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Éthique Musicale et Technologie

Franck Pecquet, Makis Solomos

To cite this version:

Franck Pecquet, Makis Solomos. Éthique Musicale et Technologie. Journées d’Informatique Musicale,

May 1996, île de Tatihou, France. �hal-02986468�

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Éthique Musicale et Technologie

Franck Pecquet et Makis Solomos

Nous discuterons ici des distinctions entre technique musicale et technologie en commentant les perspectives musicales de la composition informatique, expression qui circonscrit l'usage musical que l'on peut faire de la technologie informatique, c'est-à-dire l'utilisation de l'ordinateur comme aide à la composition. En quoi la recherche musicale se distingue t-elle de la recherche scientifique (par le biais de l'informatique) dans ce contexte de création, comment se caractérise en art cette distinction, si rupture il y a, en quoi cela affecte la composition? Y répondre en appelle à l'éthique pour deux raisons : une raison d'ordre général, la réflexion sur le développement des sciences et les conséquences musicales issues de l'adoption par les compositeurs des technologies numériques; et une raison plus

technique relative aux respects des lois qui déterminent logiquement la composition musicale. En ce sens l'éthique représente l'application d'une méthode à la règle instituée dans l'oeuvre par son créateur. L'expression d'informatique musicale elle-même renvoie ici à une dimension esthétique qui englobe dans la composition les différents usages - processus d'automatisation, synthèse, composition assistée par ordinateur ou aide à la composition. A priori la technologie numérique appliquée à la musique représente un réservoir de techniques distinctes et ne saurait dans ce contexte s'opposer à celui de technique musicale, mais plutôt le compléter. Car elle dissocie les

fonctionnalités propres des deux univers de la recherche scientifique et de la recherche musicale. Précisons cependant qu'ici le terme de technique musicale se réfère plus exactement à la composition, à l'écriture et représente les divers procédés requis pour produire une oeuvre.

Art, Technologie, Éthique

L'oeuvre résulte de la conjonction entre des nécessités techniques à une époque donnée et de réflexions artistiques en général. Depuis l'annonce Hégélienne de la fin de l'art, et qui s'avère être une fin de la pensée de l'art, comment manifester au travers de la production artistique un idéalisme de vie? L'histoire récente prouve que la vie de l'art est indifférente à ce constat et qu'elle est radicalement liée à l'évolution des techniques et des modes de pensée qui ne cessent de la transformer. Les notions "d'immatérialité", "d'artificialité" et de "virtualité" qui accompagnent la technologie numérique semblent pourtant s'opposer à cet idéalisme de vie inhérent à cette vision de l'oeuvre d'art comme réalité sensible, vivante. Mais cet idéalisme de vie, comme technique de présentation de l'être, du sensible, est ce qui caractérise l'art dans la culture. C'est de lui que résultent les modèles de notre temps, regard nouveau porté sur le monde réel, puis sublimé dans l'oeuvre. Cet idéalisme de vie propre à l'oeuvre d'art, filtré dans la technologie, manque t-il aujourd'hui plus de force, de crédibilité? Le syndrome kitsch de la virtualité, métaphore représentant cette impuissance de l'esprit à se représenter et à se dépasser dans la technologie, est-il le fait d'une abdication de l'esprit dans l'art? Il s'agit moins ici de prétendre que les choses se passent ainsi que de signifier que, dans sa complexité technique, la technologie numérique semble creuser toujours plus le fossé entre concept et réel, représentation et sens. L'adoption de la technologie par les artistes provoque certaine crainte chez ceux qui imaginent notamment que la pensée se réduit dans la technologie à des mécanismes électriques. Or d'aucun n'a jamais prétendu vouloir que la machine n'égale l'homme, encore moins les artistes, tout au plus qu'elle en simule l'intelligence. Il se trouve que le modèle computationnel propre aux technologies numériques représente sans nul doute un instrument idéal pour la musique, que l'on peut à juste titre caractériser ici comme une technique de la combinatoire, de l'organisation et de la production sonore.

