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Jacques Godefroy (1587-1652) et l'Humanisme juridique à Genève, Actes du Colloque Jacques Godefroy

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Conference Proceedings

Reference

Jacques Godefroy (1587-1652) et l'Humanisme juridique à Genève, Actes du Colloque Jacques Godefroy

DUFOUR, Alfred (Ed.), SCHMIDLIN, Bruno (Ed.)

DUFOUR, Alfred (Ed.), SCHMIDLIN, Bruno (Ed.). Jacques Godefroy (1587-1652) et

l'Humanisme juridique à Genève, Actes du Colloque Jacques Godefroy . Bâle : Helbing

& Lichtenhahn, 1991, 300 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:73334

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JACQUES

GODEFROY

(1587-1652)

et l'Humanisme juridique à Genève Actes du colloque Jacques Godefroy

édités par

LES GRANDS JURISCONSULTES

Helbing & Lichtenhahn Factùté de Droit de Genève

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COLLECTION GENEVOISE

Jacques Godefroy (1587-1652)

et l'Humanisme juridique à Genève

Actes du colloque Jacques Godefroy

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COLLECTION GENEVOISE

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COLLECTION GENEVOISE

Jacques Godefroy (1587-1652) et l'Humanisme juridique à Genève

Actes du colloque Jacques Godefroy

édités par

Bruno Schmidlin et Alfred Dufour

Helbing & Lichtenhahn Bâle et Francfort-sur-le-Main 1991

Faculté de Droit de Genève

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CIP-Titelaufnahme der Deutschen Bibliothek

Jacques Godefroy (1587-1652) et l'humanisme juridique à Genève:

actes du Colloque Jacques Godefroy/éd. par Bruno Schmidlin et Alfred Dufour.

Faculté de Droit de Genève - Bâle: Helbing et Lichtenhahn, 1991 (Collection genevoise: Les grands jurisconsultes)

ISBN 3-7190-1123-2

NE: Schmidlin, Bruno [Hrsg.]; Colloque Jacques Godefroy <1987, Genève>;

Université <Genève>/Faculté de Droit

L'œuvre, ses textes, les illustrations et la forme qu'elle contient sont protégés par la loi.

Toute utilisation en dehors des strictes limites de la loi sur les droits d'auteur sans l'accord de l'éditeur est illicite et répréhensible. Ceci est valable en particulier pour les reproductions, traductions, microfilms et pour la mise en mémoire et le traitement

sur des programmes et des systèmes électroniques.

ISBN 3-7190-1123-2 Numéro de commande 2101123

© 1991 by Helbing & Lichtenhahn, Bâle Conception graphique: Vischer & Vettiger, Bâle

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Portrait anonyme de Jacques Godefroy, XVIIe siècle.

Propriété de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève.

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AVANT-PROPOS

«Auditoire du droit estant raporté que on a visité la chapelle du Cardi- nal à Saint-Pierre pour ce qu'elle seroit fort propre pour la leçon du droit si on y avoit fait deux fenestres, arresté qu'on les fasse.»

(Registre du Conseil, 5 août 1566).

Ce témoignage précieux marque les débuts de l'enseignement du droit à l'Académie de Genève, qui sous le savant Théodore de Bèze parvenait rapidement à son premier apogée.

L'ordre donné d'ouvrir lesdites fenêtres, il restait à trouver professeurs et étudiants. Après une courte période de tâtonnement, Genève réussis- sait à attirer quelques-uns parmi les plus célèbres jurisconsultes de l'Uni- versité de Bourges, centre florissant des études juridiques humanistes.

Poursuivis et chassés pendant les troubles des guerres de religion, ils rejoignaient la cité de Genève, bastion de la nouvelle foi. Ennemond de Bonnefoy, François Hotman, Hugues Doneau, Germain Colladon, Denis et Jacques Godefroy brillaient aux côtés du Vénitien Jules Pacius de Beriga et de Jacques Lect, un enfant du pays. Genève devenait un centre du nouvel humanisme juridique et, pour quelques décennies, sa gloire allait rayonner bien au-delà de ses murs étroits et toujours menacés.

Jacques Godefroy, né à Genève le 13 septembre 1587, est le plus émi- nent et surtout le plus genevois d'entre eux. Suivant les traces de son père Denis, qui après quelques années d'enseignement à Genève quitta l' Aca- démie pour l'Université de Heidelberg, Jacques, lui, rentra en 1619 dans sa ville natale pour y occuper la chaire de droit vacante et y enseigner comme seul professeur ordinaire. Il se dédia à l'enseignement et à la recherche d'une façon exemplaire, tout en assumant des tâches impor- tantes au service de la Cité. Membre du Petit Conseil, il revêtit la charge de syndic à plusieurs reprises, et accomplit d'importantes missions diplo- matiques.

Le 400e anniversaire de sa naissance nous semble une occasion oppor- tune de commémorer la genèse et la première floraison de l'Ecole de droit de l'Académie de Genève, précurseur de notre Faculté. C'est le mérite de ces juristes humanistes d'avoir consolidé l'étude du droit à 7

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Genève pendant une période difficile, de sorte que la place de cet ensei- gnement, malgré les hauts et les bas qui suivirent, fut acquise au sein de l'Académie. Jacques Godefroy était le plus fervent partisan d'une ouver- ture de cette modeste Ecole sur l'étude du droit et les autres domaines de la science, bien que son rêve d'une Université comprenant quatre facultés n'ait pu se réaliser de son vivant.

Le nom de Jacques Godefroy est donc lié à l'essor des études de droit dans notre cité. Les facettes de sa personnalité, sa contribution à la science juridique et historique, le contexte dans lequel il réalisa son œuvre, méritaient d'être mis en lumière. C'est à quoi se sont attachés les chercheurs réunis en un colloque pluridisciplinaire, du 19 au 21 novem- bre 1987, sous les auspices de la Faculté de droit de l'Université de Genève. Nous sommes heureux de publier leurs communications dans le présent volume.

Genève, novembre 1990 Bruno SCHMIDLIN

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TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos.... . . 7 Table des matières . . . 9 Liste des auteurs . . . Il

I. GENÈVE AU TEMPS DE L'HUMANISME JURIDIQUE Hommage à Jacques Godefroy

Alfred DUFOUR . . . 15 Genève au temps de Jacques Godefroy

Olivier FATIO... . . . 19 L'humanisme juridique à Genève, des origines jusqu'à

Jacques Godefroy

Vincenzo PIANO-MORTARI. . . 27 Un instrument de travail de Jacques Godefroy:

le Genevensis Graecus 23, manuscrit byzantin du XIVe siècle

Bertrand BOUVIER. . . 47

IL L'HUMANISTE JACQUES GODEFROY: JURISTE, HISTORIEN, POLITIQUE ET PUBLICISTE

L'humaniste Jacques Godefroy à la recherche des sources juridiques

Bruno SCHMIDLIN... 61 Jacques Godefroy, historien de Genève

Catherine SANTSCHI... 81 Quelques aspects de la pensée politique de Jacques Godefroy

Alfred DUFOUR . . . 115 Jacques Godefroy et le Mercure jésuite

Mario TURCHETTI. . . 137 9

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III. DIVERSITÉ DE L'HUMANISME JURIDIQUE Jacques Lect, politicien

Théodore de Bèze, théologien juriste Hugues Doneau, juriste systématicien

Jacques Lect, juriste et magistrat, «théologien et évêque»

Matteo CAMPAGNOLO... . . 149 En quoi les idées politiques de Théodore de Bèze

et des Monarchomaques protestants innovèrent-elles?

