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QUELQUES ASPECTS DE LA PENSÉE POLITIQUE DE JACQUES GODEFROY

par Alfred DUFOUR

Parmi les œuvres mineures publiées après la mort de P. F. Bellot (1776-1836), on trouve une notice d'une vingtaine de pages parue dans la «Bibliothèque universelle de Genève» voici exactement cent cin-quante ans et consacrée à Jacques Godefroy1C'est au cœur de cette notice, qui n'est guère connue que de ceux qui s'intéressent au juris-consulte genevois du

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siècle, que Bellot, évoquant les principaux ouvrages de son illustre prédécesseur à 1 'Auditoire de droit se rap-portant «plus à l'histoire ou à la littérature qu'à la jurisprudence»2,

consacre quelques lignes aux «Discours politiques» de Godefroy en ces termes:

«Il publia sur ce modèle (les harangues de Libanius d'Antioche) trois discours politiques qu'il prononça vraisemblablement dans quelques-unes de nos solennités académiques. Dans le premier, intitulé Ulpianus, le jurisconsulte de Genève emploie toute la force du raisonnement et toute la chaleur d'une âme républicaine à com-battre la maxime servile d'Ulpien, que le prince n'est pas soumis à la loi. Le troisième discours sous le nom d'Achaïca, destiné à développer les causes qui amenèrent la chute de la Ligue achéenne, fournit à Godefroy l'occasion de faire ressortir avec énergie cette importante vérité: que les Etats fédératifs ébranlés par la dis-corde périssent honteusement par l'appel à l'intervention étran-gère.»3

Ce sont ces Trois Discours politiques\ publiés à Genève en 1634, qui formeront la matière de notre étude. Et encore nous centrerons-nous

1 Cf. P.F. BELLOT, Notice sur Jacques Godefroy, tirée de la Bibliothèque universelle de Genève, Genève 1837, p. 7.

2 Op. cit. (1), p. 6.

3 Cf. op. cit. (1), p. 7.

4 Orationes politicae tres, in 4°, s. 1., 1634.

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sur deux d'entre eux: ceux qui ont précisément et à juste titre tant frappé Bellot, à savoir le premier, Ulpianus5, et le troisième, Achaïca6

C'est que ces deux discours sont plus spécifiquement politiques que le deuxième, consacré à l'empereur Julien l' Apostat7 et ceci à un double titre: quant à leur objet formel et quant à leur portée.

Quant à leur objet formel, aussi bien le discours relatif à la maxime d'Ulpien «Princeps legibus solutus» que le discours sur la Ligue achéenne se rapportent en effet formellement à l'Etat, au titulaire de la souveraineté comme à une forme originale d'Etat: l'Etat fédératif, ses institutions et ses diverses magistratures.

Quant à leur portée ensuite, l'un et l'autre de ces deux discours sont effectivement très riches de signification dans la conjoncture politique du premier tiers du

xvne

siècle et ceci sur le plan de l'histoire des doctrines politiques comme sur le plan de l'histoire générale des institutions politi-ques. Le premier de ces discours s'inscrit ainsi directement en faux contre l'essor de la doctrine de l'absolutisme et le second discours sur la Ligue achéenne relate, en pleine Guerre de Trente Ans, les aléas des institutions d'un Etat fédératif et démocratique antique, dans un parallèle implicite entre la Ligue achéenne des

nie

et

ne

siècles avant J.-C. et l'Empire ger-manique du

xvne

siècle8

C'est dire dès lors l'intérêt que présentent ces discours d'allure acadé-mique pour la compréhension de la figure et de la pensée politique de Jacques Godefroy. A la fois romaniste et helléniste, juriste et historien, loin d'être un savant de cabinet œuvrant dans sa tour d'ivoire trente ans durant à son édition du Code théodosien, Godefroy apparaît d'abord à travers ces Discours comme une figure de professeur, non pas étranger à

5 Ulpianus seu de Mai esta te principis Romani Legibus soluta Oratio !., in: Orationes politicae tres, op. cit., pp. 1-44.

6 Achaica seu de Causis interitus Reipublicae Achaeorum Oratio III., in: op. cit. (4), pp. 85-116.

7 lulianus seu de arcanis luliani Imp. artibus ad profligandam religionem christianam Oratio Il., in: op. cit. (4), pp. 45-84.

