• Aucun résultat trouvé

Quelques aspects de la pensée politique de Jacques Godefroy

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Quelques aspects de la pensée politique de Jacques Godefroy"

Copied!
23
0
0

Texte intégral

(1)

Proceedings Chapter

Reference

Quelques aspects de la pensée politique de Jacques Godefroy

DUFOUR, Alfred

DUFOUR, Alfred. Quelques aspects de la pensée politique de Jacques Godefroy. In: Schmidlin, Bruno ; Dufour, Alfred. Jacques Godefroy (1587-1652) et l'humanisme juridique à

Genève : actes du colloque Jacques Godefroy . Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 1991. p.

115-136

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:73507

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

QUELQUES ASPECTS DE LA PENSÉE POLITIQUE DE JACQUES GODEFROY

par Alfred DUFOUR

Parmi les œuvres mineures publiées après la mort de

P.

F. Bellot (1776-1836), on trouve une notice d'une vingtaine de pages parue dans la «Bibliothèque universelle de Genève» voici exactement cent cin- quante ans et consacrée à Jacques Godefroy

1

C'est au cœur de cette notice, qui n'est guère connue que de ceux qui s'intéressent au juris- consulte genevois du Xrxe siècle, que Bellot, évoquant les principaux ouvrages de son illustre prédécesseur à 1 'Auditoire de droit se rap- portant «plus à l'histoire ou à la littérature qu'à la jurisprudence»

2,

consacre quelques lignes aux «Discours politiques» de Godefroy en ces termes:

«Il publia sur ce modèle (les harangues de Libanius d'Antioche) trois discours politiques qu'il prononça vraisemblablement dans quelques-unes de nos solennités académiques. Dans le premier, intitulé Ulpianus, le jurisconsulte de Genève emploie toute la force du raisonnement et toute la chaleur d'une âme républicaine à com- battre la maxime servile d'Ulpien, que le prince n'est pas soumis à la loi. Le troisième discours sous le nom d'Achaïca, destiné à développer les causes qui amenèrent la chute de la Ligue achéenne, fournit à Godefroy l'occasion de faire ressortir avec énergie cette importante vérité: que les Etats fédératifs ébranlés par la dis- corde périssent honteusement par l'appel à l'intervention étran- gère.»3

Ce sont ces

Trois Discours politiques\ publiés à Genève en 1634, qui

formeront la matière de notre étude. Et encore nous centrerons-nous

1 Cf. P.F. BELLOT, Notice sur Jacques Godefroy, tirée de la Bibliothèque universelle de Genève, Genève 1837, p. 7.

2 Op. cit. (1), p. 6.

3 Cf. op. cit. (1), p. 7.

4 Orationes politicae tres, in 4°, s. 1., 1634.

(3)

sur deux d'entre eux: ceux qui ont précisément et à juste titre tant frappé Bellot, à savoir le premier, Ulpianus5, et le troisième, Achaïca6

C'est que ces deux discours sont plus spécifiquement politiques que le deuxième, consacré à l'empereur Julien l' Apostat7 et ceci à un double titre: quant à leur objet formel et quant à leur portée.

Quant à leur objet formel, aussi bien le discours relatif

à

la maxime d'Ulpien «Princeps legibus solutus» que le discours sur la Ligue achéenne se rapportent en effet formellement à l'Etat, au titulaire de la souveraineté comme à une forme originale d'Etat: l'Etat fédératif, ses institutions et ses diverses magistratures.

Quant à leur portée ensuite, l'un et l'autre de ces deux discours sont effectivement très riches de signification dans la conjoncture politique du premier tiers du

xvne

siècle et ceci sur le plan de l'histoire des doctrines politiques comme sur le plan de l'histoire générale des institutions politi- ques. Le premier de ces discours s'inscrit ainsi directement en faux contre l'essor de la doctrine de l'absolutisme et le second discours sur la Ligue achéenne relate, en pleine Guerre de Trente Ans, les aléas des institutions d'un Etat fédératif et démocratique antique, dans un parallèle implicite entre la Ligue achéenne des

nie

et

ne

siècles avant J.-C. et l'Empire ger- manique du

xvne

siècle8

C'est dire dès lors l'intérêt que présentent ces discours d'allure acadé- mique pour la compréhension de la figure et de la pensée politique de Jacques Godefroy. A la fois romaniste et helléniste, juriste et historien, loin d'être un savant de cabinet œuvrant dans sa tour d'ivoire trente ans durant à son édition du Code théodosien, Godefroy apparaît d'abord à travers ces Discours comme une figure de professeur, non pas étranger

à

5 Ulpianus seu de Mai esta te principis Romani Legibus soluta Oratio !., in: Orationes politicae tres, op. cit., pp. 1-44.

6 Achaica seu de Causis interitus Reipublicae Achaeorum Oratio III., in: op. cit. (4), pp. 85-116.

7 lulianus seu de arcanis luliani Imp. artibus ad profligandam religionem christianam Oratio Il., in: op. cit. (4), pp. 45-84.

8 Cf. Les remarques de Chr. H. TROTZ dans son édition des Opera }uri di ca minora de Jacques Godefroy, Leyde 1733, Praefatio, p. 30, qui, citant la littérature ultérieure sur le sujet de la Ligue achéenne relève: «ad de his Adsertationem Reipublicae Achai- cae auctore J. Lud. Praschio consule Ratisbonensi, Ratisbonae 1686, in 4°, ubi com- parationem Achaicam inter et Germanorum Reipublicam instituit». Nous n'avons pu malheureusement retrouver l'ouvrage en question.

(4)

l'histoire qui se fait chaque jour, mais vivant au contraire pleinement dans son temps et attentif

à

en dénoncer la malice. C'est significative- ment

à

cet égard que chacun de ces Discours - prononcés dans les années 1620 - s'ouvre sur des références à l'actualité: ainsi l'évocation, au seuil du premier, de l'espèce d'idolâtrie politique (idololatria politica) qui a investi les allées du pouvoir en s'autorisant abusivement des Saintes Ecritures comme de la jurisprudence romaine9; ainsi par ailleurs, au seuil du second, la mention des trahisons et des persécutions qui frappent l'Eglise du Christ10; ainsi enfin, dans le préambule du troisième, le rap- pel des bouleversements et des révolutions qui ébranlent toute la chré- tienté11.

Dans le cadre limité de cette communication, nous ne retiendrons cependant que quelques aspects de la pensée politique de Jacques Gode- froy, telle qu'elle se dévoile dans ces Discours. Ces aspects tiendront, d'une part, aux positions de Godefroy face

à

l'absolutisme montant, d'autre part,

à

son attitude

à

l'égard des régimes républicains.

Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, nous voudrions encore situer brièvement ces Discours politiques dans la conjoncture générale de l'Europe de l'époque, laissant de côté la conjoncture politique genevoise évoquée par le Doyen Fatio. Par rapport

à

cette conjoncture politique générale sur le plan européen, ces Discours apparaissent prononcés dans notre cité vers 1622, dans la phase palatine de la Guerre de Trente Ans, si intensément vécue à Genève. C'est la période qui voit, au lendemain de la défaite de l'Electeur Palatin Frédéric V

à

la bataille de la Montagne blanche (1620), les troupes impériales, sous la direction de Tilly, envahir et ravager tout le Palatinat pour prendre d'assaut Heidelberg (19 septem- bre 1622) et Mannheim (2 novembre 1622) et entreprendre la recatholici- sation de cet électorat passé au calvinisme. Cette reconquête catholique - que suivra quelques années plus tard la reconquête du Comté calvi- niste de Nassau -va mettre très directement

à

l'épreuve la foi de Gode- froy. D'une part, en effet, elle entraîne, avec la prise et le sac de Heidel- berg, la ruine de sa famille et la perte de toute une part de sa fortune.

