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La qualification du contrat public en matière de conflits de juridictions

Section II. L’influence du droit international privé sur la notion de contrat public

A. Les textes internationaux relatifs aux conflits de lois et de juridictions

1. La qualification du contrat public en matière de conflits de juridictions

223. Si la Convention de Bruxelles (a) et, dans son prolongement, le règlement Bruxelles I (b), intéressent très largement la matière contractuelle, il n’en demeure pas moins que ces deux textes restent avant tout relatifs à la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Dans aucun de ces deux textes, il n’est fait référence aux contrats publics, ni même aux contrats de nature publique ou administrative. La qualification inductive des contrats publics à caractère international est cependant démontrable en mettant en exergue un certain nombre de facteurs. Ils constitueront un palliatif aux carences du droit administratif français en matière de contrats publics à caractère international. La démonstration de cette applicabilité pourra se faire, entre autres, dès les premières lignes de la Convention de Bruxelles.

a) La Convention de Bruxelles et la qualification du contrat public

224. Le cadre historique de la Conventions de Bruxelles. La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 relative à la compétence judiciaire et à l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ne faisait pas partie du droit communautaire. Cependant, elle était considérée comme un « acquis communautaire ». Elle faisait dès lors partie des « Conventions » que les nouveaux États membres devaient ratifier lors de leur adhésion à la Communauté européenne. Les États contractants accordaient à la Cour de justice la compétence de statuer sur des questions préjudicielles relatives à l’interprétation de dispositions de la Convention de Bruxelles.

225. La controverse entourant la « matière administrative » dans la Convention de Bruxelles. Dans l’esprit des rédacteurs de la Convention de Bruxelles de 1968, il semblerait que les dispositions avaient vocation à s’appliquer à des litiges à caractère international

impliquant des personnes « privées »583. L’article premier du titre premier relatif au « champ

d’application » de la Convention de Bruxelles fut rédigé, en 1968, en ces termes : « La présente

convention s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction ». Une double question se posait alors. En ciblant la « matière civile et commerciale

», la matière administrative était-elle de facto exclue ? Était-il possible d’inclure les contrats publics dans la « matière civile et commerciale » ? La Convention de Bruxelles, à l’origine, n’a pas fait exception à la tradition jurisprudentielle584 et a continué à nier les enjeux et

problématiques « internationaux » relatifs aux contrats publics. Ce n’est qu’en 1979 que la Convention prendra, indirectement, position sur cette question. La convention d’adhésion de quatre nouveaux pays585 signée le 9 octobre 1978586, prévoit dans son article 3 que l’article 1er

de la Convention de Bruxelles de 1968 comportera désormais une seconde phrase rédigée en ces termes : « Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales douanières ou

administratives »587. On savait désormais que si les contrats publics entraient dans la « matière

administrative », ils ne pouvaient se prévaloir de la Convention de Bruxelles. Leur éventuelle incursion dans la « matière civile et commerciale » se posait alors.

b)Le règlement Bruxelles I et la qualification du contrat public

583 Avant l’entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles, le juge administratif français ne semblait pas embarrassé par l’hypothèse d’un marché public comportant un élément d’extranéité. Il appliquait, sans aucune distinction, les critères du contrat administratif. Pour preuve l’arrêt Habib Bechara du 11 janvier 1952, étudié précédemment, dans lequel le Conseil d’Etat avait admis sa compétence pour connaître d’un marché de fournitures de sacs postaux conclu entre l’administration française et un négociant libanais au motif qu’il s’agissait d’un «

marché administratif de fournitures passé pour le compte de l’État français » avant d’en déduire que seule la loi

française pouvait en régir les effets, et cela alors même qu’il avait été conclu et exécuté au Liban. Reposant sur une négation de l’internationalité du contrat administratif et sur une lecture faussée de la règle selon laquelle la compétence suit le fond, l’arrêt Habib Bechara ne pouvait que mener le juge administratif dans une impasse, précisément dans l’hypothèse où les critères du contrat administratif conduiraient à qualifier le contrat international d’administratif et où le régime juridique du contrat ne serait pas constitué de règles du droit public français mais de règles partiellement voire même exclusivement locales (i.e. étrangères). C’est exactement ce scénario redouté, mais inéluctable compte tenu de la pratique fréquente consistant à appliquer le droit local, qui s’est présenté au Conseil d’Etat. Dans l’affaire Lavigne et Le Mée du 3 juillet 1968, Rec. CE, p. 884, concl. BRAIDANT G., ; AJDA 1969, p. 259, au sujet d’un litige relatif à la passation d’un contrat par la mission française au Cambodge, litige dont le Conseil d’Etat a accepté de connaître alors même que le contrat en cause était régi par la loi cambodgienne et par les dispositions françaises relatives aux marchés publics en application de la volonté des parties.