8 Cf. Les remarques de Chr. H. TROTZ dans son édition des Opera }uri di ca minora de Jacques Godefroy, Leyde 1733, Praefatio, p. 30, qui, citant la littérature ultérieure sur le sujet de la Ligue achéenne relève: «ad de his Adsertationem Reipublicae Achai-cae auctore J. Lud. Praschio consule Ratisbonensi, Ratisbonae 1686, in 4°, ubi com-parationem Achaicam inter et Germanorum Reipublicam instituit». Nous n'avons pu malheureusement retrouver l'ouvrage en question.

l'histoire qui se fait chaque jour, mais vivant au contraire pleinement dans son temps et attentif à en dénoncer la malice. C'est significative-ment à cet égard que chacun de ces Discours - prononcés dans les années 1620 - s'ouvre sur des références à l'actualité: ainsi l'évocation, au seuil du premier, de l'espèce d'idolâtrie politique (idololatria politica) qui a investi les allées du pouvoir en s'autorisant abusivement des Saintes Ecritures comme de la jurisprudence romaine9; ainsi par ailleurs, au seuil du second, la mention des trahisons et des persécutions qui frappent l'Eglise du Christ10; ainsi enfin, dans le préambule du troisième, le rap-pel des bouleversements et des révolutions qui ébranlent toute la chré-tienté11.

Dans le cadre limité de cette communication, nous ne retiendrons cependant que quelques aspects de la pensée politique de Jacques Gode-froy, telle qu'elle se dévoile dans ces Discours. Ces aspects tiendront, d'une part, aux positions de Godefroy face à l'absolutisme montant, d'autre part, à son attitude à l'égard des régimes républicains.

Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, nous voudrions encore situer brièvement ces Discours politiques dans la conjoncture générale de l'Europe de l'époque, laissant de côté la conjoncture politique genevoise évoquée par le Doyen Fatio. Par rapport à cette conjoncture politique générale sur le plan européen, ces Discours apparaissent prononcés dans notre cité vers 1622, dans la phase palatine de la Guerre de Trente Ans, si intensément vécue à Genève. C'est la période qui voit, au lendemain de la défaite de l'Electeur Palatin Frédéric V à la bataille de la Montagne blanche (1620), les troupes impériales, sous la direction de Tilly, envahir et ravager tout le Palatinat pour prendre d'assaut Heidelberg (19 septem-bre 1622) et Mannheim (2 novemseptem-bre 1622) et entreprendre la recatholici-sation de cet électorat passé au calvinisme. Cette reconquête catholique - que suivra quelques années plus tard la reconquête du Comté calvi-niste de Nassau -va mettre très directement à l'épreuve la foi de Gode-froy. D'une part, en effet, elle entraîne, avec la prise et le sac de Heidel-berg, la ruine de sa famille et la perte de toute une part de sa fortune.

D'autre part et surtout, l'invasion du Palatinat déterminera indirectement la mort de son père, contraint de fuir et de se réfugier à 73 ans à Stras-bourg, où il s'éteindra épuisé au début septembre 1622.

9 Cf. Ulpianus, op. cit. (5), pp. 4-5.

1

°

Cf. op. cit. (7), p. 46.

11 Cf. Achaica, op. cit. (6), p. 86.

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Mais il y a plus encore. Destinés à l'origine à un auditoire formé en bonne partie d'étudiants germaniques - qui viennent alors réguliè-rement fréquenter les cours de notre Académie à l'époque comme aujourd'hui- ces Discours politiques seront publiés pour la première fois en 1634 et ils le seront significativement avec une Epître dédicatoire au comte Georges Louis de Nassau, aussi directement frappé dans ses Etats par l'absolutisme et le militantisme religieux de l'empereur Ferdinand II de Habsbourg.

Il est temps de passer aux Discours eux-mêmes.