Ivo RENS. . . 175 L'apport de Théodore de Bèze à la théorie du droit de résistance

dans le traité Du Droit des Magistrats

Christine ALVES DE SOUZA . . . 191 Systématique et Dogmatique dans les Commentarii Iuris

Civilis de Hugo Donellus

Carlo Augusto CANNATA... 217 Hugues Doneau et les juristes néerlandais du XVIIe siècle:

L'influence de son «système» sur l'évolution du droit privé avant le Pandectisme

Robert FEENSTRA . . . 231 Notice sur Pierre Corneille de Brederode (1558[?]-1637)

Robert FEENSTRA . . . 245

IV. RÉFLEXIONS TERMINALES

Défense et illustration de l'humanisme calviniste

Jean CARBONNIER . . . 251

APPENDICE

Textes inédits de Jacques Godefroy, ou relatifs à son œuvre

historique et juridique . . . 269 Index des noms cités . . . 295 Table des illustrations . . . 299

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LISTE DES AUTEURS

Christine ALVES DE SOUZA Bertrand BOUVIER

Matteo CAMPAGNOLO Carlo Augusto CANNATA Jean CARBONNIER Alfred DUFOUR Olivier FATIO Robert FEENSTRA

Vincenzo PIANO-MORTARI Ivo RENS

Catherine SANTSCHI Bruno SCHMIDLIN Mario TURCHETTI

Assistante à la Faculté de droit de Genève Professeur à l'Université de Genève Chargé de recherche à l'Institut de l'Histoire de la Réformation

Professeur à l'Université de Neuchâtel Professeur ém. à l'Université

de Paris-Panthéon

Professeur à l'Université de Genève Professeur à l'Université de Genève Professeur ém. de l'Université de Leiden Professeur à l'Université de Rome La Sapienza

Professeur à l'Université de Genève Directrice des Archives de l'Etat de Genève Professeur à l'Université de Genève Maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Genève

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I

Genève au temps

de l'humanisme juridique

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HOMMAGE A JACQUES GODEFROY

par Alfred DUFOUR

Doyen

Jacques Godefroy, jurisconsulte et homme d'Etat, est assurément l'une des gloires du

xvne

siècle genevois et de l'humanisme juridique euro- péen. Ainsi que l'a excellemment dit P.F. Bellot, voici cent-cinquante ans: «Il fut tout à Genève et tout pour Genève: professeur, magistrat, jurisconsulte célèbre... Il mérite que nous rappelions tous ses titres à l'admiration de la postérité et qu'un nouvel hommage soit rendu à sa mémoire1

C'est ce nouvel hommage que la Faculté de droit et singulièrement son département d'histoire du droit et des doctrines juridiques et politiques ont entendu lui rendre à l'occasion du quatrième centenaire de sa nais- sance.

Certes, les Genevois ont quelque pudeur de leurs grands hommes comme de leurs richesses: ils répugnent à en faire étalage comme ils répugnent aux grandes festivités. Il n'est que de voir leurs principales fêtes patriotiques: c'est au crépuscule des jours les plus courts de décem- bre, dans l'obscurité des fins de journées et des soirées du dernier mois de l'année ou dans la demi-clarté de l'aube du 31 décembre que les Gene- vois aiment à commémorer les grands moments de leur histoire et de leurs libertés. Aussi, s'ils en viennent à célébrer quelque grande figure de la République, c'est le plus souvent sous l'impulsion de quelque Confé- déré ou en raison de la dimension européenne de cette figure, qu'il serait alors malséant d'oublier.

Mais alors une tentation inverse à la pudeur excessive de leurs propres gloires les menace aujourd'hui: c'est la mode d'exalter dans les grandes figures du passé des figures de précurseurs qui, des Droits de l'homme ou

1 P. F. BELLOT, Notice sur Jacques Godefroy, tirée de la Bibliothèque universelle de Genève, décembre 1837, p. 4.

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de l'Etat social- on l'a entendu dire pour Calvin- qui, de la «nouvelle cuisine» en stratégie - on a pu le lire aussi récemment pour le général Guillaume-Henri Dufour2

Ce n'est pas ainsi que nous entendons commémorer le quatrième cen- tenaire de Jacques Godefroy. «Professor et senator genevensis» comme l'appelle Grotius dans sa correspondance3, Jacques Godefroy est en effet pleinement un homme de son temps.

Professeur de droit romain, il fait défendre des thèses à l'Auditoire de droit qui insistent sur la double fonction expiatoire et déterritive de la pendaison publique des voleurs4; il maintient dans d'autres thèses la nécessité de la question préalable et détaille les modalités d'application de la torture5; s'il soutient certes la liberté naturelle de tous les êtres humains6, il n'en défend pas moins la compatibilité de l'esclavage et du christianisme7

Pourquoi alors célébrer le quatrième centenaire d'un jurisconsulte aussi peu novateur dans le droit matériel? Ce n'est pas parce que la Faculté de droit et le Département d'histoire du droit et des doctrines juridiques et politiques auraient quelque sympathie pour les tenants de l'ordre établi. C'est que Jacques Godefroy représente sans aucun doute l'expression la plus achevée de ce mouvement de renaissance intellec- tuelle et scientifique que l'on appelle l' «humanisme juridique». Cet

2 Cf. Journal de Genève, 22 mai 1986, p. 20, pour Calvin: «Président du Conseil d'Etat, M. Christian Grobet souligne que le peuple, à Genève, avait choisi sa confes- sion, alors que d'habitude, ce choix était le fait du prince. Liberté de conscience donc, qui est le fondement des Droits de l'homme. Etablissement d'une République, évolution démocratique et aussi, déclara M. Grobet, début de l'Etat social moderne:

instruction publique, œuvres d'entraide»; cf. même Journal, 14 septembre 1987, p. 15, pour le général Dufour et la stratégie, l'article de M. Danthe: «Dufour-Girar- det: même combat.»

3 Cf. Lettre du 22 janvier 1637 à N. van Reigersberch, n° 2930, in: P. C. MoLHUYSEN -B. L. MEULENBROEK, Brie.fivisseling van Hugo Grotius, vol. 8, S'Gravenhague 1971, p. 44.

4 Cf. Disputatio juridica de furtis, the sis XXVIII et XXX, Genevae 1628 (res p. Andreas Schwartz), p. 20.

5 Cf. Disputatio juridica de quaestionibus seu tortura, notamment thesis XLIV, XL V et XLVI, Genevae 1628 (resp. Philippus Ludovicus Hoffmannus), p. 14.

6 Cf. Disputatio juridica de justifia, jure et statu hominum, thesis XXIII, Genevae 1620 (resp. Esaias Collado), p. 5.

7 Op. cit., thesis XXXVII, p. 6.

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humanisme juridique n'est rien d'autre en définitive que le renouvel- lement de l'enseignement et de la science juridiques par la philologie et l'histoire8 Aussi se manifeste-t-il au premier chef par une nouvelle renaissance des études de droit romain, en particulier par des éditions critiques des grands textes de la jurisprudence romaine dont les sommets sont précisément à Genève, d'une part l'édition générale du Corpus iuris civilis, donnée en 1583 par Denys Godefroy, le père, d'autre part et sur- tout l'édition critique du Code Théodosien par notre Jacques Godefroy, le fils, publiée en 1665 ...

Mais l'humanisme juridique se traduit aussi par un essor des études historiques qui en fera une première Ecole du droit historique, célébrée par Savigny lui-même9 et dont Jacques Godefroy est également l'une des grandes figures.

