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De l intérêt bien entendu de l éthique d entreprise

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Academic year: 2022

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De l’intérêt bien entendu de l’éthique d’entreprise

Dès le début de ce siècle, face à l’organisation des contre-pouvoirs économiques émergents, l’entreprise n’a eu d’autres choix que d’allier à l’éthique son souci de performance. On aura beau dire, on aura beau faire, il demeure que la relation naturelle de la conduite d’entreprise et des hommes qui la régissent passe par l’intérêt bien compris des uns et des autres.

On préfèrerait défendre un intérêt naturel des uns pour les autres qui, par contrecoup, satisferait les intérêts personnels de l’entreprise.

Cependant, l’éthique opérationnelle, celle qui répond aux attentes de l’entreprise, s’ajuste, non sur l’impératif catégorique, trop rigoriste, mal adapté à la nécessité entrepreneuriale, mais sur l’impératif hypothétique, plus adaptable aux circonstances fortuites et, de ce fait, plus efficace pour l’entreprise et la gestion de ses hommes.

Quelles conséquences pour l’entreprise ?

Contrairement à certaines idées reçues, s’il ne suffit pas d’être philosophe pour être conseiller en éthique d’entreprise, en revanche, on observe de nos jours, un vif intérêt de l’entreprise pour ce que la philosophie ajoute à sa culture. On constate, en effet, que les dirigeants et leurs équipes sont réceptifs et attentifs à un discours abordant aussi bien les méthodes que l’analyse des pratiques et des faits, ou que la synthèse prospective et stratégique des projets RSE (touchant à la responsabilité économique, sociale, sociétale et environnementale de leur entreprise).

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Soumise au principe de réalité, l’entreprise est mortelle. La crise de confiance généralisée qui sévit depuis ces dernières années a au moins le mérite de mettre l’accent sur ce point : prise de risques, espoir de profit, hypothèse de faillite ne concernent pas seulement les théories des économistes !

Par voie de conséquence, l’entreprise doit revoir sa façon de s’entrelacer au maillage complexifié de la société actuelle. Loin des évaluations, notations officielles ou officieuses, l’éthique d’entreprise s’ancre dans les actes et légitime, de ce fait, une communication transversale et transparente vers l’ensemble des parties prenantes.

Nous montrerons que l’intérêt est ici naturel et que le naturel a de l’intérêt pour l’entreprise.

Des mots pour le dire

L’éthique d’entreprise est impérative

La nature philosophique de la réflexion sur l’éthique d’entreprise ne peut rester l’apanage d’ombrageux chercheurs universitaires, toujours prêts à vilipender l’entreprise pour ses faits et méfaits. Néanmoins, il n’est pas faux d’admettre avec certains « responsables de terrain », que ces analyses, venant de l’extérieur et d’une certaine hauteur de vue, représentent, dans l’ensemble peu de valeur ajoutée pour l’entreprise.

L’éthique d’entreprise comme repère pratique à la conduite humaine ne supporte ni le flou, ni les équivoques ; impérative, c’est en cela qu’elle défend les intérêts de l’entreprise.

Est appelé « impératif » toute détermination de la volonté prenant la forme d’une contrainte et s’exprimant par le verbe devoir (deon = devoir, d’où déontologie). Selon la théorie kantienne, il faut distinguer l’impératif catégorique et l’impératif hypothétique1.

1 L’essentiel de la philosophie pratique de Kant se trouve dans les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785), et la Critique de la raison pratique (1788).

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Les impératifs moraux, ou impératifs catégoriques, par exemple :

« Engageons-nous », sont des commandements sans condition de la moralité.

Les impératifs hypothétiques ou conditionnels, soumis à condition, eux, ne se réfèrent qu’à l’intérêt (impératifs techniques, règles de prudence ou d’habileté), par exemple : « Engageons-nous si nous voulons réussir ». Ils n’ont pas de caractère moral à proprement parler – « réussir » ne fait pas partie de la morale-, mais pour autant, sont intrinsèquement liés à l’idée de

« faire bien » pour atteindre le but visé.