D'autre part et surtout, l'invasion du Palatinat déterminera indirectement la mort de son père, contraint de fuir et de se réfugier à 73 ans à Stras- bourg, où il s'éteindra épuisé au début septembre 1622.

9 Cf. Ulpianus, op. cit. (5), pp. 4-5.

1

°

Cf. op. cit. (7), p. 46.

11 Cf. Achaica, op. cit. (6), p. 86.

(5)

Mais il y a plus encore. Destinés à l'origine à un auditoire formé en bonne partie d'étudiants germaniques - qui viennent alors réguliè- rement fréquenter les cours de notre Académie à l'époque comme aujourd'hui- ces Discours politiques seront publiés pour la première fois en 1634 et ils le seront significativement avec une Epître dédicatoire au comte Georges Louis de Nassau, aussi directement frappé dans ses Etats par l'absolutisme et le militantisme religieux de l'empereur Ferdinand II de Habsbourg.

Il est temps de passer aux Discours eux-mêmes.

I

Directement inspirés par la conjoncture politique européenne, c'est en fait à la suggestion d'un conseiller du comte de Nassau, Heidfeld, et ceci à peu près douze ans après avoir été tenus à Genève, d'après les données du premier discours, à l'Auditoire de droit12, que les Trois Discours politi- ques de Jacques Godefroy doivent leur publication. C'est ce que révèle l'Epître dédicatoire adressée au comte de Nassau précisément et datée du 25 novembre 1634:

«Il y a longtemps, écrit ainsi Godefroy au comte de Nassau, que nous suivons avec une immense douleur la situation des plus déplo- rables de votre Allemagne, autrefois si heureuse, et nous la suivons avec des sentiments d'autant plus vifs qu'après tant d'années, qu'après tant de destructions des provinces et des villes les plus flo- rissantes» - on peut songer ici notamment à la terrible destruction de Magdebourg par Tilly en 1629 - «nous n'entrevoyons encore ni l'issue, ni le terme de ces malheurs.»13

Et il poursuit en ces termes en relatant la genèse de ces trois discours :

«Tandis que l'esprit tout troublé, j'allais chercher des précédents dans les temps passés, qui eurent les mêmes causes et les mêmes conséquences, au moins trois d'entre eux s'offrirent à moi il y a quelque douze ans ( ... ) que je ne pensais pas absurde de pouvoir embrasser en de brefs discours et exposer publiquement pour servir d'exemples.»14

12 Cf. Epistola dedicatoria, in: op. cit. (4), p. II; pour le lieu, cf. les indications op. cit. (5), p. 6.

13 Cf. Ep. dedie., op. cit. (4), p. 1.

14 Op. cit., loc. cit., p. Il.

(6)

Après avoir ainsi rapporté à l'actualité les thèmes de ses trois discours, Jacques Godefroy en précise alors les objets spécifiques de la manière suivante:

« ... Que le gouvernement délégué par Dieu aux Princes, n'ait pas d'autre objectif que de procurer et d'assurer la sécurité et la prospé- rité publiques et qu'il soit facile d'atteindre ce but pour le titulaire de ce gouvernement, si, conscient de la légitimité du pouvoir et loin de toute licence, il sait garder une juste mesure en matière politique, c'est ce que cherche à faire comprendre mon premier discours. Qu'il adopte ces principes pour être toujours armé contre tout ce qui ébranle la stabilité de l'Etat, c'est ce qu'ont pour objectif les deux discours suivants.»15

Œuvre d'un professeur «engagé» comme on le dirait de nos jours, nous ne pouvons manquer de noter que les

Trois Discours politiques

s'ouvrent chacun sur une plus ou moins longue référence à la conjonc- ture politique de l'époque, où la tendance à l'absolutisme se mêle aux persécutions religieuses et aux bouleversements qui secouent toute la chrétienté.

Les trois discours ainsi évoqués, arrêtons-nous aux deux principaux d'entre eux.

En ce qui concerne le premier, intitulé

Ulpianus seu de Maiestate Princi- pis romani legibus soluta,

il a pour objet délibéré la démystification de la maxime absolutiste

«Princeps legibus solutus»,

une démystification que Godefroy opère en deux temps.

En un premier temps, en effet, c'est à une espèce de phénoménologie de l'absolutisme qu'il se livre, dénonçant la mentalité «des couratiers des Princes» de son temps, leurs sources d'inspiration et leurs fallacieuses maximes comme les pratiques déviantes qu'ils fondent.

En un second temps, Godefroy passe à une critique fondamentale de l'idéologie absolutiste, d'abord assez succinctement d'un point de vue théologique, ensuite et surtout - c'est là l'essentiel de son discours - du point de vue juridique, par une exégèse rigoureuse de la maxime d'Ulpien, insérée dans le Digeste au titre

De Legibus, «Princeps legibus solutus est».

Cette exégèse lui permet d'ébaucher une théorie des rapports entre le prince et les lois, qui n'affranchit le Prince que des seules lois positives.

15 Op. cit., loc. cit.

(7)

Reprenons ici les grandes lignes de sa démarche, en nous arrêtant d'abord quelque peu à son analyse de l'idéologie absolutiste. En un pre- mier temps donc, Jacques Godefroy esquisse une phénoménologie de l'idéologie absolutiste:

«C'est, d'une part, dit-il, que la coutume s'est développée chez la plupart de ceux qui forment l'entourage des Princes, ou qui sollici- tent leur attention, de préférer, comme on a pris l'habitude de le dire, d'être de ceux qui plaisent, flattent et louent, plutôt que de dire la vérité, et d'accroître ainsi à l'infini le droit et le pouvoir des Princes.

Il en résulte que, de tous côtés, on entend résonner aux oreilles des Princes: «si libet, licet»: «tu peux faire tout ce qui te plaît» ( ... ) Com- bien peu nombreux alors sont ceux qui rappellent le Prince à sa condition et qui prennent un jour sur eux de lui tenir ce langage extraordinaire, parce qu'exigeant: «Cela ne t'est pas permis: ti bi 11011 li cet.» 16

A cette première raison de l'essor de l'idée absolutiste s'en ajoute une seconde pour Jacques Godefroy:

«C'est, d'autre part, qu'il n'est pas rare que la condition et le carac- tère des gouvernants eux-mêmes soient tels qu'ils affirment qu'ils ne conserveraient pas leur place dans l'Etat, bien plus, qu'ils affaibli- raient la puissance de leur pouvoir et régneraient enfin de façon toute précaire s'ils ne considéraient leurs sujets comme naturellement faits pour une résignation sans limite à toutes leurs injustices. Aussi entend-on résonner partout cette formule affreuse et redoutable:

«Oderi11t dum metua11t» - «qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me crai- gnent». Incapables de réaliser leur situation, ils ne songent pas que l'état de dépendance de leurs sujets correspond à une tutelle qui leur a été confiée par Dieu.»17

«Ce qui en résulte, poursuit Godefroy, ce n'est pas une souveraineté ou un pouvoir affranchi des limites de tout droit, c'est une calamité, une licence effrénée, lourde de tous les maux et qui, hors de l'Eglise, entraîne, de l'avis de ceux qui aiment la vérité, une véritable idolâtrie politique (idololatria politica).»18

Il y a plus cependant: Jacques Godefroy ne limite pas son attention, en effet, aux seules maximes absolutistes pour dénoncer «l'idolâtrie poli- tique» qu'elles impliquent; il porte encore son regard sur les compor- tements déviants dont elles se doublent, pour en dévoiler le caractère sacrilège:

16 Op. cit. (5), p. 3.

11 Op. cit. (5), pp. 3-4.

18 Op. cit., loc. cit., p. 4.

(8)

«S'il équivaut à un sacrilège de discuter l'autorité légitime des Prin- ces, leur rendre par contre des honneurs indus n'équivaut plus à un sacrilège, mais constitue en dernière analyse un sacrilège tout court. Bien plus, nous soutenons qu'on ne peut témoigner de plus grande défé- rence aux Princes que celle qui est déterminée par les limites de leur droit...»19

Faut-il voir là un écho des tendances qui se font jour dans les milieux dirigeants de la Genève d'alors? Une chose est certaine, c'est que lorsque Jacques Godefroy fera disputer à l'Auditoire de droit les questions de droit de préséance par Frédéric Steingallenfels en 1627

20,

les Autorités civiles s'en émouvront ainsi que l'atteste le Registre du Conseil en date du 17 mars 1627:

«Le Sr. Procureur général s'est présenté au Conseil remonstrant que hier fut commencée une Dispute, laquelle continue encore aujourd'hui, où préside Mr. Godefroy, touchant à la préséance des Rois, des Princes et Républiques. Dequoy il supplie Messeigneurs d'appréhender la conséquence. Arrêté de faire défense au Sr. Gode- froy de ne plus continuer en ladite Dispute.»21

En fait Godefroy ne se bornera pas à esquisser la phénoménologie de l'idéologie absolutiste, de ses maximes et de ses pratiques, il en démas- quera encore les sources dans les deux sciences majeures du temps, à savoir la jurisprudence et la théologie:

«Qui le croirait? On pense communément que leurs plus solides appuis, les Princes les trouvent dans ces deux sciences et que c'est nulle part ailleurs que leur pouvoir absolu n'en trouve de plus im- portants. C'est à cause de cela que le Droit romain est devenu aujourd'hui l'objet de tant d'hostilité, comme une discipline parasi- taire. Quel fait incroyable que l'origine du droit puisse être l'occasion de tant de violations du droit !»22

«Et vraiment quel heureux fait», poursuit Godefroy, «que l'appui que l'on sollicitait impudemment des Saintes Ecritures se soit effon- dré lorsque des esprits considérés ont montré que le mot Mischpat ne signifiait pas le droit à proprement parler ou le pouvoir légitime, mais laforce, l'usurpation, l'usage et la coutume. De telle sorte qu'il recelait non le fondement du pouvoir de commander, mais de celui d'obéir et que le droit s'est mué en impunité des crimes et en obligation de ne pas résister. ( ... )

19 Op. dt., p. 7.

2

°

Cf. Diatriba de Jure Precedentiae, Genevae 1627.

21 Cf. Registre du Conseil 1627, fol. 38-38 v.

22 Cf. op. dt. (5), p. 5.

(9)

»Il n'y a rien dès lors, croyez-moi, rien dans la Sagesse civile ou la Jurisprudence qui ne puisse prêter la main au pouvoir sans bornes des gouvernants. »23

Aussi est-ce de ces sciences mêmes - Théologie et Jurisprudence - que doit venir le remède:

«Car ce sont ces deux sciences Théologie et Jurisprudence - qui imposent une limite au pouvoir menaçant des gouvernants de par la juste prééminence qu'elles exercent sur les mortels comme du haut de quelque cime ou de quelque éminence. Ce sont elles en effet qui délimitent par quelques règles certaines le juste de l'injuste. »24

S'adressant plus spécialement aux étudiants en droit, Jacques Gode- froy relève, d'un autre côté, quant à la fonction du Droit romain, abusive- ment détourné de sa fin:

«C'est pourquoi je vous donne aujourd'hui pour conseil de libérer le Droit civil et le Droit romain, qui depuis toujours s'est partout recommandé par sa souveraine impartialité, de le libérer de cette funeste incrimination d'adulation du Pouvoir.»25

C'est dès lors un rôle privilégié qui revient pour Jacques Godefroy à ces deux disciplines dogmatiques que sont la Théologie et surtout le Droit dans la critique de l'idéologie absolutiste.

Du coup nous touchons au second temps de sa démarche, à savoir l'exégèse de la maxime d'Ulpien «Princeps legibus solutus est», qui tient lieu, selon ses propres termes, «de fondement unique aujourd'hui au pouvoir absolu des Princes», «d'arrêt définitif», de «loi des lois» (lex legum)26

Cette exégèse, Godefroy s'y livre à la fois en romaniste et en historien du droit, retraçant tout l'histoire de l'interprétation de cette maxime à Rome. Nous nous bornerons pour notre part à retenir de sa critique de l'idéologie absolutiste les traits principaux de sa théorie des rapports

23 Op. cit., pp. 5-6. Parmi les «esprits considérés» qui ont attiré l'attention sur le sens du vocable Mischpat, il faut citer Jean Bodin, Les Six Livres de la République, Paris 1576, livre 1er, chap. X, où renvoyant au premier Livre de Samuel, VIII, 9, l'auteur relève: «Le mot mischpatim ne signifie pas droits en ce lieu-là, mais coutumes et façons defaire.»

24 Op. cit., pp. 4-5.

25 Op. cit., p. 6.

26 Op. cit., p. 8.

(10)

entre le Prince et les lois, laissant à des collègues plus compétents - nos collègues romanistes - l'appréciation de son exégèse proprement dite.

De l'histoire que trace Godefroy de l'interprétation donnée dans la Rome impériale de la maxime d'Ulpien, il ressort tout d'abord qu'aucun interprète n'a jamais entendu contester que le Prince soit soumis à la loi divine, à la loi naturelle et à celle de la raison

27

Résumant ensuite sa pen- sée, Godefroy tient le Prince, d'une part, pour lié par les lois du Droit naturel, c'est-à-dire par les lois fondées sur l'équité et la raison naturelle, comme la succession des enfants aux parents

28;

d'autre part, il tient pareillement le Prince pour lié par les lois fondamentales de l'Etat, qui en sont comme les piliers sur lesquels il repose

29

«De tout cela, conclut-il enfin, il est assez évident que les Empereurs romains n'ont été déliés que du droit positif, soit des lois positives, mais nullement des lois naturelles et du droit des gens, ni même des lois écrites fondées sur l'équité naturelle.»30

Pour avoir ainsi lavé le Droit romain du reproche d'adulation des Princes, Jacques Godefroy en appelle alors à la science sœur du Droit, la Théologie, afin qu'elle n'hésite pas à signifier au Prince ce qui ne lui est pas permis, tout en inculquant l'obéissance qui lui est due

31

«Telle doit être aussi en définitive notre manière de voir - ajoute- t-il en guise de conclusion - et c'est là la mienne, à égale distance de l'indigne servilité des flatteurs et du détestable esprit frondeur des autres. »32

Ainsi formulée de manière explicite, la pensée politique qui nous paraît se dégager de ce premier discours politique de Jacques Godefroy est une pensée du

juste milieu

entre l'absolutisme montant du xvne siècle et l'esprit de fronde des monarchomaques protestants du xvie siècle.

Cette pensée modérée du

juste milieu

se retrouve dans ses distances prises tant à l'égard des pouvoirs civils qu'à l'égard des autorités ecclésiastiques

27 Op. cit., notamment p. 26.

28 Cf. op. cit., p. 28.

29 Cf. op. cit., p. 27.

3

°

Cf. op. cit., p. 43.

31 Cf. op. cit., p. 43 in fine.

32 Op. cit., loc. cit., pp. 42-43: «Qui sensus quoque noster esse debet meusque adeo est ut brevi absolvam inter foedum adulantium obsequium et detestandam aliorum contumaciam medius.»