Pour être à cet égard pleinement historien du droit romain, Jacques Godefroy n'en est pas moins pleinement présent aux grands événements de son temps, comme professeur dès 1619 à l'Académie, comme homme d'Etat, conseiller puis à plusieurs reprises syndic, voire comme diplomate auprès de Louis XIII, de Louis XIV, de la Cour de Turin ou de la Diète helvétique. Pour être par ailleurs tout à sa patrie, de 1619 à sa mort en 1652, Jacques Godefroy n'en acquerra pas moins rapidement une renom- mée européenne. Nous en avons le témoignage le plus éloquent dans la lettre qu'écrit Hugo Grotius à son ami l'ambassadeur Aubéry du Maurier le 6 janvier 1629 au sujet des études des fils du Maurier:

«Je ne vois pas d'endroit plus propice pour des études que Genève, où se trouve Godefroy, le meilleur professeur de droit civil (non video quae sit regio ad studia opportunior Geneva, ubi Gothofredus, iuris civi- lis optimus monstrator» )10

8 Cf. la formule d'Etienne PASQUIER, Recherches sur la France, Paris 1607, IX/39:

«Le siècle de l'an mil cinq cens nous apporta une nouvelle estude des lois qui fut de faire un mariage de l'estude du droict avec les lettres humaines par un langage net et poly.»

9 Cf. aussi bien la fameuse lettre publiée dans la revue T1zémis, vol. 4, Paris 1822, sur L'Histoire de Cujas, par Berriat-Saint-Prix, pp. 193-207, dans laquelle Savigny s'exclame: «Dans l'histoire de la jurisprudence moderne, il n'y a pas d'époque plus brillante que celle du XVIe siècle», op. cit., p. 194, que la Préface de la Geschichte des romischen Rechts im Mittelalter, Bd. 1, Heidelberg 1815, p. V: «Maintenant encore nous ne faisons que suivre la route ouverte au XVIe siècle.»

1

°

Cf. Lettre du 6 janvier 1629, n° 1362, in: P.C. MoLHUYSEN- B. L. MEULENBROEK, Briefivisseling van Hugo Grotius, op. cit., vol. 4, S'Gravenhague 1964, p. 3.

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GENÈVE AU TEMPS DE JACQUES GODEFROY

par Olivier PATIO

Les années pendant lesquelles Jacques Godefroy exerça son activité scientifique et politique à Genève, 1619 à 1652, sont des années de crise.

Pour les qualifier, les historiens emploient les expressions de «sombre xvne», «période d'anxiété, voire d'angoisse», «longue veillée d'armes»,

«guerre froide», «mobilisation permanente». Roger Stauffenegger voit même dans cette période une longue nuit de l'Escalade que Genève n'en finit pas de vivre1Il n'a pas tort.

La crise se manifeste d'abord par le dépeuplement de la cité. Même si elle reste une ville plus peuplée que celles du Corps helvétique, Genève n'en perd pas moins, en quarante ans, près du quart de ses habitants, passant de seize mille en 1615 à douze mille trois cents en 1654. Respon- sables de cette hémorragie, la peste, l'inclémence des temps, une écono- mie déprimée. En 1615, de 1629 à 1631, à nouveau de 1636 à 1640, la peste fait ses ravages. Sa dernière attaque touche plus du tiers des habi- tants de la ville, et si l'on songe qu'un cas sur quatre est mortel, Genève perd dans la seule année 1636 le dixième de sa population2

Epidémie et disette font trop bon ménage: un printemps pluvieux, ou froid, c'est une moisson médiocre, la hausse du prix du blé, celle du pain, un pouvoir d'achat réduit, la privation du nécessaire pour une part crois- sante de la population désormais plus exposée à la maladie et à la sur- mortalité. On connaît ce cycle qui aboutit à la chute des naissances, à la récession économique et au chômage. Cycle de la misère qui frappe Genève en 1622-1623, 1629-1631, et encore en 1649-1650. Impuissants

1 Roger STAUFFENEGGER, Eglise et société, Genève au XVII" siècle, t. 1, Genève 1983, p. 147.

2 Cf. Anne-Marie Pruz, «De la Réforme aux Lumières» (XVIIe-XVIIIe siècles)», in:

Histoire de Genève, publiée sous la direction de P. Guichonnet, Toulouse-Lausanne 1974, pp. 201-202.

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face aux fléaux naturels, il ne reste aux hommes accablés qu'à recevoir l'explication providentialiste des événements que leur délivre un corps pastoral qui sait à la fois exploiter et limiter leurs angoisses: si le mal s'abat, c'est que Dieu est courroucé, car le peuple n'a chéri ni recueilli la Parole de Dieu comme il le devait. Il faut se repentir et renoncer aux tavernes, jeux, danses, luxe et à tout ce qui est scandale aux yeux du Seigneur. Alors il viendra dans sa «grâce», ne se lasse pas de répéter la Compagnie des pasteurs.

Impuissants, les hommes le sont sans doute, mais pas inactifs. Pour tenter de remédier à la disette et à la trop grande cherté du blé, on crée en 1628 la Chambre des blés, administration permanente chargée d'assurer un meilleur ravitaillement de la cité en constituant des réserves pendant les bonnes années et en alimentant le marché lors des pénuries. A la lon- gue, la Chambre des blés donnera des coups de pouce à la Providence et deviendra de surcroît une sorte d'établissement de crédit en l'absence d'une banque d'Etat.

Aux misères endémiques des pestes et disettes, s'ajoutent celles d'une économie en régression. Le marché de la soie, qui avait fait, entre les mains des réfugiés italiens et celles de leurs descendants, les beaux jours de la cité au début du siècle, s'éteint dès 1620, supplanté par le marché lyonnais. Le commerce avec l'étranger est en récession. Certes, il reste encore des gens fortunés: le «palazzo» que Francesco Turrettini, le soyeux enrichi, se fait construire à la rue de l'Hôtel-de-Ville en 1620 et les maisons édifiées par les Pictet, Micheli et autres Burlamachi en témoi- gnent aujourd'hui encore. Certes, on voit poindre entre 1620 et 1625 les pratiques capitalistes caractéristiques de la Genève prospère du siècle sui- vant: investissements à l'étranger- en l'occurrence dans les compagnies hollandaises des Indes - plutôt qu'investissements fonciers et immobi- liers. Mais il faudra attendre trente ans, 1650, pour que la conjoncture se redresse, que la dorure et la passementerie, puis l'horlogerie et l'orfèvre- rie connaissent un développement impressionnant et que le dynamisme manufacturier, commercial et bancaire des Genevois se révèle sur un marché allemand et nordique en pleine expansion.

Pour l'heure, Genève doit régler le coût de son indépendance sans pou- voir compter sur les revenus d'une économie florissante. Mais les diffi- cultés quotidiennes qui ramènent régulièrement les classes moyennes au seuil de la misère n'entament en rien sa volonté d'indépendance. Elles la stimulent au contraire. Il n'empêche que le prix à payer est très lourd. La cité vit dans le peur d'une nouvelle attaque savoyarde et se tient dans un quasi-état de guerre. Ses dépenses militaires sont exceptionnellement

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élevées pour une ville de sa taille et le chantier des fortifications est constamment ouvert. Fortifier cette ville est le seul moyen de «conserver notre religion», répète-t-on à l'envP. Aussi ingénieurs et experts mili- taires huguenots, allemands, hollandais, suisses, Agrippa d'Aubigné lui- même, réfugié à Genève dès 1620, se succèdent-ils pour améliorer le sys- tème des murailles. Pour couvrir une partie des dépenses considérables entraînées par ces travaux, Eglises et princes réformés marquent leur solidarité en envoyant des fonds, comme le rappelle le nom donné aux nouveaux bastions, Hesse, Hollande, par exemple.

