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DE JACQUES GODEFROY

V. L'HISTOIRE DE GENÈVE VUE PAR JACQUES GODEFROY

Avant d'examiner le résultat de ce travail acharné, il faut se pencher sur un document dont nous ne possédons plus que des copies du XVIIIe siècle, intitulé «Godefroy. Létre sur le moïen de dresser une his-toire de Geneve. Lettre d'un Personnage de marque a un sien Ami, tou-chant le Moyen de drésser un corps d'Istoire de la Ville de Genève»87

Ce projet d'histoire de Genève, évidemment chronologique, divisait en cinq livres le devenir de la cité: 1) La fondation avant le rattachement à l'Empire romain; 2) «Ce qui se pourra trouver de l'Estat de Geneve sous

81 Ibid., f. 94-104.

82 Ibid., f. 107 et ss, 122.

83 Ibid., f. 116 et ss.

84 Ibid., f. 128.

85 Ibid., f. 129, <<de advocatia».

86 Mss. hist. 31, t. IV, f. 108, 111, 113, 115, etc.

87 BPU, ms. fr. 810, f. 1-5 (ancienne cote: M. hg. 142 b); copie à la Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne, sous la cote ms. hist. helv. VII, 110 (4), provenant de la col-lection du bibliographe Gottlieb Emmanuel von Haller, qui l'attribue à Théodore Godefroy et la date de 1611 (Bibliothek der Schweizer-Geschichte, t. IV, Berne 1786, n° 893).

les Empereurs Romains», jusqu'à la division de l'Empire en oriental et occidental; 3) L'époque de Charlemagne et de ses successeurs; 4) La Genève des évêques, livre qui «doit estre tres ample»; 5) Période cou-vrant les années 1535 à 1611.

L'auteur de la lettre éi:mmère ensuite les sources possibles, c'est-à-dire les archives et autres manuscrits, le Citadin de Genève, les chroni-ques et annales de Genève, les chronichroni-ques et histoires de Savoie, les ouvrages généraux pour l'histoire du haut Moyen Age, et les écrits de saint Bernard de Clairvaux. Cette énumération brève et lapidaire nous donne à penser que ce texte non daté est une œuvre de débutant dans l'histoire de Genève, si on la compare avec l'abondance et la variété des sources citées dans les matériaux pour l'histoire de Genève rassemblés par J. Godefroy.

Enfin l'auteur aborde les problèmes littéraires ou esthétiques d'un dis-cours historique sur Genève. Suivant un mot de Platon, il formule les trois exigences de beauté, de proportion et de vérité. La beauté d'un tel ouvrage ne procède pas des ornements rhétoriques, tels que harangues, sentences notables, descriptions, mais du fond, des événements eux-mêmes. Cette histoire, dit-il, «est toute peinte, toute pleine de traicts fort particuliers de la sage et misericordieuse Providence de Dieu, lequel a conduit ceste barque de ses miracles à travers une infinité d'escueils jusqu'à present». On y trouvera aussi, selon la conception humaniste de l'histoire, des exemples de vices et de vertus. Quant à la proportion, cette histoire devra faire mention des faits réellement dignes de mémoire, et laisser de côté les détails absurdes et ineptes, indignes d'un historien.

Enfin l'exigence de vérité fait également appel à cette notion de propor-tion. Les historiens, dit-il, «qui pour complaire aux passions des grands et petits amplifient ou amoindrissent les affaires sont des brouillons et compteurs de fables, non pas secrétaires de vérité».

Voilà donc comment devait se présenter cette histoire de Genève. Mais si nous comparons maintenant ce programme avec ce qui est effective-ment conservé dans les manuscrits Godefroy des Archives d'Etat, nous constatons d'abord qu'il est très incomplètement réalisé.

Pas de trace des deux premières parties, qui devaient traiter des épo-ques celtique et romaine. La période la plus récente, qui devait conduire de 1535 à 1611 est encore à l'état embryonnaire. Les quelques extraits et copies de documents imprimés sont encore mal structurés, très incom-plets, et de surcroît mélangés avec des textes du Moyen Age.

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Quant à la partie centrale, de 406 à 1536, qui forme le gros du travail, elle est si abondante et si diverse que la ligne directrice prévue est com-plètement noyée dans le fouillis des mémoires, extraits et copies de toutes provenances. La variété des intérêts: histoire politique, histoire institu-tionnelle comparative, histoire économique et sociale, histoire ecclésiasti-que du Moyen Age, etc., confine à la dispersion. Et l'on peut se deman-der si la découverte et l'analyse de tant de documents n'ont pas détourné Godefroy de son projet primitif, et n'ont pas remis profondément en question cet objectif, qui consistait à montrer «le déclin de la Puissance épiscopale ( ... ) avec les causes du changement, selon l'ordre des années, où se voit un merveilleux discours de la Sagesse divine et des infirmités humaines». Tant de questions, sur la nature et l'origine du pouvoir épis-copal, sur le statut de Genève, sur la nature du vidomnat, du vicariat impérial, sur le développement des libertés communales, ne pouvaient rester sans effet sur la belle conception providentielle du devenir gene-vois.

