l’Humanité à transmettre : ils disaient travailler pour les générations futures et assuraient qu’elles reprocheraient à l’humanité de ne pas avoir fait

25 Une abondante littérature retrace l’historique des idées et idéologies eugénistes. François ROUSSEL (1996)

attention à ce patrimoine. C’est un discours qu’on entend tous les jours, simplement, il ne s’agit plus des gènes de l’espèce humaine » (GOUYON, 1994).

Ainsi, l’expression utilisée au départ par des scientifiques comme une image, semble leur avoir échappé et le débat se poursuit au niveau philosophique. Philosophes, médecins, politiques, généticiens, juristes qui débattent de la pertinence du terme de « patrimoine » en génétique, en viennent souvent à invoquer la question de l’eugénisme. La notion de « patrimoine » évoque immanquablement l’enjeu d’une « protection » du génome. Ceux qui sont contre toute protection, au nom de la recherche scientifique, sont taxés d’eugénisme par volonté de manipuler l’ADN humain, « d’améliorer » en quelque sorte l’espèce humaine. Ceux qui sont pour la protection, sont aussi taxés d’eugénisme par conservatisme, par volonté de sélectionner les individus sur des caractères qui seraient meilleurs pour l’Humanité que d’autre. Il est maintenant d’usage de distinguer « l’eugénisme positif » par opposition à « l’eugénisme négatif »,26 tel qu’il a existé dans la première moitié du XXème siècle, en

Allemagne, bien sûr, mais aussi aux Etats-Unis, en Suisse ou dans les pays scandinaves27. L’eugénisme « positif » engloberait ainsi le choix individuel d’un couple de refuser de donner naissance à un enfant porteur d’un gène dangereux pour sa santé et dont la présence a été diagnostiquée avant la naissance.

La réduction de la génétique à la recherche sur les gènes, malgré le doute scientifique sur ce concept même, tend ainsi à reporter sans cesse le débat sur un projet de sélection des gènes, donc une volonté d’orientation par l’homme de l’évolution de son identité biologique : distinction entre gènes « normaux » et « anormaux », réduction de l’identité biologique à l’ADN, etc. Le philosophe François ROUSSEL (1996), dans l’eugénisme, analyse terminée,

analyse interminable, estime ainsi que les généticiens n’arrivent pas en général, malgré leurs efforts, à se défaire de la question de l’eugénisme et il considère l’utilisation du terme « patrimoine génétique » comme une manifestation de la survie des thèses eugéniques :

« On voit la difficulté pour la génétique de se dégager de cette "gangue" idéologique de l’eugénisme […] : il suffit de s’interroger sur la facilité avec

mixte « Science et éthique » du Comité de liaison ONG-UNESCO : Clonage, thérapies géniques,

comportements humains, eugénisme, 2005 dressent aussi de rapides survols de ces aspects historiques.

26 Isabelle VACARIE et Marie GORE, déjà citées, remarquent d’ailleurs que, en France, lors du débat sur la Loi

relative au respect du corps humain, Jean-François MATTEI fait cette distinction entre les deux eugénismes.

27

voir la conférence « l’eugénisme dans les sociétés occidentales (hors de France) avant 1945 », par Rita THALMANN dans le document du Comité de liaison ONG-UNESCO déjà cité.

laquelle circule, dans le discours scientifique comme dans le discours commun, la métaphore plus que confuse du "patrimoine génétique" ».

La définition que donne le LAROUSSE (2000) d’eugénisme utilise d’ailleurs le terme de « patrimoine » : « ensemble des méthodes qui visent à améliorer le patrimoine génétique de

groupes humains en limitant la reproduction d’individus porteurs de caractères jugés défavorables ou promouvant celle des individus porteurs de caractères jugés favorables ; théories qui préconisent de telles méthodes » 28. Ainsi, les eugénismes (positifs ou négatifs) peuvent être interprétés comme des « projets patrimoniaux », au sens où nous l’avons décrit en première partie. Les premiers eugénistes au XIXème siècle parlaient ainsi d’un « problème patrimonial », celui du risque de « dégénérescence » de l’espèce humaine…

Aujourd’hui, l’utilisation du terme « patrimoine génétique » est donc contestée par des généticiens et des philosophes comme une métaphore dépassée du point de vue scientifique et révélateur de projets eugéniques éthiquement dangereux. Cependant, d’autres auteurs continuent à utiliser cette expression pour signifier la nécessité d’une prise en charge du matériel génétique au nom de la protection de la diversité des espèces vivantes, du respect de la personne humaine ou d’un « eugénisme positif ».

Outline

Documents relatifs