L'indépendance ne se défend pas uniquement avec des remparts et des garnisons. L'activité diplomatique joue dans son maintien un rôle pré- pondérant. Avec prudence, habileté, obstination aussi, les syndics et Conseil plaident en vrais professionnels leur dossier auprès de leurs voi- sins. Genève doit constamment tirer son épingle d'une partie qui se joue entre la Savoie qui la menace, mais de moins en moins, la France qui la protège, mais de plus en plus lourdement, le Corps helvétique qui la soutient, mais sans vouloir ou pouvoir l'accueillir en son sein.

La Savoie reste la source première des grandes inquiétudes et des petites vexations vécues par les Genevois. Malgré l'échec de l'Escalade et malgré la paix de Saint-Julien de 1603, Charles-Emmanuel reste «si aheurté à la conqueste de Genève, qu'il la prefererait à celle d'un royaume»4Les plans savoyards, il est vrai, deviennent de plus en plus chimériques à mesure que le duc et ses successeurs tournent davantage leurs intérêts vers la politique italienne. Pourtant, au jour le jour, Genève vit une sorte de guerre froide à l'initiative d'officiers subalternes savoyards, guerre froide qui se marque par des entraves à l'approvision- nement de la cité, des contestations territoriales ou juridictionnelles dans lesquelles le facteur confessionnel n'est jamais complètement absent: «le péché originel de la ville est la religion qu'elle professe», rappelle le duc de Rohan lors de son passage en 16375Ces noises incessantes deman- dent des ambassades à Turin, des mémoires juridiques abondants pour tenter de sauver les droits des Genevois dans un mode de vivre réticent, mais en définitive bien réel par intérêt réciproque et parfois même par affinités coutumières.

3 Cf. ibidem, p. 214.

4 Cf. ibidem, p. 221.

5 Cf. Jean-Antoine GAUTIER, Histoire de Genève des origines à l'année 1691, t. 7, Genève 1909, p. 250.

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Le péril savoyard trouve ses limites dans la protection du roi de France. Henri IV avait protégé Genève comme un père. Après lui, Marie de Médicis, Richelieu et Mazarin continuent, mais plutôt conduits par la nécessité de l'équilibre européen qui serait rompu si Genève tombait dans l'orbite hispano-savoyarde, que par amitié pour une ville dont ils suppor- tent de plus en plus malle rôle de «mère et nourrice» de ces huguenots dont ils ont réduit non sans mal la puissance militaire avec la Paix d'Alès de 1629.

Protectorat de moins en moins rentable - Louis XIII supprime en 1626 l'aide financière annuelle que son père avait accordée en 1601. Pro- tectorat menaçant, entouré de bruits de complots, qui oblige à de longues et fréquentes députations à Paris, comme celle de Godefroy de janvier à juillet 1643, pour rappeler la bonne foi des Genevois. Protectorat qui aboutira à une sorte de proconsulat avec l'établissement d'un résident permanent du roi en 1679.

Au sein de ses difficultés, Genève a au moins l'avantage d'avoir deux protecteurs qui se craignent et se respectent, et non pas un, comme Stras- bourg qui sera prise par Louis XIV, en 1681, sans personne pour lui prê- ter main-forte. Contre le roi, et contre le duc bien entendu, Genève peut faire jouer ses combourgeois helvétiques. Car, comme le dit Jean Sarasin au Conseil de Berne en 1611, «en la perte de vostre pays se présente bien- tost celle de Genève et en celle de Genève, celle de vostre pays»6Assis- tance militaire réciproque entre la cité de Calvin et les cantons évangéli- ques, qui se matérialise par l'envoi de troupes que les Genevois voient arriver avec soulagement en 1603 ou en 1611 et voient repartir sans doute avec le même soulagement, car on ne peut s'empêcher ici de se méfier des appétits de l' «Ours» .. .?. Assistance diplomatique également, à Paris ou à Turin, mais, malgré le désir des Genevois, pas de «cantonnement» de Genève, c'est-à-dire d'entrée de plein droit dans le Corps helvétique.

L'hostilité des petits cantons catholiques et de l'ambassadeur de France à Soleure font une fois de plus échouer le projet en 1641, et ce en dépit d'un plaidoyer remarquable présenté par un syndic de qualité du nom de Jacques Godefroy ... Le motif qui unit Genève aux quatre cantons évangé-

6 Cité par STAUFFENEGGER, op. cit., p. 175.

7 Cf. Jérôme SAUTIER, «Politique et Refuge - Genève face à la Révocation de l'Edit de Nantes», in: Genève au temps de la Révocation de l'Edit de Nantes (Mémoires et documents de la Société d'histoire et d'archéologie, t. 50), Genève 1985, p. 7.

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Vue de Genève au XVIIe siècle. Ce dessin de Claude Chastillon, où Genève est vue du sud, date de 1595 et a été publié agrandi dans divers ouvrages, notamment dans la Topographia Helvetiae Mattaeus Merian, dont il existe plusieurs éditions, la première est celle de Francfort, 1642.

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liques - «la substance de notre commune religion et liberté» - est celui-là même qui meut les cantons catholiques à lui refuser l'entrée dans le Confédération.

C'est pourtant à cause de ce motif que Genève vit pendant cette période sous l'ombre portée de la Guerre de Trente Ans et subit le contre- coup de ses misères. Malgré la distance, malgré sa prudence, la Seigneu- rie demeure participante de ce long conflit, impliquée non pas tant par quelque exigence occasionnelle de vivres et de soldats que par la pro- pre nécessité qu'elle ressent d'assumer sa fonction de cité-église de la réforme calviniste.

Maintenir la pure religion, contre les ennemis du dehors et ceux du dedans, fonde ainsi une sorte de consubstantialité de l'Etat et de l'Eglise et établit une société unitaire. Société à la fois hantée par la menace de la reconquête diocésaine de François de Sales et confirmée dans le senti- ment mystérieux de sa prédestination à salut en constatant sa propre sur- vie au travers de tant de dangers. «Avouons», dit Frédéric Spanheim lors du jubilé de la Réformation de 1635, «que notre ville et République est tout entière un miracle, sa fondation, son rétablissement, sa réformation, sa conservation, sa protection et la sûreté qu'elle trouve au milieu de tant d'intrigues, de dangers ... ». La prédication du pur Evangile a donné la liberté à la cité et la cité n'a d'autre raison d'être que servir cette prédica- tion, si adverses que fussent les circonstances. «Ü Dieu», dit encore Spanheim, «Genève était une ville sans nom, tu l'as rendue célèbre; elle était païenne, tu l'as appelée au christianisme; elle était livrée aux super- stitions du papisme, mais tu l'as réformée ... Fais qu'elle soit à l'avenir le siège perpétuel de ta grâce»8

Exaltation d'une réformation qui se maintient en dépit de la rage de ses ennemis, mais exaltation sur le mode raisonnable, voire rationnel, et non sur le mode enthousiaste. Aussi, maintenir cette cité-église placée comme une citadelle à l'extrême sud des terres protestantes, exige non seulement de bâtir de bonnes fortifications et de renforcer la garnison, mais surtout de s'en tenir fermement à l'orthodoxie calviniste arrêtée au synode de Dordrecht en 1619, véritable concile réformé où Théodore Tronchin et Jean Diodati, les délégués genevois, jouent un rôle central.

8 Cité par Olivier FAno, «Quelle Réformation? Les commémorations genevoises de la Réformation à travers les siècles», in: Revue de théologie et philosophie 118 (1986), pp. 112-113.

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Cela exige de faire prêter à tout candidat au ministère pastoral, dès 1642, un serment de conformité aux canons du synode, de polémiquer sans relâche avec la plume contre les jésuites. Cela demande aussi de repren- dre constamment le problème de l'instruction du peuple - en 1620 on établit des maîtres d'école à la campagne - , de rappeler sans cesse les ordonnances somptuaires pour tenter d'empêcher que les mœurs ne contreviennent à la Parole de Dieu et de créer, en 1646, une chambre de la réformation chargée de réprimer les manifestations du luxe.