Aussi depuis plusieurs années l'usage de la technologie numérique (électronique, informatique) n'est plus une exclusivité dans la création musicale. Cet usage confirme l'évolution de la pensée musicale avec le développement (conjoint à la pratique musicale) de procédés techniques nouveaux liés de fait au développement de la société contemporaine. Vu l'étendue de la révolution numérique à l'échelle de la société entière, pour ne pas dire du monde, on peut comprendre qu'un tel usage déborde le strict cadre de la musique. Il en va ainsi de l'ordre de la réalité contemporaine, réalité fondée sur la mise en circulation des informations et des savoirs qui les accompagnent par de puissants systèmes de communication. La technologie numérique s'est ainsi constituée un espace de représentation, l'espace numérique. Ce que l'espace numérique nous révèle, c'est une possibilité de se construire soi-même, de se donner un sens vers lequel aller, avec comme point de départ un univers déjà construit, la "machine", son code, ses programmes, mais qu'il faut néanmoins dépasser pour ne pas en devenir l'esclave. S'il ne s'agit pas de se saisir aveuglément d'un tel espace, comme pour être à la mode numérique, il faut plutôt, comme il s'empare de nous, nous saisit, l'intégrer en le "stylisant", y modéliser sa" structure moïque". En quelque sorte comme on ne peut plus l'éviter recomposons le, réinventons le à notre image. L'élaboration du monde dans la "machine" (monde immatériel s'il en faut), lieu où tout semble déjà en état de développement avancé (déjà intégré), interpelle ainsi notre conscience. L'ordinateur représente un outil prédéterminé dont l'agencement échappe globalement à notre connaissance et vis-à-vis duquel les questions sur son mode de

fonctionnement sont légitimes puisqu'elles concernent les différents moyens de traiter les informations. Et que ces différents traitements auront une incidence certaine sur toute réalisation. Or dans sa complexité l'ordinateur offre des possibilités énormes de renouvellement et d'implémentation de pratiques et de savoirs dont l'apprentissage bouscule sévèrement les méthodes de travail traditionnelles. Ces nouvelles méthodes deviennent également de nouveaux moyens d'expression. Le postulat éthique se dégage ainsi : ce qui existe déjà dans la "machine" n'a ainsi de sens que selon l'usage que l'on en fait. Il ne s'agit donc pas seulement de savoir s'en servir mais aussi de savoir que faire vis-à-vis des nouveaux procédés. L'éthique musicale, liée à cette nouvelle condition du compositeur, s'impose ainsi pour canaliser son errance dans cet environnement, lieu d'un monde traversé par de multiples chemins, et vis-à-vis duquel il se doit d'exploiter comme s'il s'agissait de savoir qu'en faire, les ressources infinies mises en sa disposition. L'opportunité d'une telle construction qui passe par

l'élaboration d'un système propre de valeur implique précisément que l'utilisateur soit lui-même son interlocuteur, c'est-à-dire sujet de sa propre communication, pour rester relié au monde humain. Dans ce nouvel espace c'est lui qui se fixe les limites comme les conditions de sa production, exigeant de la machine qu'elle lui renvoie sa propre image. Aussi les normes stables de l'éthique traditionnelle (la loi morale) ne résistent plus à cette nouvelle forme de subjectivation. En choisissant de structurer son propre langage à partir des nouvelles

technologies, se donnant les moyens de caractériser un style personnel, manière originale de concevoir la musique, le compositeur unifie matériau et organisation, donnant à la composition une autre dimension musicale, par une objectivation dans l'espace numérique d'un espace sensible qui résulterait de sa propre expression.

