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DE JACQUES GODEFROY

IV. LA MÉTHODE DE GODEFROY

L'état des manuscrits et ce que nous savons des méthodes de travail des anciens historiens permettent de faire quelques observations intéres-santes sur la manière dont Godefroy travaillait et, partant, sur les critères scientifiques et historiques qui sous-tendent son œuvre.

L'annaliste Pierre Perrin, son contemporain, décrivait un volume d'annales de Jacques Savion en disant: «Des Chroniques de Genève, mais non par Michel R[oset], mais par Savyon qui les a réduites comme par mémoires et non par chapitres74.» Les «mémoires», ce sont les maté-riaux bruts, extraits ou copies de documents, notices en forme d'annales, ordonnés chronologiquement pour servir de base au discours historique.

Les «chapitres», c'est la trame pour ainsi dire philosophique et politique du discours historique. Ce sont les matériaux et arguments ordonnés par matières ou par thèmes.

Dans leur ensemble, on peut dire que les onze paquets, devenus six portefeuilles, puis six volumes de matériaux pour l'histoire de Genève, sont déjà «réduits comme par mémoires», pour reprendre l'expression de Perrin. En découpant et en collant par ordre chronologique tous les extraits d'ouvrages et de documents, les copies de pièces d'archives et même les originaux, Jacques Godefroy a bien constitué des mémoires au sens techniques du terme. Il disposait notamment de deux gros fascicules (environ quatre-vingts et cent trente pages) de copies du

xvre

siècle, de documents des archives relatifs au problème de la souveraineté. Le plus gros de ces fascicules a dû être trouvé dans les archives de Genève, car il porte des annotations de la main de Bonivard. Mais il doit être d'origine bernoise, car il contient plusieurs documents relatifs à la conquête du Pays de Vaud par les Bernois en 1536, documents qui ne pouvaient sortir que de la chancellerie de Berne75L'autre est d'une écriture humaniste italienne, dont on n'a pas d'exemple dans nos chancelleries et pourrait venir de Turin76 Ces deux fascicules, qui étaient ordonnés selon une

74 Paul-E. MARTIN, «Deux chroniqueurs genevois», art. cit., dans BHG, t. VI, livrai-son 3, 1937, p. 239.

75 AEG, ms. hist. 31, t. II, f. 195-201, 211-213,220, 233-236, 246-247; t. III, f. 23-24, 63-66, 96-99, 130, 222-225, 234-239; t. IV, f. 5, 12, 49-54, 69-71, 155-158, 174-175, 190-191, 202, 224-239; t. VI, f. 128-133, 149-150, 261-262, 277-278, 280-290.

76 Ibid., t. II, f. 214-217; t. III, f. 25-26; t. IV, f. 72, 83, 114, 285; t. V, f. 217-219, 224, 265-281, 296; t. VI, f. 6-11, 29-31, 46-48, 152-153, 191, 206, 230-232, 238-240, 264-266, 293.

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Essai de reconstitution, par Jacques Godefroy, d'un pouillé des églises et abbayes du diocèse de Genève, sous forme d'une série de fiches tirées du bullaire de Félix V, collées par ordre alphabétique sur des feuilles de papier.

argumentation juridique, et n'étaient que partiellement chronologiques, Godefroy les a découpés et intégrés à sa propre chronologie. Ce qui nous montre que pour cette époque (et jusqu'au début du

xxe

siècle), la chro-nologie est toujours le vrai ressort de l'histoire.

Dans l'esprit de Godefroy, la chronologie semble aussi l'emporter sur la prosopographie, c'est-à-dire sur les listes biographiques de person-nages. Au début de son ouvrage, il énumère les catalogues d'évêques de Genève qui existaient à son époque et cite en particulier un catalogue tiré d'un ouvrage de Jacques Severt, théologal de Lyon et official de Mâcon, intitulé Chronologia historica successionis hierarchicae antistitum Lugdu-nensis archiepiscopatus ... dont la seconde édition a paru en 1627. Gode-froy indique, en face de cette mention «je l'ay deschiqueté» 77En effet, tout au long des six volumes, on trouve les éléments de ce catalogue découpés et replacés dans l'ordre chronologique, jusqu'à l'évêque Jean-François de Sales, frère du saint, qui était évêque en 1627. Dans ces

«mémoires», l'unité d'une source cédait le pas à l'établissement d'une chronologie.

Il existe pourtant des têtes de chapitres, qui démontrent que la science historique n'était pas seulement un moyen de maîtriser le temps (donc l'éternité), mais aussi un effort de caractère plus encyclopédique, surtout politique et juridique. Il est vrai, la plupart des têtes de chapitres sont constituées par les épiscopats des évêques de Genève, et aussi, ô horreur, par les règnes des rois Francs, des empereurs, et finalement des comtes et ducs de Savoie (!)18 Mais aussi, en faisant relier les volumes, Paul-E.

Martin a dû, comme il l'explique lui-même, suivre un ordre de matières dans le deuxième volume. On y trouve en effet des groupements et des têtes de chapitres qui évoquent plutôt une ordonnance par matières: une sorte de bibliographie des listes épiscopales de Genève, une topographie du diocèse avec une recherche des limites de ce diocèse, à l'aide du bul-laire de Félix V et des visites pastorales, et puis un certain nombre de têtes de chapitres, qui annoncent l'intention de l'auteur de traiter de véritables problèmes, institutionnels, juridiques et politiques: «Contre les apprehensions du costé de Savoye», puis «du costé de France»79;

«Contre les apprehensions qu'on se pourroit donner à cause de l'Eves-que » (le titre seul au haut d'une page blanche )80; «In genere, de

Episco-77 AEG, ms. hist. 31, vol. II, f. 7 et ss.

78 Exemples infra, notes 87-89.

79 Mss. hist., t. II, f. 88.

80 Ibid., f. 89.

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porum dominatu saeculari, de CO MIT/BUS et EPISCOPIS»: suit l'exa-men de cas parallèles à celui de Genève, en France et en Allemagne81;

«quand et à quelle occasion les evesques de Geneve sont devenus souve-rains» ou «evesques devenus souverains de Geneve et en quel sens Geneve a été reputée ville impériale»82; «de liberis civitatibus et de signis subjectionis» (cas de Genève, avec quelques exemples allemands pour la comparaison)83; «de vice dominis», chapitre comportant une comparaison avec le vidomnat de Sion84L'examen des institutions laïques qui envi-ronnent l'évêché de Genève et les évêques du Moyen Age va jusqu'au problème de 1'avouerie85, et plus tard du vicariat impérial, point névralgi-que des relations entre l'évênévralgi-que de Genève et le comte de Savoie au milieu du XIVe siècle86

V. L'HISTOIRE DE GENÈVE