Maintenir la foi réformée, c'est établir une «république humiliée devant l'Eternel», dont les magistrats se comprennent comme les lieute- nants de Dieu. Cette race d'hommes trouve sa meilleure illustration en Jacques Lect et en son filleul Jacques Godefroy, secrétaire d'Etat en 1632, syndic à quatre reprises. Hommes de foi et hommes de raison, ils assurent à la cité sa stabilité au sein de la crise qui sévit. Par leur œuvre académique notamment, ils évitent que cette ville anxieuse, enserrée par nécessité dans ses étroites murailles, ne se replie trop sur elle-même. Ils n'évitent pourtant pas que les inquiétudes existentielles induites par la dureté des temps ne se dévoient trop souvent en exécution de sorcières - la dernière a lieu l'année même de la mort de Godefroy, en 1652. Ils n'empêchent pas non plus que le maintien de la pure religion exige la mise à mort en 1632 de Nicolas Antoine, ce malheureux pasteur qui s'était mis à judaïser.

La Genève de Godefroy traverse un temps de crise matérielle grave;

elle partage avec les contemporains ces débordements de violence et d'intolérance que suscite le sentiment que les fléaux de Dieu sont

«débordés»; elle est confrontée à l'une des situations diplomatiques les plus délicates de son histoire. Pourtant, comme si ces vicissitudes dont chacun sent le poids quotidien n'étaient que de surface, rien ne semble entamer la certitude qu'ont les Genevois d'assumer une vocation particu- lière dans l'histoire. Au contraire, les circonstances adverses sont l'occa- sion pour eux de mieux se soumettre à la Providence et de scruter sa Parole. La précarité des temps n'empêche nullement une religion, qui a fait de la pietas litterata l'une de ses caractéristiques, de durer, voire de s'approfondir. L'étude érudite continue d'être à l'honneur dans la Genève calviniste de ce XVIIe siècle: Jacques Godefroy nous le rappelle, lui qui représente une synthèse frappante de l'homme réformé de ce temps, savant, croyant, militant.

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L'HUMANISME JURIDIQUE A GENÈVE DES ORIGINES JUSQU'A JACQUES GODEFROY

par

Vincenzo PIANO-MORTARI

I. SUCCÈS DE L'HUMANISME JURIDIQUE GENEVOIS

L'humanisme juridique genevois s'est fait jour grâce au succès du régime calviniste et de sa politique civile et religieuse au cours de la seconde moitié du

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siècle. Il représente une page importante de l'his- toire de la science du droit, européenne et française. Ce courant possède bien évidemment ses caractéristiques propres, qui l'ont profondément marqué dès son origine. Ce phénomène historique s'est certes développé à partir des bases communes de l'Humanisme et de la Renaissance. Parti d'Italie, le mouvement de l'humanisme juridique (mos Italicus) gagna la France (mos Gallicus) où - à la différence de ce qui était arrivé dans son pays d'origine- il devait connaître son épanouissement, de même qu'en Allemagne, aux Pays-Bas et enfin en Suisse, avec Genève et Bâle comme principaux centres helvétiques de diffusion.

L'humanisme juridique peut se définir à cet égard comme un mouve- ment culturel, ne dédaignant pas l'activité pratique et impliquant un choix religieux en rapport avec la Réforme protestante, le calvinisme en particulier; Jean Calvin lui avait donné l'élan que l'on sait en faisant de Genève son centre de mission et le siège de son pouvoir dans le monde européen. La volonté du réformateur genevois de se libérer de Rome et de la tutelle du pontife romain dénote, sur le plan institutionnel et théolo- gique, la différence nette existant entre le calvinisme et les autres orienta- tions du protestantisme, toutes marquées par le refus programmatique du catholicisme. Voilà pourquoi l'expression évidente d'un sentiment anti- romain toucha aussi, sur le plan politique et juridique, les Genevois qui s'aligneront sur les disciples français du mos Gallicus, dont plusieurs seront accueillis à Genève et nommés professeurs à l'Université fondée par Calvin en 1559 et dirigée par Théodore de Bèze.

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Si j'ai voulu me référer aux aspects les plus connus de l'Humanisme et de la Renaissance en Suisse et à Genève, surtout au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, c'est pour mieux souligner que l'humanisme juridi- que devait trouver dans cette ville un terrain favorable à son développe- ment, tout particulièrement chez les intellectuels gagnés aux idées nou- velles1.

IL LA RÉFORME ET LES PREMIERS HUMANISTES

Celui qui veut reconstruire l'histoire de l'humanisme juridique gene- vois doit toujours avoir présents à l'esprit les liens et les rapports qui exis- tent entre la culture laïque et la doctrine religieuse de l'époque, sur la voie tracée d'un côté par les calvinistes et de l'autre côté par les luthériens.

Ces liens peuvent seuls permettre à la fois de comprendre la naissance du mythe de Genève, dès la seconde moitié du XVIe siècle et d'expliquer la diffusion du calvinisme.

Sur ce point, j'aimerais encore une fois me référer à Aglippa pour noter qu'il n'est pas seulement un homme de lettres, un amateur d'études médi- cales et un exégète. Son passage à Fribourg est également fondamental pour comprendre l'attitude religieuse qu'il adopta par rapport à la Réforme genevoise, en un moment où ce qui s'était passé à Berne, à Lau- sanne et à Bâle avait eu une grande importance. Ce sont ces points de référence qui expliquent ses rapports avec Luther et le mouvement reli- gieux genevois. Quoi qu'il en soit, entre 1526 et 1527, les catholiques ne reconnurent pas du tout leur défaite à Genève, ville dont ils dénonçaient l'atmosphère pestilentielle, à cause du calvinisme et du luthérianisme qui s'y diffusaient. A la même époque, les réformateurs français étaient méthodiquement persécutés, malgré l'importance plus forte acquise par

1 Voir l'ouvrage fondamental de C. BoRGEAUD, Histoire de l'Université de Genève:

l'Académie de Calvin, 1559-1798, Genève 1900. Voir également: P. F. GEISENDORF, l'Université de Genève (1559-1959), Genève 1959; A. von ÜRELLI, Rechtsschulen und Rechtsliteratur in der Schweiz vom Ende des Mittelalters bis zur Gründung der Universi- tiiten von Zürich und Bern, Zürich 1879; E. His, Anfonge und Entwicklung der Recllts- wissenschaft in der Schweiz bis zum Ende des 18. Jahrhunderts, in: Schweizer Juristen der letzen hundert Jahre, Zürich 1945 Einleitung; F. ELSENER, Geschichtliche Gründe- lung-Rechtsschulen und kantonale Kodificationen bis zum Zivilgesetzbuch, in: Schwei- zerisches Privatrecht, éd. Max GuTZWILLER et al., Band 1, Basel und Stuttgart 1969, pp. 1-237; H. NAEF, Les origines de la Réforme à Genève, vol. 2, Genève 1968.

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Zwingli et par Farel. Du reste, les liens entre la Réforme genevoise à son début et les changements religieux qui se produisirent à Berne sont des faits bien connus. En réalité, Berne poussa Genève à conquérir une indé- pendance temporelle et spirituelle. Les tentatives de l'évêque catholique de soumettre la ville par la force n'eurent aucun résultat. Ces faits qui eurent lieu postérieurement aux années 1530 permirent aux réformateurs d'apparaître comme les véritables champions et paladins des libertés de la ville de Genève.

Le portrait de quelques figures permettra de l'expliquer.