Recherche et Création Musicale

En substituant aux langages traditionnels de nouveaux langages, la technologie a fini par déstabiliser tout en la maintenant toute une tradition d'écriture fondée sur une certaine représentation de la musique, instituant un nouvel ordre de représentation et de perception musicale. Des phénomènes universels liés à la technique musicale, physique, psychoacoustique, aux réflexions musicologiques d'ordre général sur le temps, la mémoire par exemple, et qui balisent l'esthétique musicale des moyens aux fins, la composition musicale s'est trouvée partagée en deux activités complémentaires : la recherche et la création, dualité qui en informatique musicale correspond aux deux phases de conceptualisation et de réalisation. Si la deuxième phase, celle qui concrétise l'objet d'art, l'oeuvre, semble réfractaire à une justification rationnelle, se dérobant par là à l'analyse scientifique, la recherche, comme activité préliminaire de la composition, invite le compositeur à repenser la technique musicale en fonction de l'évolution technologique. Cette évolution affecte la manière de faire de la musique et est à l'origine de cette diversité esthétique dans la création musicale actuelle.

Force est de constater qu'aujourd'hui, de près ou de loin, l'utilisation de l'ordinateur comme outil, au sens large du terme, devient

finalement indispensable, voire inévitable. À l'évaluation des différents usages que l'on en fait et que l'on peut en attendre, on constate qu'il répond déjà effectivement à bon nombre de problèmes que l'on peut se poser et intègre par là les diverses solutions comme des nouveaux

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principes de conception et de réalisation musicale. Si certains gestes mécaniques d'usage courant, i.e. calculs et traitements divers, ne constituent plus alors une exclusivité technique aujourd'hui, ayant été largement vulgarisés dans nombre d'applications, toute forme d'exception dans la pratique de l'outil tend à disparaître. Dans ce cas comment débattre de ce qui, il n'y a encore qu'une quinzaine d'années, rendait sa légitimité à l'ordinateur et en faisait un outil d'exception, l'unique instrument capable d'exécuter des tâches qu'aucun autre instrument n'était en mesure d'assumer avec autant de précision et de cohérence, capable également d'élaborer des sons que personne n'osait imaginer? Vu sous l'angle heuristique, n'a t-on pas l'impression que se dissimulent toujours plus loin les véritables problèmes musicaux, ceux qui concernent la création esthétique, et n'a t-on pas l'étrange sentiment qu'ils éloignent toujours plus

l'utilisateur de la phase de réalisation, précisément celle qui rend légitime l'application de cet outil à la composition? Faut-il alors concevoir que tous les développements d'aide à la composition n'ont qu'une importance relative vis-à-vis des problèmes d'écriture et ne valent pas le coup d'être vulgarisés sous peine de réduire l'acte de composition à n'être qu'une série de contraintes sans lien direct avec la

représentation des idées musicales? Car s'il y a sans nul doute un art de la programmation, d'où l'idée du bon utilisateur, cet art ne conduit pas pour autant à réaliser de bonnes oeuvres musicales. Et si l'intelligence des outils permet d'obtenir de bon résultats sonores, elle ne garantit pas la valeur de la création pour autant. La recherche scientifique ne peut se juger que sur la cohérence des recherches entreprises et du résultat obtenu. Le dilemme entre recherche et création ne peut de fait s'actualiser qu'en terme d'éthique, puisqu'il s'agit toujours de définir la position de l'utilisateur et les limites de son engagement de la recherche à la création. Une description des tâches qui

caractérisent le passage de la composition au sens traditionnel du terme à la composition informatique et les positions successives du compositeur dans cette évolution, permettrait sans doute de mieux comprendre les glissements intervenus dans la pratique d'écriture contemporaine, vaste sujet que nous n'aborderons pas ici.

De la représentation numérique à la représentation musicale

Dans la perspective éthique de notre réflexion, qui pose la question de savoir que faire de l'utilisation de la technologie, il paraît légitime d'inverser ce qui instamment, à l'origine de la composition informatique, passait avant, c'est-à-dire la représentation musicale, avec la représentation numérique. Les pionniers de la représentation numérique en 1957, Hiller et Isaacson, n'ont-ils pas tenté avant tout d'encoder un traité d'harmonie, un modèle culturellement acquis, dans une machine pour en extraire à l'aide d'opérations mathématiques une représentation musicale? La musique ne signifie précisément pas la connaissance technique, scientifique de l'univers, elle représente plutôt sa libre interprétation. De ce point de vue, c'est-à-dire celui d'une construction d'une part, et celui du sens à lui donner dans la création d'autre part, l'ordinateur est un parfait modèle computationnel, même s'il risque paradoxalement de constituer un obstacle à l'inspiration créatrice. En imposant à son utilisateur une rigueur technique, des choix d'investigation limitatifs du point de vue esthétique, il l'oblige à poursuivre sa recherche en se conformant aux modèles conceptuels définis par tels ou tels programmes. Si les modèles

