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La médiation environnementale ou médiation patrimoniale par récurrence

7. Le patrimoine stratégique

7.2. Approches stratégiques du patrimoine

7.2.2. La médiation environnementale ou médiation patrimoniale par récurrence

agronomique pour le développement), une équipe de chercheurs menée par Jacques WEBER, aujourd’hui directeur de l’Institut Français de Biodiversité, a développé « une démarche

alternative à la participation, fondée sur la négociation et le contrat » (WEBER, 1996). Cette démarche stratégique s’inscrit dans un mouvement international de reconnaissance et de

promotion de la gestion des ressources renouvelable41 par des communautés locales dont le « Sommet de la Terre », en 1992 à Rio, marque une étape importante (BALLET, 2007). Des chercheurs ont en effet montré, depuis plusieurs années, l’intérêt et l’efficacité de la participation active des populations concernées à la gestion de leurs ressources naturelles dans les pays en développement, en Afrique et en Amérique latine, au regard des autres modes de gestion, en particulier celle par les Etats :

« La recherche de participation des populations à la gestion des espaces boisés, dans de nombreux pays, vient du constat que seuls les locaux peuvent avoir les moyens de veiller à la mise en œuvre de ces règles : le contrôle social est bien plus économe et efficace que le contrôle administratif » (BABIN et al., 2002).

Certains membres de l’équipe du CIRAD s’est inspiré des écrits et pratiques de l’approche patrimoniale de type système acteur : elle reprend la définition du patrimoine d’Henry OLLAGNON. Ces auteurs ont développé une analyse et des méthodes adaptées au contexte de la gestion de la forêt en Afrique. Au cœur de la problématique, se pose la question du statut des « terres vacantes et sans maîtres » dont la gestion a été confiée à l’Etat à partir de la colonisation. Comme Henry OLLAGNON, les chercheurs du CIRAD constatent que, pour gérer la forêt, la « négociation entre acteurs directement ou indirectement concernés » est avant tout une solution réaliste par rapports aux autres alternatives (« le laissez-faire ou bien

la décision autoritaire ou réglementaire »). Cette position réaliste –et non philanthropique42– débouche sur un questionnement quant aux relations entre l’Etat et les communautés locales. La promotion par les instances internationales de l’ajustement structurel ont eu pour conséquence des réductions considérables des ressources des Etats africains (BABIN et BERTRAND, 1998) et, si l’on veut « moins d’Etat mais mieux d’Etat », la gouvernance locale par subsidiarité ne va pas de soi, elle appelle des méthodes et des outils pour construire une gestion durable des ressources naturelles. Les auteurs cités proposent une méthode « la

médiation patrimoniale par récurrence » qui découle de « la nécessité d’impliquer l’ensemble

des utilisateurs des ressources » :

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Le terme des ressources « naturelles », souvent utilisé dans le domaine du développement ne correspond pas au rapport des hommes au monde à l’œuvre. Jacques WEBER décrypte d’ailleurs dans son article issu de son intervention au Colloque de Harare (1966) les modèles sous-jacents à l’utilisation du terme de « nature » dans les problèmes de développement.

« La médiation patrimoniale par récurrence part sur l’obtention d’un agrément sur le très long terme pour revenir au futur vers le présent. Elle repose sur l’hypothèse que le long terme n’étant pas prévisible, il est en partie décidable ; et que prévoir c’est gouverner ». (BABIN et al., 2002, p88)

Ils citent deux exemples à l’appui de leur démonstration : les contrats GELOSE (Gestion Locale Sécurisée) à Madagascar et le projet Energie II au Niger. Le patrimoine est utilisé pour permettre aux acteurs de se projeter dans le long terme (25 à 30 ans) et de dépasser ainsi les conflits immédiats et construire des engagements à court et moyen terme. Ces engagements ne relèvent pas d’un compromis renforçant le statu quo des droits devoirs, mais d’une négociation portant sur le fond (et non seulement l’application) du problème de la gestion des ressources. Cette négociation est formalisée dans un contrat qui reprend les objectifs de long terme (des « objectifs patrimoniaux »), qui font l’objet d’une ritualisation : « la ritualisation

passe par l’expression publique de l’agrément dans l’ordre symbolique, avec un cérémonial dépendant des lieux et des cultures présentes. Le rituel, quel qu’il soit, inscrit l’agrément de très long terme dans l’ordre symbolique : par là, il le rend inaliénable, non monétarisable, et difficile à transgresser. » L’attachement des acteurs à leurs ressources, la relation patrimoniale est donc explicitement ancrée dans le symbolique, dans cette relation spécifique de l’homme au monde. La médiation patrimoniale, portée par un médiateur, vise finalement à la mise en place d’un « système de gestion » qui doit permettre d’atteindre les objectifs patrimoniaux et une « structure de gestion » qui résulte du processus de négociation.

Notons que Jacques WEBER préfère le terme de « médiation environnementale » à celui de « médiation patrimoniale »43. Il utilise le terme de patrimoine surtout pour caractériser les « objectifs de long terme » sur lesquels la médiation doit permettre aux acteurs de s’accorder : « [les objectifs de long terme] doivent être patrimoniaux, non discutables, intangibles,

« constitutionnels » » (WEBER, 1996).

Ce type de démarche utilisant le patrimoine comme élément stratégique à prendre en charge par une communauté d’acteurs se concrétise donc dans des processus de rencontre et de négociation des acteurs. Ces processus sont souvent longs et difficiles, ils mettent en jeu le rapport de chacun des acteurs au patrimoine dans ce qu’il a de vital pour son identité et son

autonomie. Ils bousculent souvent les modes de pensée et d’actions traditionnels qui ont échoué dans la résolution des problèmes complexes auxquels ces démarches patrimoniales tentent de répondre :

« Le passage d’une gestion des espaces et ressources de nature administrative et reposant sur une séparation des fonctions, des usages et des usagers à une gestion basée sur la reconnaissance du pluralisme comme fondement de la conception des instruments et procédures de gestion, constitue un bouleversement dans les habitudes de pensée du monde du développement »

(BABIN et al. 2002, p 97)

« La montée des réalités complexes et multiacteurs est le fruit de la disparition du mode ancien de gestion de proximité, mais aussi de la nouveauté des problèmes engendrés par la civilisation de puissance. Ces réalités semblent remettre en cause les références universalistes du mode de connaissance et d’action contemporain, notamment par ce qu’elles mettent en cause sa légitimité et son efficacité en tant que « mode de traitement du complexe ». »

(OLLAGNON, thèse, 1998, p 302)

8. Ces « histoires patrimoniales » ne font apparaître ni unité

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