AGRIPPA (1486-1535)

Il n'est sans doute pas inutile de rappeler qu'en 1521, Henri Agrippa arriva à Genève, en même temps que Philibert de Lucinges, de Seyssel, de Louis Beliquet et d'Hilaire Bertalph. Ce dernier était le disciple et l'ami de Louis Vives, avant de devenir le secrétaire d'Erasme et d'entretenir des rapports avec Farel. Parmi ces personnages, la plus grande figure que l'on rencontre à Genève au cours de la première moitié du XVIe siècle fut incontestablement celle d'Agrippa dont les disciples vont commencer à étudier les textes sacrés et les œuvres juridiques, subissant ainsi l'in- fluence dominante de l'orientation philologique des humanistes. En

1518, Agrippa avait en effet envoyé une lettre à Claude Chansonette pour souligner et le danger qu'il y avait à se livrer à la lecture de la Bible sans posséder de connaissances philologiques et la culture juridique néces- saires. Dans le but d'observer les deux commandements de l'amour envers Dieu et de celui envers le prochain, Agrippa relevait dans sa let- tre l'importance de l'œuvre du jurisconsulte dans la société politique et civile. Mais si le théologien édifiait lui-même, comme Dieu érigeait ses constructions pour l'éternité, les œuvres temporaires réalisées par le juriste apparaissaient bien différentes, précisait-il. A l'époque où Agrippa écrit ces lignes, les œuvres d'Erasme et de Lefèvre d'Etaples étaient déjà fort bien connues et appréciées à Genève. Leur influence fut également grande sur l'enthousiasme religieux de nombreux catholiques.

Plus important encore a été, peut-être, à Genève, le passage, en 1523, de François Lambert. Certes, sa doctrine n'était pas celle des réformateurs, mais sa condamnation des vices des laïcs et des ecclésiastiques, accusés de désobéir aux préceptes de l'Evangile, correspondait pleinement à ce que les Genevois attendaient2

2 H. NAEF, op. cit., vol. 1, pp. 264-340; Ch. G. NAUBERT, Agrippa and the crisis of Renaissance thought, Urbana 1965, passim.

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CALVIN (1509-1564)

Lorsque, en 1536, Farel invite Calvin à rester à Genève, il accomplit un acte d'une grande importance historique. Les sentiments de Calvin pour Genève paraissent vraiment étranges, oscillant entre le refus total et l'attraction pour cette cité. Rappelons que Calvin était né en France où ses études s'orientèrent d'abord vers la connaissance du latin, sous la direction de Mathurin Cordier. Il entreprit ensuite des études juridiques à Orléans où il commença l'étude du grec sous la direction de Melchior Wolmar. C'est son séjour postérieur à Bourges qui lui permit de s'insérer dans le milieu des humanistes parmi lesquels les jurisconsultes occu- paient la première place3Mais c'est juste à ce moment que Calvin décida de se vouer aux études sacrées. Ses rapports avec Nicolas Cop l'obligèrent ensuite à se réfugier à Bâle, cité qui, comme on le sait, était à ce moment un grand centre d'érudition animé par Erasme. Entre-temps la théologie de Calvin commençait à se dessiner et à révéler ses premiers traits essen- tiels. A cet égard, les séjours du réformateur à Paris furent importants et significatifs. En réalité toutefois, c'est au travers de sa double activité de doctrinaire et de militant pour construire l'Eglise nouvelle, que le grand réformateur religieux est définitivement gagné à l'étude des lettres sacrées. Expulsé de Genève, le séjour de Calvin à Strasbourg lui fut au contraire très profitable en raison des excellents rapports qu'il put entretenir avec Bucer. C'est à ces influences que son œuvre littéraire est redevable, Calvin développant et affinant progressivement sa nouvelle théologie.

Si l'on considère maintenant le retour de Calvin à Genève en 1541, l'on constate que les Ordonnances ecclésiastiques révèlent moins la rigueur intransigeante (que l'on prête habituellement à Calvin sur le plan doctri- nal) que l'esprit réaliste et surtout politique de leur auteur.

A Genève, Calvin était devenu le chef indiscuté d'une religion et d'un régime politique et administratif de nature théocratique. Sa connaissance de la patristique était immense, au point que l'on peut sans doute le considérer comme le plus important théologien biblique de sa génération.

Son Académie, dont Bèze, rappelons-le, assuma la direction immédiate après sa fondation, devint un centre d'éducation et de science où cha- que discipline avait acquis une importance considérable. C'est grâce à

3 Très important à ce propos le livre de J. BoHATEC, Budé und Calvin. Studien zur Gedankenwelt des franzosischen Frühhumanismus, Graz 1950.

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l'Académie et à la formation humaniste, théologique et juridique de ses représentants qu'est né le mythe de Genève, avec les conséquences que l'on sait: le rôle que la ville sera amenée à jouer dans le vaste milieu de la culture européenne. En effet, la plupart des aspects de l'humanisme juri- dique genevois ne sont explicables que si l'on tient compte du savoir et de la science que l'Académie contribua à développer. Doué de caractéristi- ques propres, l'humanisme juridique genevois trouve sa place dans le cadre général de l'Ecole des jurisconsultes humanistes français et euro- péens. Il conserve des liens très étroits avec le mas Gallicus et, d'une façon plus globale, avec la culture française de l'époque. L'influence per- sistante de l'Humanisme et de la Renaissance italiens atteint son apogée sous l'influence de la pensée d'Erasme, de Sturm, de Reichling, de Vives, et évidemment de Luther, de Melanchthon et de Zwingli4

Après ses premiers succès politiques et religieux, il ne faut pas oublier que le régime calviniste à Genève se consolida sur le plan juridique avec la promulgation des Edits civils de 1568 et des Edits politiques - expres- sion du droit constitutionnel de la ville - dont le principal auteur fut Germain Colladon.

Si l'on s'intéresse au seul droit civil, les Edits civils - outre le fait qu'ils sont manifestement inspirés par la coutume du Berry, rédigée par Ger- main Col/adon, entre 1539 et 1540 - opèrent la fusion entre les nouvelles lois, les coutumes et les traditions locales. Le droit romain, dont le

·contenu et les principes dérivent des développements subis en particulier par la doctrine et la pratique jurisprudentielles italiennes, continue à s'appliquer à titre supplétif. Tout ce qui était contraire aux idées calvi- nistes fut éliminé du nouveau droit positif. Les Edits civils et politiques furent allégés grâce aux aménagements opérés par les Ordonnances ecclésiastiques de 1576. C'est ainsi que l'on peut saisir les éléments importants de la doctrine juridique genevoise du

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siècle, en tenant compte du droit appliqué dans la pratique, son aspect le plus significatif résidant dans le fait que les juristes genevois ont suivi la même orienta- tion que les juristes français de l'époque, tout en valorisant simultané- ment et de manière persistante, les principes d'inspiration calviniste et l'ensemble des normes d'origine locale, en utilisant la tradition scien- tifique, dérivée du bas Moyen Age en particulier. Par contraste avec le luthérianisme, qui perdit sa force d'expansion à la mort de Luther, le calvinisme arriva à une stabilisation après le décès de Calvin, grâce à

4 BORGEAUD, op. cit., p. 93.

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Théodore de Bèze, un homme de formation humaniste, mais doué aussi d'un esprit réaliste. C'est ainsi que le climat culturel de Genève ne change pas et que l'humanisme juridique genevois put continuer à poursuivre ses objectifs, en dépit des difficultés rencontrées pour maintenir l'enseigne- ment du droit à l'Académie.