conceptuels sont codés diversement et peuvent, dans le meilleur des cas, permettre une subjectivation adéquate de la réalité sonore, le raisonnement logique qui a déterminé aussi bien le choix des concepts de développement que leur structure organisationnelle, leur pose ce problème éthique de la construction d'un sens conforme à leur sensibilité. Il s'avère que la technologie est productrice de techniques et non d'idées et qu'en conséquence il lui est plus difficile d'arbitrer les demandes d'utilisateurs aux visées abstraites comme les artistes par exemple, indifférents dans la finalité de leur recherche au déterminisme, pour assister leur imagination. Ces "techno-créateurs" deviennent des artistes concepteurs pour lesquels la création dépasse le strict niveau des valeurs esthétiques et rejoint celui d'une éthique fondée sur l'intelligence des techniques et l'esprit créatif. Entre l'artiste et l'ingénieur, le "techno-créateur" se saisit de l'espace numérique, un univers latent d'infinis possibles dans lequel l'esthétisation du monde est l'objectif déterminant, mais dont la détermination reste néanmoins difficile à arbitrer.

Le concept de lutherie électronique, défini comme une des particularités de la "techno-création", rend bien compte de cette nécessité d'intégrer au travail de l'artiste celui du chercheur et du technicien, dans l'unification du matériau et de l'organisation. Il ne s'agit pas de dire ici que cette intégration est la condition nécessaire de la composition assistée par ordinateur, elle ne fait que définir la position du "techno-créateur", position qu'aucun compositeur ne cherche à justifier dans la création esthétique. Il ne nous semble pas fondé esthétiquement de justifier un projet de création sur la base de la recherche technologique. S'il est possible de prouver à l'analyse la conformité entre recherche et oeuvre, ce n'est pas pour autant une justification musicale. La notion de lutherie électronique permet également d'évaluer les écarts survenus depuis la grande fracture de l'école de Vienne au début de ce siècle jusqu'aux représentations numériques. Mais Schoenberg ne rompait pas totalement avec une tradition d'écriture en violant le pouvoir de transmission affective propre à deux siècles de tradition, il en modifiait les lois quitte à conserver une stabilité de principe entre norme et expression subjective. Aujourd'hui la technique musicale ne se limite plus de fait à la connaissance du principe acoustique de génération sonore et à la réglementation pratique de ces différents usages théoriques, mais s'étend, par le biais de la technologie, à différentes fonctions de représentation faisant appel à des réalités extra-musicales, scientifique, informatique par exemple. La finalité de ces fonctions est de simuler la réalité sensible sur laquelle se fonde l'acte compositionnel et vis-à-vis de laquelle s'élabore le sens musical en donnant au compositeur des moyens illimités de construction, d'organisation et de production. Cette technique se résume essentiellement à celle d'une manipulation intelligemment orientée. Un tel savoir-faire qui, dans la tradition des règles des traités d'harmonie et de contrepoint par exemple, correspondait au langage instrumental classique, aujourd'hui opère déjà comme une règle d'écriture au sens large.