L’impératif hypothétique rejoint ainsi la morale appliquée au devoir d’atteindre une finalité pour le bien de tous. Contrairement à l’impératif catégorique, lequel ne concerne pas la matière de l’action ni ce qui doit en résulter, l’impératif hypothétique ne s’intéresse, lui, qu’aux conséquences d’une action (ou d’une décision), plutôt qu’à son intention.

C’est évidemment cet impératif hypothétique qui intéresse l’entreprise, et l’on peut s’étonner, avec celle-ci, que de nombreux travaux de spécialistes ne le mentionnent jamais.

La morale de l’intention est peu pertinente dans un milieu où prédomine la logique du « résultat ». À moins d’être totalement déresponsabilisés, les grandes organisations demandent à leurs « responsables » d’assumer les conséquences de leurs actes et de leurs décisions ; c’est la responsabilité même qui se joue ici.

L’éthique appliquée aux professions et aux métiers participe bien de ce que Kant appelle l’ "impératif hypothétique ", en ce sens que cet impératif concerne la vie pratique et fait dépendre le but visé de moyens ou de conditions les plus propres à l’atteindre. Pour autant, ces moyens doivent être justes, bons, et en aucune façon ne peuvent se substituer à la finalité d’une action.

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L’éthique d’entreprise est naturellement intéressée

C’est bien dans le domaine de la nécessité naturelle que se situe l’objectif d’une action. Or, pour juger de la valeur morale d’un acte, il faut juger la volonté qui l’anime et non le résultat obtenu. On demande donc à l’entreprise d’afficher sa bonne volonté, sa volonté de faire bien, avant de communiquer sur les résultats de telle ou telle action.

Il y a un « agir » conforme au devoir auquel n’échappe pas l’entreprise, le code de déontologie est là pour le lui rappeler. Le devoir remplace alors la nécessité naturelle en libérant l’homme des contingences empiriques fortuites. Dans le cadre singulier de l’entreprise, il est fort possible qu’une action commise par inclination corresponde pourtant aux prescriptions du devoir.

La relation entre l’éthique et l’entreprise ne peut, de ce point de vue être désintéressée. Elle est même naturellement intéressée, car toujours orientée vers un mieux, un plus, un quelque chose de jamais suffisant et qui condamne l’entreprise à avancer, innover et progresser (on verra plus loin que l’innovation arrive largement en tête du classement des valeurs des entreprises). C’est donc la nature de cet intérêt qui pose problème et non l’aspect naturel de cette relation d’intérêt.

Entendons par là que le naturel, d’après le dictionnaire de philosophie Lalande, s’oppose à l’acquis, au réfléchi, à la contrainte, à l’artificiel, à l’affecté, à l’humain, au divin et au spirituel, au révélé, au régénéré, au surnaturel, au surprenant, au suspect, au positif (droit naturel), et au légitime (enfant naturel), ce qui, avouons-le, ne laisse pas beaucoup de place à l’éthique. Encore moins à l’éthique d’entreprise, entièrement vouée à l’humain, à ses acquis culturels, à la réflexion, au respect contraignant des normes et des codes, bref, à tout ce qui peut légitimer une action pour le plus grand intérêt de tous.

Nous y voilà : l’intérêt collectif, l’intérêt général, voire l’intérêt public doivent être les seuls motifs acceptables pour guider la conduite du commerce et des affaires. Le profit doit bénéficier à tous et non à une poignée d’acteurs qui le détourneraient par intérêt personnel. L’entreprise ne doit pas détourner l’éthique à son profit.

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L’entreprise performante pratique une « morale de l’intérêt bien entendu »

Il existe donc vraiment une « morale de l’intérêt bien entendu », comme on la nomme en philosophie, et qui s’apparente à l’éthique opérationnelle pratiquée dans les entreprises. Toute la question de la conduite, de sa fin, repose alors sur le plaisir réfléchi, calculé et prolongé dans la durée2. La finalité de l’entreprise, son intérêt, est de faire des bénéfices, d’être profitable. Il faut donc que les acteurs tendent vers cet objectif, qu’ils soient traités au mieux de leur propre intérêt, c’est-à-dire qu’ils doivent être traités comme fin en soi, jamais comme moyens. Les nouveaux modes managériaux, par exemple, basés sur le respect des compétences, la reconnaissance, montrent que ce postulat s’avère payant pour la rentabilité de l’entreprise. La performance s’accroît grâce à la morale, est-ce un mal ?