III. ÉCLAT DE L'ACADÉMIE

ET DE L'HUMANISME JURIDIQUE A GENÈVE

En 1570, Théodore de Bèze confie le premier enseignement juridique à Pierre Charpentier, un personnage sans importance particulière, tandis que les trois années qui vont suivre voient se succéder deux jurisconsultes de grande valeur à cette chaire: Hugo Doneau et François Hotman, sans oublier la présence moins importante de Ennemond de Bonnefoy5Nous allons brièvement les évoquer.

HOTMAN (1524-1590)

L'étude et l'enseignement du droit furent immédiatement animés par l'esprit du mas Gallicus. L'atmosphère culturelle de la ville était celle d'une cité qui adhère profondément tant aux valeurs culturelles de l'humanisme qu'à celles de la foi calviniste. Ainsi, le courant philologi- que et érudit de l'humanisme guida l'œuvre de Bonnefoy, dont le Recueil du droit oriental représente le premier écrit qui fit connaître aux hommes d'étude la législation civile et ecclésiastique de Byzance6Avec Hotman et Doneau, on mesure tous les développements de l'Ecole des humanistes français du XVIe siècle, nourrie de calvinisme. Notons à ce propos que c'est pour avoir suivi l'enseignement d'Alciat, à Orléans, qu'Hotman s'oriente tant vers le protestantisme que vers le mas Gallicus.

Après voir entretenu des rapports avec Dumoulin qu'il connut à Paris, Hotman adhéra à la foi réformée en 1546 et c'est déjà en 1549 qu'on le trouve à Genève auprès de Calvin, puis à Lausanne, où il avait été appelé à la chaire universitaire des humanités. Professeur ensuite de ius civile à

5 BoRGEAUD, op. cit., pp. 123-132.

6 E. DE BoNNEFOY, Juris orienta lis libri III ab Enimundo Bonefidio J. C. digesti ac notis illustrati et nunc primum in lucem editi cum latina interpretatione, Genevae 1573.

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Strasbourg, il effectue en même temps des m1sswns politiques et reli- gieuses; c'est même ce dernier domaine qui l'absorbe de plus en plus.

Théoricien et organisateur de la conjuration d'Amboise, il révéla dans un pamphlet toute sa haine de calviniste à l'égard des catholiques. Il ensei- gna ensuite le droit à Valence et, de 1564 à 1567, à Bourges. L'hostilité que suscita son orientation religieuse l'obligea à se réfugier à Genève en 1572 avant de gagner ensuite Bâle, ceci toujours à cause de la situation politique et confessionnelle régnant en France. On le retrouve encore épi- sodiquement à Genève, puis de nouveau à Bâle, jusqu'à sa mort survenue en 1590.

C'est la vaste production scientifique de Hotman dans le domaine romaniste, féodal et jurisprudentiel, ses études dialectiques, rhétoriques, cicéroniennes et de méthodologie juridique, autant que celles sur le De bello gallico, qui révèlent sa vaste culture. Certes, le problème fondamen- tal de l'antijustinianisme reflète chez lui autant l'orientation scientifique prise par l'Ecole humaniste que l'évolution de ses sentiments religieux.

Même si son Commentaire des Institutions justiniennes, paru en 1560, et son Commentaire intitulé De Legibus Duodecim Tabularum anticipent et annoncent plusieurs éléments de ce qui sera son antitribonisme, c'est dans son magistral Antitribonien qu'Hotman se livre à une critique radi- cale des thèses de la codification justinienne7

L'orientation historique de sa formation intellectuelle le porta à pren- dre, comme critère de jugement destiné à établir la validité ou non d'un régime juridique positif, celui de la correspondance existant entre les conditions politiques et sociales, d'une part, l'organisation de l'Etat auquel elles appartenaient d'autre part. Il s'ensuivait que la thèse qu'il soutenait devenait incontestable, révélant l'inutilité du droit justinien par rapport aux conditions politiques et sociales de son pays, compte tenu de la diversité substantielle existant entre le système de l'Etat romain et celui de la monarchie française au XVIe siècle. Hotman établissait ainsi l'ina- déquation pour son pays des normes justiniennes, notamment dans les domaines du droit de la famille, des personnes, des droits réels, des suc- cessions, des obligations, de la procédure. Toutefois, même s'il contestait

7 Fr. HoTMAN, Opera: Operum tomus primus, secundus, tertius, Genevae 1599- 1600;0pusculesfrançoises des Hotmans, Paris 1616, 1617; Antitribonian ou Discours d'un grand et renommé jurisconsulte de nostre temps sur /'estude des loix/ait par l'advis de Monsieur de L'Hospital chancelier de France en l'an 1567, Paris 1603; Antitribonia- nus sive dissertatio de studio legum, in: Variarum opuscula ad cultiorem jurispruden- tiam adsequendam pertinentia, t. VII, Pisiis 1771.

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que la compilation justinienne puisse être l'expression de critères supé- rieurs de rationalité juridique - de même qu'il nie sa valeur de docu- ment historique pour comprendre l'histoire romaine- Hotman consacra tout de même une partie de son œuvre à améliorer la compréhension du droit plus ancien. Ainsi, la Justiniani imperatoris vita (1556), la De Legi- bus Duodecim Tabularum commentatio (1560) et le De Legibus populi romani liber (1553) fournissent les preuves incontestables que la polémi- que antijustinienne de Hotman n'était pas seulement alimentée par des motifs historiques et juridiques mais surtout par des sentiments profon- dément calvinistes. Le protestantisme exerça donc une influence décisive sur les conceptions juridiques de Hotman et dans son combat symbolique contre Justinien, deux sentiments agissent à la fois en lui-même: l'amour pour son pays natal et sa prédilection pour le droit coutumier.

Avec son Commentaire des Institutions, l'interprétation didactique de plusieurs titres du Code et du Digeste, Hotman ne fait rien d'autre que d'exalter la tradition du droit coutumier national, en rapport avec l'ordre juridique de l'époque carolingienne. L'Antitribonien et le Franco-Gallia de 1573 procèdent aussi de la même volonté. Dans la dernière œuvre citée, Hotman marque sa grande admiration pour le régime politique et juridi- que de la monarchie médiévale de la France, son respect des anciens pri- vilèges et des libertés provinciales et communales. On peut y voir encore une fois la célébration des principes du droit coutumier et, en même temps, celle de l'autonomie et de l'indépendance des villes et, par consé- quent, de la ville de Genève où les calvinistes se sont faits les champions et les paladins inébranlables de sa libre souveraineté. Son antitribonisme n'est donc pas seulement de l'antiromanisme et de l'antiabsolutisme. Il n'est pas non plus l'exaltation du droit de la patrie: il représente aussi une polémique contre l'Eglise de Rome, contre le patrimoine culturel de cette ville (à laquelle l'auteur était cependant redevable de son éducation juridique).

Sans tenir compte de l'aversion profonde de Hotman à l'égard de l'Eglise de Rome, on ne peut comprendre la violence furieuse et l'hostilité qu'il professe contre le droit de l'Empire romain. En effet, l'Eglise et l'Empire romains étaient modelés d'après les règles de l'absolutisme dérivé de la tradition justinienne. L'ardeur polémique contre le Corpus Iuris reflétait donc sa passion de huguenot; et elle animait avec force les arguments critiques des juristes du mos Gallicus. Il est vrai que les idéaux et les aspirations des jurisconsultes du mos Gallicus ont mûri dans une atmosphère intellectuelle qui considérait l'éducation politique et philolo-

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gique indispensable pour entreprendre la lecture des textes sacrés, comme celle de n'importe quelle source du droit. L'éducation historique et philologique paraissait liée à toutes les formes du savoir. C'est cette éducation qui a été l'instrument absolument nécessaire pour restituer aux textes leur signification originale et dégager leur authenticité.

