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Un espace habité depuis la nuit du temps Autrefois, le territoire ancestral Sápara était beaucoup plus vaste et les Sápara étaient l‟un des

VI. Fonds du patrimoine culturel immatériel

1. Bolivie 2 Brésil

4.2.1 Un espace habité depuis la nuit du temps Autrefois, le territoire ancestral Sápara était beaucoup plus vaste et les Sápara étaient l‟un des

peuples les plus nombreux et importants de l‟Amazonie, étant intégré par 28 groupes ethnolinguistiques et environ 100.000 habitants distribués entre les fleuves Napo et Tigre, depuis le piémont andin jusqu‟au fleuve Maraðñn (Trujillo, 2001). Cependant, ils ont été réduits à cause des épidémies et des maladies apportées lors de la colonisation, l‟évangélisation et l‟exploitation du caoutchouc, ainsi qu‟à cause de l‟esclavage et des déplacements forcés auxquels ils ont été soumis. De plus, depuis la guerre frontalière de 1941, le territoire ancestral Sápara se trouve divisé entre l‟Équateur et le Pérou.

En Équateur, les Sápara sont restés confondus culturellement avec d‟autres communautés notamment Kichwa et Achuar jusqu‟au début des années 1990. Ils furent considérés comme disparus par des anthropologues équatoriens en 1970 (Costales et Costales, 1975). D‟après Bilhaut (2007, p. 26) ; déjà dans les années 1950, lorsque les linguistes de l‟Institut Linguistique de l‟Été arrivèrent pour étudier la langue Sápara afin de traduire la Bible puis d‟évangéliser la population, elles considérèrent que leur mission n‟avait pas lieu d‟être : les locuteurs du Sápara n‟avaient plus l‟occasion de parler leur langue car le processus de „kichwisation92‟ était largement entamé. Selon l‟auteur, Bilhaut, les Sápara des communautés

de l‟Ouest du territoire ont délibérément choisi de laisser croire qu‟ils étaient des Kichwa. De cette manière, ils pensaient se faire oublier des ennemis traditionnels. Pour eux, l‟identité Sápara n‟était plus une catégorie refuge, ils n‟avaient pas de raisons de se distinguer des grandes catégories indigènes régionales. Par contre, « en adoptant une identité Kichwa, ils

bénéficiaient des avancées du mouvement politique » (Bilhaut, 2007, p. 245).

Cette situation rendait les Sápara impossible à repérer spatialement et, en conséquence, le territoire ancestral Sápara ne commence à être localisé face aux yeux du grand public qu‟à partir des années 1990, lors de la création des premières organisations politiques Sápara. Il se situe donc à l‟Est de l‟Équateur, dans la Province de Pastaza, Canton de Pastaza où il se

92 Le terme „kichwisation‟ fut utilisé par John Edwin Hudelson (1987, p. 157), pour définir le processus de

diffusion de la langue et de la culture Kichwa qui tendait vers l‟unification des populations en Amazonie équatorienne. Par conséquent, les Sápara ne parlent que le Kichwa et ceux qui parlent encore le Sápara, parlent concomitamment le Kichwa (Dall‟Alba, 1992 : 11 et 372) (Cf. Annexe I).

118 partage entre les Parroquias de Rio Tigre, de Montalvo et de Sarayaku. Il s‟agit d‟une des zones les plus bio-diverses du monde et l‟une des zones les moins accessibles de l‟Équateur. En effet c‟est un espace qui demeure hypothétiquement fermé, restant en marge de l‟économie marchande. Le territoire Sápara n'est accessible que par voie aérienne après environ 45 minutes de vol. La route la plus proche se trouve à 120 Kilomètres, c‟est-à-dire, à 7 jours de marche dans la forêt (Perez, 2005). Les fleuves Conambo et Pindoyaku ne sont navigables qu‟à partir de leur union du côté péruvien qui donne le fleuve Tigre au niveau de la frontière avec le Pérou qui est, en outre, contrôlée par les armées des deux pays. La communication par voie fluviale vers le sud-ouest reste donc limitée. Dans ces conditions, les Sápara profitent encore d‟une évidente protection, rendant possible, dans un certain degré, de maintenir vivantes leurs pratiques socioculturelles et, par conséquent, leur manière d‟habiter.