584 CE, 11 janvier 1951, Habib Bechara, Sirey, 1952, p.3, CE, 3 juillet 1968, Lavigne et le Mée, Rec. CE, p. 884, concl. G. Braidant ; AJDA 1969, p. 259.

585 Convention relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande- Bretagne et d'Irlande du Nord à la Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu'au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice.

586 Convention d’adhésion du 9 octobre 1978, (78/884/CEE).

587 Cette phrase ajoutée dans la Convention de Bruxelles fut maintenue par la suite dans le règlement Bruxelles I de 2000.

226. Le règlement Bruxelles I dans la continuité de la Convention de Bruxelles. Une première proposition de règlement a été présentée par la Commission le 7 septembre 1999588.

À la suite des amendements proposés par le Parlement européen589, la Commission a adopté

une proposition modifiée de règlement590 qui a finalement été adoptée par le Conseil, avec de

nouveaux amendements, le 22 décembre 2000. Le règlement s’inspire largement de la Convention de Bruxelles, dont il reprend la structure divisée en trois parties principales591

concernant respectivement le champ d’application matériel, la compétence directe, la reconnaissance et l’exécution des décisions592. Malgré un changement de numérotation rendu

nécessaire par l’ajout de nouvelles dispositions, la plupart des règles restent inchangées et reprennent, le plus souvent mot pour mot, le texte de la Convention de Bruxelles. Les modifications apportées par le règlement de Bruxelles I restent ciblées et isolées. Il s’agit plutôt d’une adaptation du texte précédant à de nouvelles questions en matière de compétence judiciaire et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale, qu’une véritable refonte. Comme pour la Convention de Bruxelles, les contrats publics ne sont pas directement visés par ce texte.

227. La Convention de Bruxelles écartée au regard du champ d’application territoriale du règlement Bruxelles I. La Convention de Bruxelles faisait partie des textes que les nouveaux États membres étaient tenus de ratifier lors de leur adhésion à la Communauté européenne. Ainsi, le nombre d’États partis à la Convention a cru parallèlement aux élargissements successifs de la Communauté européenne. Cette croissance a cessé suite à l’adoption du règlement Bruxelles I593, bien que la Convention existe encore à ce jour594.

588 Document COM (1999) 348 final, J.O.C.E., C 376 E, 28 décembre 1999. 589 J.O.C.E, C 146, 17 mai 2001, pp. 94 et 101.

590 Proposition modifiée de règlement du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, non publiée au J.O.C.E, document référencé « 500PC0689 ».

591 Qui deviennent des « chapitres » alors que la Convention de Bruxelles se décomposait en « titres ».

592 Viennent ensuite les règles relatives aux actes authentiques (chap. IV), aux dispositions générales (chap. V), aux dispositions transitoires (chap. VI), aux relations avec les autres instruments (chap. VII) et aux dispositions finales (chap. VIII).

593 On rejoint la Convention : en 1978, le Royaume-Uni, l’Irlande, le Danemark, en 1982 la Grèce, en 1989 l’Espagne et le Portugal et en 1966 l’Autriche, la Finlande et la Suède.

594 L’article 60, alinéa 1 d’origine de la Convention de Bruxelles prévoyait que la Convention s’applique au territoire européen des Etats contractants, aux départements français d’outre-mer et aux territoires français d’outre- mer. La Convention de Bruxelles couvre donc un champ d’application géographique plus large que celui du traité CE. L’article 60, alinéa 2 prévoyait également que le Royaume des Pays-Bas puisse, au moment de la signature ou de la ratification de la Convention ou à tout autre moment ultérieur, déclarer que la Convention s’applique dans les Antilles néerlandaises et le Surinam. Les Pays-Bas ont utilisé cette possibilité en 1986 en élargissant le champ d’application à Aruba. Enfin la Convention de Bruxelles n’est pas applicable dans les territoires danois Féroé et Groenland.

L’adoption du règlement « Bruxelles I » a eu pour conséquence que l’étendue géographique de la Convention de Bruxelles ne pouvait être maintenue595. Aucun apport quant à la qualification

du contrat public par rapport à la Convention de Bruxelles.

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