(11)

genevoises, notamment en matière académique, où J. Godefroy semble bien jeter les premiers jalons d'une laïcisation de l'Académie entre les Seigneurs Scholarques créés par Bèze en 1581 et le Sénat imposé par Jean-Robert Chouet au début du XVIIIe siècle33

Mais il est temps d'évoquer un autre aspect de la pensée politique de Jacques Godefroy: celui qui transparaît dans son troisième discours sur la Ligue achéenne.

II

En ce qui concerne ce troisième discours intitulé Achaica seu de causis interitus reipublicae Achaeorum, il a pour objet à la fois l'étude des institu- tions de ce modèle d'Etat fédératif qu'a constitué aux rne-ne siècles avant J.-C. la Confédération achéenne et l'examen des causes de sa chute à la faveur de l'expansion de l'impérialisme romain. Ce discours s'arti- cule ainsi -introduction mise à part- en deux parties d'inégale dimen- sion, la première assez courte étant centrée sur la spécificité de la Confé- dération achéenne et l'originalité de ses institutions, la seconde partie, sensiblement plus longue, relatant dans leurs grandes lignes les diffé- rentes étapes de la conquête romaine, de l'immixtion dans les affaires grecques à l'assujettissement de toute la Grèce en 146, en passant par la fameuse proclamation de la liberté de la Grèce aux Jeux isthmiques de Corinthe par Flaminius en 196.

Pour l'histoire des institutions politiques comme pour l'étude de la pensée politique de Jacques Godefroy, c'est en fait la première partie qui est la plus intéressante et la plus significative. Nous nous en tiendrons dès lors pour l'essentiel à cette première partie. Pour mesurer cependant l'intérêt qu'offre l'étude de la Confédération achéenne par Jacques Gode- froy, il n'est pas inutile de rappeler la place privilégiée qu'occupe ce sys- tème d'Etats de type fédératif dans l'histoire constitutionnelle antique34

33 Cf. Charles BoRGEAUD, Histoire de l'Université de Genève, t. I: L'Académie de Calvin 1559-1798, Genève 1900, p. 378.

34 Voir entre autres, outre la thèse principale de lettres de Paris d'André AYMARD, Les Assemblées de la Confédération Acha ïenne, Bordeaux 1938, passim; ainsi que le commentaire classique de F.W. WALBANK, A Historical Commentary on Polybius, vol. I, Oxford 1957, pp. 215-222, ad II/37-38; V. EHRENBERG, The Greak State, Lon-

(12)

Manifestation la plus frappante de «la renaissance de l'esprit fédéra- liste» dans le monde grec au seuil du Ille siècle avant J.-C.3S, distincte des amphyctionies de nature essentiellement religieuse, comme des sym- machies de nature politique confédérale, mais à caractère hégémonique36,

la Confédération ou Ligue achéenne représente en effet le type le plus achevé d'Etat fédératif du monde antique37

C'est ce qu'a fort bien remarqué André Aymard dans sa thèse classi- que sur Les Assemblées de la Confédération Achaïenne38:

«La Confédération Achaïenne est sans conteste ce que les juristes modernes appellent un «Etat fédéral». Il existe une nationalité fédé- rale que peut décerner le gouvernement central, la Confédération est maîtresse, et seule maîtresse, de tout ce qui touche aux intérêts com- muns: politique extérieure, armée et marine. Elle exige des contribu- tions et des contingents militaires. Elle a des lois et une organisation judiciaires qui lui sont propres. Elle arbitre les différends entre Etats-membres. Elle impose à tous un système unique de poids et mesures, ainsi que de monnaies ; toutes les pièces du monnayage fédéral sont d'un type commun, portent son nom ou son mono- gramme. Mais en face de ces prérogatives du pouvoir central subsiste l'autonomie des cités adhérentes. Il existe des nationalités locales qu'elles confèrent elles-mêmes et qui entraînent ipso facto la posses- sion de la nationalité fédérale. Elles demeurent maîtresses de leur gouvernement intérieur. C'est par leur intermédiaire et dans leur cadre que les citoyens remplissent leurs devoirs financier et militaire à l'égard de la Confédération. Elles ont leurs lois et leurs juges. La frappe des monnaies leur est réservée; elles joignent sur les pièces leur symbole ou leur nom à ceux de la Confédération; bien plus, cer- taines cités au moins frappent des monnaies entièrement auto- nomes.»39

dres 1960; Der Staat der Griechen, Zurich 1965, tr. fr. L'Etat grec, Paris 1976, pp. 206-207 ss; J.A.O. LARSEN, Greak Federal States- their Institutions and Hist01y, Oxford 1968, p. 215: «The Achaean Confederacy in many ways is the most impor- tant of ali Greak federal States»; de même que A. GmvANNINI, Untersuchungen über die Natur und die Anfonge der bundesstaatlichen Sympolitie in Griechenland, (Diss. phil. Freiburg/Schweiz, 1965), Gottingen 1971.

35 Cf. J. HATZFELD, Histoire de la Grèce ancienne, Paris 1950, p. 290.

36 Cf. V. EHRENBERG, op. cit. (34), tr. fr. pp. 182 ss et 187 ss. Pour une élucidation criti- que de toute la terminologie utilisée en la matière dans la doctrine et pour une ten- tative de synthèse, voir A. GmvANNINI, op. cit., pp. 14-24.

37 Cf. A. GIOVANNINI, op. cit., p. 53: «Der achaïsche Bund, der in der Literatur als der vollkommenste Bundestaat der griechischen Welt angesehen wird ... »

38 Cf. op. cit. (34).

39 Cf. op. cit., pp. 166-167.

(13)

Pour avoir eu la chance dans son malheur de compter parmi ses der- niers magistrats l'un des plus grands historiens de l'Antiquité, Polybe, la Ligue achéenne est sans doute un des systèmes fédératifs les plus connus de l'Antiquité40 Mais il y a plus: si sa destinée a pu servir sinon de chaîne en tout cas de trame à l'Histoire de Polybe, ce n'est pas tant en rai- son des vertus des Achéens4\ c'est d'abord qu'avant Rome «elle joue, notamment au cours de la première moitié du

ne

siècle avant J.-C. un rôle politique important, non seulement en Grèce, mais dans toute la Méditerranée orientale42.» Et c'est surtout «qu'avec Rome elle est entraî- née

à

participer

à

une politique au théâtre très large»43: celui de l'histoire universelle d'alors.

Comme l'a écrit récemment un des principaux historiens politiques de la Grèce antique, V. Ehrenberg dans L'Etat grec:

«La Confédération Achaïenne était une fort ancienne association de douze, puis de dix cités, dont la cohésion ne tint sans doute qu'à la communauté ethnique; mais elle possédait un centre religieux dans le Sanctuaire de Zeus Ho mari os près d' Aigion. Ces débuts amphic- tyoniques n'eurent que peu d'influence sur le développement ulté- rieur, qui semble avoir comporté dès le ye siècle une unité politique avec citoyenneté commune (cf. Xén. Hell. IV /6/l). ( ... ) Après une période d'effacement, ce furent les conflits de l'époque des Diado- ques qui obligèrent les Achaïens à une nouvelle union qui ne fut d'abord que de quatre cités. En lui adjoignant Sicyone, Corinthe, Mégare, Epidaure, etc., Aratos fit ensuite de cette Confédération régionale l'Etat le plus puissant de la Grèce d'Europe qui, avec une superficie qui atteignit parfois environ vingt mille kilomètres carrés, se rendit maître de presque tout le Péloponnèse, incluant parmi ses membres jusqu'à soixante cités. La Confédération n'admettait en son sein aucun koinon en tant que tel, et les territoires dépendant des cités (koîmai, etc.) étaient généralement transformés en mem- bres autonomes. On saisit là une tendance marquée à maintenir un équilibre entre des Etats faibles et à renforcer le pouvoir fédé- ral. La division du territoire fédéral en districts (en synteleiai) avait le même but. Les Etats membres étaient souvent tenus d'accueil- lir des garnisons fédérales, qu'ils réclamaient même parfois. Nulle

4

°

Cf. A. AYMARD, op. cit. (34), p. 166, note 1, et J.A.O. LARSEN, op. cit. (34), p. 215.