I

Directement inspirés par la conjoncture politique européenne, c'est en fait à la suggestion d'un conseiller du comte de Nassau, Heidfeld, et ceci à peu près douze ans après avoir été tenus à Genève, d'après les données du premier discours, à l'Auditoire de droit12, que les Trois Discours politi-ques de Jacques Godefroy doivent leur publication. C'est ce que révèle l'Epître dédicatoire adressée au comte de Nassau précisément et datée du 25 novembre 1634:

«Il y a longtemps, écrit ainsi Godefroy au comte de Nassau, que nous suivons avec une immense douleur la situation des plus déplo-rables de votre Allemagne, autrefois si heureuse, et nous la suivons avec des sentiments d'autant plus vifs qu'après tant d'années, qu'après tant de destructions des provinces et des villes les plus flo-rissantes» - on peut songer ici notamment à la terrible destruction de Magdebourg par Tilly en 1629 - «nous n'entrevoyons encore ni l'issue, ni le terme de ces malheurs.»13

Et il poursuit en ces termes en relatant la genèse de ces trois discours :

«Tandis que l'esprit tout troublé, j'allais chercher des précédents dans les temps passés, qui eurent les mêmes causes et les mêmes conséquences, au moins trois d'entre eux s'offrirent à moi il y a quelque douze ans ( ... ) que je ne pensais pas absurde de pouvoir embrasser en de brefs discours et exposer publiquement pour servir d'exemples.»14

12 Cf. Epistola dedicatoria, in: op. cit. (4), p. II; pour le lieu, cf. les indications op. cit. (5), p. 6.

13 Cf. Ep. dedie., op. cit. (4), p. 1.

14 Op. cit., loc. cit., p. Il.

Après avoir ainsi rapporté à l'actualité les thèmes de ses trois discours, Jacques Godefroy en précise alors les objets spécifiques de la manière suivante:

« ... Que le gouvernement délégué par Dieu aux Princes, n'ait pas d'autre objectif que de procurer et d'assurer la sécurité et la prospé-rité publiques et qu'il soit facile d'atteindre ce but pour le titulaire de ce gouvernement, si, conscient de la légitimité du pouvoir et loin de toute licence, il sait garder une juste mesure en matière politique, c'est ce que cherche à faire comprendre mon premier discours. Qu'il adopte ces principes pour être toujours armé contre tout ce qui ébranle la stabilité de l'Etat, c'est ce qu'ont pour objectif les deux discours suivants.»15

Œuvre d'un professeur «engagé» comme on le dirait de nos jours, nous ne pouvons manquer de noter que les Trois Discours politiques s'ouvrent chacun sur une plus ou moins longue référence à la conjonc-ture politique de l'époque, où la tendance à l'absolutisme se mêle aux persécutions religieuses et aux bouleversements qui secouent toute la chrétienté.

Les trois discours ainsi évoqués, arrêtons-nous aux deux principaux d'entre eux.

En ce qui concerne le premier, intitulé Ulpianus seu de Maiestate Princi-pis romani legibus soluta, il a pour objet délibéré la démystification de la maxime absolutiste «Princeps legibus solutus», une démystification que Godefroy opère en deux temps.

En un premier temps, en effet, c'est à une espèce de phénoménologie de l'absolutisme qu'il se livre, dénonçant la mentalité «des couratiers des Princes» de son temps, leurs sources d'inspiration et leurs fallacieuses maximes comme les pratiques déviantes qu'ils fondent.

En un second temps, Godefroy passe à une critique fondamentale de l'idéologie absolutiste, d'abord assez succinctement d'un point de vue théologique, ensuite et surtout - c'est là l'essentiel de son discours - du point de vue juridique, par une exégèse rigoureuse de la maxime d'Ulpien, insérée dans le Digeste au titre De Legibus, «Princeps legibus solutus est». Cette exégèse lui permet d'ébaucher une théorie des rapports entre le prince et les lois, qui n'affranchit le Prince que des seules lois positives.

15 Op. cit., loc. cit.

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Reprenons ici les grandes lignes de sa démarche, en nous arrêtant d'abord quelque peu à son analyse de l'idéologie absolutiste. En un pre-mier temps donc, Jacques Godefroy esquisse une phénoménologie de l'idéologie absolutiste:

«C'est, d'une part, dit-il, que la coutume s'est développée chez la plupart de ceux qui forment l'entourage des Princes, ou qui sollici-tent leur atsollici-tention, de préférer, comme on a pris l'habitude de le dire, d'être de ceux qui plaisent, flattent et louent, plutôt que de dire la vérité, et d'accroître ainsi à l'infini le droit et le pouvoir des Princes.

