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La question du rapport de l’homme au temps

1. Le croisement des approches disciplinaires : à la recherche d’invariants dans les théories

1.2. Quatre points de convergence entre des théories récentes du patrimoine : le titulaire, le

1.2.4. La question du rapport de l’homme au temps

« L’éclatement de la notion de patrimoine concorde avec celui de la temporalité. Le temps est complètement métaphorisé avec l’idée de patrimoine qui lui confère la manifestation de ses différents rythmes » (JEUDY, 1990)

1.2.4.1. La patrimonialisation, une recherche d’une cohérence temporelle

Pour son titulaire, le patrimoine est un pont entre le passé, le présent et le futur : il représente des éléments qu’il veut garder du passé, modifier en fonction du présent et à transmettre pour le futur. Pour Guy DI MEO (2006, p102), « le patrimoine établit une relation verticale

intergénérationnelle, une sorte de cheminement dans le temps qui se perd, inévitablement, jusqu’aux origines des groupes sociaux ». François OST (1995, p326) pense que cette notion de patrimoine, a une « plasticité qui le désigne tout particulièrement à traduire en terme

juridiques […] la longue durée et la longue distance des phénomènes écosystémiques, ainsi que la projection translocale et transtemporelle à laquelle invite aujourd’hui l’éthique de solidarité entre générations ». Ainsi, étudier les relations patrimoniales, « oblige à un recul

historique pour ancrer les observations actuelles dans une lecture sur la longue durée des relations société-environnement » (CORMIER SALEM et al., 2002, p22).

André MICOUD y voit des raisons profondes liées à l’évolution de nos sociétés, il fait l’hypothèse que « le succès social de la notion de patrimoine atteste un changement des

représentations de la temporalité dans les sociétés modernes » (2005). Yvon LAMY (1996) estime lui que « face à l’effondrement des formes anciennes d’activités et de leurs systèmes de

valeurs, le patrimoine pourrait bien apparaître comme une réponse collective relativement efficace. » Il y a dans la notion de patrimoine, cette faculté à réinterpréter sans cesse le passé pour mieux vivre au présent et envisager l’avenir, comme si les souvenirs, comme le dit Grégory BATESON (1972), étaient des « fers à cheval » que l’on peut agencer et réagencer en permanence, en fonction des éclairages qu’apportent le présent sur le passé. Ainsi, selon Michel RAUTENBERG (1998), « le patrimoine serait un instrument moderne pour organiser

la cohérence entre le présent et le passé ».

Dans ce nouveau rapport au temps, la notion de transmission aux générations futures est centrale mais difficile à prendre en compte :

« Contre une représentation du temps qui fait du futur celui d’un avenir radieux pour tous, l’évocation du patrimoine, qui revient à mettre l’accent de nouveau sur ce fait qu’il ne saurait y avoir de communauté humaine sans transmissions intergénérationnelles, prend à rebrousse poil nos manières ordinaires de penser » (RAUTENBERG et al., 2000 p 5).

Olivier GODARD (1990) constate aussi la difficulté à prendre cet aspect en compte : la théorie économique « vient buter à la fois sur l’imprévisibilité du futur et sur le problème de

la transmission aux générations futures, au-delà de sa propre vie. » Denis BARTHELEMY montre, pour sa part, dans le domaine de l’agriculture, que les règles marchandes ne sont pas satisfaisantes « car elles n’incluent en elles-mêmes aucun principe de solidarité à l’intérieur

des générations et entre les générations, et ne garantissent donc aucune continuité »

(BARTHELEMY, 2001).

1.2.4.2. Patrimonialiser, c’est transmettre un « méta-choix »

Dans le cadre de prise de décision en univers incertain, précisément dans le cas où les acteurs ressentent de façon aiguë l’imprévisibilité du futur, cette disparition du « temps de la

Modernité » dont parle André MICOUD, l’utilisation du terme patrimoine serait une façon, pour Olivier GODARD, de « dépasser le paradoxe de l’irréversibilité décisionnelle » :

« régler en même temps l’usage et la transmission, choisir ce que l’on veut transmettre, mais préserver aussi une capacité de choix ultérieur, nous reconnaissons dans ces attributs l’asymétrie, l’ambivalence et la gageure paradoxale de la relation au "patrimoine" ». Cette asymétrie des rapports trans-générationnels, où celui qui transmet ne sait pas ce que celui à qui il transmet voudra qu’on lui transmette, met au cœur de la notion de patrimoine, non seulement cette question du rapport au temps mais aussi la question du choix. Pour de nombreux auteurs (JEUDY, LAMY), le patrimoine est en effet affaire de sélection : ce à quoi le titulaire est attaché, ce qu’il retient du passé, ce qu’il garde pour le présent, ce qu’il veut transmettre.