41 Cf. PoLYBE, Histoire, II, 38, éd. P. Pedech, Belles-Lettres, Paris 1970, pp. 83-84. A consulter aussi jusqu'au LXXIX, l'éd. Büttner-Wobst, Leipzig, 4 vol., 1904-1905.

Nous suivrons ici la trad. fr. de D. RousSEL, éd. Pléiade, Paris 1970, p. 136. A ce sujet voir le commentaire de F.W. WALBANK, op. cit. (34), p. 221.

42 Cf. A. AYMARD, op. cit. (34), p. 6.

43 Op. cit., loc. cit.

(14)

Confédération n'affirma aussi fortement le caractère nécessaire de sa cohésion: faire sécession était considéré comme une révolte tout comme cela avait été le cas dans la première Confédération athé- nienne.»44

Mais il y a plus encore: si la Ligue achéenne est amenée à jouer un rôle

~ussi capital jusqu'à donner son nom à tout le Péloponnèse, c'est pour des raisons de nature politique, que son premier historien expose en ces termes:

«D'abord il n'est pas inutile d'apprendre comment et de quelle manière le nom d'Achaïens a fini par s'étendre à l'ensemble des Péloponnésiens. ( ... ) Il est clair que dans ce cas il ne convient pas de parler de la Fortune, car ce serait une bien mauvaise explication.

C'est plutôt la cause de cet état de choses qu'il nous faut rechercher, car aucun événement, qu'il nous paraisse normal ou extraordinaire, ne peut se produire sans cause. Voici donc quelle est, selon moi, cette cause: l'égalité politique, la liberté de parole et tout ce qui fait une démocratie véritable, se trouvent à un tel degré de perfection dans le système du gouvernement et dans les maximes des Achaïens qu'on ne saurait trouver mieux ailleurs. C'est ainsi qu'ils virent un certain nombre de cités péloponnésiennes venir spontanément à eux et qu'ils réussirent à obtenir par la persuasion l'adhésion de beaucoup d'autres ( ... ) car les premiers membres de la Confédération ne jouis- saient d'aucun privilège particulier et les nouveaux venus avaient exactement les mêmes droits que les autres. De cette façon, en s'appuyant sur les deux forces qui sont les plus efficaces, c'est-à-dire l'égalité et la générosité, la Confédération put bientôt atteindre le but qu'elle s'était fixé. C'est donc là qu'il faut chercher la cause première de cet esprit d'unité qui a permis aux Péloponnésiens d'installer chez eux cette prospérité dont ils jouissent aujourd'hui.» 45

Formant ainsi un Etat composé aux traits originaux, un Etat d'Etats démocratique, libéral et égalitaire, la Confédération achéenne représente aux yeux de Jacques Godefroy à la fois un Etat exemplaire et une forme d'Etat proche de quelques-uns des Etats les plus célèbres de son siècle.

Il n'en faut pas davantage pour que, bénéficiant de l'excellente édition - avec traduction latine - et du commentaire de Polybe que vient de donner au début du siècle Isaac Casaubon46, il s'arrête d'abord à la genèse et à la spécificité de cette forme d'Etat. Quant à la genèse de la 44 Cf. V. EHRENBERG, op. cit. (34), tr. fr., pp. 207-208.

45 Cf. PoLYBE, op. cit. (41), loc. cit.; tr. fr., p. 136.

46 Cf. Polybii ... Istoriarum libri qui supersunt interprete Isaaco Casaubono (1609), Ams- telodami, 1670.

(15)

Confédération achéenne, il reprend sans autre, d'une part, les données de Polybe, aujourd'hui contestées, relatives au passage direct de la forme d'Etat unitaire

à

constitution monarchique sous les fils du roi Oguygos, au

VIe

siècle, à la forme fédérative à constitution démocratique47Les Achéens auraient ainsi à son sens passé, sans intermède oligarchique, à la fois de la monarchie à la démocratie et de l'Etat unitaire à l'Etat fédératif48, thèse que les historiens contemporains mettent en doute aujourd'hui49

De Polybe, Godefroy reprend, d'autre part également, la thèse de la renaissance de la Confédération achéenne vers l'année 280 avant J.-C.

à

l'initiative des cités maritimes de Dymé et Patraï, auxquelles se joindront les cités continentales de Tritaïa et de Pharaï, puis celles d'Aigion, de Bura et de Carynée50 pour former une Confédération de sept Etats qui durera vingt-cinq ans, avant de s'étendre sous l'égide d'Aratos (271-213) à l'ensemble du Péloponnèse.

Mais ce qui retient surtout l'attention de Jacques Godefroy, ce sont les traits spécifiques de cette forme fédérative d'Etat. Et d'abord l'unité cor- porative et l'unité du pouvoir d'Etat qui lui confèrent une unité analogue

à

celle d'un Etat.

«Ils en vinrent à former un seul corps étatique (in unum Reipublicae corpus coaluere)», écrit-il ainsi, «et leur union était cimentée par un lien si étroit et par un tel accord des esprits qu'ils ne constituaient presque qu'un seul Etat cité (ut haec in unam propemodum civitatem consociatio fuerit) dont ils ne différaient que par l'absence d'une enceinte fortifiée (moenium tantum ambitu disparatum).»51

L'on songe ici aux propos mêmes de Polybe:

«Si on ne peut dire que le Péloponnèse presque tout entier ne forme qu'une seule et même cité, c'est uniquement parce que les Péloponné- siens n'habitent pas tous ensemble à l'abri d'une seule enceinte.»52

47 Cf. J. GoDEFROY, Achaica, op. cit. (6), p. 87; voir PoLYBE, op. cit. (41), 11/41; tr. fr.

p. 139; cf. F.W. WALBANK, op. cit. (34), pp. 229-230.

48 Cf. J. GODEFROY, op. cit., loc. cit.

49 Cf. entre autres LARSEN, op. dt. (34), p. 82, et GIOVANNINI, op. cit. (34), p. 54, dans la ligne de F.W. WALBANK, op. dt. (34), p. 230, ad PoLYBE, op. cit., 11/41/5.

5

°

Cf. GODEFROY, op. cit. (6), pp. 87-88, suivant PoLYBE, op. dt., 11/41/12-13; voir F.W. WALBANK, op. cit., pp. 233-234.

51 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 88.