DONEAU (1527-1591)

Avant Hotman, un autre des plus grands représentants de l'humanisme juridique français, Hugues Doneau, s'était réfugié à Genève en 1573, mais pour peu de temps. Lui aussi faisait profession de calvinisme comme tant d'autres jurisconsultes humanistes8Doneau subit fortement l'influence de l'esprit logique, de l'ordre rationnel particulier à la théolo- gie et à la pratique de Calvin, sans omettre l'influence exercée sur lui par un philosophe, Pierre de la Ramée, animateur du rationalisme français du XVP siècle, lui aussi calviniste.

Dans le cadre de l'orientation systématique du siècle, les Commentarii Iuris Civilis de Doneau eurent valeur d'exemple. L'auteur n'y discute pas du tout de la valeur intrinsèque de la science juridique romaine, telle qu'elle a été transmise par le Corpus iuris. Pour Doneau, ce n'est pas le contenu de l'œuvre de Justinien qui prête le flanc à la critique, mais plu- tôt son défaut de caractère organique et systématique. L'antijustinianisme de Doneau repose donc sur son observation des critères suivis par Tribo- nien, l'auteur principal à qui l'on doit la grande compilation législative, composée de fragments de constitutions impériales, de précédents et d'écrits jurisprudentiels, à laquelle Doneau reproche son manque d'unité - chaque matière étant réglée par des dispositions dispersées - et de systématique - les matières n'apparaissant pas disposées selon un ordre logique et rationnel.

Le fait que le droit justinien a été adopté par nombre de pays euro- péens, y compris la Suisse, constitue certes, à l'évidence, la preuve que les jurisconsultes tenaient la science juridique romaine en haute estime. Ceci dit, il ne faut pas oublier que la plupart des jurisconsultes avaient para- chevé leur formation doctrinale en étudiant la technique des œuvres romaines. Tout cela n'empêche pas de remarquer que le défaut d'ordre rationnel existant dans le Corpus Iuris Civilis représentait une cause de

8 Opera omnia, vol. 12, Lucae 1762. Sur Doneau on doit encore considérer l'étude de A. P. EYSSEL, Doneau et ses ouvrages, Dijon/Paris/Rotterdam 1860.

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confusion et de difficultés pour les juristes, confusion et difficultés que les glossateurs et les commentateurs n'avaient fait qu'augmenter, car ils avaient mis en évidence les arguments soutenus depuis longtemps par les partisans du mos Gallicus. C'est ainsi que l'antijustinianisme de Doneau se révèle être lié à son antibartolisme. Dans ces deux formes de critiques, il ne faut voir qu'une seule et unique attitude polémique, non de refus du contenu des enseignements du Corpus Iuris, mais visant simplement à réordonner rationnellement le patrimoine de pensées romain. Cependant, chez Doneau plus que chez d'autres jurisconsultes, on sent clairement le besoin d'avoir une science juridique conçue comme une unité assemblant différents composants, groupés autour d'un principe central, animateur et informateur. Tel est ce centre idéal dont les institutions juridiques générales et particulières auraient dû dériver et auquel elles auraient dû être intimement rattachées. On ne peut expliquer cette idée sans tenir compte de deux points: d'une part, les humanistes ont dépassé l'attitude médiévale qui consistait à considérer le Corpus Iuris, comme le dépôt indiscutable et éternel de la vérité juridique; d'autre part, en disciples du mos Gallicus, ils ne prêtent plus à l'œuvre qu'une valeur historique rela- tive. Ils portent une attention plus soutenue aux droits d'autres périodes et d'autres civilisations, ainsi qu'au droit d'origine national. Doneau ne fut certainement pas le seul juriste savant à sentir les besoins intellectuels qu'on vient de mentionner, si l'on se réfère en particulier à son Commen- taire du Iuris civilis.

L'œuvre précédente de Doneau, le De Usuris, reflète déjà cette ten- dance. Doneau n'y avait pas simplement donné l'exégèse du texte, il avait redistribué rationnellement les problèmes traités dans sa monographie, révélant ainsi ce qui allait devenir la caractéristique fondamentale de son activité scientifique. Si nous avons arrêté notre attention sur Doneau, c'est surtout à cause de l'influence qu'il a exercée sur la vie de l' Acadé- mie genevoise et non pas uniquement en raison de son bref séjour à Genève, en 1573, année pendant laquelle il enseigna également à Heidel- berg. En réalité, il s'est agi d'une influence d'orientation et d'étude que l'on retrouve aussi dans l'activité scientifique du Vicentin Jules Pacius de Beriga, qui devint professeur de droit à l'Académie après la mort de Bonnefoy, grâce à la protection de Hotman9

9 Clair et convaincant: A. DuFOUR, Un adepte italien de l'humanisme juridique à Genève: Jules Pacius de Beriga (1550-1635) et son Dejuris methodo (1597), in: Genève et l'Italie, Genève 1968, pp. 113-147.

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JULES PACIUS DE BERIGA (1550-1635)

Après avoir étudié la philosophie à Padoue, en suivant l'enseignement de Zabarella, après s'être formé pratiquement à la lecture des écrits des commentateurs, d'Alciat, de Zasius et de Cujas, Jules Pacius fut obligé - à cause de son adhésion au calvinisme - de se réfugier à Genève, où il fut bien accueilli par Hotman. L'influence du courant philologique appa- raît dans l'édition que donne Pacius du Corpus Iuris tout entier, en 1580.

On y note, avec les réserves que l'on connaît, des tentatives de représenta- tion synthétique, comme le recours à la vision synoptique dans l'édition des Institutions. L'édition in octavo des Pandectes, toujours de la même année, ne porte elle aucun changement au texte de Torelli, même quand la leçon semblait n'avoir aucun sens précis. Dans cette édition, l'auteur note cependant en marge des variantes qui paraissent être, en grande par- tie, des hypothèses sans aucun fondement réel10Pacius nous montre un exemple d'interprétation exégétique, philologique et dogmatique dans son vaste ouvrage intitulé Tractatus de contractibus et de rebus creditis, de 159911, comme dans son œuvre sur les transactions, publiée à Lyon en 160412Son besoin de synthèse se manifeste à nouveau dans son Epitome du patrimoine romaniste, conçu dans l'ordre de distribution des matières préféré par les juristes humanistes, c'est-à-dire celui des institutions justi- niennes13. L'œuvre parut à Spire en 1600. Il en va de même de son œuvre d'analyse et de synthèse des Institutions, publiée à Lyon en 1605. La mê- me remarque s'applique à son Analysis Codicis de 163714Par son œuvre publiée à Lyon en 1606, et consacrée aux éléments fondamentaux du Cor- pus Iuris et par ses cinq livres sur les Decretales, portant le titre Isagogico- sum in Institutiones Imperiales libri IV, Digesta, seu Pandectas libri L ou uni Codicem lib ri XIL Decreta les lib ri V15, il témoigne de son intention d'arriver à une représentation récapitulative et globale, malheureusement sans parvenir toujours à respecter un ordre de succession rationnel.

10 Je me rapporte à l'édition du Corpus Iuris indiquée par E. P. J. SPANGEBERG, Einlei- tung in das romische Justinianeische Rechtsbuch oder Corpus iuris civilis romani, Neu- druck der Ausgabe Hannover 1817, Scientia Verlag Aa1en 1970, p. 834, n°5 305,306.

11 Ed. Parisiis.

12 Ed. Lugduni.

13 J. PAcms, Iuris quo utimur epitome secundum ordinem Institutionum imperialium.

Digest a et in XXX disputa ti on es tribu ta, Spirae 1600; 1620.

14 PAcms, Institutionum imperialium analysis, earundem Institutionum epitome, Lug- duni 1606; 1670; Amsterodamo 1614; Traiecti ad Rhenum 1663.

15 Ed. Argentorati.

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