Pour une entreprise, l’aspect le plus intéressant de la mise en pratique de la

« morale de l’intérêt bien entendu » repose sur la recherche de ce qui est utile à l’ensemble des parties prenantes. L’éthique d’entreprise propose une théorie rationnelle de la conduite de ses hommes et de ses femmes permettant de défendre ou de préserver trois grands types d’intérêts : l’intérêt collectif, qui prend en compte ce qui est utile à un groupe d’individus, ici les acteurs de l’entreprise ; l’intérêt général, qui se concentre sur ce qui est utile aux membres d’une société ; enfin l’intérêt public, qui défend ce qui est utile à la société en tant que telle.

L’intérêt individuel n’est pris en compte que s’il sert la cause des trois précédents. Il peut à ce titre représenter dans l’entreprise un élément non négligeable de la dynamique collective. D’où l’intérêt pour l’entreprise de travailler sur la motivation personnelle par le biais du mentorat (coaching),

2 Dans son ouvrage L’Utilitarisme (1863), Mill défend sa conception de l’éthique, dont le but est « le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre possible de personnes ». En ce cas, la droiture morale d’une action doit être mesurée aux suites que l’on peut en attendre. Quantité (plaisir) et qualité (états) du bonheur sont associées.

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ou de développer les valeurs, en tenant compte des évolutions de mentalité depuis les années 50, d’un « management participatif ».

La morale utilitariste, qui illustre « l’intérêt bien entendu », est de culture anglo-saxonne, et le monde de l’entreprise multinationale s’en est fortement inspiré cette dernière décennie. Faut-il s’en offusquer ?

Ce serait alors rejeter une forme de morale sous un fallacieux prétexte culturel. Pire, ce serait sous-entendre que ce qui vient du monde anglo-saxon est immoral, voire amoral. Ce serait se faire donneur de leçons dans le seul but de ne pas en recevoir ! Combien de dirigeants de filiales françaises de groupes anglo-saxons, notamment, soutiennent-ils auprès de leurs cadres les recommandations des procédures de signalement de manquements aux bonnes pratiques, explicites dans la majorité des codes de déontologie ?

La question centrale ici est plutôt de savoir si ce vertueux déclaratif, recensé sous forme de chartes éthiques, de codes de conduite professionnelle, correspond, dans les faits, au respect des intérêts de la collectivité-entreprise dans sa relation aux attentes de la société et de ses membres.

Une culture pour agir Des valeurs pour s’unir

La culture philosophique et la culture d’entreprise, sa mémoire et son histoire, s’allient pour intensifier le sentiment de « fierté d’appartenance » de tous les acteurs. Nos entreprises contemporaines affichent ainsi des valeurs permettant de fortifier leur identité et de préciser celles de leurs responsables.

On sait que le problème récurrent pour la haute direction d’un grand groupe est la communication sur la lisibilité de sa stratégie. Or, la vision de la direction doit être clairement perçue puisqu’elle porte les repères et le sens des objectifs à atteindre par l’ensemble des collaborateurs. Dans le contexte utilitariste de l’éthique d’entreprise les valeurs énoncées ont donc une mission essentielle : rappeler la part d’humanité qui préside aux stratégies entrepreneuriales.

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Une récente étude3 menée par notre agence auprès de 200 grandes entreprises, offre une vision nettement bipartite dans le choix de ces valeurs : les valeurs d’image, identitaires et facilement « communicables » (innovation, proximité, qualité…) ; et les valeurs de réputation, valeurs éthiques plus proches de la conduite humaine (respect, engagement, loyauté…).