52 Cf. PoLYBE, op. dt., 11/37/11.

(16)

Ne saisissant visiblement pas clairement encore la spécificité de l'Etat fédératif, Jacques Godefroy poursuit quant à

l'unité du pouvoir d'Etat

fédéral:

«S'ils étaient certes divisés en Cités et en membres distincts, ils for- maient cependant un seul corps et avec un seul pouvoir (unum tamen corpus unumque imperium habuere) et les périls de chacun étaient conjurés comme des périls communs.»53

Le plus frappant cependant pour Godefroy dans cette unité du pouvoir d'Etat fédéral, c'est

l'unité législative, judiciaire, économique

et

monétaire

qui en résulte:

«Toutes les cités, tous les Etats membres avaient les mêmes lois, usaient des mêmes poids et mesures, utilisaient la même monnaie et reconnaissaient les mêmes magistrats.»54

L'on ne peut s'empêcher de songer, là aussi, au tableau tracé par Polybe de la Confédération achéenne de son temps:

«Il ne s'agit plus seulement d'une Confédération de peuples alliés et amis, mais tous usent des mêmes lois, des mêmes poids, des mêmes mesures, de la même monnaie. Ils ont mêmes magistrats (archontes), mêmes conseillers (bouleutai), mêmes juges (dikastai).»55

Deuxième trait spécifique de la Confédération achéenne propre à cap- ter l'attention de Jacques Godefroy, c'est alors son

caractère démocrati- que,

qui tient, d'une part, au sens de l'égalité politique des Achéens, à savoir l'égalité de droit

(isotéti),

la liberté de parole

(paresia),

les senti- ments d'humanité

(philanthropia)56

et, d'autre part, à leur sens de la liberté

(libertatis studium)57

Ce que Godefroy retient alors de ce caractère démocratique de la Confédération achéenne, c'est, d'un côté, l'égalité qui règne dans l'Etat achéen lui-même, aucun des membres ne prétendant à une quelconque hégémonie, ni à une simple préséance

58

Ce qu'il retient, d'un autre côté,

53 Cf. GoDEFROY, op. cit., loc. cit.

54 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 89.

55 Cf. PoLYBE, op. cit., II/37/10; voir à ce sujet le commentaire cité de F.W. WALBANK, op. cit., pp. 217-220, ad POLYBE, op. cit., II/37/10.

56 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 88, suivant et citant PoLYBE, op. cit., Il/38/8.

<'Il 57 Cf. GoDEFROY, op. cit., loc. cit.

58 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 89, suivant POLYBE, op. cit., II/38/8 et II/42/2-4.

(17)

de l'esprit démocratique caractéristique des Achéens, c'est également la force d'attraction qu'exercera leur Etat fédératif, non seulement sur les Cités-Etats voisins de la Grèce d'Europe, mais encore sur les puissants Rois de Macédoine, de Pergame, voire d'Egypte et de Syrie et jusque sur le Sénat romain

59

C'est à ces qualités aussi que les Achéens devront d'opérer l'unité du Péloponnèse, auquel ils donneront pour des siècles leur nom - l' Achaie

60 -

de la conquête romaine à la principauté fran- que médiévale, à l'instar des Schwyzois pour la Suisse et de la Ligue Grise pour les Grisons. Mais Godefroy voue par ailleurs une égale atten- tion aux institutions de la Confédération achéenne et à ses lois fonda- mentales. En ce qui concerne les

institutions achéennes,

Jacques Godefroy ne s'arrête d'une part qu'au

gouvernement fédéral,

c'est-à-dire aux magis- trats qui l'exercent, à savoir le

stratège,

son

secrétaire

et les

démiurges

qui l'assistent

61,

et qui forment en fait - mais il n'en dit mot - le Conseil exécutif de l'Etat fédéral achéen

62

D'autre part, il prête aussi attention - mais sans saisir non plus leur caractère problématique si discuté depuis cinquante ans - aux

Assemblées

de la Confédération achéenne

63

Repre- nons ces deux points.

Et tout d'abord examinons ce qu'il dit des

magistratures:

«Le Gouvernement (summa rei) a été dès l'origine et pendant vingt- cinq ans assumé par deux chefs (duo duces praefuere), auxquels était adjoint un secrétaire. Bientôt, parce qu'il apparut qu'il valait mieux qu'un seul veille à la direction de l'ensemble des affaires, on eut un seul chef qu'on appela stratège, et que les Romains, principalement

59 Cf. GoDEFROY, op. cit., loc. cit.

6

°

Cf. LARSEN, op. cit. (34), p. 219, GoDEFROY se bornant à relever en épiloguant sur l'assujettissement de toute la Grèce par les Romains en 146, que si le nom d'Achaïe sera donné alors à la nouvelle province romaine, c'est «quia primi in Graecia Achaei devicti fuerant», op. cit., p. 115.

61 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 89.

62 Cf. dans ce sens, développant l'interprétation esquissée par A AYMARD, op. cit. (34), pp. 177-178, note 2, et pp. 322-323, le traducteur de Polybe D. RoussEL, dans son excellent exposé des Institutions de la Confédération achéenne, op. cit. (41), p. 1236.

63 Cf. le débat dans la doctrine de la thèse de 1938 d'A AYMARD, op. cit. (34), et celles défendues par A GroVANNINr, «Polybe et les assemblées achéennes», in: Museum helveticum, XXVI, 1969, pp. 1 ss, et par F.W. WALBANK, Mus. helv. XXVII, 1970, pp. 170 ss. Pour l'état récent de la question, cf. F.W. WALBANK, op. cit. (34), vol. III, Oxford 1979, Appendix, pp. 406-414, qui dresse une magistrale synthèse tout en revisant une partie de ses propres thèses de 1970.

(18)

du fait de ses fonctions militaires, nomment préteur64Ce magistrat, pris tantôt dans une cité, tantôt dans une autre, était celui qui l'emportait sur tous par ses mérites. Son pouvoir était annuel et il pouvait être prorogé après un intervalle d'un an65

Jacques Godefroy fait alors mémoire des plus grands stratèges qui se sont succédé à la tête de l'Etat achéen, de Marc de Cérynée à Aratos de Sicyone (271-213), «qui libéra sa patrie d'un tyran et l'agrégea à la Confédération achéenne avant de lui associer Corinthe, Mégare, Argos, Hermione, Phlionte et Egine» et jusqu'à Philopoemen de Mégare, «le dernier des Grecs», qui dirigea pendant quarante ans l'Etat achéen, pour conclure par Lycortas, le père de Polybe lui-même

66

Ce qui frappe alors dans son exposé des magistratures, voire du Gou- vernement fédéral achéen, c'est l'absence de toute problématique, de toute perspective critique quant aux compétences dévolues au

stratège

et quant à ses rapports avec les Etats-membres.

Ce défaut de perspective critique est encore plus sensible dans son approche et son exposé des

Assemblées

de la Confédération achéenne.

Reprenant à cet égard, à la différence de Casaubon, la terminologie mê- me de Tite-Live, en ne parlant de manière générique que de

conventus 67

- là ou Polybe distinguait

Synodoi

et

Synkletoi 68 -

Jacques Godefroy

64 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 89, suivant ici PoLYBE, op. cit., II/4311, et qui reprend la traduction donnée de «Strategos» en latin par TITE-LIVE, Histoire romaine, éd. Nisard, Paris 1877, XXXII/XX-XXII et XXXVIII/XXX notam- ment; à ce sujet, cf. A YMARD, op. cit. (34), p. 21, note 3, et LARSEN, op. cit. (34), pp. 220-221.

65 Cf. GoDEFROY, op. cit., loc. cit., suivant PLUTARQUE, Vie d'Aratus, in: Vies parallèles, éd. R. Flacelière-E. Chambry, Belles-Lettres, Paris 1979, t. XV, 24/2-3, pp. 96-97;

cf. tr. fr. AMYOT, éd. Pléiade, Paris 1951, t. II, XXXVIII, p. 1130. A ce propos voir AYMARD, op. cit., p. 180, note 3.

66 Cf. GoDEFROY, op. cit., pp. 89-90.

67 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 90, suivant TITE-LIVE, op. cit., XXXVIII/XXX qui, par ail- leurs, recourt aussi et le plus fréquemment au terme de «concilium», cf. op. cit., XXVII/VII, XXXII/XIX, XXV /XL VIII, XXXVIII/XXXII. A relever que GoDE- FROY explicite le terme de «conventus» par «seu comitia gentis».