Une telle différence entre la conception et l'exécution incite aussi à se demander, au passage, s'il est légitime d'attribuer cette lettre à Jacques Godefroy: on expliquerait mieux ces divergences troublantes en suivant l'hypothèse du bibliographe bernois Gottlieb Emmanuel de Haller, qui identifiait l'auteur de la «Lettre d'un personnage de marque ... » avec Théodore Godefroy, si curieusement absent du réseau de correspondants de son frère.

Mais revenons aux matériaux pour l'histoire de Genève: ils sont pleins de problèmes qui ne sont pas résolus. Godefroy a exploré les archives avec un flair très sûr, il en a tiré tous les éléments propres à fournir un tableau historique très vivant. Mais ses connaissances juridiques appro-fondies et sa curiosité pour l'histoire comparée des institutions l'ont amené à mettre le cas genevois en parallèle avec d'autres villes épisco-pales de France et du Saint-Empire. Replacée dans l'histoire générale, Genève n'était plus un cas unique. Sa mission providentielle s'en trouvait relativisée.

L'objectivité de Godefroy dans la recherche et l'exploitation des sources a porté de rudes coups à la position de Genève, que le magistrat devait par ailleurs défendre dans ses négociations avec Paris ou Turin.

L'ordre strictement chronologique des «mémoires» peut avoir un effet très révélateur, et mettre en lumière des éléments qu'une argumentation juridique peut dissimuler. Dans ses matériaux, Godefroy juxtapose des

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Page de titre de la première partie conservée de 1 'Histoire de Genève de Jacques Godefroy. On y remarque toutes les additions et les modifications d'encres diverses, ou même de petits billets de papiers divers collés sur la feuille de base.

faits et des documents provenant soit de Genève, soit de Savoie. Certes, il ne mentionne pas les éléments tirés de Monod autrement que par l'expression «Le fourbe Manot» ou même «Le Fourbe» tout court, ce qui n'est pas une manière très objective de faire de la bibliographie; mais les faits sont là, qui éclairent le fonctionnement des institutions judi-ciaires à Genève, mais qui peuvent renforcer l'argumentation savoyarde.

Plus graves, peut-être encore, ces têtes de chapitres où les comtes, puis ducs de Savoie, voisinent avec les évêques, au point que l'on se demande qui commande à Genève. Ainsi: «Suitte de Guillelmus de Couflens Ep.

( ... ) du temps d'Amé le Grand, quatrième de ce nom, qui commença l'année 1285, mourut l'an 1323»88; ou bien «Guillelmus de Lornay Epis-copus ( ... ) du temps d'Amé 7 dit le Rouge, mort l'an 1391 et Amé 8, depuis Duc»89La couverture du cinquième portefeuille (ou du septième paquet), portait ceci: «VII. du temp d'Amé VIII depuis l'an MCCCCI que les comtes de Savoye sont esté comtes des Genevois jusqu'en l'an MCCCCLI que mourut Amé VIII»90

Voyant ces titres dans les papiers de Godefroy qui venaient de leur être apportés après la mort du défunt, les membres du Conseil et les commis de la Chambre des Comptes ont dû être profondément troublés. Cet effort de recherche, poursuivi pendant des années par leur «bien-aymé frère», aboutissait à des résultats bien différents de ce qu'ils avaient pu lire dans les chroniques de Michel Roset, dans les annales de Savyon, peut-être dans les textes de Bonivard, et sûrement dans le Citadin de Genève. Godefroy savait trop de choses, il était trop critique, trop objectif, il allait déstabiliser tout cet édifice juridico-historique que les archivistes de la Communauté avaient construit en 1486-1487 lors de l'affaire des subsides, et que les historiens des siècles suivants perfectionnaient sans relâche.

On referma donc les paquets, on les mit dans la Petite Grotte, et l'his-toriographie genevoise resta dans son ornière pour cent cinquante ans encore.

88 Mss. hist. 31, t. III, f. 67.

89 Ibid., t. IV, f. 246.

90 Ibid., t. V, morceau de parchemin relié au début du volume.

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QUELQUES ASPECTS DE LA PENSÉE POLITIQUE