Cependant, comme le dit Olivier GODARD, « le choix patrimonial ne peut-être ramené au

schème des choix ordinaires ». Il s’agit, en effet, d’une prise de conscience de l’influence de la génération présente sur le futur, du fait que les choix actuels engagent les choix à venir : on ne transmet pas seulement des éléments matériels et immatériels que l’on considère comme un patrimoine, on désigne aussi « un ensemble de repères transmissibles » (RAUTENBERG, 1998). Transmettre un patrimoine, c’est donc aussi transmettre un « méta-choix », une possibilité ou non pour les générations futures, de choisir à leur tour ce qu’elles pourront transmettre. Ce méta-choix peut amener le titulaire du patrimoine à adopter une démarche de type « préserver ce qui peut l’être » ou bien de type « créer des conditions d’élargissement du choix ».

Un méta-choix sur la qualité du territoire est-il possible à Olmany, territoire contaminé par Tchernobyl ?

A l’heure actuelle, les actions menées pour lutter contre la contamination radiologique à Olmany consistent à « éviter le sievert », c'est-à-dire contrôler le flux de radionucléide pour qu’il touche l’homme le moins possible60. Il s’agit de préserver la santé des êtres humains. Du point de vue du territoire ces actions tentent quand même de préserver un choix pour les générations futures en limitant l’impact sur le « patrimoine génétique » des enfants. Cependant, un meta-choix de type « créer les conditions d’élargissement du choix est-il possible ? Dans le projet ETHOS, nous avons utilisé l’expression « extraire les Becquerels »

60 De nombreux procédés chimiques, physiques et agronomiques existent, constituant des « contre-mesures »

appliquées principalement dans le domaine agricole et alimentaire : labourage profond, apport d’engrais, apport de ferrocyne pour les vaches (limitation du passage des contaminants de la panse au lait), utilisation de plantes

pour exprimer la possibilité de stopper la circulation des radionucléides dans la chaîne alimentaire et le milieu naturel en les isolant et en les stockant sous forme de déchets nucléaires. A l’heure actuelle il n’existe, aux dires des spécialistes, aucun procédé industriel permettant d’isoler une part significative de radionucléide des aliments. Cependant, nous avons pu constater qu’il existe des phénomènes spontanés de concentration de radionucléides : dans les cendres, dans les myrtilles, dans les champignons. Stocker les cendres d’un village permet d’éviter la remise en circulation des radionucléides si le stockage est fait correctement. Cette « extraction de Becquerel » spontanée est tout à fait négligeable par rapport à la quantité de radionucléide présente sur le territoire et peut générer des masses de déchets considérables. Commencer ce processus « d’extraction », même symbolique, permet cependant d’élargir la palette de choix possibles à l’avenir pour les habitants des territoires contaminés, pour leur patrimoine génétique comme pour leurs patrimoines territoriaux (biodiversité, lieux de vie,…). En effet, si des recherches poussées ont lieu dès aujourd’hui sur ces phénomènes de concentration qui impliquent à la fois des végétaux, des animaux, des hommes et une société villageoise, il sera peut être possible dans plusieurs dizaines d’années, de réduire significativement la présence de radionucléides dans le vivant. Il faudra attendre 300 ans environ pour que la quantité de Césium et le Strontium radioactif à Olmany ne soit plus que le 1000ème du dépôt initial. Si cette période, par des mécanismes « d’extraction de Bq », est réduite de moitié, ce n’est pas négligeable pour les habitants des territoires contaminés et leurs descendants.

1.3. Après la divergence, la convergence partielle des utilisations du terme

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