68 Cf. entre autres, PoLYBE, op. cit., XXIX/23/8-9 et XXIX/24/5 pour l'assemblée achéenne de Corinthe de 168 (synodos) et XXIX/24/6 pour l'assemblée extraordi- naire qui la suit à Sicyone (synkletos) pour débattre et trancher la question de l'aide militaire à apporter aux Ptolémées. Sur la problématique de cette distinction cf. la thèse citée (34) d'A. AYMARD, notamment pp. 25-41, et la mise au point de l'état de la question de F.W. WALBANK, op. cit. (63), Appendix, pp. 406-414.

(19)

ne discerne en fait qu'un type d'assemblée fédérale, réunie deux fois par an

à

Aigion près du Sanctuaire de Zeus Homarios, et il n'entre ni dans sa composition ni dans sa nature politique

69

Il n'en relève pas moins avec attention, et leur fonctionnement deux fois l'an sous la présidence du

stratège

et avec l'assistance des

démiurges70,

représentants des Etats membres, et leurs

compétences,

qui tiennent essentiellement

à

son sens

à

la direction des affaires étrangères (guerre, paix et traités d'alliance) et

à

la législation

(((penes hos olim conventus belli pads, legum foederumque arbitrium erat: his que praesidebat Praetor una cum decem assessoribus quos Demiurgos dixere»)71

C'est d'ailleurs précisément aux normes fondamentales de cette législation qu'il voue le plus d'intérêt. Avant d'aborder cependant ce dernier aspect de son étude de la Confédération achéenne - ses

Lois fondamentales -

il vaut la peine de souligner sa méconnaissance de la question, hautement débattue dans la doctrine depuis plus d'un demi-siècle, de la nature poli- tique spécifique des Assemblées confédérales achéennes: Jacques Gode- froy, qui n'en traite donc que de manière générique en usant de la termi- nologie romaine -

((Conventus Achaeorum seu comitia gentis»72 -

ne détermine pas explicitement en effet, d'abord, s'il s'agit

d'assemblées pri- maires,

réunissant tous les Achéens des Etats fédérés, ou s'il s'agit

d'assemblées représentatives,

ne regroupant que des délégués des Etats fédérés. Il ne distingue pas ensuite les assemblées

régulières (synodoi)

des

assemblées extraordinaires (synkletoi),

alors qu'elles sont bien différen- ciées par Polybe lui-même, puisque ces dernières - les

synkletoi -

ont des compétences spécifiques en matière de politique étrangère, que ce soit d'assistance militaire ou simplement d'alliance

73

Pareille méconnaissance de la particularité des Assemblées fédérales achéennes ne nous paraît pas procéder d'une ignorance délibérée, mais bien plutôt d'une méconnaissance réelle de la spécificité du phénomène fédératif, Etat d'Etats encore familier

à

Polybe, mais sombré depuis lors

69 Cf. GoDEFROY, op. cit., loc. cit.

7

°

Cf. supra (61), TITE-LIVE, op. cit. (64), XXXVIII/XXX, qui précise «et sub adven- tum consulis, damiurgis, civitatum, qui summus est magistratUS)).

71 Cf. GoDEFROY, op. cit., loc. cit.

72 Cf. GoDEFROY, op. cit., loc. cit., cf. supra (note 67).

73 Cf. PoLYBE, op. cit., XXIX/24/6; par rapport au Synodoi, op. cit., XXIX/23/8-9, cité supra (68) avec les références aux thèses défendues tant par A. AYMARD que par F. W. WALBANK.

(20)

dans l'oubli. Ce qui nous paraît confirmer pareille interprétation, ce sont précisément les Lois fondamentales de la Confédération achéenne, aux- quelles Jacques Godefroy prête le plus d'attention.

Quant à ces Lois fondamentales de la Confédération achéenne, Jacques Godefroy s'arrête en fait à quatre d'entre elles. Il s'agit d'abord de la Loi des trois jours qui, d'une part, interdisait aux assemblées extraordinaires de siéger plus de trois jours et, d'autre part, les obligeait, en suivant une procédure déterminée et bien décrite par Tite-Live, à siéger trois jours au moins74

Il s'agit ensuite de la loi qui interdisait de réunir une assemblée pour traiter avec une ambassade étrangère, sans une demande écrite exposant les motifs d'une telle convocation75

Il s'agit par ailleurs de la loi interdisant aux Etats-membres de la Confédération achéenne d'envoyer leurs propres ambassadeurs auprès des puissances étrangères76

Et il s'agit enfin de la loi interdisant à quiconque - magistrat ou sim- ple particulier - de recevoir des cadeaux d'un roi, sous quelque prétexte que ce fut («Ne quisquam donum-munus a quoquam Regum cepisse velle!») 77

Or, la loi fondamentale qui apparaît à Godefroy «la plus digne d'estime et la plus vénérable»78, c'est la quatrième qui proscrit l'accepta- tion par quiconque de cadeaux ou de fonctions de quelque roi que ce soit.

74 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 90: «ne ultra diem tertium concilium gentis traheretur verum, ut eo omnino die decretum fieret», suivant TITE-LIVE, op. cit. (64), XXXI et XXXII, XXII: «Supererat unus justi concilii dies (tertio enim lex iubebat decretum fieri)». Voir à ce sujet LARSEN, op. cit. (34), pp. 228-229.

75 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 91: «ne qui exterae gentis Legato concilium daretur nisi editis prius mandatis scriptis, per quae ante appareret cuius causa concilium postu- laretur», d'après PoLYBE, op. cit., XXII/10, relatant la demande de Metellus aux magistrats achéens de convoquer une assemblée générale pour l'entendre, l'accord d'Aristainos et le refus des magistrats achéens au nom de la loi en cause, cf. XXII/

10-11.

76 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 91: «Ne qui Achaici concilii civitati seorsim legatos ad externa mittere fas est.» Cf. PoLYBE, op. cit., II/48/4. Voir à ce sujet F.W. WALBANK, op. cit. (34), p. 248, et LARSEN, op. cft. (34), pp. 237-238.

77 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 92, suivant PoLYBE, op. cit., XXII/8/3.

78 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 92: «Lauditissima quoque sanctissima adversus munerum corruptelas lex.»

(21)

Jacques Godefroy la tient même en si haute estime qu'il cite tout le dis- cours tenu par Apollonius de Sicyone, lors de l'Assemblée fédérale de Mégalopolis, en 185, rappelant, d'une part, à l'encontre des cadeaux des Rois de Pergame, d'Egypte et de Syrie, la teneur de cette loF9 et, d'autre part, sa ratio legis; celle-ci se résume en ces mots d'Apollonius de Sicyone:

«Les intérêts des Rois sont naturellement opposés à ceux des démo- craties80. ( ... ) Or, la plupart et les plus importantes des décisions que nous avons à prendre portent sur nos différends avec les Rois.

Il est donc évident que nous n'aurons plus le choix qu'entre deux choses:

ou bien faire passer les intérêts des Rois avant les nôtres, ou bien, si nous agissons autrement, apparaître aux yeux de tous comme des ingrats, en nous opposant aux désirs de ceux qui nous paient. »81

En fait, si Jacques Godefroy attache tant d'importance à cette loi fonda- mentale, c'est en raison de son intérêt direct, non tant pour la Confédéra- tion helvétique ou le Saint Empire romain-germanique de son époque, que pour la Genève de son temps. C'est que le 11 juin 1622, le Conseil des Deux Cents, dont il est membre depuis 1619, arrête précisément la mesure et le serment suivants :

«De ne recevoir aucun présent, argent, ou pension de qui que ce soit, sans le sceu, vouloir et consentement de la Seigneurie. Et que tous les ans, cela soit leu au mois de janvier, par forme de serment, tel qu'il a été prêté ce jour d'hui, comme s'ensuit:

»Nous déclarons et affermons par le serment que nous prêtons de n'avoir receu et ne vouloir recevoir aucun argent, présent ou pension, d'aucun Prince ou République estranger, sous quelque prétexte que ce soit. Et que si telle chose nous était présentée à l'advenir nous le rapporterons fidèlement à la Seigneurie.» 82

79 Cf. GoDEFROY, op. cit., pp. 92-93, suivant PoLYBE, op. cit., XXII/7/4 et 8/1-4.

8

°

Cf. GoDEFROY, op. cit., pp. 92-93, suivant PoLYBE, op. cit., XXII/8/6; nous donnons ici la traduction française de D. RoussEL, op. cit. (41), p. 947, en relevant que GODE- FROY suit CASAUBON dans sa traduction latine du grec «democratia» par «civitas libera», cf. CASAUBON, op. cit. (46), t. II, p. 1181.