Il en résulte que, de tous côtés, on entend résonner aux oreilles des Princes: «si libet, licet»: «tu peux faire tout ce qui te plaît» ( ... ) Com-bien peu nombreux alors sont ceux qui rappellent le Prince à sa condition et qui prennent un jour sur eux de lui tenir ce langage extraordinaire, parce qu'exigeant: «Cela ne t'est pas permis: ti bi 11011 li cet.» 16

A cette première raison de l'essor de l'idée absolutiste s'en ajoute une seconde pour Jacques Godefroy:

«C'est, d'autre part, qu'il n'est pas rare que la condition et le carac-tère des gouvernants eux-mêmes soient tels qu'ils affirment qu'ils ne conserveraient pas leur place dans l'Etat, bien plus, qu'ils affaibli-raient la puissance de leur pouvoir et régneaffaibli-raient enfin de façon toute précaire s'ils ne considéraient leurs sujets comme naturellement faits pour une résignation sans limite à toutes leurs injustices. Aussi entend-on résonner partout cette formule affreuse et redoutable:

«Oderi11t dum metua11t» - «qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me crai-gnent». Incapables de réaliser leur situation, ils ne songent pas que l'état de dépendance de leurs sujets correspond à une tutelle qui leur a été confiée par Dieu.»17

«Ce qui en résulte, poursuit Godefroy, ce n'est pas une souveraineté ou un pouvoir affranchi des limites de tout droit, c'est une calamité, une licence effrénée, lourde de tous les maux et qui, hors de l'Eglise, entraîne, de l'avis de ceux qui aiment la vérité, une véritable idolâtrie politique (idololatria politica).»18

Il y a plus cependant: Jacques Godefroy ne limite pas son attention, en effet, aux seules maximes absolutistes pour dénoncer «l'idolâtrie poli-tique» qu'elles impliquent; il porte encore son regard sur les compor-tements déviants dont elles se doublent, pour en dévoiler le caractère sacrilège:

16 Op. cit. (5), p. 3.

11 Op. cit. (5), pp. 3-4.

18 Op. cit., loc. cit., p. 4.

«S'il équivaut à un sacrilège de discuter l'autorité légitime des Prin-ces, leur rendre par contre des honneurs indus n'équivaut plus à un sacrilège, mais constitue en dernière analyse un sacrilège tout court. Bien plus, nous soutenons qu'on ne peut témoigner de plus grande défé-rence aux Princes que celle qui est déterminée par les limites de leur droit...»19

Faut-il voir là un écho des tendances qui se font jour dans les milieux dirigeants de la Genève d'alors? Une chose est certaine, c'est que lorsque Jacques Godefroy fera disputer à l'Auditoire de droit les questions de d'appréhender la conséquence. Arrêté de faire défense au Sr. Gode-froy de ne plus continuer en ladite Dispute.»21

En fait Godefroy ne se bornera pas à esquisser la phénoménologie de l'idéologie absolutiste, de ses maximes et de ses pratiques, il en démas-quera encore les sources dans les deux sciences majeures du temps, à savoir la jurisprudence et la théologie:

«Qui le croirait? On pense communément que leurs plus solides appuis, les Princes les trouvent dans ces deux sciences et que c'est nulle part ailleurs que leur pouvoir absolu n'en trouve de plus im-portants. C'est à cause de cela que le Droit romain est devenu aujourd'hui l'objet de tant d'hostilité, comme une discipline parasi-taire. Quel fait incroyable que l'origine du droit puisse être l'occasion de tant de violations du droit !»22

«Et vraiment quel heureux fait», poursuit Godefroy, «que l'appui que l'on sollicitait impudemment des Saintes Ecritures se soit effon-dré lorsque des esprits considérés ont montré que le mot Mischpat ne signifiait pas le droit à proprement parler ou le pouvoir légitime, mais laforce, l'usurpation, l'usage et la coutume. De telle sorte qu'il recelait non le fondement du pouvoir de commander, mais de celui d'obéir et

»Il n'y a rien dès lors, croyez-moi, rien dans la Sagesse civile ou la Jurisprudence qui ne puisse prêter la main au pouvoir sans bornes des gouvernants. »23

Aussi est-ce de ces sciences mêmes - Théologie et Jurisprudence -que doit venir le remède:

«Car ce sont ces deux sciences Théologie et Jurisprudence -qui imposent une limite au pouvoir menaçant des gouvernants de par la juste prééminence qu'elles exercent sur les mortels comme du haut de quelque cime ou de quelque éminence. Ce sont elles en effet qui délimitent par quelques règles certaines le juste de l'injuste. »24

S'adressant plus spécialement aux étudiants en droit, Jacques Gode-froy relève, d'un autre côté, quant à la fonction du Droit romain, abusive-ment détourné de sa fin:

«C'est pourquoi je vous donne aujourd'hui pour conseil de libérer le Droit civil et le Droit romain, qui depuis toujours s'est partout recommandé par sa souveraine impartialité, de le libérer de cette funeste incrimination d'adulation du Pouvoir.»25

C'est dès lors un rôle privilégié qui revient pour Jacques Godefroy à ces deux disciplines dogmatiques que sont la Théologie et surtout le Droit dans la critique de l'idéologie absolutiste.

Du coup nous touchons au second temps de sa démarche, à savoir l'exégèse de la maxime d'Ulpien «Princeps legibus solutus est», qui tient lieu, selon ses propres termes, «de fondement unique aujourd'hui au pouvoir absolu des Princes», «d'arrêt définitif», de «loi des lois» (lex legum)26

Cette exégèse, Godefroy s'y livre à la fois en romaniste et en historien du droit, retraçant tout l'histoire de l'interprétation de cette maxime à Rome. Nous nous bornerons pour notre part à retenir de sa critique de l'idéologie absolutiste les traits principaux de sa théorie des rapports

23 Op. cit., pp. 5-6. Parmi les «esprits considérés» qui ont attiré l'attention sur le sens du vocable Mischpat, il faut citer Jean Bodin, Les Six Livres de la République, Paris 1576, livre 1er, chap. X, où renvoyant au premier Livre de Samuel, VIII, 9, l'auteur relève: «Le mot mischpatim ne signifie pas droits en ce lieu-là, mais coutumes et façons defaire.»

24 Op. cit., pp. 4-5.

25 Op. cit., p. 6.

26 Op. cit., p. 8.

entre le Prince et les lois, laissant à des collègues plus compétents -nos collègues romanistes - l'appréciation de son exégèse proprement dite.

De l'histoire que trace Godefroy de l'interprétation donnée dans la Rome impériale de la maxime d'Ulpien, il ressort tout d'abord qu'aucun interprète n'a jamais entendu contester que le Prince soit soumis à la loi divine, à la loi naturelle et à celle de la raison27Résumant ensuite sa pen-sée, Godefroy tient le Prince, d'une part, pour lié par les lois du Droit naturel, c'est-à-dire par les lois fondées sur l'équité et la raison naturelle, comme la succession des enfants aux parents28; d'autre part, il tient pareillement le Prince pour lié par les lois fondamentales de l'Etat, qui en sont comme les piliers sur lesquels il repose29

«De tout cela, conclut-il enfin, il est assez évident que les Empereurs romains n'ont été déliés que du droit positif, soit des lois positives, mais nullement des lois naturelles et du droit des gens, ni même des lois écrites fondées sur l'équité naturelle.»30

Pour avoir ainsi lavé le Droit romain du reproche d'adulation des Princes, Jacques Godefroy en appelle alors à la science sœur du Droit, la Théologie, afin qu'elle n'hésite pas à signifier au Prince ce qui ne lui est pas permis, tout en inculquant l'obéissance qui lui est due31

«Telle doit être aussi en définitive notre manière de voir - ajoute-t-il en guise de conclusion - et c'est là la mienne, à égale distance de l'indigne servilité des flatteurs et du détestable esprit frondeur des autres. »32

Ainsi formulée de manière explicite, la pensée politique qui nous paraît se dégager de ce premier discours politique de Jacques Godefroy est une pensée du juste milieu entre l'absolutisme montant du

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siècle et l'esprit de fronde des monarchomaques protestants du

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siècle.

Cette pensée modérée du juste milieu se retrouve dans ses distances prises tant à l'égard des pouvoirs civils qu'à l'égard des autorités ecclésiastiques

Cette pensée modérée du juste milieu se retrouve dans ses distances prises tant à l'égard des pouvoirs civils qu'à l'égard des autorités ecclésiastiques