Ces dernières conditionnent la rédaction des principes d’action, des chartes et documents éthiques des grands groupes. Dans ce déclaratif entreprise, il est d’ailleurs surprenant que la valeur « exemplarité » soit nichée à la cinquantième position de l’indicateur. La dernière valeur déclarée par 1% des entreprises, est ainsi la valeur fondamentale du dirigeant. N’est pas « premier de cordée » qui veut ! L’exemplarité est affichée par la filiale française d’un laboratoire pharmaceutique américain et fait référence au célèbre ouvrage de Roger Frison-Roche (1941). À cet égard, le témoignage du directeur des affaires pharmaceutiques est remarquable : « Irréprochable. C’est également une qualité de la hiérarchie. À l’échelle de l’entreprise aussi, la notion de l’exemplarité est très forte. Dans le contexte d’une équipe de travail, le leader se doit de suivre quelques commandements, sans pour autant mettre de côté sa propre sensibilité, ni freiner ses initiatives. Une image de montagne vient à l’esprit : celle de premier de cordée ».

Culture et valeurs de l’entreprise

L’éclaircissement des valeurs partagées dans l’entreprise est toujours un travail fédérateur quand il est mené autour d’un projet innovant et motivant (employabilité des seniors, gestion de carrière des femmes, protection de l’environnement par exemple). De ce point de vue, la prise de conscience induite par les projets liés au développement durable ou à la Corporate Social Responsability est un formidable levier d’innovations sociales, sociétales et environnementales. L’entreprise du XXIe siècle ne peut se soustraire à ces choix de société.

3 Étude construite à partir des déclaratifs : publications et sites Internet de 208 des 500 plus grandes entreprises

françaises, et entretiens menés auprès de directeurs des ressources humaines et de directeurs de la communication. Les résultats de l’étude ont été communiqués le 12 novembre 2003.

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Car l’éthique, comme repère à la conduite, est également une démarche critique permettant à l’entreprise de confronter ses propres valeurs avec celles revendiquées par la société dont elle n’est qu’un maillon.

De nos jours, l’éthique d’entreprise répond également aux « intérêts bien entendus » de la société, et cela, dans son intérêt propre parce qu’il en va ainsi de sa nature d’entreprise. C’est sans doute pour cela que 22% des entreprises placent la valeur « client » (soit 3e/50 dans notre indicateur) au centre de leurs actions, répondant ainsi aux attentes des consommateurs et à la pression croissante des ONG. De leur côté, les clients se fient moins au

« capital marque » de l’entreprise qu’à son « capital réputation », lequel, du coup, est son premier rempart en cas de crise.

Là aussi, il faut bien s’adapter aux batailles d’opinion qui posent les conditions des « bonnes pratiques » de l’entreprise. Et là encore, l’impératif hypothétique permet une liberté de choix, expression d’une bonne volonté, en fonction des objectifs à atteindre, et non d’intentions trop catégoriques. La proposition conditionnée : « je ferai du profit si je fais bien », est somme toute très morale pour une entreprise… d’autant que « je fais bien » tout court, sans m’occuper du contexte économique et social, serait anti-éthique pour toute organisation qui a l’obligation de faire du profit tout en créant et maintenant des emplois !

Moins de trois siècles nous séparent de la naissance du concept d’entreprise. Moins de trois siècles pour la voir quitter son territoire limité à une petite partie du globe, l’Occident, et gagner la planète entière. L’avenir de l’entreprise occidentale est d’ores et déjà parsemé de valeurs chinoises, coréennes, indiennes, sud-africaines, brésiliennes, jordaniennes ou turques…

C’est dans cet aspect de la mondialisation que réside le véritable intérêt de l’entreprise et des sociétés qui l’hébergent. La pluriculture de l’éthique d’entreprise est à l’image des valeurs incarnées par ses acteurs : plurielle et ouverte sur les autres. En ce sens, volontairement du côté de l’humain, l’éthique d’entreprise n’est pas donnée, ce qui l’éloigne du naturel, mais on peut imaginer l’entreprise désintéressée… si son intérêt est bien entendu.

Catherine Maurey (Conseillère en éthique d’entreprise)

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et Thierry Wellhoff (Président de l’Agence Wellcom) Entreprise Éthique, N°20 – Avril 2004 Éthique et entreprise : relation naturelle ou d’intérêt ? Éthique Éditions –Cercle d’Éthique des Affaires

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