81 Cf. GoDEFROY, op. cit., pp. 92-93, suivant PoLYBE, op. cit., XXII/8/1-6, mais non l'ensemble de la traduction latine que donne du discours d'Apollonidas de Sicyone, CASAUBON, cf. op. cit. (46), t. II, p. 1181.

82 Cf. Registre du Conseil, vol. 121, fol. 110; éd. E. RIVOIRE- (V. VAN BERCHEM), Les sources du droit du canton de Genève, vol. 4, Aarau 1935, p. 14.

(22)

Nous n'entrerons pas dans le débat relatif à la paternité de cette loi, que P.F. Bellot attribue expressément à Jacques Godefroy83 - ce qui est plau- sible puisque le fameux jurisconsulte était entré en 1619 au Conseil des Deux Cents - ni dans la question de savoir si cette décision du Deux Cents témoigne de l'influence du Discours de Godefroy sur la Confédé- ration achéenne ou au contraire si le Discours sur la Confédération achéenne n'est que le reflet de l'importance attribuée par Jacques Gode- froy à la mesure prise par le Conseil des Deux Cents le 11 juin 1622. Il nous paraît plus intéressant en effet de tenter de déterminer la pensée politique de Jacques Godefroy en matière fédérale.

A cet égard, la conclusion du Discours sur la Ligue achéenne nous paraît assez significative. Ce sont moins les violations des Lois fonda- mentales caractéristiques des Etats fédératifs - comme la sécession, les négociations directes avec les puissances étrangères ou les alliances sépa- rées avec ces mêmes puissances - qui constituent aux yeux de Godefroy les périls qui menacent le plus les Etats fédératifs, que la désaffection à l'égard d'une politique commune au profit de la poursuite d'intérêts par- ticuliers84, l'apparition de factions manipulées par l'étranger dans le jeu démocratique (<œt votorum jam non eadem libertas metu a potentibus iniecta») 85, enfin et surtout la violation de la loi interdisant cadeaux et pensions de l'étranger, qui expose les Etats au péril de l'immixtion étran- gère («quam praesenti periculo subiaceant Reipublicae ubi seme! contra leges dona-munera accipere fas est»)86, car la recherche d'un appui à l'étranger pour la défense de la liberté commune n'entraîne en définitive que le fléau de l'intervention étrangère et la ruine de tous.

Pour être préfigurateurs du XVIIIe siècle genevois, ces propos n'en sont pas moins révélateurs et des préoccupations majeures et des limites de la pensée politique de Jacques Godefroy. Ce qui prime dans sa pensée politique, c'est en effet l'unité et l'indépendance de l'Etat, la perception de l'originalité des caractéristiques de la Confédération achéenne - éga- lité, liberté de parole, humanité et sens de la liberté- s'effaçant au profit de la mise en évidence de Lois fondamentales valant aussi bien pour des Etats unitaires.

83 Cf. BELLOT, op. dt. (1), p. 14.

84 Cf. GoDEFROY, op. dt., p. 116: «Quam parum cautum sit unitis corporibus ubi sunt qui non in commune consulere amant, sed sua quique male concordes commoda focillantur. »

85 Cf. GoDEFROY, op. dt., loc. dt.

86 Cf. GoDEFROY, op. dt., loc. dt.

(23)

Jacques Godefroy n'apparaît donc pas comme un défenseur ou un pro- pagateur de l'esprit fédéraliste. Son manque d'intérêt caractéristique pour les institutions comme pour les magistratures fédérales de la Confédéra- tion achéenne en est le signe. Dans la Confédération achéenne, c'est moins l'Etat fédératif - c'est-à-dire une réalisation originale du fédéra- lisme antique - qui l'intéresse, qu'une forme d'Etat populaire, avec toutes les mesures qu'il faut prendre pour en assurer la liberté.

En conclusion, lecteur assidu de Polybe, comme de Libanius, si Jac- ques Godefroy recourt au genre spécifique du

Discours,

pour le faire com- prendre, c'est d'abord en familier de l'historiographie antique, pénétré de l'importance de la

parole

dans l'histoire; c'est ensuite en historien politi- que, convaincu que, les mêmes causes entraînant les mêmes effets, la relation vivante des événements qui ont frappé les Républiques passées permet seule d'imiter ce qui leur a réussi et d'éviter ce qui leur a nui

87

Ce faisant, Jacques Godefroy agit comme représentant typique de l'histoire institutionnelle, dont la fonction est, pour reprendre les propos d'un auteur contemporain, «d'éduquer le prince à mieux gouverner en lui enseignant

l'histoire

à la place des anciens

exempta

et

moralia»

et de

«réfléchir avec lui ou avec les gouvernants au sens et aux lois de l'histoire pour la mieux comprendre»

88

Mais Jacques Godefroy ne se bornera pas à préparer aux affaires de l'Etat les fils de famille genevois et les jeunes gens de la noblesse allemande fréquentant l'Académie. Méditant les ins- titutions et les lois fondamentales des Républiques antiques, qu'il pro- pose à la réflexion de ses auditeurs, il en tirera lui-même des leçons pour sa petite patrie. Le discours n'est donc pas seulement chez lui «l'égal de l'action», comme on a pu l'écrire pour les historiens anciens

89; il

l'annonce et la détermine, comme son auteur préfigure l'homme d'Etat.

87 Cf. GoDEFROY, op. cit., p. 86.

88 Cf. M. FERRO, L'Histoire sous surveillance, Paris 1985, p. 19.

89 Cf. P. PEDECH, La méthode de Polybe, thèse de lettres, Paris 1964, p. 254.

Références

Documents relatifs

Les experts de l’INERIS sont bien sûr sollicités dans le cadre de l’enquête en cours menée par l’Inspection générale de l’environ- nement d’une part et de

La menace de l’application du code pénal et l’omniprésence de la prison (avec la crainte d’être incarcéré, par exemple, à Yaoundé, dans une prison surpeuplée où les

Les résultats indiquent que les citoyens de Sarajevo sont de plus en plus convaincus que le TPIY est sous l’influence politique de juges nommés au niveau international – une

[lang_fr]Tout en connaissant un très grand succès public, les films réalisés par Jacques Tati dans les années 1950 font l’objet d’un fort investissement cinéphilique de la part

Par exemple dans le cas d'un pays comme Haïti, ces PEF sont utiles pour identifier les principaux points de vulnérabilité dans le processus de développement du pays tel que

À utiliser uniquement avec la permission de l’enseignant et après démonstration des procédures de fonctionnement et de sécurité.. À utiliser uniquement avec la permission

Site de ressources sur la sécurité et l’hygiène : urgences, ergonomie, prévention des incendies, dangers,

Saint- Jean, NB : Commission de la santé, de la sécurité et de l’indemnisation des accidents au travail du Nouveau-Brunswick, 2000.. Dade