Selon cette nouvelle pratique musicale il est bien entendu délicat de justifier l'utilisation de la technologie sans risquer d'isoler, en le reléguant à l'arrière plan, le rôle primordial de toute une tradition musicale dont la technique précisément reposait sur l'écriture prescrite dans des traités, tant elle semble, même aujourd'hui encore, seule justifiable d'une quelconque authenticité esthétique. Vu précisément sous l'angle de la composition, la technologie ne se réduit pas à n'être qu'un outil supplémentaire dans la gamme des instruments habituels. Elle est beaucoup plus que cela. Déjà parce qu'elle renferme une multitude infinie d'instruments dont elle assume de l'invention jusqu'à l'exécution, et surtout, parce qu'elle en prescrit, au stade ultime de la réalisation, toutes les règles du jeu. En terme de création esthétique ce constat suppose que le rapport entre composition et instrument, entre langage musical et représentation numérique, devra se situer effectivement aux différents niveaux d'informations prescrites dans la machine par l'utilisateur. Aussi, étant donné le caractère illimité de cet espace de prescription, qui fait pendant en art aux multiples règles qui gèrent l'espace sensible de l'oeuvre, les décisions de l'utilisateur induisent d'elles-mêmes un espace de réalisation dans lequel s'illustrent les véritables enjeux de la création musicale. Cet espace de description des règles, lieu de prédication éthique, constitue la finalité sensible que le compositeur prescrit dans son oeuvre et marque l'émergence de la représentation musicale.

Musique et éthique

Partant du postulat que la recherche informatique exige une définition des moyens et des fins, la rationalisation tenant pour une

mécanisation de l'organisme, à la différence de la création esthétique, le projet informatique est conflictuel avec le projet compositionnel, le détournant de ses fins esthétiques. Cette critique conforte l'idée selon laquelle l'ordinateur, quel que soit son usage, dévoierait, voire égarerait le compositeur. En fait les plus sceptiques s'inquiètent justement qu'elle n'écarte le compositeur d'une réflexion intrinsèquement musicale. Le modèle originel de l'art, la nature, n'est un paradigme éternel qu'en tant qu'il légitime la loi acoustique. Aujourd'hui le compositeur doit étendre sa recherche musicale par une réflexion plus universelle sur les modèles d'organisation, de production et de communication musicale, sans pour autant délaisser cette part immanente de la science musicale (reposant sur la réalité sonore) que renferment des siècles de tradition, et dont l'informatique pourrait en constituer la transcendance. En négligeant cet aspect de la réflexion ne risque-t-il pas de ne s'en tenir qu'à une représentation fondée sur un héritage historique acquis en marge de l'évolution technologique et par là difficilement réductible aux modèles actuels, et qui ne sont pas forcément les modèles de tous les temps? Vouloir dépasser cet

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ordre de chose replace la question de l'éthique musicale dans le contexte de la création musicale, où se définit l'application de la méthode pour respecter la règle.

Il ressort qu'aujourd'hui la compréhension et l'intégration de l'évolution technologique constituent une pierre d'achoppement dans la création esthétique pour la composition. Les nouvelles recherches n'existent seulement qu'à titre d'expérimentation et ne sauraient constituer des modèles universels de réalisation sonore. Il en va précisément de la distinction en art entre recherche musicale et recherche scientifique. Il y a effectivement une épistémologie esthétique distincte entre les différentes institutions productrices de ces nouveaux savoirs et pratiques, comme en témoignent la prolifération des diverses représentations numériques ici et là. Guidées par des

problématiques spécifiques, de la génération du son à l'organisation des structures sonores en passant par les techniques du métier du son, elles ont toutes directement ou indirectement des finalités musicales. Or il paraît important de discerner ce qui, parmi l'abondance des nouveaux outils, la commercialisation des nouvelles techniques, fait sens pour le compositeur, à savoir comment ils s'appliquent à la composition. Si ces différents programmes sont d'un réel intérêt pour la composition, suffisent-ils aussi à remplir les conditions éthiques que le compositeur se donne à travers l'écriture? Car il s'agit également pour le compositeur d'évaluer quel type de représentation

numérique correspond le mieux à ses besoins, sans trop risquer d'influencer ou de contredire ses propres méthodes de travail. Toutes ces questions aboutissent à cette problématique centrale, inhérente au recours de la technologie dans la composition, celle de l'appropriation musicale de l'usage de la technologie et le risque consécutif d'une compromission de l'expérience esthétique.