Ce que l‟on entend par territoire ancestral est un espace considéré par ses habitants comme le lieu où leurs ancêtres ont habité depuis toujours et sur lequel, ils exercent leur autorité et leur juridiction (Lacoste Y, 2007). En effet un territoire ancestral ne connaît pas en principe les frontières politico-administratives modernes. Il n‟est défini et délimité que par la présence d‟une société traditionnelle et par la manière avec laquelle cette société l'habite, dite dans la tradition93. Les membres de cette société ont en conséquence une mémoire héritée ainsi qu‟une mémoire vivante ou acquise à partir de leurs propres expériences qui procurent aux membres de cette société des représentations, des valeurs et des significations vis-à-vis de cet espace (Baud, 2003). Il faut donc comprendre le territoire ancestral Sápara comme un réseau de foyers bâtis, notamment, le long de deux rivières, Conambo et Pindoyaku, renfermant une étendue de forêt assez vaste, d‟environ 370.000 hectares. Actuellement, il rassemble environ 1.000 habitants94 qui sont d‟ascendances notamment Sápara, Achuar et Kichwa, habitant 23 communautés divisées en deux zones de voisinage qui sont restées jusqu‟à la création de la

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Selon Marie-Odile Géraurd (2000, p. 50), la tradition peut se définir ici, comme l‟ensemble de messages politiques, religieux, historiques et techniques, reçus du passé et se perpétuant dans le temps, en se transmettant de génération en génération. Cela ne signifie évidement pas que la tradition soit absente dans les sociétés considérées modernes. En effet, la tradition est inhérente à toute société, mais le terme de société traditionnelle a servi notamment, à différencier ce type de société en opposition à la société occidentale ou dite moderne. Les sociétés traditionnelles étaient caractérisées auparavant par l‟absence de l‟écriture. Ce critère de l‟oralité a toujours signifié une difficulté d‟accès à leur passé et une barrière pour leur étude.

94 Maria Augusta Hidalgo (2007), nous présente des chiffres divers. Selon l‟auteur, en 2004, le territoire Sápara

comptait environ 478 habitants, et en 2007, 593. D‟après les tendances démographiques récentes, l‟auteur suppose qu‟en 2010, le territoire Sápara conterait 708 habitants. Par contre, Siomara Rodrigues (2007), dans une étude similaire sur l‟histoire de la société Sápara, nous présente un chiffre de 1300 habitants pour l‟année 2007. De notre part, nous nous sommes basés sur les données ressorties lors des premières rencontres avec les dirigeants politiques de l‟organisation NASE (Nacionalidad Sápara del Ecuador), qui ont eu lieu le mois d‟août 2010 dans le siège de cette association à la ville de Puyo, Province de Pastaza, Équateur.

119 „Nacionalidad Sápara del Ecuador‟ (NASE)95

, plus ou moins hostiles à cause de leurs conflits sociopolitiques. Les habitants d‟une zone de voisinage étaient autrefois un ensemble social où les parents se mariaient de préférence entre eux. De cette manière tous les membres étaient raccordés par un ou plusieurs liens généalogiques tendant à fixer un entrelacement de solidarités familiales, continûment entretenues par les obligations d‟assistance mutuelle que se doivent parents et alliés dans un degré rapproché96.

Lors de la création des organisations politiques, les zones de voisinage prennent une connotation plutôt sociopolitique que socioculturelle. Elles deviennent un seul réseau élargi de foyers ou de communautés pluriculturelles qui délimite le territoire ancestral. Il n‟existe pas de frontières écologiques marquées ou d‟un type de paysage particulier qui différencient le territoire ancestral Sápara de ceux de ses voisins. Les rivières représentent les seules frontières visibles et accessibles et les communautés, la seule garantie. Séparés par des heures voire une journée de marche ou de navigation en pirogue, les communautés maintiennent des alliances stratégiques diversifiées avec plusieurs degrés de solidarité, qui leur permettent tant d‟accéder aux ressources que de profiter d‟une certaine protection traditionnelle et juridique.

4.2.2 Un nouveau regard du territoire Sápara

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