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La question de l‟authenticité d‟une tradition Selon Benoît Labrosse (2007) 12 , cité par Archambault (2008, p 3), les communautés

d‟accueil considèrent souvent les touristes comme un modèle porteur d‟une image autre, qui va provoquer des changements dans les traditions indigènes et qui peut faire naître chez certains de leurs membres le désir d‟émigrer vers les pays d‟origine des touristes car associés

29 dans leur esprit à la richesse. Ainsi, le tourisme modifie le sens et la valeur des traditions des peuples indigènes : leurs attributs culturels sont vidés de leurs sens premiers au profit d‟un spectacle pour les touristes. Dans cette dynamique, les traditions cèdent en partie la place à un certain mercantilisme, non seulement des produits élaborés spécifiquement pour la vente aux touristes mais des connaissances, savoir et pratiques culturelles adaptés constamment et superficiellement aux goûts spécifiques des divers groupes de touristes et à l‟évolution du marché. On assiste alors à une scénarisation exagérée des cultures des communautés hôtes, qui consiste à dévoiler toutes les composantes ethniques dans le très court laps de temps imposé par les visites programmées des agences touristiques (Labrosse, 2007).

Autrefois cachées de la vue des touristes par les élites locales et nationales soucieuses de ne montrer qu‟une image moderne de leur pays, les traditions indigènes font désormais l‟objet d‟une marchandisation, parfois en excès. D‟après Archambault (2008), les traditions sont mises en évidence et transformées en stéréotypes pour se conformer aux attentes des touristes, afin d‟en attirer le plus grand nombre possible. Paradoxalement, « cette mercantilisassion et

la déculturation qui en découle peuvent favoriser la destruction des objets d‟attraction qui sont pourtant à la source même des flux touristiques, exerçant de ce fait un effet répulsif sur les touristes en quête d‟authenticité » (p. 3). Cependant un autre regard contradictoire peut

être placé vis-à-vis de cette idée de perte d‟authenticité ; « Les différences culturelles peuvent

persister malgré le contact inter-ethnique et l‟interdépendance entre les groupes »

(Poutingnat et Streiff-Fenart, 199513, cité par MIT, 2005, p. 72). Ainsi « les processus

d‟acculturation sont donc permanents et n‟engendrent pas une uniformisation culturelle, car des phénomènes d‟appropriation interviennent et produisent en permanence de la différence » (MIT, 2005, p. 72).

La question qui se pose à la suite, est celle de savoir si une tradition est authentique – et si oui, pour qui est-elle authentique ? Locaux ou touristes, voire d‟autres acteurs liés au développement touristique ? Selon Rachid Amirou, « le touriste postmoderne ne cherche pas

l‟authentique en soi, mais sa version sauve » car « il se contente (sans être dupe) d‟un simulacre de réalité et d‟authenticité » (2007, p. 46). De la même façon que dans les autres

domaines d‟applications (consommation, alimentaire, vestimentaire), l‟authentique se réfère aux catégories conjointes de la tradition, du patrimoine, et le tout, de surcroît, sur un horizon de durabilité (Lefort, 2009). Selon Viviane Hamon, « il ne s‟agirait donc pas de déterminer

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« Les groupes ethniques et leurs frontières », in Poutignat Ph. Et Streiff-Fenart J., Théories de l‟ethnicité, Paris, PUF, 1995, pp. 203-249.

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ce qui est véritablement authentique et ce qui ne l‟est pas, mais de savoir quel authentique est à la fois attractif pour les touristes et acceptable par les populations d‟accueil » (2005, p.

50). Selon cette dernière, les auteurs se situent en général dans une perspective qui postule qu‟une société, ou bien encore un groupe dominant à l‟intérieur de cette société, effectue un tri sélectif dans son propre passé et décide de ce qui est traditionnel, ou encore invente une tradition. Ainsi, l‟invention est, pour l‟auteur, une conséquence du marketing rempli des attentes de la demande. Selon Anne Doquet (2003), citée par Hamon (2005), l‟ouverture au tourisme, si elle ne va pas de soi, « engage une réflexion sur la manière de se présenter à

l‟Autre, et par là même sur sa propre identité14

».

Selon Isabelle Leffort (2009), l‟authentique est en effet porté par un système de valeurs qui met au premier plan un avant, celui-ci d‟un avant tourisme et projette une expérience intacte, en dehors des chemins battus de pratiques standardisées. L‟authentique engage ainsi à une pratique originelle exprimant simultanément un nouveau principe de sélectivité sociale et une référence aux origines de la pratique, alimentant sa « mythologisation » sociale et reconstruisant un inconnu et de nouvelles terrae incognitae (p. 265). D‟après l‟auteur, l‟authentique conduit à penser la destination comme un lieu de découverte première, selon l‟archétype du pionner, du découvreur, de l‟inventeur de nouvelles destinations dont les praticiens pourront ultérieurement se faire les vecteurs. Cependant, le principe de sélectivité sociale qui se met en place lors de ce processus de recherche de l‟authentique peut être compris comme ce que l‟Équipe MIT (2005) a appelé de « touristophobie » (p. 74).

Pour l‟Équipe MIT (2005), il s‟agit plutôt d‟une idéologie « molle et apolitique », laquelle permet qu‟une catégorie de la population défend des intérêts et avance masquée au travers d‟un discours pseudo-scientifique sur le tourisme durable, plaidant pour une limitation du nombre de touristes. Cette partie de la population restera en sympathie avec des pratiques élitistes comme le tourisme culturel, le tourisme dit d‟aventure ou l‟écotourisme. Elle cherchera aussi la protection, voire la fermeture, de certains lieux. Ainsi, « le discours sur la

“virginité” permet de légitimer des politiques de mise en réserve des espaces, où les paysages et les populations sont censés être maintenus quasi intacts, c‟est-à-dire figés dans leur développement, muséifiés afin de préserver leur “authenticité”, laquelle ne s‟appuie bien souvent que sur les formes les plus visibles et les plus superficielles de la culture (habillement, nourriture) » (Idem. p. 70). La mise en réserve de territoires, se traduit, d‟après

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DOQUET, Anne. Construire l‟authenticité mandingue : les balbutiements du tourisme dans le Mande (Mali) [En ligne]. Disponible sur : www.cids.auf.org/journees02.html, 2003.

31 l‟auteur, par un flux touristique très faible mais commode pour certains responsables gouvernementaux car faire preuve de conscience écologique permet d‟obtenir des subsides internationaux. De plus, « c‟est aussi un très bon moyen pour l‟État de contrôler des

populations minoritaires vivant dans des zones stratégiques » (Idem.).

Michel Picard (1992)15 cité par l‟Équipe MIT (2005, p. 269), à propos de l‟île de Bali, démontre comment la présence du touriste modifie le rapport de la société balinaise aux pratiques rituelles en déclin (quand il y a des traditions en déclin). Selon l‟auteur, ces traditions étaient doublement menacées, d‟une part, par l‟effondrement de la société traditionnelle et, d‟une autre, par l‟environnement géopolitique. En même temps qu‟il entraînait la disparition de petits royaumes balinais, le développement du tourisme a permis d‟ériger en art les pratiques rituelles, permettant aux troupes d‟artistes qui rivalisaient entre elles à l‟occasion de fastueuses cérémonies, d‟apporter à travers la marchandisation une solution de rechange.

De notre part, nous ne nous intéressons pas à vérifier la véracité de cette situation mais, si elle existe, à chercher et à comprendre son origine. À comprendre comment s‟opère sinon l‟invention d‟une tradition indigène du moinds son évolution vers une pratique touristique.

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1.3 Tourisme et développement en Amazonie

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