Contenir le projet compositionnel dans les limites d'utilisation relatives au projet de recherche scientifique, exige que soit également pris en considération le passage de l'ordre numérique à l'ordre musical, la recherche scientifique ne déterminant pas la recherche esthétique. Et ce passage reste problématique en ce qu'il ne restitue pas adéquatement ce qui dans l'ordre numérique des données quantifiables devrait correspondre dans l'ordre musical à des critères de qualité. Car la composition ne s'efforce pas d'exprimer la mécanisation de l'univers technologique mais au contraire d'octroyer son dépassement comme une forme d'émancipation. Il s'agit en effet moins d'être dominé par la logique des systèmes informatiques que d'établir adéquatement les types d'actions qui conditionneront la construction de l'oeuvre. À toutes les étapes de la représentation numérique cette recherche se caractérise par une volonté accrue d'obtenir un meilleur contrôle des outils pour ne pas perdre le sens des actions et des idées, témoin de la subjectivité du compositeur et légitimation de son entreprise. Si les règles formelles établies par le compositeur ne légitiment pas logiquement la valeur d'une composition, qu'il utilise ou non l'ordinateur, elles n'en circonscrivent pas moins la place de l'éthique, arbitrant de la conformité entre visées scientifiques et visées esthétiques. Prétendre que l'utilisation de l'ordinateur en musique trahisse cette vérité sur l'acte d'écriture ne résout en rien la problématique éthique, celle du respect des règles de la composition. Comme en témoigne la difficulté de décrire à l'analyse des musiques récentes les liens véritables qui unissent le modèle de la composition, du matériau à l'organisation, à l'écriture. Il ressort que la règle du jeu entre science et art réside de fait dans l'élaboration d'une cohérence de la transcription (au sens de la traduction, donc de l'interprétation) musicale des résultats vides de sens à l'état de solution, c'est-à-dire au strict niveau de ce que la "machine" produit.

La transcription joue effectivement un rôle fondamental, et bien souvent sa fonction importe tout autant que l'élaboration du modèle informatique qui servira de support à l'idée et à son développement. Précisément parce qu'il ne s'agit plus de manipuler des objets ou des structures mais de les interpréter musicalement, d'y instiller un sens, une dimension subjective. Un seul programme, une seule vision ne suffisent pas à l'élaboration d'un modèle unique pour une même composition, chaque programme remplit chacun des fonctions spécifiques et est utilisé pour répondre à ces spécificités. Des multiples niveaux de réalisation de "l'idée musicale" la composition possède un statut équivoque. Aussi pour une même oeuvre plusieurs logiciels d'aide à la composition peuvent être utilisés parce qu'ils correspondent à des fonctions particulières. Il paraît important aujourd'hui de reconnaître qu'il ne s'agit plus d'exiger de l'outil électronique qu'il bâtisse cette conformité de pensée entre les prétentions du modèle et les visées éthiques, comme s'il représentait un principe immuable, mais plutôt que les compositeurs orientent leur décision par rapport à la réalité des programmes proposés. Le sens de l'éthique évolue alors vers la question d'une adéquation des choix aux visées esthétiques, comme si l'enjeu était de tirer le meilleur parti de ce qui existe déjà dans la "machine". La composition informatique se définit ainsi comme une technique de l'agencement, de l'ordonnancement et de la

reconstruction. Mais elle ne constitue qu'une étape préliminaire et non définitive dans le processus de création. Si ces différents constats nous ramènent à la connaissance, connaissance des outils d'une part (expérimentation et manipulation) et connaissance sensible de la musique d'autre part, la réunion des deux révèle dans l'acte compositionnel une résolution éthique, faire coexister aux deux stades de la recherche le souci explicite de la construction d'un sens intelligible intégrant le sensible. Mais seul l'idéalisme de vie propre à l'oeuvre semble, encore aujourd'hui, garantir l'intégration subjective de la réalité sonore. Encore faut-il accepter, au moment de l'écriture de l'oeuvre, de l'inclure comme la condition suffisante et nécessaire pour accéder à l'authenticité esthétique.

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